Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIV

ENCORE UN ORAGE. - ENTREVUE DU COMMISSAIRE BERTGEN ET DE BOOS.

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Pendant que le Seigneur faisait ainsi fructifier sa parole, l'ennemi répandait l'ivraie dans les champs et préparait un nouvel orage sur la tête du curé Boos.

Quelques habitants de Gallneukirch ne pouvaient entendre sans grincement de dents un prédicateur qui leur répétait sans cesse qu'ils n'avaient point encore la foi qui sauve et que, s'ils ne naissaient de nouveau, ils ne verraient point le royaume de Dieu. Ils portèrent plainte contre Boos auprès de l'évêque et du consistoire.

L'évêque lui écrivit de sa propre main pour le conjurer de modifier ses prédications, et le gouvernement chargea un conseiller du consistoire, nommé Bertgen, de prendre quelques informations préliminaires à ce sujet. Bertgen était curé à Lintz et connaissait Boos, qui avait été son chapelain pendant quelques années. « Un jour, raconte Boos (c'était le 20 Janvier 1811), un jour que j'allai le visiter à Lintz, il m'apostropha tout-à-coup en me disant :
- Eh bien ! Qu'avez-vous encore fait ?
Boos. - Je n'en sais rien.

Bertgen. - Oui, vous n'en savez rien ! Et cependant on porte contre vous de terribles plaintes en consistoire.
Boos. - Quelles plaintes, je vous prie ?

Bertgen. - Oui, c'est sérieux.
Boos. - Qu'y a-t-il de sérieux ? car j'ignore absolument ce dont on se plaint.

Bertgen. - Pourquoi avez-vous introduit clandestinement dans le pays des livres défendus ?
Boos. - Je n'en ai pas la moindre connaissance.

Bertgen. - En voici un ; c'est : La Vie cachée avec Christ en Dieu, Coloss. III, 3, livre absurde, auquel le peuple ne peut rien comprendre. Un livre de cette sorte ôte aux gens toute activité toute énergie et n'est propre qu'à faire des piétistes, des fanatiques, etc.
Boos. - Je n'ai point introduit clandestinement ces livres dans le pays ; c'est le messager de Braunau qui en a introduit publiquement par la porte de la ville deux cents exemplaires. On les a déposés à la douane et soumis à la censure, qui les a approuvés et qui m'a permis d'en faire la distribution. J'en ai répandu à W. et à Penerbach, lorsque j'étais votre chapelain. Quant au contenu lui-même, il est à la portée de tout homme qui est tant soit peu éclairé de la grâce du Seigneur, bien qu'il paraisse mystique à l'homme naturel.
Voilà bien des années que je répands cet ouvrage, et que des milliers de personnes le lisent avec de grandes bénédictions. Comment se fait-il qu'on ait attendu jusqu'à aujourd'hui pour se plaindre ?

Bertgen. - Ils n'y comprennent rien, à peine y comprends-je quelque chose moi-même.
Boos. - Il y a toujours parmi le peuple des hommes éclairés par l'Esprit de Dieu, comme l'étaient Anne et le vieillard Siméon. Souvent ces hommes-là voient ce que les savants et les sages dit monde avec toute leur science sont incapables de comprendre.

Bertgen, un peu plus tranquille et après un instant de réflexion, m'invita à ne plus répandre cet écrit. Puis, il reprit : - Pourquoi est-il toujours question dans vos sermons de la foi vivante ?
Boos. - Parce que rien n'est plus commun parmi nous que la foi qui est morte et destituée d'amour et de connaissances ; tandis que rien n'est si rare que la foi vivante. Je prêche la nécessité de la foi opérante par la charité, parce qu'elle seule me procure, ainsi qu'à mes paroissiens, le pardon des péchés, le repos de la conscience, le don du St-Esprit, l'amour et la reconnaissance, la disposition à toutes sortes de vertus et la vie éternelle. La foi est le premier article du catéchisme, le premier commandement ; sans la foi il est impossible de plaire à Dieu, ni de vivre et de mourir saintement. C'est la foi qui sauve : comment donc ne parlerais-je pas de la foi ?

Bertgen. - Oui, mais pourquoi toujours ?
Boos. - Que je ne la prêche pas exclusivement, c'est ce que prouvent assez mes sermons. D'autre part, si depuis quelque temps j'en entretiens fréquemment mes ouailles, j'ai des raisons qui m'y déterminent.

