Pendant que le Seigneur faisait ainsi fructifier
sa parole, l'ennemi répandait l'ivraie dans
les champs et préparait un nouvel orage sur
la tête du curé Boos.
Quelques habitants de Gallneukirch ne
pouvaient entendre sans grincement de dents un
prédicateur qui leur répétait
sans cesse qu'ils n'avaient point encore la foi qui
sauve et que, s'ils ne naissaient de nouveau, ils
ne verraient point le royaume de Dieu. Ils
portèrent plainte contre Boos auprès
de l'évêque et du consistoire.
L'évêque lui écrivit
de sa propre main pour le conjurer de modifier ses
prédications, et le gouvernement chargea un
conseiller du consistoire, nommé Bertgen, de
prendre quelques informations préliminaires
à ce sujet. Bertgen était curé
à Lintz et connaissait Boos, qui avait
été son chapelain pendant quelques
années. « Un jour, raconte Boos
(c'était le 20 Janvier 1811), un jour que
j'allai le visiter à Lintz, il m'apostropha
tout-à-coup en me disant :
- Eh bien ! Qu'avez-vous encore
fait ?
Boos.
- Je n'en sais
rien.
Bertgen.
- Oui, vous
n'en savez rien ! Et cependant on porte contre
vous de terribles plaintes en consistoire.
Boos.
- Quelles
plaintes, je vous prie ?
Bertgen.
- Oui, c'est
sérieux.
Boos.
- Qu'y a-t-il de
sérieux ? car j'ignore absolument ce
dont on se plaint.
Bertgen.
- Pourquoi
avez-vous introduit clandestinement dans le pays
des livres défendus ?
Boos.
- Je n'en ai pas
la moindre connaissance.
Bertgen.
- En voici
un ; c'est : La Vie cachée avec
Christ en Dieu, Coloss.
III, 3, livre absurde,
auquel le peuple ne peut rien comprendre. Un livre
de cette sorte ôte aux gens toute
activité toute
énergie et n'est propre qu'à faire
des piétistes, des fanatiques, etc.
Boos.
- Je n'ai point
introduit clandestinement ces livres dans le
pays ; c'est le messager de Braunau qui en a
introduit publiquement par la porte de la ville
deux cents exemplaires. On les a
déposés à la douane et soumis
à la censure, qui les a approuvés et
qui m'a permis d'en faire la distribution. J'en ai
répandu à W. et à Penerbach,
lorsque j'étais votre chapelain. Quant au
contenu lui-même, il est à la
portée de tout homme qui est tant soit peu
éclairé de la grâce du
Seigneur, bien qu'il paraisse mystique à
l'homme naturel.
Voilà bien des années que
je répands cet ouvrage, et que des milliers
de personnes le lisent avec de grandes
bénédictions. Comment se fait-il
qu'on ait attendu jusqu'à aujourd'hui pour
se plaindre ?
Bertgen.
- Ils n'y
comprennent rien, à peine y comprends-je
quelque chose moi-même.
Boos.
- Il y a toujours
parmi le peuple des hommes éclairés
par l'Esprit de Dieu, comme l'étaient Anne
et le vieillard Siméon. Souvent ces
hommes-là voient ce que les savants et les
sages dit monde avec toute leur science sont
incapables de comprendre.
Bertgen,
un peu
plus tranquille et après un instant de
réflexion, m'invita à ne plus
répandre cet écrit.
Puis, il reprit : - Pourquoi est-il
toujours question dans vos sermons de la foi
vivante ?
Boos.
- Parce que rien
n'est plus commun parmi nous que la foi qui est
morte et destituée d'amour et de
connaissances ; tandis que rien n'est si rare
que la foi vivante. Je prêche la
nécessité de la foi opérante
par la charité, parce qu'elle seule me
procure, ainsi qu'à mes paroissiens, le
pardon des péchés, le repos de la
conscience, le don du St-Esprit, l'amour et la
reconnaissance, la disposition à toutes
sortes de vertus et la vie éternelle. La foi
est le premier article du catéchisme, le
premier commandement ; sans la foi il est
impossible de plaire à Dieu, ni de vivre et
de mourir saintement. C'est la foi qui sauve :
comment donc ne parlerais-je pas de la
foi ?
