Le nom de Boos était dans toutes
les bouches ; le peuple, les prêtres,
les prélats étaient partagés
à son sujet. Ses amis, entr'autres Sailer et
Bertgen, ne se lassèrent point
d'éclairer l'opinion si cruellement
égarée. Le premier écrivit
à l'évêque Sigismond, à
Lintz, pour l'informer du véritable
état des choses, et Bertgen conseilla
à Boos de faire une démarche
pareille. Boos le fit avec toute sa candeur et sa
fidélité habituelles,
déclarant dans sa lettre qu'il avait
évité tout ce qui aurait pu blesser inutilement
ses
paroissiens. L'évêque l'appela
auprès de lui ; il s'y rendit
aussitôt et lui exposa ouvertement sa
croyance et son désir d'y rester
fidèle. Le prélat parut satisfait de
ses réponses, assembla le consistoire
épiscopal, le 5 juin 1811, et lui soumit la
lettre de Sailer et celle de l'accusé.
Cette autorité prit la
décision suivante : « Le
consistoire épiscopal ayant pris
connaissance des expressions et des
démarches de M. le curé Boos, qui ont
blessé quelques-uns de ses paroissiens, et
donné lieu à la présente
plainte, il a été reconnu, en suite
des réponses faites par ledit curé,
qu'il n'enseigne aucune erreur ni aucune doctrine
dangereuse, qu'il n'a aucune mauvaise intention,
mais qu'on l'a mal compris ; on peut tout au
plus lui reprocher d'avoir un zèle trop
ardent et d'exposer trop exclusivement les
principes de la foi. Comme on lui a adressé
à tous ces égards les observations
convenables, les plaignants peuvent être
tranquilles, soit sur ses discours, soit sur la
manière dont ce ministre si
zélé et à l'abri de tout
reproche, remplit ses
fonctions. »
Dès que cette décision eut
été communiquée à Boos,
il fit appeler les plaignants par l'organe du
sacristain et leur en donna lecture, en leur
exprimant le désir qu'ils eussent d'autres
sentiments à son égard. Ils
repoussèrent la main amie qui s'offrait
à eux, et regardant Boos d'un œil
irrité : « Nous ne faisons pas encore la
paix,
dirent-ils ; nous voulons d'abord prendre
conseil du père Conrad et du pasteur Brunner
(les meneurs des mécontents) ».
Puis ils sortirent sur-le-champ.
Sailer, ayant reçu de Boos une
copie de l'arrêt du consistoire, et
prévoyant de nouveaux troubles,
écrivit à Bertgen :
« Je prends de nouveau la
plume pour vous remercier de ce que vous avez fait
pour notre ami. La décision du consistoire
est modérée, chrétienne et
juste ; mais le consistoire ne doit pas trop
se fier à ce calme apparent. Il est
évident que Boos a déployé une
délicatesse et une prudence extraordinaires,
et que ses adversaires sont animés d'un tout
autre esprit. Ils veulent absolument avoir raison
aux yeux du monde, et cherchent des
hérésies et des péchés
là où il n'y en a pas du tout.
Égarés par la passion, ils
désirent vivement que Boos soit
condamné, et mettent tout en oeuvre pour
parvenir à leurs fins. Cet acharnement va
toujours en croissant, et furieux de ne pas avoir
réussi une première fois, ils
répandront de nouvelles calomnies et ne
négligeront rien pour s'emparer de l'esprit
de l'évêque. Si ce prélat
montre de la fermeté, ils s'efforceront de
tromper et de circonvenir l'autorité
supérieure. Je connais toutes ces
menées par ma propre expérience et
par celles dont Boos a déjà
été l'objet en 1796, ainsi que par
plusieurs autres affaires
semblables. Je viens seulement vous prier de
veiller à ce que le consistoire reste
inébranlable et ne se laisse pas effrayer
par de nouvelles injures et de nouvelles
menaces.
