Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXII

ARRÊTS DU CONSISTOIRE ÉPISCOPAL. - BOOS DURANT LES GUERRES DE 1812 - SA DESTITUTION.

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Cependant la commission d'enquête avait fait son rapport au gouvernement. Les adversaires de Boos portèrent leurs plaintes à la cour, en le représentant comme un homme dangereux, qui répandait des doctrines propres à séduire le peuple. Voici la teneur de l'arrêt de l'empereur, à la date du 19 novembre 1812 :

« D'après le rapport du consistoire, Martin Boos, pasteur de Gallneukirch, doit être regardé comme un exalté et un mystique, se servant d'expressions peu mesurées ; toutefois, on ne peut l'accuser d'hérésie.
Il est constant d'après les pièces mises sous nos yeux et les plaintes de quelques prêtres et d'une trentaine de ses paroissiens, qu'il a émis des principes dont ils ont été blessés. Néanmoins on ne saurait approuver l'exposition de ses principes relatifs à la justification, qu'il présente d'une manière exclusive et propre à exciter plutôt un vain enthousiasme qu'à la pratique des devoirs de la religion.

Comme la majeure, partie de sa paroisse lui paraît étroitement attachée et que le reste de sa conduite est à l'abri de tout reproche, on ne peut pour le moment, et aussi long-temps qu'il ne s'élève pas d'autres griefs contre lui, prendre aucune décision touchant son éloignement de sa paroisse. On doit d'abord recourir à des voies de douceur. À cet égard, le gouvernement s'en remet à la prudence du consistoire qui cherchera à éclairer ce pasteur et se fera remettre la copie de ses sermons avant « qu'ils soient prêchés. Il lui adjoindra aussi un ecclésiastique prudent qui devra s'efforcer de le corriger de son mysticisme.

Le consistoire veillera à ce qu'aucun ecclésiastique du voisinage n'exerce une influence fâcheuse sur la communauté. Si ces moyens ne suffisent pas pour ramener ce pasteur à des idées plus saines et pour rétablir la paix dans sa paroisse, il sera nécessaire de le placer dans une autre communauté.

Enfin, s'il persistait dans ses principes exaltés et s'exposait à ce qu'il appelle des persécutions, il serait urgent de lui interdire toute fonctions ecclésiastique. »

 

Ce ne fût que le 27 janvier 1813 que l'on donna à Boos communication de cet arrêt. On le cita devant le consistoire et on eut la mauvaise foi de ne lui faire lecture que des mesures qu'on prendrait envers lui ; on passa sous silence tout ce que l'arrêt contenait d'avantageux et d'honorable sur son compte. Le consistoire lui intima l'ordre de prêcher comme les autres curés du diocèse et de communiquer la copie de ses sermons avant de les porter en chaire.
« Bien que l'empereur ait proclamé mon innocence, » écrivait Boos à cette époque, « je suis constamment sur le point d'être déplacé ou enlevé à toute fonction ecclésiastique. L'enfer, et le monde ne cessent de rugir contre moi. Si cela continue, je serai forcé de partir. Dieu seul peut être mon gardien ; si je vis encore, c'est un pur effet de sa grâce. La vive affection que me porte ma paroisse, affection que je suis bien loin de mériter, a aussi été ma sauvegarde. Sans cela c'en aurait été fait de moi, pauvre homme, vieux et malade ; ils m'auraient dévoré, pour dévorer ensuite ma paroisse. Mes adversaires sont pleins d'envie contre moi. Je n'ai nulle part souffert autant qu'ici. »

« Le 28 juillet, j'ai encore été cité devant le consistoire et j'ai dû signer cinq propositions que l'on m'a présentées et auxquelles j'ai cru, après quelques explications y pouvoir souscrire. Je ne puis penser qu'il me soit possible de vivre jusqu'à la fin de cette guerre. Les gens pieux, selon le monde, persistent à croire qu'ils acquièrent le ciel par leurs oeuvres et non par la croix de Christ, quant à nous, nous ne pouvons admettre une telle voie de salut : voilà pourquoi nous ne nous accordons pas. »