Bertgen.
- Oui, mais
pourquoi toujours ?
Boos.
- Que je ne la
prêche pas exclusivement, c'est ce que
prouvent assez mes sermons. D'autre part, si depuis
quelque temps j'en entretiens fréquemment
mes ouailles, j'ai des raisons qui m'y
déterminent.
Bertgen.
- Au moins ne
dites donc pas toujours la foi vivante ! Il
est des gens qui pourraient penser qu'ils doivent
croire avec leur corps et qu'il faut employer pour
cela leurs forces physiques et corporelles.
Boos.
- Quelle
folie ! On ne cherche qu'à leur montrer la
différence
qu'il y a entre la foi du coeur et celle des
lèvres. Quiconque a obtenu la
première sait très-bien qu'elle n'est
pas dans ses genoux.
Bertgen.
- Pourquoi
avez-vous dit un jour que vous pourriez bien mettre
dans la sacristie tous ceux qui ont une foi
vive ?
Boos.
- Je l'ai dit dans
la chaleur du zèle et en distinguant mes
paroissiens en quatre classes :
1°les indifférents ;
2°ceux qui sont justes à
leurs propres yeux ;
3° les âmes accablées
du sentiment de leurs péchés ;
4° et enfin, ceux qui ont une foi
vivante qui leur a procuré la paix.
Beaucoup de gens sont appelés
à faire partie de cette dernière
classe ; mais il y a peu d'élus, et
s'il fallait, disais-je à mes paroissiens,
en venir à l'épreuve, à peine
trouverions-nous assez de chrétiens dans la
paroisse pour remplir la sacristie. Du reste, je
reconnais que Dieu seul peut faire cette
épreuve.
Bertgen.
- Voilà
précisément ce qui a offensé
les gens.
Boos.
- Ah ! pas
tant que vous le croyez. La plupart de mes
paroissiens m'aiment, et d'un bout de
l'année à l'autre, je leur parle
à coeur ouvert et en toute liberté,
ainsi que le ferait un père à ses
enfants, comme je parle à cette heure avec
votre grâce et comme je l'ai toujours fait
quand j'étais son chapelain. Et puis, si ce
que je dis est la
vérité, qu'importe au
prédicateur s'il est des gens qui s'en
offensent ? Malheur à lui si chacun le
loue ! Jésus ne déclare-t-il pas
que le chemin qui conduit à la vie
éternelle est étroit et qu'il y en a
peu qui le trouvent ? Si notre Sauveur ne
craignit point d'appeler ses auditeurs,
sépulcres blanchis, hypocrites, race de
vipères (Matth., XXIII.), un de ses
ministres n'oserait-il pas dire que bien peu de ses
paroissiens sont conduits par l'Esprit de
Dieu ? Enfin, notre sacristie n'est pas si
petite, puisqu'elle peut contenir au-delà de
cent personnes. »
« Bertgen dit, après un
instant de silence, Que fait votre chapelain
Rehberger ? Il est aussi accusé devant
le consistoire ?
Boos.
- Il fait comme
moi ; il m'aide à prêcher la foi,
l'espérance et l'amour. Les fidèles
et moi-même sommes fort contents de
lui ; il est plein de zèle et d'une
conduite irréprochable. »
Au moment même, le chapelain
Rehberger entra. Bertgen devint plus sérieux
et dit un tant soit peu en colère :
Ceci est grave, très-grave ; vous
êtes l'un et l'autre dénoncés
au consistoire de la manière la plus vive. -
Je suis chargé de vous interroger, de me
faire présenter tous vos livres, tous vos
sermons, et d'examiner aussi votre mode
d'enseignement.
