Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXVI

REQUÊTE DE LA PAROISSE DE GALLNEUKIRCH À L'EMPEREUR D'AUTRICHE.

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Près de trois mois s'étaient écoulés depuis le jour où Boos entra dans la prison du couvent des Carmélites. Sa paroisse n'avait pu, sans une profonde douleur, être témoin de cet acte inconcevable de violence et d'injustice. À côté du petit nombre d'adversaires qu'elle renfermait et qui étaient excités par les prêtres fanatiques du voisinage, elle comptait près de quatre mille âmes qui gémissaient à la vue de ces persécutions. Plus d'une fois elle avait protesté contre l'intolérance des ennemis de Boos : toujours leur voix avait été méconnue. Pensant que l'empereur ne serait pas sourd à sa requête, elle s'adressa directement à lui en ces termes

« Sire,
L'Eglise de Gallneukirch ressent une vive et légitime affliction de ce que, sans motif connu, on lui a enlevé et incarcéré le digne curé Boos, qui jouissait de l'estime et de l'affection générales, et qui, depuis tant d'années, était son confesseur, son consolateur et son conducteur spirituel. Il y a déjà six semaines qu'il est détenu dans le cloître des pères Carmélites à Lintz ; c'est en vain que les neufs communautés dont se compose notre paroisse, ont adressé, par l'organe de leurs représentants, de vive voix et par écrit, de respectueuses requêtes au vénérable évêque de Lintz et aux autorités civiles, pour obtenir communication des motifs d'un si dur traitement. Nous espérions par là trouver quelque consolation. Nos démarches n'ont eu aucun résultat. À notre douleur se joint un étonnement bien naturel ; car le vénérable consistoire. a déclaré que le pasteur Boos ne s'était rendu coupable d'aucun délit ni dans sa conduite morale ni en politique ; il jugeait seulement que notre pasteur aspirait à une vie intime et secrète avec Dieu et Jésus-Christ.

Les membres de la paroisse, au nombre de quatre mille, ne peuvent croire que leur pasteur ait commis aucune faute envers la suprême volonté de Votre Majesté, ni qu'elle puisse avoir quelque sujet de plainte à l'égard de la conduite d'un homme aussi consciencieux et si plein d'amour pour Dieu et pour Jésus-Christ.

Nous nous jetons donc à vos pieds, Sire, et nous supplions Votre Majesté et les hauts fonctionnaires de son gouvernement, de venir au secours d'une paroisse abandonnée et privée de son père spirituel, et de lui rendre son digne pasteur. Nous vous supplions de hâter la fin de son procès ou du moins d'adoucir sa détention, attendu que les prières que la communauté a adressées au vénérable consistoire à ce sujet n'ont eu aucun effet. Nous pourrions tous répondre sur nôtre vie que, ni l'État ni l'Eglise, n'ont rien à craindre de cet homme ; nous sommes intimement convaincus, et l'expérience nous l'a clairement montré, qu'il est pénétré des sentiments patriotiques les plus purs, qu'il supporte toutes les charges publiques et privées avec une patience et un zèle exemplaires, et qu'il se soumet aux fournitures, logement et autres services publics en s'imposant parfois des sacrifices au-dessus de ses moyens. Nous avons été témoins de l'ardeur et de l'affection avec laquelle il exhorte ses paroissiens à l'obéissance envers le monarque et envers les autorités, et comme il est toujours prêt à faire des sacrifices pour les soldats malades ou blessés. Sa conduite est à l'abri de tout reproche.

Ses doctrines sont catholiques et conformes à l'Écriture. La paroisse y trouve sa paix et son bonheur. Mais il y a dans le voisinage quelques ecclésiastiques pleins d'envie et acharnés contre lui ; son zèle, son activité, la bonté de ses enseignements, la pureté de sa conduite ont excité leur jalousie : voilà la source des discordes qui ont ravagé notre paroisse. Ses adversaires prétendent que sa qualité d'étranger lui interdit tout bénéfice ecclésiastique dans ce pays. Il est triste de voir traiter de cette manière un prêtre si estimable, presque sexagénaire, malade et courbé sous le poids d'infirmités qu'il s'est attirées par ses pieux travaux. On le poursuit comme un grand criminel et comme si l'on se faisait un jeu d'aigrir son esprit et de tuer son corps. Tel serait bientôt en effet le résultat d'un pareil traitement si Votre Majesté n'en avait compassion et ne venait à son secours.