De plus, veuillez me dire, par
l'entremise de Boos, si je dois chercher à
avoir quelqu'influence sur l'esprit de
l'évéque et quelle voie il faudrait
employer pour qu'il soit de plus en plus convaincu
de l'innocence et de la pureté des doctrines
de notre ami. J'écrirais volontiers une
seconde fois à ce prélat, avec une
entière franchise; mais je n'en ai pas
l'occasion.
Vénérable ami , l'Esprit
de vérité et de force vous a
éclairé et soutenu ; vous
reconnaissez dans cette doctrine si
calomniée et taxée
d'hérésie, le vieux christianisme
apostolique, l'antique doctrine catholique, et, en
véritable héros, vous vous êtes
présenté pour la défendre.
Vous n'avez pas eu honte de paraître aux yeux
des adversaires comme un de ceux qui, selon eux,
ont été trompés et
séduits. Oh ! oui, l'Evangile est trop
divin, pour que nous ne supportions pas pour lui
toute espèce d'opprobres, et la paix de Dieu
est trop précieuse pour que nous ne
sacrifiions pas nos honneurs temporels au bonheur
de la posséder. Oh! que ne pouvons-nous
avoir une entrevue seulement d'une heure! Nous
pourrions nous entretenir de cette sainte cause et
nous entendre beaucoup mieux qu'en nous
écrivant une année entière!
Que le Dieu des consolations
soit avec vous et avec votre sincère ami et
serviteur,
SAILER. »
Bertgen lui répondit qu'il devait
écrire à l'évêque.
Sailer suivit son conseil, et adressa à
l'évêque Sigismond Hohenwart une
lettre pressante, sous date du 15 août.Boos
goûta quelque repos, mais ce calme ne fut pas
de longue durée : l'évêque
et le consistoire cédaient peu à peu
le terrain à l'ennemi et craignaient de se
prononcer trop ouvertement en faveur d'un homme
accusé d'hérésie. Les
mécontents, ne se tenant point pour battus,
dressèrent une nouvelle plainte portant que
leur pasteur prêchait toujours de la
même manière, qu'il distribuait des
livres défendus, qu'il avait des relations
et des correspondances avec les protestants ;
ils osaient même dire qu'il maltraitait de
coups ceux qui ne voulaient pas croire à ses
paroles.
Le curé Branner répandit
à Gallneukirch un misérable
écrit rempli de sottises, et publié
en 1797, par un certain Hut ; Brunner eut
l'impudeur de faire courir le bruit que Boos en
était l'auteur. Toutes ces menées ne
faisaient qu'accroître les préventions
des esprits, déjà mal disposés
envers lui.
L'agitation était donc loin de se
calmer. C'était en vain que le consistoire
avait déclaré que Boos n'était
point un hérétique ; les
curés du voisinage le dépeignaient
toujours comme tel. Le consistoire était
débordé, son jugement foulé
aux pieds ; et la faible protection dont il
s'entoura quelque temps fut impuissante contre le
nouvel orage qui se préparait.
Le gouvernement, informé de ces troubles,
chargea une commission de laïques et
d'ecclésiastiques d'examiner toute cette
affaire.
Le 3 janvier 1812 arrive en grande pompe
à Gallneukirch une commission
d'enquête, composée du
président du cercle de Bernberg, du doyen
Huber de Freystadt et du secrétaire Schuh.
Toute la ville était en émoi :
les ennemis de Boos comptaient sur la victoire, et
ses amis adressaient à Dieu de ferventes
prières pour le triomphe de la
vérité. La commission ayant pris
séance dans le presbytère,
procéda aussitôt à
l'interrogatoire. Écoutons le récit
que Boos lui-même nous en a laissé
dans une lettre du 12 janvier 1812:
- « Qu'avez-vous fait pour
tranquilliser vos paroissiens ? »
demanda le président.