« Le 20 août, j'ai été frappé d'apoplexie, j'ai eu tout le côté droit paralysé ; la main, le pied, l'oeil, l'oreille et même la langue l'étaient au point que je ne pouvais ni parler, ni écrire. Mais le Seigneur a donné efficace aux soins du médecin et je me trouve maintenant beaucoup mieux ; je puis tant bien que mal tracer ces lignes. Dès que j'ai eu goûté quelque repos au-dehors, le Seigneur m'a frappé dans mon corps, afin que j'eusse toujours une croix à porter. Que son nom soit béni ! Durant les dernières enquêtes, j'ai souffert jusqu'à être dégoûté de la vie. Il n'est sortes d'amertumes dont mes ennemis ne m'aient abreuvé ; c'est ainsi qu'ils recueillaient par écrit mes sermons, à mesure que je les prêchais, et les présentaient tout dénaturés au consistoire : j'étais obligé d'en rétablir le sens. De plus, ils ont envoyé au consistoire des plaintes fort étendues, contenant des fragments de discours prononcés au confessionnal ou dans des visites particulières. J'ai dû répondre à toutes ces attaques. Leurs plaintes et mes réponses ayant été envoyées à Vienne, le consistoire en a été tellement indigné, qu'il les a taxés de fripons. Ils ont publié un pamphlet contre le consistoire, parce qu'il n'a pas voulu me faire incarcérer ou me condamner au supplice du feu. »

Le fléau de la guerre désolait alors l'Allemagne (1812-1813). Les victoires des armées françaises n'avaient laissé que des ruines ; le sang avait coulé à grands flots : partout on ne voyait que morts ou blessés. Dans ces désastres presque universels, la charité chrétienne eut bien des plaies à bander, des infortunes à secourir.

Boos et tous ceux qui, comme lui, avaient appris à l'école de l'Évangile à pleurer avec ceux qui pleurent, déployèrent un zèle, une activité admirables pour adoucir ces maux. Les soldats blessés étaient surtout l'objet de la plus touchante compassion. Boos ayant un jour provoqué, dans un de ses sermons, une collecte en faveur des blessés que l'on avait apportés à Gallneukirch, reçut une somme si abondante, que les préposés, pour la plupart ses adversaires, auxquels il remit cet argent, lui adressèrent les plus vifs remercîments. « Dites-vous toujours, leur demanda-t-il un peu en plaisantant, que je rejette les bonnes oeuvres ? » - « Oh ! non, répondirent-ils en riant ; nous voyons bien le contraire. Nous nous proposons de faire insérer dans les journaux un article pour que votre charité soit connue du public. » - Boos les conjura de n'en rien faire, et ce ne fut qu'à grand'peine qu'il parvint à les en dépersuader.

Quelques grandes que fussent les vexations dont on l'entourait, Boos ne proclamait pas moins fortement la gratuité de ce salut qui faisait toute joie. Partout il annonçait Christ comme la justice parfaite qui peut sauver les âmes. Le consistoire, informé de cette persistance qui lui faisait ombrage, lui rappela ses précédents arrêts, et le 20 septembre 1814, il prit la décision suivante
« La doctrine de la justification est une matière spéculative, nullement appropriée aux besoins du peuple. Un pasteur doit envisager la religion du côté pratique ; il guérira bien plus facilement les hommes de leur orgueil et les portera bien mieux à une humble reconnaissance envers la grâce de Dieu, en les encourageant sans cesse à la pratique du bien et en leur faisant voir les bonnes oeuvres comme un don de Dieu (*). Le pasteur Boos ne s'est pas justifié de plusieurs fautes commises dans l'exercice de ses fonctions, entr'autres de la distribution de Bibles, et ses discours sur la grâce sont exclusivement consacrés à un seul côté du sujet. Dans toutes ces matières, il doit se conformer pour le fond et pour la forme aux directions du consistoire, sous peine d'être immédiatement éloigné de sa paroisse. Du reste, nous lui conseillons de chercher dès à présent un autre poste. »