Bertgen. - Au moins ne dites donc pas toujours la foi vivante ! Il est des gens qui pourraient penser qu'ils doivent croire avec leur corps et qu'il faut employer pour cela leurs forces physiques et corporelles.
Boos. - Quelle folie ! On ne cherche qu'à leur montrer la différence qu'il y a entre la foi du coeur et celle des lèvres. Quiconque a obtenu la première sait très-bien qu'elle n'est pas dans ses genoux.

Bertgen. - Pourquoi avez-vous dit un jour que vous pourriez bien mettre dans la sacristie tous ceux qui ont une foi vive ?
Boos. - Je l'ai dit dans la chaleur du zèle et en distinguant mes paroissiens en quatre classes :
1°les indifférents ;
2°ceux qui sont justes à leurs propres yeux ;
3° les âmes accablées du sentiment de leurs péchés ;
4° et enfin, ceux qui ont une foi vivante qui leur a procuré la paix.
Beaucoup de gens sont appelés à faire partie de cette dernière classe ; mais il y a peu d'élus, et s'il fallait, disais-je à mes paroissiens, en venir à l'épreuve, à peine trouverions-nous assez de chrétiens dans la paroisse pour remplir la sacristie. Du reste, je reconnais que Dieu seul peut faire cette épreuve.

Bertgen. - Voilà précisément ce qui a offensé les gens.
Boos. - Ah ! pas tant que vous le croyez. La plupart de mes paroissiens m'aiment, et d'un bout de l'année à l'autre, je leur parle à coeur ouvert et en toute liberté, ainsi que le ferait un père à ses enfants, comme je parle à cette heure avec votre grâce et comme je l'ai toujours fait quand j'étais son chapelain. Et puis, si ce que je dis est la vérité, qu'importe au prédicateur s'il est des gens qui s'en offensent ? Malheur à lui si chacun le loue ! Jésus ne déclare-t-il pas que le chemin qui conduit à la vie éternelle est étroit et qu'il y en a peu qui le trouvent ? Si notre Sauveur ne craignit point d'appeler ses auditeurs, sépulcres blanchis, hypocrites, race de vipères (Matth., XXIII.), un de ses ministres n'oserait-il pas dire que bien peu de ses paroissiens sont conduits par l'Esprit de Dieu ? Enfin, notre sacristie n'est pas si petite, puisqu'elle peut contenir au-delà de cent personnes. »

« Bertgen dit, après un instant de silence, Que fait votre chapelain Rehberger ? Il est aussi accusé devant le consistoire ?
Boos. - Il fait comme moi ; il m'aide à prêcher la foi, l'espérance et l'amour. Les fidèles et moi-même sommes fort contents de lui ; il est plein de zèle et d'une conduite irréprochable. »

Au moment même, le chapelain Rehberger entra. Bertgen devint plus sérieux et dit un tant soit peu en colère : Ceci est grave, très-grave ; vous êtes l'un et l'autre dénoncés au consistoire de la manière la plus vive. - Je suis chargé de vous interroger, de me faire présenter tous vos livres, tous vos sermons, et d'examiner aussi votre mode d'enseignement.

« Nous nous soumettons à la plus rigoureuse enquête, répondit, Boos, et nous remercions à l'avance Dieu et le consistoire de nous avoir donné pour inquisiteur votre grâce, notre meilleur ami. Nous nous réjouissons d'être appelés à confesser notre foi devant nos supérieurs. Nous vous présenterons fidèlement et avec plaisir tous nos sermons, car nous n'avons point honte de l'Évangile de Christ. Nous nous justifierons aussi bien que cela nous sera possible. »

Bertgen se calma un peu ; mais il semblait piqué de la franchise de nos réponses. Cependant, dès ce jour, il résolut d'étudier la matière pour se préparer à l'interrogatoire qu'il devait nous faire subir. Il se mit à lire (comme il nous l'avoua dans la suite, lorsque le voile fut tombé de ses yeux), ce que le concile de Trente enseigne sur la justification ; il consulta aussi divers écrivains, tels que Knippel et Bertiéri. Cette lecture lui procura de telles lumières sur cette question, qu'il ne put en dormir de trois nuits, tant était grande la joie dont son âme était remplie.

De retour chez lui, Boos se mit à prier le Seigneur, pour qu'il éclairât ses juges ; l'amour seul et non la crainte le portait à élever ses mains en haut, afin qu'il plût à l'auteur de toute grâce d'amener à la vérité ceux qui devaient la proclamer. Il versait des larmes abondantes en épanchant son coeur au pied du trône des miséricordes. Le Seigneur fut attentif à ses cris.