- « J'ai fait appeler les plus
opposés et leur ai demandé quels
griefs ils avaient contre moi ; je leur ai
expliqué avec douceur tous les points qui
les avaient blessés ; après
avoir prié avec larmes pour eux, j'ai
chargé quelques-uns de leurs parents et de
leurs voisins de chercher à les
éclairer à mon égard. En
chaire comme dans le confessionnal, j'ai fait tout
mon possible pour m'expliquer le plus nettement que
je l'ai pu. »
- « Vous êtes-vous
conformé, depuis le dernier avertissement
que vous a donné le consistoire, aux
instructions de l'évêque et du
vicaire-général
Mayer ? »
« Oui, autant que je l'ai pu,
sans cesser cependant de prêcher la foi
vivante, quand mon texte m'y appelait : car,
malheur à moi, si, par crainte des hommes,
je n'annonce pas
l'Évangile ! »
- « Avez-vous continué,
depuis le dernier avis du consistoire, à
prêcher la foi vivante en
Christ ? »
- « Certainement : car
j'aurais commis un grand péché en ne
la prêchant pas, puisqu'il est
écrit : Celui qui aura eu honte de moi
et de mes paroles devant les hommes, j'en aurai
aussi honte devant mon Père. L'obligation de
la prêcher m'est donc imposée. Ici
j'exposai avec détails mes principes, d'abondantes
larmes
coulaient de mes yeux, les commissaires
étaient tout oreilles. »
- « Connaissez-vous les
plaintes qu'on a portées contre
vous ? » demandèrent-ils
ensuite.
- « oui, on m'accuse d'avoir
prêché que nous ne sommes
sauvés que par la foi et d'être
Luthérien. »
- « Est-il vrai que vous
attribuez à Satan tous les maux et toutes
les maladies ? »
- « J'ai dit que ces maux sont
les fruits du péché originel ;
du principe du mal, appelé Satan ou de toute
autre dénomination. L'Écriture Sainte
attribue au malin une foule de maladies. - J'ai
tout simplement dit, d'après
l'Écriture, que par l'envie du démon
le péché est entré dans le
monde, et par le péché la mort et
tous les autres maux. » -
La figure de mes juges prit alors un air
sombre : ils me demandèrent depuis
quelle époque j'étais revêtu de
la prêtrise, combien de temps j'avais
exercé le ministère à
Postlinberg et depuis quand j'étais
ici : si j'avais prêché partout
les mêmes doctrines et comment il se faisait
qu'elles n'eussent excité des troubles
qu'à Gallneukirch : pourquoi je ne
changeais pas de langage puisqu'il m'attirait tant
de désagréments ? etc.,
etc.
« Voilà plus de trois
jours que la commission m'accable de questions de
toute espèce, et elle n'est pas plus
avancée qu'au commencement. Elle est dans le plus
grand
embarras, et
ne sait où trouver quelque délit.
Quant à Satan, elle n'y croit pas : on
ne peut dire un mot de ce prince du mensonge, sans
qu'ils se mettent à en rire aux
éclats.
Hier après-midi, ils ont
interrogé les juges de la communauté,
qui tous ont déposé en ma faveur et
contre Brunner. Il parait que ces
témoignages ont dissipé, en partie du
moins, les injustes préventions des
commissaires qui décidément
étaient du côté des
accusateurs. Ils voudraient opérer une
réconciliation, mais les juges craignent
qu'en acceptant un accommodement, ils ne soient
obligés de payer tous les frais de
l'enquête. ils ne veulent s'y prêter
qu'autant qu'ils seront assurés être
à l'abri de toute espèce de
frais.
Je viens d'apprendre que les auteurs de
la plainte repoussent toute réconciliation.