Comme on le conçoit, Boos ne put obtempérer aux injonctions de l'autorité. Il en avait déjà appelé à une autorité placée au-dessus de tous les conseils ecclésiastiques possibles, à celle de Jésus-Christ, dont il tenait sa mission. Il continua donc à prêcher comme il l'avait fait jusqu'alors. Il semblait qu'on le laissait enfin en repos.
L'empereur François, fatigué de toute cette affaire, dont on lui rebattait sans cesse les oreilles, et convaincu de l'injustice et de la malveillance des plaignants, leur avait imposé un silence absolu, sous peine de punitions sévères. Tout le monde regardait la cause de Boos, si ce n'est comme gagnée, du moins comme assoupie et abandonnée.

Le curé de Gallneukirch était encore à son poste ; pendant près d'un an (depuis octobre 1814 jusqu'en juillet 1815) il n'avait reçu ni arrêt du consistoire, ni sommation de son évêque. Mais ce calme était celui qui précède la tempête. Boos éprouva de nouveau que les ennemis du chrétien ne s'avouent jamais vaincus. On voulait à tout prix se défaire d'un prédicateur. qui mettait en première ligne l'Évangile de Christ et qui préférait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.

Le 24 juillet 1815, Boos est cité devant le consistoire, présidé par l'évêque. On soulève les mêmes griefs que dans les précédentes comparutions. Plusieurs lettres de ses amis, et que ses juges avaient depuis huit jours entre les mains, sont épluchées et déposées sur le bureau comme pièces au procès. L'accusé se défend avec calme et une sainte hardiesse : c'est en vain qu'il prouve au consistoire, par des citations de la Bible et du concile de Trente, que ses principes ne sont autre chose que ceux des écrivains sacrés ; c'est en vain qu'il leur rappelle et les menées infâmes des plaignants et la manière dont la cour de Vienne les avait jugés : tout est inutile ; sa perte est décidée. L'évêque prononce l'arrêt suivant :

« Je vous dépouille de toute fonction ecclésiastique. Je ne souffrirai pas que vous restiez plus long-temps dans votre paroisse, ni dans mon diocèse, ni dans le pays. Telle est aussi la volonté de tous les conseillers ici présents. Après le dîner que vous prendrez chez moi, vous vous rendrez dans la prison du couvent des Carmélites, où vous attendrez la décision de l'empereur. Ainsi que nous le prouvent ces lettres, vous êtes un des principaux membres d'une société secrète de piétistes, que l'empereur ne tolère pas dans ses États. »

On ne sait duquel on doit le plus s'étonner, ou de la forme, ou du fond même de cet arrêt. Boos ignorait jusqu'au nom d'une société secrète quelconque. Sa candeur, la pureté de sa conduite, témoignaient assez hautement de sa parfaite innocence ; mais l'aveuglement de ses juges était tel, qu'ils ne virent pas qu'ils condamnaient un curé très-catholique et fermement attaché aux institutions de l'église établie.

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CHAPITRE XXIII.

BOOS EN PRISON À LINTZ. - EXTRAITS DE SA CORRESPONDANCE DURANT SA CAPTIVITÉ.