« Nous nous soumettons
à la plus rigoureuse enquête,
répondit, Boos, et nous remercions à
l'avance Dieu et le consistoire de nous avoir
donné pour inquisiteur votre grâce,
notre meilleur ami. Nous nous réjouissons
d'être appelés à confesser
notre foi devant nos supérieurs. Nous vous
présenterons fidèlement et avec
plaisir tous nos sermons, car nous n'avons point
honte de l'Évangile de Christ. Nous nous
justifierons aussi bien que cela nous sera
possible. »
Bertgen se calma un peu ; mais il
semblait piqué de la franchise de nos
réponses. Cependant, dès ce jour, il
résolut d'étudier la matière
pour se préparer à l'interrogatoire
qu'il devait nous faire subir. Il se mit à
lire (comme il nous l'avoua dans la suite, lorsque
le voile fut tombé de ses yeux), ce que le
concile de Trente enseigne sur la
justification ; il consulta aussi divers
écrivains, tels que Knippel et
Bertiéri. Cette lecture lui procura de
telles lumières sur cette question, qu'il ne
put en dormir de trois nuits, tant était
grande la joie dont son âme était
remplie.
De retour chez lui, Boos se mit à
prier le Seigneur, pour qu'il éclairât
ses juges ; l'amour seul et non la crainte le
portait à élever ses mains en haut,
afin qu'il plût à l'auteur de toute
grâce d'amener à la
vérité ceux qui devaient la
proclamer. Il versait des larmes abondantes en
épanchant son coeur au
pied du trône des miséricordes. Le
Seigneur fut attentif à ses cris.
Le 7 février 1811, Bertgen se
rendit à Gallneukirch : « Je
n'ai pu dormir de toute la nuit,
s'écria-t-il, en arrivant ; je n'ai
cessé de lire le Concile de Trente sur la
justification par la foi. Jamais je ne suis venu
à Gallneukirch avec autant de plaisir.
- Tant mieux, répondit Boos,
l'enquête ne nous en sera que plus favorable.
- Ne parlons pas d'enquête,
répondit le commissaire, je viens ici pour
m'entretenir amicalement avec vous et pour pouvoir
fermer la bouche à vos
adversaires. »
Il pria les deux chapelains de se
retirer, et s'assit sur le sopha, et faisant
asseoir Boos à côté de
lui : « Ah ! ça, lui
dit-il, voyons comment vous entendez la doctrine de
la justification de l'homme devant Dieu ?
- De la même manière que le
Concile de Trente (Session VI, ch. 7 et 8). Voici
ce qu'on y lit :
« La cause finale de la
justification est la gloire de Dieu et de
Jésus-Christ et la vie éternelle.
La cause efficiente, c'est le Dieu
miséricordieux qui nous lave gratuitement et
nous sanctifie, en nous scellant et nous oignant du
St-Esprit de la promesse, lequel est l'arche de
notre héritage.
La cause méritoire c'est le Fils
unique et bien-aimé de Dieu, Notre Seigneur
Jésus-Christ, qui, par son amour infini et
par ses très-saintes souffrances sur la
croix, nous a mérité la justification et a
satisfait
pour
nous à Dieu son Père, lorsque nous
étions ses ennemis.
Enfin, l'unique cause formelle de la
justification, c'est la justice de Dieu, non celle
par laquelle il est lui-même juste, mais
celle par laquelle il nous rend justes. »
Au 8e chapitre il est dit ;
« Nous sommes dits être
justifiés par la foi, parce que la foi est
le commencement du salut de l'homme, le fondement
et la racine de toute justification ; il est
impossible de plaire à Dieu sans la foi et
de devenir membre de la société des
enfants de Dieu. »
Boos lui lut ensuite Rom.
III, 22-24 :
« La justice de Dieu, par la
foi en Jésus-Christ, s'étend à
tous et sur tous ceux qui croient (car il n'y a
aucune différence, puisque tous ont
péché et sont entièrement
privés de la gloire de Dieu) ; vu que
nous sommes justifiés gratuitement, par la
grâce, par le moyen du rachat qui est dans le
Christ Jésus, que Dieu a d'avance
établi propitiatoire au moyen de la foi en
son sang, pour montrer sa justice, à cause
de la rémission des péchés
commis auparavant, pendant le support de Dieu.
