Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XVI

LE PROFESSEUR SAILER.

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Cependant une voix puissante s'éleva en faveur de Boos : celle de son ancien maître, le pieux professeur Sailer, qui avait été vivement réjoui en apprenant avec quel zèle Boos travaillait à l'oeuvre du Seigneur et avec quel noble dévouement Bertgen avait pris la défense du pasteur de Gallneukirch. Il exprima à Bertgen, dans une lettre datée du 11 mai 1811, toute la satisfaction qu'une telle conduite lui avait procurée.

« Mon cher Bertgen !
« Il m'est impossible de garder plus long-temps le silence. La fermeté et la sagesse que vous avez déployées dans la défense de notre respectable ami Martin Boos, et l'attachement que vous manifestez pour le christianisme apostolique, m'ont pénétré d'un tel respect et d'un tel amour pour vous, que je ne puis assez rendre grâces à Dieu et que je sens le besoin de vous faire part des sentiments dont mon coeur est rempli.
Il n'y a qu'une foi catholique, mais tout le monde ne la conçoit pas de la même manière - il est des gens qui reçoivent machinalement (sans examen) les vérités de l'Évangile ; d'autres par tradition, sur le banc de l'école, sans les accueillir dans le coeur ; et enfin d'autres sont éclairés par l'Esprit du Seigneur.

Boos appartient à cette dernière classe ; ce qui est tout matériel et mécanique pour bien des gens, il l'entend d'une manière spirituelle ; ce qui est pour les uns une simple adhésion de leur entendement est pour Boos l'objet d'une foi vivante et efficace. C'est ainsi qu'il entend tous les préceptes de l'Eglise catholique : il cherche toujours le point de vue spirituel ; pour lui la vie intérieure est tout ; tout ce qui ne tend pas à la développer n'a aucune importance à ses yeux. Voilà pourquoi les scolastiques l'accusent d'hérésie ; voilà pourquoi il redoute la lettre morte des chrétiens formalistes. Ceux-ci sont blessés de son langage, épluchent ses expressions et les taxent d'exagération. Mais qu'on les juge spirituellement et l'on en reconnaîtra bientôt la justesse. »

Sailer fait ici une longue citation (1) du Concile de Trente, pour prouver la gratuité du salut ; puis il continue ainsi :

« D'après ces principes, la justification est l'oeuvre du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par les mérites de Christ ; c'est-à-dire, c'est Dieu qui justifie par Christ et par l'opération du St-Esprit. Ainsi, lorsque Boos parle des bonnes oeuvres qui sont un effet de la justification, il faut encore faire une distinction essentielle. Si l'on considère ces bonnes oeuvres comme un fruit de l'homme, elles sont souillées aux yeux de Dieu, entachées d'égoïsme et sans aucun prix devant le Seigneur. Mais si on les envisage comme le fruit du St-Esprit de Christ, elles sont agréables à Dieu ; non pas comme moyen de salut, mais comme preuve de la soumission du coeur à la volonté de notre Père céleste. L'homme le plus pieux est toujours un homme : il ne se laisse pas constamment diriger par le St-Esprit ; l'égoïsme et l'esprit malin ne règlent que trop souvent sa marche. Le juste ou celui qui est justifié ne doit donc jamais se reposer sur ses bonnes oeuvres ; qu'il se garde bien d'en faire l'édifice de son salut ; ce serait une maison bâtie sur le sable. Mais qu'il l'édifie sur Dieu, sur Christ et le St-Esprit, et elle ne s'écroulera jamais. Telle est la doctrine des Pères de l'Eglise. Le juste vit par la foi. 

Si donc Boos devait être traduit devant un tribunal, il lui importerait de savoir à quelle classe de chrétiens appartiendraient ses juges. Les formalistes le condamneraient comme un rêveur et un enthousiaste, et les scolastiques, comme coupable d'hérésie. Mais il est fort loin d'être un hérétique ; car non-seulement il reste extérieurement attaché à l'Église catholique romaine, mais encore il croit à toute la révélation. Les promesses de Dieu font toute sa joie. Ainsi, sa foi, sa charité, et son espérance sont bien réellement catholiques.
Boos n'est point un enthousiaste ; car il ne regarde point comme des fruits du St-Esprit ce qui n'est qu'un produit de l'imagination de l'homme. 