- Vers les six heures, le président de la
commission m'a fait appeler à l'hospice, et
m'a dit : « Mon cher pasteur, j'ai
le grand regret de vous annoncer que vos
paroissiens refusent de faire la paix et qu'ils
veulent que la plainte soit portée au
gouvernement. La commission a maintenant
terminé sa tâche, toute votre affaire
va être soumise à l'autorité
supérieure et au consistoire
épiscopal. Je me borne à vous prier
d'éviter tout ce qui pourrait exciter
l'animosité de vos
paroissiens. »
- « Du reste, nous nous sommes
assez bien quittés :
mais après la session de la commission nous
en savons tout juste autant qu'auparavant. Les
esprits sont également
partagés : l'impatience et
l'incertitude en sont toujours au même
point. »
Du 15 janvier. « J'ai
été à Lintz auprès de
Bertgen et de Herzog, ils tremblent l'un et l'autre
et désespèrent de mon affaire. On
prétend que je fais partie d'une
société secrète,
composée de catholiques et de protestants,
et que j'aspire à réformer tout le
clergé autrichien, ou du moins que je veux
lui faire honte en répétant partout
qu'il n'y a que moi qui prêche
fidèlement Christ et son Évangile, ce
qu'on ne peut souffrir, vu d'ailleurs ma
qualité d'étranger. Bien plus, nos
pauvres aveugles soutiennent que mes principes sur
la justification sont tout à fait
protestants et sont cause d'une
démoralisation telle qu'on n'en a jamais vu
dans le pays. »
Du 24. - Mes deux amis de Lintz osent
à peine me parler et à plus forte
raison m'écrire. Je me vois seul,
abandonné de tous. Parfois j'ai la coupable
pensée que le Seigneur m'a aussi
délaissé. Mes chers paroissiens dont
la foi est plus vive que la mienne, s'efforcent de
ranimer mon courage abattu et de me soutenir dans
mes travaux. Ils m'ont déclaré mainte
fois que ces épreuves, bien loin de les
ralentir, n'ont servi qu'à augmenter leur
zèle et leur piété. Ils n'ont
jamais montré autant de
force que depuis que je suis si affaibli : il
semble que leur courage grandit à mesure que
je me sens abattu. Que mon état ne vous
inquiète pas trop ; le Seigneur peut me
relever en un instant. »
Boos.
Six mois après que la commission eut fait
son enquête, le consistoire épiscopal
adressa à Boos l'arrêt
suivant :
« Nous recommandons de la
manière la plus expresse au curé Boos
de garder, dans ses prédications, un silence
complet sur la foi, sur la justification et sur
toutes les matières dont il a
été question dans le dernier
interrogatoire, et de n'employer en public et en
particulier, en chaire et dans le confessionnal,
que les expressions dont se servent tous les autres
curés catholiques du diocèse et qui
sont en usage dans les livres
symboliques. »
Cette défense rappela à
Boos celle que les souverains sacrificateurs firent
aux apôtres, de ne plus enseigner qui que ce
fût au nom de Jésus
(Act.,
IV, 18-20). Il se souvint
aussi de la réponse des envoyés de
Dieu. « Jugez vous-même s'il est
juste devant Dieu de vous obéir plutôt
qu'à Dieu ? car pour nous, nous ne
pouvons pas ne point parler des choses que nous
avons vues et entendues. » -
« Si un prédicateur, se dit-il en
lui-même, ne doit point annoncer la
justification par la foi, le premier article de sa
croyance sans laquelle il est impossible de plaire
à Dieu, de vivre et de mourir en
chrétien, ni d'obtenir la vie
éternelle, de cette foi que Jésus
exigeait avant tout de ses disciples, si un
prédicateur ne doit plus la prêcher,
il n'a plus qu'à garder un silence absolu
sur tout le reste, car tout ce qu'il pourrait dire,
tout ce qu'il pourrait faire, serait frappé
de stérilité.
S'il doit régler ses expressions
d'après celles des autres pasteurs, il ne
pourra rien dire de la foi vivante, puisque
l'apôtre Paul a dit que la foi n'est pas
donnée à tous. - Cet apôtre ne
serait-il pas un meilleur modèle que tous
les autres curés ? Ne serait-il pas
permis de se servir du même langage que
lui ? Quant aux livres symboliques, la Bible
n'est-elle pas le livre par excellence ?