La paroisse de Gallneukirch vous supplie, Sire, de lui rendre son pasteur : elle n'en désire pas un autre.. Tous les curés exempts de partialité ne voient pas mieux que nous quelle raison il peut y avoir d'enlever à ses fonctions et de déshonorer, au mépris de la justice, un homme pieux et respectable, doué de talents et de sens, et de n'avoir aucun égard à la faiblesse de sa santé ni à son grand âge ; le forcer à quitter ce pays, ce serait le plonger dans la plus profonde indigence ?

Dans l'audience que Votre Majesté a daigné accorder le 20 septembre 1812 aux délégués de la paroisse, vous avez accueilli avec une bonté toute paternelle la supplique qui a été déposée à vos pieds en faveur du pasteur Boos, et vous avez décidé que justice lui serait rendue et que ses calomniateurs, auteurs de nos troubles, seraient punis de la sévérité des lois.
C'est sans doute contre la volonté de Votre Majesté que les coupables sont restés jusqu'ici impunis. telle est aussi la source des maux qui nous affligent et des erreurs que les méchants prennent à tâche d'entretenir. Nous ne pouvons nous rappeler, sans une vive émotion, le langage paternel que nous tînt alors Votre Majesté « Mes chers enfants, » nous disiez-vous, Sire, « la justice et la vérité viendront à votre secours, si votre cause est juste et bonne. Vous et votre pasteur pourrez toujours venir réclamer la protection qui vous est due ; soyez assurés de l'obtenir. »
Ces paroles si bienveillantes se sont gravées dans nos coeurs ; elles ne s'en effaceront jamais. Nos communautés, frappées dans leurs plus chers intérêts en appellent donc à votre justice et à votre bonté, Sire, ainsi qu'à celles de votre gouvernement, car il n'est pour nous, pauvres orphelins abandonnés, aucun secours et aucune consolation à attendre des autorités de Lintz.

Si nous ne pouvions pas obtenir la libération et le retour de notre pasteur, nous demanderions du moins qu'on l'appelât à Vienne où il défendrait lui-même sa cause, à l'abri de l'envie et de l'esprit de parti. Les deux tiers des membres de la paroisse partagent les sentiments exprimés dans cette requête, signée par quelques-uns d'entre eux, au nom de tous ; la paroisse entière demande que son pasteur lui soit conservé. »


CHAPITRE XXVII.

DÉMARCHE DE BOOS AUPRÈS DE L'ARCHEVÊQUE DE VIENNE.


De son côté, Boos crut devoir éclairer l'autorité supérieure ; ayant obtenu la permission d'écrire, il adressa de sa prison à l'archevêque de Vienne un exposé de sa foi, et poussa la condescendance jusqu'à indiquer quels étaient ses correspondants.

« Le premier de tous, dit-il, est Michel Sailer, maintenant professeur de morale et de théologie à Landshut. Il y a déjà trente ans que je corresponds avec lui. J'avais été son disciple en 1780 à l'université de Dillingen, et j'avais en lui, ainsi que presque tous ses élèves, la plus affectueuse confiance. Lorsque je fus chargé de fonctions ecclésiastiques, je recourus à ses conseils pour éclairer mon inexpérience et continuer à m'entourer de ses lumières pendant mon séjour en Autriche. J'en faisais si peu un mystère, que mon vénérable doyen et pasteur Bertgen et l'évêque de Gallneukirch connaissaient parfaitement ma correspondance avec Sailer et que je leur donnais souvent ses lettres à lire. Personne ne songeait à une correspondance secrète ou à une société piétiste.

- Le second de mes correspondants était Michel Feneberg, de bienheureuse mémoire, pasteur à Seeg et à Voehringen. Il était mon compatriote, mon parent et mon ami, et fut comme moi l'objet d'une enquête à Augsbourg. Lorsqu'il eut subi l'amputation du pied droit, je fus son chapelain, de 1797 à 1799, sans autre rétribution que ma table. Après les poursuites inquisitoriales d'Augsbourg, je me rendis en Autriche pour exercer mon ministère, sous l ! épiscopat de Gall. Quoi de plus naturel que d'entretenir un commerce épistolaire avec un parent et un ami en la foi, avec un compagnon de mes épreuves ! Feneberg était animé d'une foi vivante en Christ, et me parlait dans ses lettres de nos communes espérances ; mais il n'était jamais question d'association secrète. plus naturel que d'entretenir un commerce épistolaire avec un parent et un ami en la foi, avec un compagnon de mes épreuves ! Feneberg était animé d'une foi vivante en Christ, et me parlait dans ses lettres de nos communes espérances ; mais il n'était jamais question d'association secrète.