Ce respectable témoin de la vérité est donc conduit en prison ; il n'a pour tout ameublement qu'une chaise, une lampe et un grabat. Son coeur est navré à la vue de la violence qui lui est faite ; mais il sent que la main de son Père céleste le soutient ; les consolations d'en haut viennent relever et rafraîchir son âme. Oh ! qu'il est heureux le fidèle qui, du fond de la fournaise de l'épreuve, sait où trouver un ami puissant et attentif à tous, ses cris ! L'Éternel est sa retraite et son bouclier, et gardera son issue et son entrée dès maintenant et à toujours. ( Ps. CXIX, 144 ; CXXI, 8)

Boos épanchait dans le sein de quelques-uns de ses frères les sentiments de son coeur. Au nombre de ses amis était une personne avec qui il entretenait depuis quelque temps une correspondance active ; c'était une femme, Anna Schlatter, de St-Gall, qui, comme nous le verrons bientôt, plaida avec force la cause du curé bavarois. Celui-ci lui écrivit de sa prison, « Je te remercie de l'intérêt que tu prends à moi. Tu sais que l'hôte de la croix (1) a beaucoup de croix à porter ; il en a une maison toute pleine : il pourrait en vendre, mais personne ne veut en acheter. Il est trois hommes qui me rendent quelquefois visite dans ma prison : l'évêque, toujours. grondeur ; le chanoine Hasslinger et le professeur Ziegler ; ces deux derniers cherchent à m'apporter quelque consolation. Zobo (2) ne peut s'entretenir avec a aucun de ses paroissiens. Quelques-uns viennent le voir, ils se tiennent devant lui sans mot dire, les yeux baignés de larmes. Nous nous comprenons sans proférer une parole. Celui qui est suspendu à la croix voit près de lui un Jean, une Marie et une Madeleine. Ne doit-on pas se réfugier chez les païens, puisque les chrétiens ne veulent plus entendre l'Évangile ? - On m'a écrit plusieurs lettres qui ne me sont jamais parvenues et qui sont tombées entre les mains de mes gardiens, ainsi que la liste de tes amis. - Que Dieu conduise tout à sa gloire !

Jamais Zobo n'a éprouvé un traitement pareil à celui du 24 juillet 1815. Il obtiendra difficilement sa libération. Ce qui le tourmente le plus, c'est de savoir s'il doit attendre le dernier coup de la cour de Vienne ou s'il doit se résigner entièrement. Oh ! que ne sait-il à quoi s'en tenir à cet égard ! Demande à Dieu qu'il me fasse connaître et accomplir sa volonté, de peur qu'en cherchant à m'aider moi-même, je ne me précipite dans la mer.
Toutefois, Zobo ne cessera pas la lutte, parce qu'il ne peut croire que le gouvernement interdise le piétisme, c'est-à-dire la piété, et qu'il veut attendre ce qu'on fera de lui. C'est seulement alors qu'il s'en ira. Sait-il où il doit aller ? S'il le savait, il serait déjà parti ; mais il a derrière lui Pharaon ; devant lui est la mer ; la terre et le ciel ne s'ouvrent pas pour le recevoir. - Trois jours après son dernier combat, Zobo s'est encore défendu par écrit. Le gouvernement ne nous a trouvés coupables d'aucun délit, ni en politique, ni en théologie ; il nous regarde comme des saints pleins de vie et d'exaltation religieuse ; mais le consistoire a vu en nous plusieurs péchés, entr'autres le péché capital d'appartenir à une société secrète de piétistes.

Selon eux, désobéir à l'autorité, c'est désobéir à Dieu. Je persisterai jusqu'à ce qu'ils aient prononcé. Mais il me serait difficile, à moi qui suis affranchi par Christ, de me soumettre à un consistoire et de plier le cou comme un esclave sous le joug d'une loi oppressive. Aie donc pitié de moi, afin que je trouve une issue pour prêcher librement l'Évangile; il n'y a plus de liberté ici, ni pour Zobo, ni pour la doctrine du salut. Tout est plongé dans une nuit obscure et enfermé sous les verrous. Prie pour la victime dévouée !

« L'HÔTE DE LA CROIX. »

Anna Schlatter ayant appris que la correspondance du curé avait été saisie, et qu'un des plus grands griefs élevés contre lui c'étaient les relations qu'il entretenait avec des protestants, écrivit au chanoine Waldhausen, à Lintz, pour l'instruire de la manière dont elle avait fait la connaissance de Boos et pour éclairer, si c'était possible, ses juges.