J'entre aujourd'hui dans ma soixantième année, et je tremblerais de comparaître en jugement devant Dieu, si je ne reconnaissais hautement, avant de mourir, que le pieux Boos a reçu de Dieu la mission de proclamer cette triple vérité :
a) Tout homme qui est devenu juste puise sa charité dans la foi ;
b) la foi ne peut être agissante par l'amour qu'autant qu'elle est rendue vivante ;
c) cette vie provient de Dieu, Père, Fils et St-Esprit.

Ces trois principes sont purement chrétiens et catholiques, et forment la substance de la doctrine de Boos. Le reste est peu important, on n'est qu'une conséquence de ces principes-là, »

« Concluons donc que la cause de Boos est bonne. Chaque évêque doit se faire un devoir sacré de ne pas abandonner celle du christianisme au zèle aveugle du formaliseur ou à l'orgueil des scolastiques : que chacun d'eux la conserve pure pour le jour de l'avènement de Christ. Dieu vous a choisi pour défenseur de cette cause sainte. Vous êtes le seul dans tout le diocèse, qui ayez des relations particulières avec Boos et votre coeur à pénétré de l'amour de la vérité. Je vous envoie ma fervente bénédiction et je vous conjure d'employer toute votre sagesse et votre fermeté à la défense de ce digne ministre de Christ, soit dans sa personne, soit dans l'accomplissement de son oeuvre. Qu'on le laisse libre dans sa croyance en Christ et il renoncera volontiers à tout ce à quoi il peut renoncer sans être infidèle à sa mission.

Recevez les respects les plus profonds de votre dévoué

Michel SAILER, professeur. »

Bertgen fit part de cette lettre à Boos, qui en ressentit la plus vive joie. Ce fut un précieux rafraîchissement pour son âme de voir une telle affection et un si grand zèle pour la vérité. Le chrétien a besoin de l'amour de ses frères ; plus il est méconnu du monde, plus il réclame une place dans le coeur de ceux qu'il rencontre aux pieds de la croix de Christ. Boos appréciait d'autant mieux l'affection de Sailer et de Bertgen que l'immense majorité des curés du diocèse de Lintz le regardaient d'un oeil prévenu. Plusieurs d'entre eux nourrissaient contre lui une haine implacable.
Dans une telle position, exposé à des attaques continuelles, il était heureux dé trouver des âmes qui le comprenaient et qui ne reculaient pas devant l'opprobre dont il était couvert. Le premier besoin de son coeur fut d'exprimer à Sailer tout le bien qu'il avait retiré de la lecture de sa lettre.

Gallneukirch, le 27 Mai 1811

« Cher Père !
« Je vous remercie infiniment de l'excellente lettre que vous avez adressée à Bertgen ; je vous rends grâce d'avance du bien qu'elle ne manquera pas de produire ; veuille le Seigneur vous en bénir ! Bertgen l'a reçue avec le plus grand plaisir. Elle est venue fort à propos, car le zèle aveugle des scolastiques m'a de nouveau accusé auprès de nos vénérables évêques. On était sur le point de se mettre encore en campagne contre moi ; mais Bertgen, encouragé par votre lettre, y a mis obstacle. Cependant l'évêque a l'intention de faire en son particulier une visite dans ma paroisse. Je lui demanderai de la faire conjointement avec Bertgen. Il s'est malheureusement formé ici deux classes de gens ; les uns disent : « Boos est un fort bon curé ; » d'autres : « Il ne vaut rien. » Bertgen et moi désirerions vivement, qu'avant cette visite, vous voulussiez bien écrire à l'évêque une lettre semblable à celle que vous avez adressée à notre ami. L'évêque a beaucoup d'estime pour vous et fait le plus grand cas de vos écrits. Un seul mot de votre part au sujet de nos affaires, suffirait, pour confondre nos adversaires. Si donc cela est possible, donnez-moi encore cette preuve d'amitié.