- Un troisième correspondant était M. le président de Ruosch, excellent juriste et encore plus excellent chrétien. Je fis sa connaissance en 1790, étant chapelain à Seeg, où il vint avec son fils faire visite au pasteur Feneberg : M. de Ruosch y ayant fait un petit séjour, et partageant les principes religieux de ses anciens amis Sailer et Feneberg, nous nous sentîmes bientôt unis par les liens d'une même foi au Seigneur. Il nous confia l'éducation de son fils unique, ce qui fût l'occasion d'une correspondance assez suivie ; mais, ni M. Ruosch, ni moi, ne pensions à former une association secrète et qui pût mettre l'État en péril. 

- Un autre correspondant était X. B. pasteur à D. L'origine de notre amitié et de nos relations est aussi fort naturelle. Nous avons étudié ensemble sous Sailer, à l'université de Dillingen ; pendant deux ans nos épreuves et nos travaux furent les mêmes. En 1797, nous fûmes appelés l'un et l'autre devant l'Inquisition d'Augsbourg ; nous avions le même logement, la même table, les mêmes occupations ; nos peines, nos joies, nos espérances chrétiennes étaient les mêmes. Lorsqu'il fut fixé en Souabe et moi en Autriche, nous nous écrivîmes fréquemment, sans songer le moins du monde à désobéir aux lois ou à faire partie de quelque association. N'est-il donc pas permis à un ecclésiastique de correspondre avec un confrère sur des objets purement relatifs à leur vocation ?

- Mon cinquième correspondant était Jean Gossner (1), pasteur démissionnaire à M.. Il étudia après moi à Dillingen, et fut aussi chapelain à Seeg, chez Feneberg. Il partagea mes épreuves à Augsbourg, et lorsque j'arrivai en Autriche, il m'écrivit quelquefois pour s'informer de mon état. Gossner me communiquait, comme à un vieil ami, ses écrits, me priant de lui faire part de mes observations ; aussi notre correspondance était toute religieuse, et personne ne pensait que notre vieille amitié pût être envisagée comme une association secrète.

- Je vous indiquerai encore J. Weinhofer, pasteur et vice-archidiacre à Pinkafeld, en Hongrie, homme plein de piété et désireux de servir le Seigneur. Il connaissait depuis long-temps le professeur Sailer, par ses écrits ; mais ne jouissant pas encore de la paix que donne une foi simple à l'Évangile, il lui écrivit en 1811, pour lui demander la permission de lui rendre visite à Landshut. Sailer la lui accorda et lui dit qu'il pourrait le voir dans un voyage qu'il ferait à Lintz, ajoutant qu'il ferait bien d'aller auprès de Boos, à Gallneukirch, et de lui ouvrir son coeur. Weinhofer se rendit donc chez moi et me fit part de l'état de son âme. Le Seigneur lui donna de croire à salut en Christ, et au bout de quelques jours, il me quitta plein de joie et de paix. N'était-il pas naturel que je correspondisse avec un frère en la foi ? Sailer et Weinhofer peuvent déclarer s'il était question de société secrète. »

Boos nomme encore d'autres correspondants. un jeune bavarois B. C. G. qui vint le voir pour s'entretenir avec lui de la seule chose nécessaire qu'il avait appris à connaître par ses lettres et par les soins de quelques autres serviteurs de Dieu ; Anna Schlatter, de St-Gall, dont nous avons transcrit plusieurs lettres et qui dut à la charité de Boos la délivrance de son fils ; Marie Oberndorfern, jeune luthérienne de la commune de Thening. Cette jeune personne montra dès ses tendres années une grande crainte de l'Éternel. et puisa de fort bonne heure une instruction chrétienne très-solide dans la parole de Dieu et dans quelques livres de piété. Instruite des souffrances qu'avait endurées Boos, ainsi que de ses doctrines, elle fut extrêmement surprise qu'il y eût dans l'Église romaine un seul ecclésiastique qui, quant aux points fondamentaux, ne fût pas tombé dans quelque erreur.
Croyant que Boos était mort depuis long-temps, elle apprit avec joie qu'il était pasteur à Gallneukirch et désira vivement faire sa connaissance. Elle se rendit donc auprès de lui en 1810, et elle trouva dans ses entretiens d'abondantes bénédictions.