 

St. Gall, le 1er août 1815.

« Très-révérend monsieur le Chanoine,
L'amour de la vérité et l'affection que je porte au respectable M. le pasteur Boos, me font prendre la hardiesse de vous écrire ces lignes. J'ai été informée par plusieurs de mes amis, il y a quelques semaines, que la correspondance de notre ami Boos a été saisie et soumise à une enquête. Comme parmi ces lettres il s'en trouve quelques-unes que je lui ai écrites et qui pourraient lui faire du tort, je m'empresse de vous dire un mot de l'origine et de la nature de cette correspondance.

Ce n'est qu'en élevant par la foi mes regards vers Celui qui fait tout tourner au bien de quiconque souffre pour son nom et qui donne la force de supporter l'épreuve, ce n'est qu'en regardant à Dieu, que je puis me faire à la pensée que mon fils et moi avons été la cause des souffrances que le digne pasteur Boos doit endurer. Veuillez me prêter un instant d'attention.
Mon fils étant à Munich comme ouvrier, m'écrivit qu'il désirait se rendre à Vienne et avoir, s'il était possible, une lettre de recommandation pour la route. Je n'avais à Vienne, ni sur la route, aucune connaissance à qui je pusse recommander mon fils. J'avais entendu parler, sans le connaître ni de vue, ni par lettre, du respectable curé de Gallneukirch. Le Seigneur nous a dit : « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur aussi de même. » D'après ces paroles, je cherche des conseils et des consolations auprès de catholiques et de protestants, sans leur demander : À quelle Église appartenez-vous ? Mais je leur dis quels sont mes besoins et en quoi je puis être aidée.

Je recourus donc à Boos, comme à un chrétien, plein de zèle et de foi, et j'écrivis, en toute confiance, une lettre pour recommander mon fils à ce pieux pasteur ; c'était dans l'été de 1814, et ce furent les premières lignes que je lui envoyai. La suite prouva que je ne m'étais pas trompée dans mes espérances fondées sur les préceptes de l'Évangile. Mon fils passait sur le pont Isar, lorsque le Seigneur permit que ce pont s'écroula : le jeune homme put se sauver de l'eau avec son sac, et, après quelques heures de marche, il arriva chez le pasteur Boos, qui lui prodigua les soins de la plus touchante amitié. Je n'oublierai jamais, tant que mon sang coulera dans mes veines, les services de ce digne disciple de Christ. Il fut, à l'égard de mon fils, tant pour l'âme que pour le corps, un bienfaiteur et un père.

Mon fils m'écrivit tout ce qui lui était arrivé, et M. le curé Boos fut assez aimable pour me faire part de l'arrivée et du départ du jeune ouvrier. Mon coeur de mère aurait-il pu garder le silence ? Vous comprenez vous-même qu'une mère aurait béni et embrassé le bienfaiteur de son enfant, eût-il été Turc ou nègre.
Ainsi commença la correspondance entre une femme protestante et un curé catholique. Il est clair comme le jour que mes lettres, dictées par le coeur, furent écrites sous le regard de Dieu. Appartenant à un pays libre, et née et élevée dans une église où les consciences ne connaissent aucun joug et où les correspondances sont à l'abri de toute inquisition, il ne me vint jamais à la pensée que mes lettres pussent tomber en d'autres mains qu'entre celles de mon vénérable ami ; aussi lui écrivis-je plusieurs choses que dans cette supposition je n'aurais jamais écrites. Mais comme la parole de Jésus m'apprend qu'il ne tombe pas un seul des cheveux de ma tête sans la volonté de mon Père céleste, aucune de mes lettres ne pourra parvenir que là où il le permettra : c'est pourquoi je n'en ai aucun souci. Mais il est de mon devoir de vous prier humblement de mettre sur mon compte, et non sur celui du cher Boos, tout ce que mes lettres pourraient contenir de blessant. Il m'écrivait toujours en très-peu de mots et à la hâte, tandis que mes réponses étaient fort longues, selon l'usage des personnes du sexe.