Je souffre maintenant de corps et d'âme. Le 23 courant, j'ai eu une hémorragie et je crache encore le sang ; je suis d'une extrême faiblesse ; peut-être que ma fin approche. D'un autre côté, mes ennemis ne cessent de cabaler contre moi et excitent mes paroissiens contre mes doctrines.
Nous avons eu hier un grand tumulte : Bertgen et Herzog, informés de ma maladie, me faisaient visite. Après que Bertgen eût lu la messe, près de trois cents paroissiens entrèrent précipitamment dans la cour du presbytère et demandèrent audience à notre vénérable ami. Celui-ci, d'abord assez ému de cette démarche, fut bientôt surpris et réjoui de voir qu'ils ne demandaient que de défendre leur pasteur contre ses ennemis et qu'on le leur conservât.
Bertgen les assura qu'il ferait tout son possible pour cela. Mais il en est d'autres qui s'élèvent contre moi et contre ces braves amis. Il est donc urgent que l'évêque fasse une visite et qu'il prononce une décision. Je serais tout disposé à demander à Dieu de ne pas entrer avec moi en jugement ; mais il a voulu qu'un pauvre pécheur tel que moi proclamât son nom de tribunal en tribunal. J'aurais désiré volontiers et plus ardemment que ne le fit Moïse, qu'un autre y allât à ma place ; mais non : voici la cinquante-sixième fois que je suis appelé à m'y rendre en personne.

..... Je viens d'avoir de violents vomissements de sang, au moment où je vous écrivais ; puis, je suis tombé évanoui ; il me semblait que c'était mon dernier moment. Dès que j'eus repris connaissance, je me demandai si je n'avais pas lieu de redouter le jugement de Dieu à l'égard de mes prédications et si j'avais fidèlement annoncé la foi en Christ : ma conscience me répondit que je n'avais rien à craindre à cet égard devant le tribunal de Dieu ; mais qu'il n'en était pas de même devant le tribunal des hommes. Oh ! qu'il m'aurait été doux de mourir en ce moment-là ! - Après cet évanouissement, je me suis aussi demandé si je m'étais permis avec ou sans dessein quelque étrange manière de faire : ma conscience ne m'a adressé aucun reproche. Ce que les hommes appellent d'imprudentes et d'impardonnables paroles, le Seigneur me les a pardonnées. Je sais que je suis un misérable pécheur dans toute l'étendue de ce mot ; mais quant à ma prédication, je me crois sans reproche, si ce n'est de n'avoir pas annoncé Christ avec plus de force que je ne l'ai fait. Je crois qu'encore à cet égard le Seigneur me fait grâce ; aussi je mourrai tranquille, comme un enfant.

Nous nous approprions par la foi la justice de Christ qui s'étend sur tous ceux qui croient. Voilà la source de ma paix ; voilà ce qui répandra sur mes derniers moments une douceur et une consolation ineffables. Cette justification ne s'acquiert ni par nos oeuvres ni par nos souffrances, mais par la pure miséricorde de notre Dieu. Quand le Seigneur nous a assurés de son pardon gratuit, l'Esprit de Christ crucifie peu à peu le péché qui est en nous ; mais, ô Dieu, que de fois le chrétien rebrousse en arrière dans le chemin de la sanctification ! .....

Bertgen me disait hier combien il désirait que vous allassiez le voir durant vos vacances.
Votre présence terminerait tout mon procès. Venez donc. L'évêque Hohenwart le désire aussi bien vivement. - Adieu.
Vôtre affectionné.

Boos. »

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CHAPITRE XVII.

VIOLENTE AGITATION À GALLNEUKIRCH. - DISPUTE EN PLEIN MARCHÉ.

- SERMON DE BOOS.


Tout ce qui s'était passé ne pouvait ni effrayer Boos, ni l'empêcher de poursuivre son oeuvre ; ce calme et cette fermeté augmentaient la rage de ses ennemis. L'agitation s'accroissait de jour en jour ; les esprits se divisaient - les uns se prononçaient pour Boos, les autres contre. Le jour de l'Ascension 1811, il y eut une émeute parmi le peuple ; peu s'en fallut que le sang ne coulât. Quelques-uns des plus opposés et qui étaient les instigateurs des troubles, furent découverts et condamnés à huit jours de prison.