Enfin sa lettre à l'archevêque mentionne un chrétien de l'Amérique septentrionale, nommé Grellet, qui fut attiré en Allemagne par un de ces mouvements que l'Esprit suscite quelquefois dans le coeur des amis de Jésus. Des chrétiens du Nouveau-Monde avaient appris avec une vive joie, par des navigateurs hollandais que Sailer et ses disciples s'étudiaient à spiritualiser les formes du culte catholique romain et y joignaient un christianisme vivant et pratique. L'un d'eux (Grellet), forme aussitôt la résolution d'aller visiter ces frères, qui, bien qu'attachés à une communion différente, confessaient ouvertement le beau nom de Christ. Il traverse l'Océan, débarque en Hollande et se rend à Landshut auprès de Sailer, à Munich chez le baron Pfetten, chez Ruosch, chez Gossner, et visite tous ceux qui lui sont indiqués comme souffrant pour la croix.
Il veut aussi connaître Boos dont le nom était célèbre dans toute l'Allemagne ; mais informé que le curé de Gallneukirch ne connaît ni l'anglais ni le français, et que personne dans cette paroisse ne pourrait lui servir d'interprète, il se voit forcé de renoncer à le voir, et se borne à lui faire dire, par un de ses frères en la foi, qu'il se sentait uni à lui par la plus vive affection. Grellet repasse en Amérique et raconte à ses amis quelle belle oeuvre le Seigneur avait faite au sein de l'Église romaine en Allemagne. Ayant appris qu'un des curés de ce pays était dans le besoin, il fait parvenir au baron Pfetten le produit d'une collecte ouverte en Amérique, en le priant d'en transmettre le montant ( 600 florins) à Sailer et à Boos, qui devaient l'appliquer selon leur prudence : les deux tiers de cette somme furent remis au curé L., et le reste servit à l'impression du Nouveau-Testament.

Cependant l'aveuglement des adversaires de Boos était tel, qu'ils mirent encore tout en oeuvre pour chercher des crimes où il n'y en avait point et pour l'engager à renoncer à ses principes en matière de foi. Un jour, l'évêque de Lintz entra dans sa prison et lui représenta les dangers qu'il y avait à ne pas prêcher comme tous les autres curés ; il finit par l'exhorter à rétracter ses croyances, vu que c'était là le seul moyen de recouvrer la liberté et la confiance de ses supérieurs. Boos repoussa avec calme une pareille proposition, et s'adressant à la conscience du prélat, il lui dit : « Comment osez-vous me demander de renier la vérité ? » À ces mots, l'évêque fut saisi d'une telle colère, qu'il cracha à la figure du fidèle confesseur de Jésus, et qu'il sortit précipitamment de la prison, bien résolu de se venger. En effet, peu de jours après cette scène (lé 16 février 1816), le prisonnier reçut communication de l'arrêt suivant :

« Il a été sérieusement prescrit au pasteur Boos, lors de son entrée dans le cloître des Carmélites, en qualité de détenu, d'éviter toute espèce de rapport, soit par écrit, soit de vive voix avec les membres de sa paroisse ; le pasteur Boos avait promis de se soumettre à cet ordre. Néanmoins les autorités supérieures ayant des preuves que plusieurs de ses paroissiens l'ont visité et ont eu avec lui divers entretiens qui ont occasionné de nouveaux troubles, le pasteur Boos, ne doit s'en prendre qu'à lui-même, si, conformément à un ordre supérieur, il est condamné à une détention plus rigoureuse.

Lintz, le 14 février 1816.
SIGISMOND, évêque. J. SCHWERDLING, chancelier.»