« Et Galates
Il, 16: « Sachant
que l'homme n'est pas justifié par les
oeuvres de la loi, mais par le moyen de la foi en
Jésus-Christ, nous aussi nous avons cru au
Christ Jésus, afin que nous fussions
justifiés par la foi au Christ, et non par
les oeuvres de la loi, parce que nulle chair ne
sera justifiée par les oeuvres de la
loi. »
« Quelles dispositions,
demanda Bertgen, exigez-vous pour qu'on puisse
recevoir cette justification ? »
- L'homme, répondit Boos,
« doit avoir les mêmes dispositions
que Corneille, que Pierre dans la nacelle, que la
pécheresse aux pieds du Seigneur et que le
brigand sur la croix, c'est-à-dire qu'il
doit être pauvre en esprit, sentir ses
misères et désirer en être
guéri ; surtout il doit croire que
Dieu, loin de nous imputer nos
péchés, nous pardonne pour l'amour de
Jésus.
Bertgen.
-
« Est-ce là ce que vous
prêchez ? »
Boos.
-
« Voilà mes sermons qui le
prouvent assez. »
À ces mots, le commissaire saute
de dessus le sopha, lève les mains et
s'écrie avec une vive
émotion :
« Les insensés !
voilà la doctrine la plus consolante de
toute la religion et vous l'appelez une
hérésie ! Ils devraient tous
tomber à genoux de
reconnaissance. »
« Ceux qui nous comprennent,
ajouta Boos, nous témoignent la plus
profonde gratitude ; mais les autres se
mettent à crier contre nous, comme les
Éphésiens criaient contre Paul sur la
place publique, sans trop savoir pourquoi. Il faut
donc user d'une grande patience, jusqu'à ce
que le jour commence à luire sur eux et que
l'étoile du matin se lève dans leurs
coeurs. »
Alors Bertgen prit un manuscrit de Boos
où se trouvaient quinze
propositions que les adversaires regardaient comme
autant d'hérésies. Il était
devenu comme un enfant. il se laissait tout dire,
tout expliquer ; il comprenait tout et
accueillait tout avec joie, tant il avait faim et
soif de la justice. Dans l'excès de son
bonheur, il saisit sa canne et tirant
l'épée qu'elle renfermait :
« A présent. dit-il, soyez
tranquille ; c'est avec cette
épée que je défendrai votre
foi vivante devant le consistoire et devant tous
vos ennemis. Je vois que cela ira tout autrement
que ne le supposent vos accusateurs et les
consistoires. »
Cet entretien dura depuis huit heures du
matin jusqu'à midi.
« Cependant, raconte Boos,
Rehberger très-inquiet, attendait dans la
pièce voisine ; je voulais le faire
entrer ; mais Bertgen s'y opposait toujours.
Enfin, à midi et demi, il l'appela
lui-même ; il lui parla du ton le plus
amical, lui demanda ses sermons ; puis l'on
dîna avec une joie parfaite de part et
d'autre. Depuis que je connaissais Bertgen, je ne
l'avais jamais trouvé si gai, si simple, si
heureux. Nous étions profondément
émus en voyant cet homme, auparavant si
déchaîné contre nous, adopter
tout à coup nos principes et nos sentiments,
parler à table notre langage,
c'est-à-dire, le langage nouveau. À
quatre heures du soir il s'en retourna à
Lintz, emportant nos sermons et nos livres. Il me
fit
encore
dire par mon domestique : « Le
pasteur peut dormir en paix. »
À la première séance,
Bertgen rapporta toute l'affaire au consistoire et
la lecture de la déclaration suivante,
écrite de la main de Boos
lui-même.