À cette occasion, un des bourgeois des plus considérés de la ville, Saul Hoellinger, déclama au milieu de la place du marché, sur le compte de Boos, avec la plus grande violence. Cet homme jouissait, aux yeux du monde, d'une grande réputation de piété, et était fort connu par son inimitié contre le curé.
Depuis plus de six mois, il ne cessait de l'accabler d'injures et de le poursuivre de ses blasphèmes, sous prétexte que Boos rejetait les bonnes oeuvres.
« Quel cas pouvez-vous faire de votre pasteur ? disait-il. Ne rejette-t-il pas le mérite des oeuvres ? n'est-il pas blessé de voir une lampe brûler continuellement dans le temple ? n'est-ce pas une preuve qu'il n'a aucune lumière et aucune foi véritable ? »
- « Oh ! oh ! » s'écria un paysan du milieu de la foule, « ne parlez pas d'une manière si insensée ! Que m'importe, si la lampe du temple est allumée ? Notre pasteur a allumé dans nos coeurs une lumière bien plus précieuse ; c'est celle d'une foi vive. À quoi sert la lumière qui brille dans les murs de l'église, si la foi et l'amour n'embrasent pas nos âmes ?
- Ne dit-il pas lui-même qu'il n'y a plus de foi parmi vous ? Ne sais-tu pas qu'il a assuré qu'il pourrait réunir tous les vrais croyants dans la sacristie ?
- Il a raison ; et ni vous, ni moi ne pourrions peut-être y entrer ; car, frère, ces mots disent beaucoup : Avoir une foi vraie et vivante en Christ. On ne la trouve pas tous les jours sur la place du marché. Quant à moi, je ne lui en veux point d'avoir tenu ce langage.
- Ni moi non plus, ni moi non plus, s'écrièrent à la fois deux ou trois cents assistants.
- Si vous l'entendiez, reprit le paysan, comme je l'ai entendu, ainsi que des centaines d'autres personnes, vous ne seriez plus irrité contre lui.
- Mais ne compare-t-il pas nos bonnes oeuvres à une boue infecte ? répliqua Hoellinger.

Le Paysan. Il a raison ; mais il n'entend par là que les oeuvres de l'égoïsme et de l'orgueil, sur lesquelles, à l'exemple des pharisiens, nous nous reposons sincèrement. Ce sont ces oeuvres-là que saint Paul rejeta comme de l'ordure, dès qu'il fut éclairé de la lumière d'en haut (Philip., Ill, 8). Frère, vous n'êtes pas encore éclairé de cette pure lumière qui donne une vraie intelligence des choses de Dieu ; si vous compreniez votre pasteur, vous ne vous livreriez pas à un tel bavardage.
- Eh bien ! reste dans ta manière de voir, et je garderai la mienne.
- Oui, c'est ce que je ferai. »

Nos interlocuteurs s'en tinrent là ; mais le peuple donna raison au paysan.
Il semblait qu'à mesure que l'inimitié se manifestait, le Seigneur donnait à son serviteur d'annoncer avec plus de force les grandes doctrines du salut. Peu de jours après la scène que nous venons de décrire, Boos prêcha sur ces paroles de saint Matthieu : Jésus s'approchant, leur parla et leur dit : Toute puissance m'est donnée dans le, ciel et sur la terre. Allez donc y et instruisez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Matth., XXVIII, 19-20). Voici quelques fragments de ce discours, qui servit, par la puissance de Dieu, à convertir un grand nombre de ses plus acharnés adversaires, même ce Saul Hoellinger, comme nous le verrons bientôt :