Le 7 février 1811, Bertgen se rendit à Gallneukirch : « Je n'ai pu dormir de toute la nuit, s'écria-t-il, en arrivant ; je n'ai cessé de lire le Concile de Trente sur la justification par la foi. Jamais je ne suis venu à Gallneukirch avec autant de plaisir.
- Tant mieux, répondit Boos, l'enquête ne nous en sera que plus favorable.
- Ne parlons pas d'enquête, répondit le commissaire, je viens ici pour m'entretenir amicalement avec vous et pour pouvoir fermer la bouche à vos adversaires. »

Il pria les deux chapelains de se retirer, et s'assit sur le sopha, et faisant asseoir Boos à côté de lui : « Ah ! ça, lui dit-il, voyons comment vous entendez la doctrine de la justification de l'homme devant Dieu ?
- De la même manière que le Concile de Trente (Session VI, ch. 7 et 8). Voici ce qu'on y lit :
« La cause finale de la justification est la gloire de Dieu et de Jésus-Christ et la vie éternelle.
La cause efficiente, c'est le Dieu miséricordieux qui nous lave gratuitement et nous sanctifie, en nous scellant et nous oignant du St-Esprit de la promesse, lequel est l'arche de notre héritage.
La cause méritoire c'est le Fils unique et bien-aimé de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, par son amour infini et par ses très-saintes souffrances sur la croix, nous a mérité la justification et a satisfait pour nous à Dieu son Père, lorsque nous étions ses ennemis.
Enfin, l'unique cause formelle de la justification, c'est la justice de Dieu, non celle par laquelle il est lui-même juste, mais celle par laquelle il nous rend justes. »

Au 8e chapitre il est dit ;
« Nous sommes dits être justifiés par la foi, parce que la foi est le commencement du salut de l'homme, le fondement et la racine de toute justification ; il est impossible de plaire à Dieu sans la foi et de devenir membre de la société des enfants de Dieu. »

Boos lui lut ensuite Rom. III, 22-24 :
« La justice de Dieu, par la foi en Jésus-Christ, s'étend à tous et sur tous ceux qui croient (car il n'y a aucune différence, puisque tous ont péché et sont entièrement privés de la gloire de Dieu) ; vu que nous sommes justifiés gratuitement, par la grâce, par le moyen du rachat qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a d'avance établi propitiatoire au moyen de la foi en son sang, pour montrer sa justice, à cause de la rémission des péchés commis auparavant, pendant le support de Dieu.
« Et Galates Il, 16: « Sachant que l'homme n'est pas justifié par les oeuvres de la loi, mais par le moyen de la foi en Jésus-Christ, nous aussi nous avons cru au Christ Jésus, afin que nous fussions justifiés par la foi au Christ, et non par les oeuvres de la loi, parce que nulle chair ne sera justifiée par les oeuvres de la loi. »

« Quelles dispositions, demanda Bertgen, exigez-vous pour qu'on puisse recevoir cette justification ? »
- L'homme, répondit Boos, « doit avoir les mêmes dispositions que Corneille, que Pierre dans la nacelle, que la pécheresse aux pieds du Seigneur et que le brigand sur la croix, c'est-à-dire qu'il doit être pauvre en esprit, sentir ses misères et désirer en être guéri ; surtout il doit croire que Dieu, loin de nous imputer nos péchés, nous pardonne pour l'amour de Jésus.

Bertgen. - « Est-ce là ce que vous prêchez ? »
Boos. - « Voilà mes sermons qui le prouvent assez. »

À ces mots, le commissaire saute de dessus le sopha, lève les mains et s'écrie avec une vive émotion :
« Les insensés ! voilà la doctrine la plus consolante de toute la religion et vous l'appelez une hérésie ! Ils devraient tous tomber à genoux de reconnaissance. »
« Ceux qui nous comprennent, ajouta Boos, nous témoignent la plus profonde gratitude ; mais les autres se mettent à crier contre nous, comme les Éphésiens criaient contre Paul sur la place publique, sans trop savoir pourquoi. Il faut donc user d'une grande patience, jusqu'à ce que le jour commence à luire sur eux et que l'étoile du matin se lève dans leurs coeurs. »

Alors Bertgen prit un manuscrit de Boos où se trouvaient quinze propositions que les adversaires regardaient comme autant d'hérésies. Il était devenu comme un enfant. il se laissait tout dire, tout expliquer ; il comprenait tout et accueillait tout avec joie, tant il avait faim et soif de la justice. Dans l'excès de son bonheur, il saisit sa canne et tirant l'épée qu'elle renfermait : « A présent. dit-il, soyez tranquille ; c'est avec cette épée que je défendrai votre foi vivante devant le consistoire et devant tous vos ennemis. Je vois que cela ira tout autrement que ne le supposent vos accusateurs et les consistoires. »
Cet entretien dura depuis huit heures du matin jusqu'à midi.