« Nous tenons pour certain que
nous n'avons semé que de bonne semence dans
le champ de notre paroisse et que l'ivraie ne vient
que de nos ennemis. Nous n'avons qu'un coeur et
qu'une âme dans cette affaire à
laquelle notre église a toujours
attaché la plus haute importance. Nous
n'avons agi que devant Dieu et avec une conscience
pure ; et le Seigneur nous a fortifiés
dans toutes nos infirmités et au milieu des
vexations dont on nous a accablés. Nous
sommes fermement résolus à ne pas
avoir honte de l'Évangile qui s'est
montré pour nous et pour plusieurs autres la
puissance de Dieu. - Il est facile à
prévoir que nos faiseurs
d'hérésies ne se tiendront pas en repos et
qu'ils
s'efforceront d'exciter le peuple contre nous. Nous
conjurons le consistoire de ne pas faire attention
à leurs clameurs et d'examiner la chose
à fond, car lorsque nos prédications
eurent produit quelques fruits,
réveillé plusieurs âmes, et que
nous nous fûmes conciliés une estime
universelle, on vit plusieurs
ecclésiastiques, pleins d'envie,
éplucher nos discours, y chercher
minutieusement des hérésies et
ameuter le peuple contre nous.
Nous plaignons ce pauvre peuple qui
accourait en foule à nos sermons,
écoutant avec édification et avec
joie, la bonne nouvelle que nous lui
apportions ; il est maintenant fort
malheureux, ne sachant que croire de la parole de
Dieu et de ses ministres ; semblable à
un petit enfant égaré, il ne sait
où trouver la lumière et les
directions dont il a besoin.
Nous ne connaissons pas encore nos
accusateurs, et cependant il serait dans la
règle qu'ils se fissent connaître. La
communauté sait, depuis long-temps, que nous
avons été dénoncés au
véritable consistoire, et que nous sommes
l'objet d'une enquête à cause de nos
doctrines, Un fort grand nombre de personnes
voulaient aller à Lintz pour nous
défendre ; mais nous n'avons pas
accepté leur offre bienveillante,
désirant éviter tout excès
d'éclat.
Nous le répétons,
l'Évangile est la puissance de Dieu, donnant
la vie éternelle à tous ceux qui
croient et une odeur de mort pour ceux qui
périssent.
Non, si Dieu nous remplit de sa force,
nous ne reculerons pas devant les plus affreux
tourments; nous consentons à nous faire
brûler, lapider, crucifier, pour avoir
prêché la vérité qui
conduit à une vie éternelle,
assurés que nous sommes d'avoir pour nous
Celui qui est assis à la droite de Dieu et
qui a permis que cet orage tombât sur nos
têtes, afin d'éprouver notre foi : il
l'apaisera quand il le jugera convenable. Si nous
ne mourions pas pour notre foi, nous nous rendrions
coupables d'un grand péché, puisque
nous foulerions aux pieds notre conscience, notre
vocation, le don que Dieu nous a accordé
pour la remplir, et, enfin, l'Evangile même.
Nous prions et conjurons votre seigneurie, et tout
particulièrement le vénérable
consistoire, de mettre fin à tous les
troubles et à tout ce bruit causé par
ces faiseurs d'hérésies, et
d'être bien assurés que, dans toutes
les choses où nous pourrons et devrons
céder, nous n'oublierons pas le profond
respect et la haute vénération qui
vous sont dus.
Après cette lecture, Bertgen
ajouta les explications les plus
bienveillantes ; il fit un fort bel
éloge des principes et des sermons de
Boos ; il plaida si bien sa cause, que l'on
crut que tout était terminé. Mais les
plaignants ne voulurent pas avoir tort : ils
reprochèrent à Bertgen de n'avoir pas
bien compris les sentiments du curé de
Gallneukirch. et l'accusèrent de
partialité et même
d'hérésie. Ils ne s'en tinrent point
là ; ils harcelèrent de leurs
plaintes le consistoire, représentant Boos
comme un homme dangereux dont il fallait se
défaire à tout prix. Le
vicaire-général, Mayr, le cita
à comparaître devant lui, le 12 mars
1811. Voici comment Boos rend compte de cette
nouvelle enquête, dans une lettre à un
de ses amis.