« Jésus de Nazareth que le monde a crucifié est le Seigneur du ciel et de la terre. Il le déclare lui-même : Toute puissance m'est donnée dans le ciel et sur la terre. Il envoie les Messagers de sa puissance, les Apôtres, porter ses ordres, non pas seulement d'un village à une ville, dans un pays, chez un seul peuple, mais au monde entier. Allez, leur dit-il, allez-vous-en par tout le monde, et prêchez l'Évangile à toute créature. Celui qui croira et qui sera baptisé, sera sauvé ; mais celui qui ne croira point sera condamné (Marc, XVI, 15, 16).
Jésus est donc bien réellement le maître des cieux et de la terre. Il ordonne, par ses serviteurs, à tous les princes, à tous les rois, à tous les bourgeois, à tous les paysans, au monde entier, de croire en lui, de se faire baptiser en son nom et d'observer tout ce qu'il a commandé. Bien plus, il fait déclarer au monde que quiconque ne croit pas en lui est condamné. L'humanité entière est, devant Dieu, semblable à une grande pécheresse ; si elle ne croit pas en lui, si elle ne se repent pas et n'observe pas sa Parole, elle reste sous le poids de la condamnation.

Nul ne peut donc se soustraire à l'ordre de croire en Jésus-Christ ; il nous donne un commandement exprès. Veux-tu donc être heureux et ne pas être condamné ? Tu dois croire que Jésus est mort pour toi et qu'il t'a acquis sur la croix le pardon de tes péchés et la vie éternelle ; tu dois croire qu'il te fait don de sa justice, de son Saint-Esprit qui viendra habiter en toi et t'apprendra à vivre dans la piété et dans la pratique des bonnes oeuvres. Tandis que celui qui ne croit pas au Fils de Dieu, ne verra pas la vie mais la colère de Dieu demeure sur lui. (Jean, III, 36)

Quant à nous, prédicateurs, nous ne sommes pas libres de prêcher ce que nous voulons. Nous sommes des serviteurs, et comme tels nous devons prêcher et enseigner ce que notre Maître nous a commandé. Or, il nous a enjoint de proclamer son Évangile. Allez, nous a-t-il dit, allez-vous-en par tout le monde prêcher l'Évangile à toute créature. Malheur à nous, si, connaissant cet ordre, nous n'y obéissons pas fidèlement. La même condamnation qui pèse sur l'incrédule, pèse aussi sur tout ministre qui n'annonce pas purement l'Évangile. Car un serviteur qui connaît la volonté de son maître et qui ne la fait pas, sera battu de plus de coups. Celui qui me renie devant les hommes, je le renierai aussi devant les anges de mon Père. Malheur à moi, disait Paul, si je n'évangélise pas ! - Telle est donc notre tâche.
Mais en l'accomplissant auprès du monde, le monde ne veut pas croire notre message ; nous sommes exposés à la rigueur de ses coups. De tout temps, le monde préfère tout souffrir plutôt que de recevoir l'Évangile.
Jean-Baptiste l'a prêché, et le monde l'a décapité ;
Jésus l'a prêché, et le monde l'a cloué sur une croix ;
Les Apôtres l'ont prêché, et le monde les a égorgés.

C'est donc un pain bien dur que celui d'un évangéliste ; s'il ne prêche pas l'Évangile au monde, il est condamné de Dieu ; s'il le prêche au monde, le monde le condamne. »

(Ici, tout l'auditoire se mit à fondre en larmes, car le bruit courait que le prédicateur serait bientôt condamné ; quelques-uns même disaient qu'il subirait le supplice du feu.)

« Quel est-il donc cet Évangile que Christ nous ordonne de prêcher ?
Pourquoi le monde ne veut-il pas le recevoir ?

L'Évangile, mes frères, est le plus réjouissant, le plus consolant des messages ; c'est la Bonne-Nouvelle qui nous apprend que Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné, non pas de l'or et de l'argent, ni un royaume, mais quelque chose de bien plus grand, savoir son Fils unique, qui nous a été fait sagesse, justice, sanctification et rédemption. (1, Cor., I, 30)