N'est-ce pas le livre dont tout prédicateur
doit faire sa principale étude et qu'il doit
prendre constamment pour guide ? Si donc mes
expressions blessent les oreilles de quelques gens
il en est de même de celles de saint
Paul. »
Ainsi pensait Boos. À cette
épreuve vint s'en joindre une autre, fort
sensible à son cœur si aimant - Bertgen, son
fidèle ami Bertgen, mourut. Ce fut le 1er
juillet 1812 que s'éteignit ce pieux
défenseur de l'opprimé. Il
n'était âgé que de cinquante-un ans.
« Sa
mort renouvelle toutes mes douleurs, »
écrivait alors Boos : « mes
ennemis triomphent et élèvent la
voix. Mais quand je pense à cet ami,
à ce protecteur qui n'est plus, j'admire
plus vivement l'immense bonté du Seigneur
qui veut me montrer qu'il n'a pas besoin du secours
de l'homme pour me délivrer. S'il veut que
je succombe, il sera toujours le Seigneur
tout-puissant, et moi, un pauvre pécheur.
Notre affaire est de porter l'opprobre.
Ne nous en chagrinons pas : où et quand
est-ce que le monde a jamais accueilli et
honoré un homme reçu en grâce
devant Dieu ? Comment pourrions-nous l'exiger
de lui ? Le monde ne nous connaît pas.
Que nous importe, pourvu que nous soyons reconnus
de Dieu ? Le serviteur doit-il être plus
grand que son maître ? »
Au milieu des amertumes de son ministère
et des combats que Satan lui livrait dans son
propre cœur, Boos, fidèle à sa
mission, proclamait toujours
Jésus-Christ comme le chemin, la
vérité et la vie. Le Seigneur ne se
laisse jamais sans témoignage d'amour envers
ses enfants ; il relève leurs mains
languissantes et redresse leurs genoux qui plient
sous le faix.
Un des plus doux rafraîchissements
que puisse recevoir un prédicateur de la
justice, c'est la vue d'une âme, d'une seule
âme qui passe des ténèbres
à la lumière. Son cœur est d'autant
plus ranimé et réjoui, si le
pécheur qui vient à la croix de
Christ a pendant long-temps été au
rang des adversaires de Christ. Ce fut cette joie
que goûta encore Boos.
À peine le consistoire venait-il
de lui défendre d'annoncer le salut par
grâce, qu'un de ses plus ardents ennemis crut
à ce salut accompli sur Golgotha. Un homme,
fort connu par son opposition contre Boos, venait
de perdre un enfant nouveau-né. Il se rendit
auprès du pasteur pour lui demander de
pourvoir aux soins de sa sépulture. Boos,
qui connaissait les dispositions de cet homme, fut
un peu interdit à son arrivée ;
puis se remettant de sa première
émotion :
- Eh bien ! mon cher, lui dit-il,
comment est-ce que cela va ? Vous ne voulez
donc pas faire la paix ?
Le paroissien gardait le silence et ne
savait quelle réponse faire.
- Le président du cercle m'a
assuré, » ajouta Boos,
« que de tous les opposants vous
étiez le moins insensé et que vous
étiez bien près de vous rapprocher de moi. Voilà
pourtant un an
que j'attends et que j'attends en
vain.
- Ah ! oui, répondit cet
homme, je donnerais bien de l'argent pour ne pas
m'être mêlé de cette
affaire.
- Il vous est très-facile d'en
sortir.
- Comment donc ?
- Croyez comme moi et comme bien
d'autres en Jésus-Christ, et vous serez hors
de tout cela et bien plus, vous aurez la vie
éternelle.
- Vous dites toujours que nous devons
croire ! C'est ce que nous faisons
déjà.
- Ah ! mon cher, vous vous
trompez ; vous êtes bien loin de croire.
On dit bien de la bouche : Je crois, mais le
coeur ne croit pas. Il en est de la foi comme de la
prière. Chez bien des gens, les
lèvres prient, mais non pas le coeur. Si la
foi vivante n'était pas aussi rare, l'Eglise
ne devrait pas toujours dire : Seigneur,
augmente-nous la foi ! Elle ne chercherait pas
chaque Dimanche à réveiller la foi,
l'espérance et la charité, si elle ne
savait pas combien toutes ces choses sommeillent,
s'affaiblissent à chaque instant et
finissent par périr.