Je prenais plaisir à être instruite par lui des vérités de l'Évangile. - Il m'est doux d'espérer que le temps est proche où l'on ne dira plus : Es-tu de Paul ou d'Apollos ? Mais seulement Es-tu chrétien ? Elle s'avance l'époque où nous tous, qui croyons à l'Eglise sainte, universelle, chrétienne, et à la communion des saints, vivrons dans une communion réelle et vraie. J'ai assez de confiance en la justice de Votre Grâce pour être fermement assurée qu'elle n'attribuera pas au pasteur Boos mes vues particulières, que je n'ai la prétention d'imposer à personne.

Si le repos de ce pieux pasteur et de son troupeau l'exige, je ne lui écrirai plus, aussi longtemps qu'il sera à Gallneukirch. Bien que ses lettres pleines d'onction m'édifient beaucoup, que son humilité, empreinte de l'image de Christ, m'apprenne à combattre mon orgueilleuse propre justice, et que sa confiance en la force et en l'esprit de Christ relève mon courage pour combattre le péché, je ferai à son repos le sacrifice d'une correspondance qui m'était chère ; car l'esprit de Christ n'est lié à aucun homme. Lui seul est parfait et tout homme est fragile, comme le prouve assez l'exemple de Paul, de Jacques et de Jean.
Cependant je crois que mes principes, puisés dans la parole de Dieu, source de la paix de mon âme et du faible degré de sanctification à laquelle il m'a été donné de parvenir, n'auraient nui à personne, si mes lettres fussent restées dans le bureau de mon ami. Si on les a fouillées, attaquées, mises au grand jour, ce n'est pas notre faute, tout comme ce n'était pas notre intention. Le meilleur moyen de populariser certains principes, c'est de les combattre. Là où règne le support et un esprit de paix, le peuple reste dans ses anciennes croyances religieuses. Boos n'aurait pas eu de long-temps un si grand nombre de partisans, si on l'eût laissé en repos.

« Veuille le Seigneur Jésus, qui a versé son sang pour nos péchés, embraser tous les coeurs de foi et d'amour pour lui, et qu'ainsi la terre soit pleine de sa gloire. Que sa grâce soit avec vous !

Votre dévouée servante,
Anna SCHLATTER, née BERNET. »

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(1) Surnom que se donnait Boos. 
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(2) Anagramme du nom de Boos, adopté par Boos lui-même.
 
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(*)Don de Dieu.
Les Jansénistes et d'autres portions de l'Église romaine admettent, comme les Protestants, la doctrine biblique, si victorieusement soutenue par saint Augustin contre Pélage, de la régénération des âmes par la seule influence du Saint-Esprit (Voyez 1ère et 2ème lettre provinciale de Pascal.).

Mais les conséquences qu'ils tirent de ce dogme sont entièrement différentes : la partie de l'Église romaine qui reçoit cette vérité, croit que les oeuvres produites en nous par le Saint-Esprit sont la cause de notre justification devant Dieu ; les Protestants, au contraire, soutiennent que nous sommes justifiés par les seuls mérites de Jésus-Christ qui nous sont appropriés par la foi, et que ce même esprit, qui nous a donné de croire en lui comme Sauveur, régénère nos âmes et nous donne de produire des oeuvres qui rendent témoignage à la réalité de cette foi.

C'est donc le dogme de la justification par la seule foi qui est la marque distinctive des Églises vraiment évangéliques. Celui qui ne croit point à ce dogme fait des œuvres pour être sauvé; celui qui y croit fait des œuvres parce qu'il est sauvé, parce qu'il est déjà enfant de Dieu, et parce que l'Esprit de Dieu habite en lui.

(Note de la Société de Traduction.)

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