Tout ce que Dieu demande du monde, c'est de recevoir son Fils comme un don gratuit ; on le reçoit par la foi. Il dit lui-même que quiconque croit en lui ne périt point, mais a la vie éternelle (Jean, III, 16). Il y a une grande différence entre la loi et l'Évangile.
La loi menace l'homme, l'Évangile lui apporte la paix ; la loi nous remplit de terreur, l'Évangile nous offre une source de consolation et de joie ; la loi dit : Fais cela, sinon tu t'attires la malédiction ; elle nous apprend que quiconque a violé un seul commandement est coupable comme s'il les avait tous violés, et elle ne nous donne ni force pour faire le bien, ni désir de l'accomplir ; elle nous montre la route à suivre, mais elle ne nous y accompagne pas ; elle n'acquitte aucune de nos dettes. Et comme l'homme le plus pieux ne peut en observer tous les articles, à cause de sa faiblesse et de sa méchanceté naturelles, il est, sur son lit de mort, en proie à l'angoisse et souvent au désespoir.
L'Évangile tient un tout autre langage ; il dit au pécheur abattu : Ne perds pas courage ; tourne-toi, comme fit le bon brigand, vers le Crucifié ; jette-toi, comme la pécheresse, aux pieds de Jésus ; crois et confie-toi en lui, alors tu pourras, comme le brigand converti, entrer dans le ciel, et comme la pécheresse, obtenir grâce et la vie éternelle : car Jésus est l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde, et puisque tu es une parcelle de ce monde, il veut aussi t'ôter tes péchés et te donner dés à présent la justice et le bonheur éternel. Accepte ; saisis cette grâce.

Mais pourquoi le monde repousse-t-il un tel Évangile ?
Parce qu'il ne connaît, ni le Père, ni le Fils (Jean, XVI, 3). Les Apôtres prêchèrent l'Évangile au monde, et le monde les chassa des synagogues et les fit périr, croyant rendre service à Dieu (Jean, XVI, 2). Le Dieu de ce monde éblouit les yeux et les empêche de voir la brillante clarté de l'Évangile. Le boeuf connaît son possesseur et l'âne la crèche de son maître, mais Israël n'a point de connaissance ( Esaïe, I, 3). - Le monde ne se connaît pas lui-même ; il ne sait pas que, sans Christ et hors de Christ, il est condamné et perdu : il ignore que le salut n'est qu'en Jésus.

Le monde ne connaît pas l'Écriture ; il ne prend pas le temps de la lire. Le paysan va à son champ, le bourgeois à son métier ; personne ne lit l'Écriture, et presque tous ont devant les yeux un voile qui les empêche de voir. Le monde ne veut pas se voir tel qu'il est, couvert de péché et tel que l'Évangile le dépeint. Il ne veut pas d'un tel maître.
L'Évangile rejette nos propres justices et nous crie : Gardez-vous du levain des pharisiens ; mais le monde prétend être juste par lui-même.
L'Évangile condamne toute espèce d'orgueil et nous dit : Si vous ne devenez pas comme des petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume de Dieu. Cette humilité est inconnue au monde.
L'Évangile rejette toutes les joies du monde et nous dit que ni les paillards, ni les adultères, ni les ivrognes n'hériteront le royaume de Dieu ; il nous dit : N'aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde, car si quelqu'un aime le monde, l'amour du père n'est point en lui. Or, le monde aime toutes ces choses que Dieu con. damne. De là provient toute la haine dont l'Évangile est l'objet.

Je vous supplie donc, au nom de Christ, de ne pas repousser cet Évangile, ce message de paix. Où trouveriez-vous ailleurs, soit dans la vie, soit dans la mort, une source de consolation pour vos âmes ?

« 0 notre Père qui es aux cieux, tu connais ce qui se passe sur la terre et dans l'Église de Gallneukirch : ouvre les yeux de mes paroissiens. Que ton nom, et celui de ton Fils y soient connus et sanctifiés ! Que ton règne y vienne ! Que ta volonté soit faite sur la terre, comme au ciel ! Ta volonté est que tes serviteurs annoncent l'Évangile au monde, que le monde l'entende, le croie, l'accueille avec joie, le suive, et qu'il parvienne par là à la sainteté et au bonheur éternel ! Amen ! »

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CHAPITRE XVIII.

UN SAUL DEVENU UN PAUL. - VISITE D'UN AMI AUPRÈS DE BOOS.