- Oui, oui, c'est vrai.
- Voyez, Christ a fait des miracles, et
les Juifs n'ont pas voulu croire ou n'ont cru que
pour un temps. Combien de fois n'a-t-il pas
reproché à ses disciples la lenteur
qu'ils mettaient à croire !
- Mais il n'y a jamais eu ici
d'ecclésiastique qui ait
prêché si habituellement la foi et qui
y ait mis autant d'importance que
vous !
- C'est vous qui en êtes la
cause.
- Et comment ?
- Parce que l'un de vous s'est pendu par
manque de foi, et qu'une foule d'autres sont
tombés dans le désespoir. Je vis
alors que le fondement du salut, la foi en Christ
n'avait pas encore été posé et
que je devais commencer par le vrai commencement,
par le principe le plus important, la pierre
angulaire qui est CHRIST, pour pouvoir ensuite
élever sur cette pierre, l'or, l'argent et
les pierres précieuses des bonnes-oeuvres.
Il faut planter un bon arbre pour y cueillir de
bons fruits.
- Oui, c'est vrai ; mais
n'avez-vous pas d'abord rejeté les
bonnes-œuvres ?
- Oui, les oeuvres de notre propre
justice, faites hors de Christ, et sur lesquelles
nous voudrions fonder notre salut ; ces
œuvres-là, je les ai rejetées,
à l'exemple de Christ et de Paul. J'ai
dû me débarrasser de ces oeuvres qui
n'ont que l'apparence de la sainteté, afin
de pouvoir poser en vous Christ qui est la pierre
de l'angle. J'ai cherché à planter
d'abord en vous le bon arbre, pour pouvoir y
cueillir de bons fruits : car sans Christ, on
ne peut rien faire de bon
(Jean,
XV, 5)
- N'est-ce pas élargir la porte
du ciel par laquelle il est dit : qu'on ne
peut entrer sans beaucoup d'efforts ?
- Oui, il faut de grands efforts pour y
entrer, puisque jusqu'à présent vous
n'avez pas seulement franchi le premier
degré, qui est de croire en Christ. Vous
n'avez pas encore accompli le commandement, qui est
de recevoir Jésus pour notre Sauveur. Ne
voyez-vous pas qu'il faut des efforts pour entrer
dans le ciel, puisqu'on a tant de peine à
croire ?
- Oui, oui, sans doute !
- Mais une fois que l'on croit, tout
devient facile. Jésus a dit : Mon joug
est aisé et mon fardeau léger
(Matth.,
XI, 29), et il compare le
royaume de Dieu à un festin nuptial tout
préparé et où l'on n'a
qu'à s'asseoir. Tout le monde peut et doit y
prendre part. Christ en rend l'accès bien
plus facile que moi. Que faire ? Dois-je
rétrécir la porte du
ciel ?
- Oh ! combien je suis
réjoui de vous entendre ! Je vais vous
raconter comment je me suis mêlé de
toute cette affaire, J'avais lu les ouvrages de
Henke et de Huth (1).
Je demandai
un jour au père Conrad si une histoire de
l'Eglise pouvait renfermer des faussetés. Il
me répondit que non et je crus tout ce que
ces écrivains avaient débité sur votre
compte :
je
tombai ainsi dans l'erreur. Maintenant je vois bien
que l'on imprime aussi parfois des mensonges.
Permettez-moi de venir vous voir souvent ;
nous finirons, j'en suis sûr, par
n'être qu'un cœur et qu'une
âme.
- Venez aussi souvent que vous le
voudrez. »
Boos lui lut diverses portions de
l'Écriture pour lui prouver que l'homme ne
peut être sauvé que par grâce.
Cet entretien, si doux au cœur du pasteur, dura
plus de deux heures, et celui qui naguère
s'élevait contre lui, reçut avec
joie, avec docilité la bonne nouvelle du
pardon qui est en Christ et devint dès-lors
un homme nouveau.
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