« Cependant, raconte Boos, Rehberger très-inquiet, attendait dans la pièce voisine ; je voulais le faire entrer ; mais Bertgen s'y opposait toujours. Enfin, à midi et demi, il l'appela lui-même ; il lui parla du ton le plus amical, lui demanda ses sermons ; puis l'on dîna avec une joie parfaite de part et d'autre. Depuis que je connaissais Bertgen, je ne l'avais jamais trouvé si gai, si simple, si heureux. Nous étions profondément émus en voyant cet homme, auparavant si déchaîné contre nous, adopter tout à coup nos principes et nos sentiments, parler à table notre langage, c'est-à-dire, le langage nouveau. À quatre heures du soir il s'en retourna à Lintz, emportant nos sermons et nos livres. Il me fit encore dire par mon domestique : « Le pasteur peut dormir en paix. »

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CHAPITRE XV.

BOOS DÉFEND SA CAUSE.  -  COMPARUTION DEVANT LE VICAIRE-GÉNÉRAL.


À la première séance, Bertgen rapporta toute l'affaire au consistoire et la lecture de la déclaration suivante, écrite de la main de Boos lui-même.

« Nous tenons pour certain que nous n'avons semé que de bonne semence dans le champ de notre paroisse et que l'ivraie ne vient que de nos ennemis. Nous n'avons qu'un coeur et qu'une âme dans cette affaire à laquelle notre église a toujours attaché la plus haute importance. Nous n'avons agi que devant Dieu et avec une conscience pure ; et le Seigneur nous a fortifiés dans toutes nos infirmités et au milieu des vexations dont on nous a accablés. Nous sommes fermement résolus à ne pas avoir honte de l'Évangile qui s'est montré pour nous et pour plusieurs autres la puissance de Dieu. - Il est facile à prévoir que nos faiseurs d'hérésies ne se tiendront pas en repos et qu'ils s'efforceront d'exciter le peuple contre nous. Nous conjurons le consistoire de ne pas faire attention à leurs clameurs et d'examiner la chose à fond, car lorsque nos prédications eurent produit quelques fruits, réveillé plusieurs âmes, et que nous nous fûmes conciliés une estime universelle, on vit plusieurs ecclésiastiques, pleins d'envie, éplucher nos discours, y chercher minutieusement des hérésies et ameuter le peuple contre nous.

Nous plaignons ce pauvre peuple qui accourait en foule à nos sermons, écoutant avec édification et avec joie, la bonne nouvelle que nous lui apportions ; il est maintenant fort malheureux, ne sachant que croire de la parole de Dieu et de ses ministres ; semblable à un petit enfant égaré, il ne sait où trouver la lumière et les directions dont il a besoin.

Nous ne connaissons pas encore nos accusateurs, et cependant il serait dans la règle qu'ils se fissent connaître. La communauté sait, depuis long-temps, que nous avons été dénoncés au véritable consistoire, et que nous sommes l'objet d'une enquête à cause de nos doctrines, Un fort grand nombre de personnes voulaient aller à Lintz pour nous défendre ; mais nous n'avons pas accepté leur offre bienveillante, désirant éviter tout excès d'éclat.

Nous le répétons, l'Évangile est la puissance de Dieu, donnant la vie éternelle à tous ceux qui croient et une odeur de mort pour ceux qui périssent.

Non, si Dieu nous remplit de sa force, nous ne reculerons pas devant les plus affreux tourments; nous consentons à nous faire brûler, lapider, crucifier, pour avoir prêché la vérité qui conduit à une vie éternelle, assurés que nous sommes d'avoir pour nous Celui qui est assis à la droite de Dieu et qui a permis que cet orage tombât sur nos têtes, afin d'éprouver notre foi : il l'apaisera quand il le jugera convenable. Si nous ne mourions pas pour notre foi, nous nous rendrions coupables d'un grand péché, puisque nous foulerions aux pieds notre conscience, notre vocation, le don que Dieu nous a accordé pour la remplir, et, enfin, l'Evangile même. Nous prions et conjurons votre seigneurie, et tout particulièrement le vénérable consistoire, de mettre fin à tous les troubles et à tout ce bruit causé par ces faiseurs d'hérésies, et d'être bien assurés que, dans toutes les choses où nous pourrons et devrons céder, nous n'oublierons pas le profond respect et la haute vénération qui vous sont dus.