Cette prédication produisit un effet extraordinaire. Plusieurs âmes furent réveillées de leur sommeil ; des personnes fort opposées reconnurent leur aveuglement et avouèrent qu'en dénonçant un tel homme, elles avaient agi contre leurs propres intérêts. La femme et le fils de Saul Hoellinger s'écrièrent, en revenant du temple : « 0 mon mari ! ô mon père ! combien nous aurions voulu que tu eusses assisté à la prédication de ce matin ! - Et pourquoi donc ? demanda le père. - C'est que tu es et tu seras condamné, si tu n'ajoutes pas foi au pasteur, si tu ne crois pas ses paroles et si tu t'y opposes encore.
- Allez donc, répliqua-t-il tout en colère, laissez-moi tranquille avec tout votre tapage. Le pasteur ne peut pas me damner ni vous non plus.
- Ah ! si tu l'avais seulement entendu aujourd'hui ! ajouta la femme. Ce n'est pas le pasteur, mais I'Évangile, qui dit : Celui qui ne croit pas être condamné. »

La mère et le fils le conjurent de penser à son âme ; leurs larmes ajoutent une nouvelle force à leurs paroles. Peu à peu, Saul devient pensif ; une tristesse profonde se peint sur ses traits. Il s'assied, et comme pour chercher quelque soulagement, il prend sa Bible, l'ouvre et tombe sur ce passage : « Que dirons-nous donc ? C'est que des nations qui ne cherchaient pas de justice sont parvenues à la justice, je dis à la justice qui est par la foi ; et qu'Israël, qui recherchait une loi de justice, n'est point parvenu à une loi de justice. Pourquoi ? parce que ce n'a pas été par la foi, mais comme par les oeuvres de la loi ; car ils ont heurté contre la pierre d'achoppement, selon qu'il est écrit : « Voici, je mets en Sion une pierre d'achoppement et un rocher de chute » ; et « Quiconque croit en lui ne sera point confus. » (Rom., IX, 30-33)

Cette lecture est pour lui comme un coup de foudre ; son angoisse va en croissant. « Oh ! c'est moi ! c'est moi, s'écrie-t-il en se frappant la poitrine ; c'est moi qui suis cet homme-là. Je me suis heurté contre la pierre en voulant me sauver par mes oeuvres et en n'acceptant pas Jésus pour mon sauveur. Hélas ! j'ai fait comme les Juifs. 0 Jésus ! aie pitié de moi ! - Ma femme, je l'ai maintenant trouvé.
- Quoi ? demande celle-ci.
- Le pasteur a raison, dit Hoellinger. Nous n'aurions pas pu, ni toi, ni moi, entrer dans la sacristie ; il avait bien raison de dire qu'il mettrait aisément dans la sacristie tous ceux qui ont une foi vivante. Nous avons voulu nous sauver par nos oeuvres, tandis qu'on ne peut l'être que par la foi en Christ. que nous avons rejeté comme ont fait les Juifs. Tu n'as qu'à lire. Je comprends maintenant le pasteur ; je vois qu'il est tout-à-fait innocent et que c'est injustement que je l'ai persécuté. Que Dieu me pardonne mes péchés ; je ne savais pas ce que je faisais.
- Dieu soit loué ! dit la femme, de ce que vous pouvez enfin vous entendre !
- Mais, chère femme, dit Saul, je vais aller tout de suite auprès de lui et lui demander pardon.
- Oui, vas-y sur-le-champ. »

Hoellinger se rend en effet chez Boos ; c'était trois heures de l'après-midi. Le pasteur, ignorant que le loup était changé en agneau et que Saul était devenu Paul, est d'abord effrayé en le voyant et se dit en lui-même : « Voici encore une échauffourée. »
Mais quelle n'est pas sa surprise lorsque Hoellinger lui saute au cou, l'embrasse avec toute l'affection possible et lui demande pardon de sa conduite envers lui. Quelle joie ne ressent-il pas à l'ouïe des paroles humbles et chrétiennes qui sortent de sa bouche. Le pasteur ne peut retenir ses larmes. Il se trouvait, par une circonstance toute providentielle, que le brave paysan qui avait discuté sur la place du marché avec Hoellinger était dans ce moment-là auprès de Boos, ainsi qu'un autre paysan. Ils admirèrent ensemble la puissance du Seigneur et accueillirent leur nouveau frère avec toute la charité chrétienne.