Quelle était donc cette promesse que Boos avait faite en entrant dans sa prison ? N'était-ce pas de ne point chercher à produire une influence coupable, ou nuisible sur l'esprit des membres de son troupeau ? Pouvait-il s'interdire toute relation chrétienne, édifiante avec eux ? S'il eût pris un tel engagement, n'aurait-il pas montré qu'il préférait obéir aux hommes plutôt qu'à Dieu. Or, il ne l'avait point fait. L'intolérance, la passion seules pouvaient dicter un pareil arrêt. - Et d'ailleurs, aurait-il pu repousser ses enfants en la foi qui étaient venus lui apporter quelque consolation ? Le coeur ne se révolte-t-il pas à cette seule pensée ? Mais le fanatisme étouffe les sentiments les plus naturels ! Il est altéré de sang. C'est le sang de Boos que ses persécuteurs auraient voulu verser. Mais les temps ne sont plus où l'Eglise romaine pouvait impunément allumer les bûchers et recourir au glaive du bourreau, pour se défaire de ceux qui osaient croire en toute simplicité à la bonne nouvelle d'un salut par grâce. À ce défaut, elle impose un silence absolu à ces méchants hérétiques ; les plus rebelles sont jetés en prison, puis contraints à se condamner eux-mêmes à l'exil.

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CHAPITRE XXVIII.

RIGUEURS NOUVELLES CONTRE LE PRISONNIER. ARRÊT IMPÉRIAL.

- DÉPART DE BOOS ET SON ARRIVÉE À MUNICH.

- SON PLUS ARDENT ENNEMI LUI SUCCÈDE À GALLNEUKIRCH.


La menace de l'évêque Sigismond eut bientôt son effet. Le prisonnier fut l'objet de la surveillance la plus rigoureuse. Auparavant il pouvait de temps en temps faire quelques pas en dehors de son étroite cellule et respirer un air plus pur. Maintenant cette douceur lui est enlevée. Il n'aperçoit aucun être humain que le valet du geôlier. Peu de jours après la visite de l'évêque, quelques agens de police entrent dans sa prison et se disposent à le transporter dans une autre pièce, plus vaste, mais glacée. Boos les conjure de le laisser où il était, disant qu'il ne pourrait supporter le froid qu'il ressentirait là où ils voulaient le conduire. « Je suis cependant entre vos mains, » ajoute-t-il, « faites de moi ce que vous voudrez, je suis résigné à tout. » - Ils sont assez humains pour accéder à sa demande.

« Vous serez heureux », a dit Jésus à ses disciples, lorsqu'à cause de moi on vous persécutera et qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal ; réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense sera grande dans les cieux ; car on a ainsi persécuté les prophètes qui ont été avant vous (Matth., V, 11, 12). »

Quel calme ces paroles répandaient dans l'âme de Boos ! Comme il se sentait restauré en se souvenant qu'il souffrait pour le nom de Jésus, de ce Jésus qui avait été lui-même en butte « à la contradiction » de la part d'un monde plongé dans le mal ! Cependant le terme de sa captivité approchait. Le soldat préposé à sa garde prenait un vif' intérêt au détenu. Il ne pouvait comprendre pourquoi un homme si doux, si pieux, était traité comme un malfaiteur. Un dimanche matin, il lui dit, en lui apportant son modeste repas :
« J'ai appris hier de bonnes nouvelles.
- Lesquelles ? demanda Boos.
- Le prieur m'a dit que vous seriez bientôt mis en liberté.
- Comment cela ? L'arrêt de la cour serait-il venu ?
- Il est probable ; cependant le prieur ne me l'a pas dit d'une manière positive. Il m'a demandé pour la première fois comment vous étiez. Je lui ai répondu que vous ne vous portiez pas bien et que votre extrême faiblesse vous obligeait à garder constamment le lit. Là-dessus, le prieur m'a dit qu'il ferait en sorte que vous ayez la permission de vous promener dans le vestibule. »

Plus de six semaines s'écoulèrent depuis cet entretien jusqu'à la sortie du prisonnier, mais dans cet intervalle, il fut toujours gardé avec la même rigueur. Toujours point de promenade dans le vestibule, aucune visite, aucun adoucissement à sa captivité.
L'empereur avait enfin prononcé la sentence ; elle portait que bien que Boos fût tout-à-fait innocent de participation à quelque société secrète, il serait détenu jusqu'à ce que l'archevêque le jugeât digne d'être mis en liberté ; que dans aucun cas il ne pourrait plus séjourner dans le diocèse de Lintz ; qu'il pourrait desservir ailleurs un poste, et qu'enfin s'il demandait son expatriation, elle lui serait accordée.