«Vos obéissants serviteurs,
Martin Boos.
C. Rehberger.»


Après cette lecture, Bertgen ajouta les explications les plus bienveillantes ; il fit un fort bel éloge des principes et des sermons de Boos ; il plaida si bien sa cause, que l'on crut que tout était terminé. Mais les plaignants ne voulurent pas avoir tort : ils reprochèrent à Bertgen de n'avoir pas bien compris les sentiments du curé de Gallneukirch. et l'accusèrent de partialité et même d'hérésie. Ils ne s'en tinrent point là ; ils harcelèrent de leurs plaintes le consistoire, représentant Boos comme un homme dangereux dont il fallait se défaire à tout prix. Le vicaire-général, Mayr, le cita à comparaître devant lui, le 12 mars 1811. Voici comment Boos rend compte de cette nouvelle enquête, dans une lettre à un de ses amis.

Gallneukirch, le 13 mars 1811.

« Cher frère,
Je t'ai écrit y il y a peu de temps, pour t'informer comment, grâce aux soins de Bertgen, notre conduite avait été parfaitement justifiée ; mais ce n'était qu'une suspension d'armes. Le 3 courant, je reçus du vicaire-général, Mayr, de Lintz, une lettre par laquelle il m'invitait à me transporter auprès de lui. Je me suis rendu hier à son audience... Ne voulant pas prendre sur lui de me faire subir seul cet interrogatoire, il s'adjoignit le vieux chanoine italien, Reiceis. L'Écriture-Sainte était devant nous ; nous y puisâmes de part et d'autre un grand nombre de passages. Après une discussion très-vive, qui dura jusqu'à midi, je leur fis ma profession de foi, les priant de me laisser en paix, tout comme ceux de mes paroissiens qui se reposaient uniquement sur les mérites de Christ. Je leur déclarai que mes paroissiens et moi désirions mourir dans cette foi-là.
En disant ces paroles, j'étais profondément ému. Alors le vicaire-général et le chanoine italien, partageant mon émotion, me prirent les mains et se mirent à me consoler comme une mère son enfant.

« Cette doctrine, me dirent-ils, peut être fort bonne pour vous et pour vos paroissiens aux prises avec la mort ; mais comment voulez-vous qu'elle ne produise pas des troubles chez les hommes qui jouissent de toute la vigueur de la santé ? Nous vous prions donc de la prêcher désormais d'une manière plus simple et plus à la portée du peuple. Du reste, l'enquête que nous venons de faire n'a rien ôté à l'estime que nous avons pour vous, bien au contraire ; mais nous vous conseillons de vous tenir en garde contre ce mysticisme qui vous ferait tomber dans des écarts toujours funestes. »

En résumé, je vis clairement qu'ils ne connaissaient ni le Père, ni le Fils, ni la foi dans laquelle, par la grâce de Dieu, nous voulons vivre. Ils voient, par exemple, que Paul, dans l'épître aux Romains, ne parle que de la loi cérémonielle et non de la loi divine et morale tout entière. Ils ont encore un bandeau sur les yeux. Selon eux, Sailer est le plus grand fanatique de toute l'Allemagne : ils me l'ont dit en face et à plusieurs reprises. Tu peux te représenter quelle peine cela me faisait. O ! mon cher frère, je te l'ai déjà dit : nous nous sommes grossièrement trompés sur le compte de ces hommes-là.
Le Christ est un trop beau don pour eux ; leur bouche est trop petite et leur coeur trop étroit, pour qu'il puisse y entrer. »

Boos.

Du 20 mars.

Au même.
Au milieu de l'agitation actuelle, les gens de ma maison sont ébranlés dans leur croyance ; Christ est pour les uns une pierre d'achoppement, et pour les autres une ancre du salut. Timothée te salue avec beaucoup d'affection et te prie de lui écrire pour le consoler et l'affermir. Nous sommes comme des brebis destinées à la boucherie. Chaque jour nous ignorons quand nous serons immolés. En attendant, je sème force légume, comme si j'étais assuré de les cueillir. Voilà bientôt cinq ans que je suis ici ; c'est bien assez ! Je salue tous ceux qui t'entourent et les exhorte à persévérer dans la foi en Christ, mort pour nos péchés et pour nous obtenir la vie éternelle. Je les conjure aussi de vivre dans la pratique des commandements de Dieu et de s'adonner tout entiers aux bonnes oeuvres : c'est là la seule marque d'une foi véritable. Que la grâce et la paix de Christ soit avec toi ! »

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