Chaque dimanche, Hoellinger se rendait auprès de Boos, son Nouveau-Testament en poche, pour lui demander de nouvelles instructions. Il ne pouvait assez lui exprimer combien il était heureux depuis qu'il croyait l'Évangile ; ses larmes disaient encore mieux que ses paroles toute la gratitude dont son coeur était pénétré.

Tandis que la prédication de la croix de Christ manifestait ainsi sa puissance, le prince des ténèbres poursuivait son oeuvre. Il n'est sorte de calomnies que les adversaires de Boos n'inventassent et ne répandissent avec une infernale malice. On l'accusait de mener la vie la plus déréglée et d'accabler de coups ceux qui n'ajoutaient pas foi à ses paroles. On allait jusqu'à dire qu'il avait été condamné à mort en Bavière et qu'il s'était échappé des mains du bourreau. Beaucoup de gens croyaient toutes ces horreurs.

Vers cette époque, il reçut la visite d'une personne qui porta de lui un jugement bien différent. Voici comment elle parle dans une lettre adressée à Jean Gossner :
« Je visitai Boos à Gallneukirch, en 1811, accompagné d'un jeune ecclésiastique. Il remplissait dans cette paroisse les fonctions de pasteur de la manière la plus distinguée. L'accueil qu'il nous fit fut des plus aimables et dépassa toute notre attente. La paix était peinte dans ses regards.
À peine nous eût-il conduits dans sa chambre et nous eût-il offert un siège, qu'il fit apporter un baquet d'eau, délia les cordons de nos souliers et nous lava les pieds. Nous eûmes beau nous y refuser, il nous fallut céder à ses instances. Il nous lava non-seulement les pieds, mais aussi nos consciences et nos coeurs chargés des souillures du péché, en nous invitant à nous plonger tout entiers dans le sang de Christ, dont auparavant nous étions bien loin de sentir le prix infini.
Après une longue conversation, dans laquelle je lui montrai tout mon coeur, mes luttes, mes passions, mes égarements, je lui demandai avec angoisse : Puis-je, moi qui ne suis qu'un misérable pécheur, espérer encore en mon pardon ? Il se retourna vers le fond de la chambre, et me montrant des tableaux représentant les souffrances de Christ, il me dit : « Regardez, mon cher ami, si vous croyez que Jésus ait souffert tout cela pour vous, vous pouvez vous regarder comme absous, comme sauvé ; prenez, tout cela est pour vous et vous appartient. »
Je pris tout, j'acceptai tout et je crus qu'en effet Jésus avait souffert à ma place. Dès-lors, j'éprouvai un bien-être moral et une consolation inexprimable.

En parlant de l'enfance de Jésus, il me dit : « Voyez, cher frère, c'est à Jésus enfant que je suis souvent obligé de recourir. Lorsque mes péchés me font penser à ce juge suprême devant lequel il nous faudra bientôt comparaître, à ce Jésus à qui le Père a remis tout pouvoir de juger, je tremble devant son regard terrible et le sentiment de mes misères m'accable. Je me tourne alors vers Jésus enfant. dont la douceur et l'amour apportent la paix dans mon âme. Pourquoi aurait-il paru comme un enfant, si son enfance ne devait être pour nous une source de consolations ? »

J'ai assisté à une leçon que Boos donnait à de petits enfants ; il avait une manière si simple, si originale et en même temps si persuasive, qu'il savait mettre à leur portée les vérités les plus profondes du christianisme, et qu'on croyait voir à l'heure même les effets du St-Esprit sur ces jeunes coeurs.

Je ne l'ai entendu prêcher qu'une seule fois, et encore n'ai-je retenu qu'une faible portion de son discours, parce que je me suis trouvé mal pendant le sermon, tant à cause de la force de ses paroles, que parce que le temple était rempli d'une si grande foule, qu'on pouvait à peine y respirer. Il me semblait entendre l'apôtre Paul annoncer Jésus-Christ crucifié. »

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(1) La même que celle qu'à faite Boos, page 97 et suivantes
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