Tel fut donc le résultat de cette longue enquête. Boos est reconnu innocent ; mais il déplaît à son évêque, et on le traite comme un criminel, il restera en prison jusqu'à ce qu'on le trouve digne d'être mis en liberté ! S'il est coupable, qu'on le prouve et qu'on le punisse ; s'il est innocent, qu'on le rende à sa paroisse qui le réclame à grands cris ; qu'on proclame son plein acquittement, et que ses calomniateurs soient repris. Mais non ; on voulait se défaire d'un prédicateur orthodoxe dans le sens de la Bible ; il fallait, à force de dégoûts et d'amertumes, le chasser de l'Autriche, et l'on y parvint.

Boos ne profita pas de l'offre qui lui était faite de desservir un autre poste. Il demanda son passeport, partit de Lintz le 30 mai et se rendit en Bavière. Le gouvernement lui fit remettre mille florins pour frais de route ; mais il lui fut défendu de rentrer dans sa paroisse, à Gallneukirch, pas même pour y mettre ordre à ses affaires. Son mobilier fut vendu à l'enchère, et une portion du produit lui fut envoyée en Bavière.

Le 4 juin, il arrive à Munich ; c'était la veille de la Pentecôte. Quelques amis réunis pour se préparer à célébrer cette fête, entendent frapper à la porte de la maison où ils étaient assemblés. Ils ouvrent et voient un étranger d'une figure pâle, amaigrie et portant tous les traits de la souffrance. Ils ne le connaissent point. « Vous suis-je donc inconnu ? » leur demande le pauvre voyageur. À ces mots, ils le reconnaissent, lui sautent au cou et le serrent dans leurs bras. Quelle joie de le revoir ! Avec quelle effusion de coeur ils bénissent le Seigneur d'avoir conduit auprès d'eux ce respectable témoin de la vérité ! Il leur raconte ses épreuves et ses délivrances. Comme il était heureux de trouver des frères, des amis qui le comprissent et dans le sein desquels il pût épancher son coeur !

Laissons quelques instants Boos et retournons à Gallneukirch. Dès que l'arrêt de la cour de Vienne y fut connu, les nombreux amis du curé furent saisis de la plus vive douleur. Leur pasteur n'était jugé coupable d'aucun délit ecclésiastique, et on le leur enlevait, on le forçait à se condamner à l'exil ! Ils ne pouvaient croire que le clergé fût capable d'une si criante injustice.
Plusieurs d'entre eux coururent à Lintz pour s'assurer de la vérité ; ils n'en furent bientôt que trop convaincus. Ils voulurent du moins revoir une fois leur fidèle conducteur spirituel ; mais on les repoussa, et ils durent retourner chez eux sans espoir d'entendre la voix de leur meilleur ami.

Pour comble de douleur, ce fut le curé Brunner, un des plus grands adversaires de Boos, qui lui succéda à Gallneukirch. Lors de son installation, qui eut lieu vers la fin de juillet, la paroisse entière montra avec quel dégoût elle envisageait l'arrivée de Brunner, sur quatre mille paroissiens, il y en eut à peine dix qui se présentèrent devant l'autel et qui déclarèrent accueillir avec joie le nouveau pasteur. Le doyen, qui faisait la présentation, fut vivement désappointé ; le consistoire en éprouva un profond dépit, et Brunner versa des larmes au milieu du temple. Mais ces larmes étaient celles de la vengeance. Il se mit aussitôt en devoir d'enlever les Bibles et les Nouveaux Testaments que Boos avait répandus, mais il rencontra la plus vive résistance. Quelques-uns, poussés à bout par les persécutions, se séparèrent de l'Église romaine.

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(1) Jean Gossner était curé lorsqu'il fut éclairé de la pure lumière de l'Évangile. Auteur d'un écrit intitulé le Catéchisme primitif, qui a été traduit en français, et de plusieurs autres ouvrages religieux, entr'autres de la Biographie de Boos, il se sépara de l'église romaine ; il est actuellement pasteur à Berlin.
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