Gallneukirch, le 13 mars 1811.
« Cher frère,
Je t'ai écrit y il y a peu de
temps, pour t'informer comment, grâce aux
soins de Bertgen, notre conduite avait
été parfaitement
justifiée ; mais ce n'était
qu'une suspension d'armes. Le 3 courant, je
reçus du vicaire-général,
Mayr, de Lintz, une lettre par laquelle il
m'invitait à me transporter auprès de
lui. Je me suis rendu hier à son audience...
Ne voulant pas prendre sur lui de me faire subir
seul cet
interrogatoire, il s'adjoignit le vieux chanoine
italien, Reiceis. L'Écriture-Sainte
était devant nous ; nous y
puisâmes de part et d'autre un grand nombre
de passages. Après une discussion
très-vive, qui dura jusqu'à midi, je
leur fis ma profession de foi, les priant de me
laisser en paix, tout comme ceux de mes paroissiens
qui se reposaient uniquement sur les mérites
de Christ. Je leur déclarai que mes
paroissiens et moi désirions mourir dans
cette foi-là.
En disant ces paroles, j'étais
profondément ému. Alors le
vicaire-général et le chanoine
italien, partageant mon émotion, me prirent
les mains et se mirent à me consoler comme
une mère son enfant.
« Cette doctrine, me
dirent-ils, peut être fort bonne pour vous et
pour vos paroissiens aux prises avec la mort ;
mais comment voulez-vous qu'elle ne produise pas
des troubles chez les hommes qui jouissent de toute
la vigueur de la santé ? Nous vous
prions donc de la prêcher désormais
d'une manière plus simple et plus à
la portée du peuple. Du reste,
l'enquête que nous venons de faire n'a rien
ôté à l'estime que nous avons
pour vous, bien au contraire ; mais nous vous
conseillons de vous tenir en garde contre ce
mysticisme qui vous ferait tomber dans des
écarts toujours funestes. »
En résumé, je vis
clairement qu'ils ne connaissaient ni le
Père, ni le Fils, ni la
foi dans laquelle, par la grâce de Dieu, nous
voulons vivre. Ils voient, par exemple, que Paul,
dans l'épître aux Romains, ne parle
que de la loi cérémonielle et non de
la loi divine et morale tout entière. Ils
ont encore un bandeau sur les yeux. Selon eux,
Sailer est le plus grand fanatique de toute
l'Allemagne : ils me l'ont dit en face et
à plusieurs reprises. Tu peux te
représenter quelle peine cela me faisait.
O ! mon cher frère, je te l'ai
déjà dit : nous nous sommes
grossièrement trompés sur le compte
de ces hommes-là.
Le Christ est un trop beau don pour
eux ; leur bouche est trop petite et leur
coeur trop étroit, pour qu'il puisse y
entrer. »
Boos.
Du 20 mars.
Au même.
Au milieu de l'agitation actuelle, les
gens de ma maison sont ébranlés dans
leur croyance ; Christ est pour les uns une
pierre d'achoppement, et pour les autres une ancre
du salut. Timothée te salue avec beaucoup
d'affection et te prie de lui écrire pour le
consoler et l'affermir. Nous sommes comme des
brebis destinées à la boucherie.
Chaque jour nous ignorons quand nous serons
immolés. En attendant, je sème force
légume, comme si
j'étais assuré de les cueillir.
Voilà bientôt cinq ans que je suis
ici ; c'est bien assez ! Je salue tous
ceux qui t'entourent et les exhorte à
persévérer dans la foi en Christ,
mort pour nos péchés et pour nous
obtenir la vie éternelle. Je les conjure
aussi de vivre dans la pratique des commandements
de Dieu et de s'adonner tout entiers aux bonnes
oeuvres : c'est là la seule marque
d'une foi véritable. Que la grâce et
la paix de Christ soit avec toi ! »
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