Cependant la commission d'enquête avait
fait son rapport au gouvernement. Les adversaires
de Boos portèrent leurs plaintes à la
cour, en le représentant comme un homme
dangereux, qui répandait des doctrines
propres à séduire le peuple. Voici la teneur de
l'arrêt de l'empereur, à la date du 19
novembre 1812 :
« D'après le rapport du consistoire, Martin Boos, pasteur de Gallneukirch, doit être regardé comme un exalté et un mystique, se servant d'expressions peu mesurées ; toutefois, on ne peut l'accuser d'hérésie.
Il est constant d'après les pièces mises sous nos yeux et les plaintes de quelques prêtres et d'une trentaine de ses paroissiens, qu'il a émis des principes dont ils ont été blessés. Néanmoins on ne saurait approuver l'exposition de ses principes relatifs à la justification, qu'il présente d'une manière exclusive et propre à exciter plutôt un vain enthousiasme qu'à la pratique des devoirs de la religion.
Comme la majeure, partie de sa paroisse lui paraît étroitement attachée et que le reste de sa conduite est à l'abri de tout reproche, on ne peut pour le moment, et aussi long-temps qu'il ne s'élève pas d'autres griefs contre lui, prendre aucune décision touchant son éloignement de sa paroisse. On doit d'abord recourir à des voies de douceur. À cet égard, le gouvernement s'en remet à la prudence du consistoire qui cherchera à éclairer ce pasteur et se fera remettre la copie de ses sermons avant « qu'ils soient prêchés. Il lui adjoindra aussi un ecclésiastique prudent qui devra s'efforcer de le corriger de son mysticisme.
Le consistoire veillera à ce qu'aucun ecclésiastique du voisinage n'exerce une influence fâcheuse sur la communauté. Si ces moyens ne suffisent pas pour ramener ce pasteur à des idées plus saines et pour rétablir la paix dans sa paroisse, il sera nécessaire de le placer dans une autre communauté.
Enfin, s'il persistait dans ses principes exaltés et s'exposait à ce qu'il appelle des persécutions, il serait urgent de lui interdire toute fonctions ecclésiastique. »
Ce ne fût que le 27 janvier 1813 que l'on
donna à Boos communication de cet
arrêt. On le cita devant le consistoire et on
eut la mauvaise foi de ne lui faire lecture que des
mesures qu'on prendrait envers lui ; on passa
sous silence tout ce que l'arrêt contenait
d'avantageux et d'honorable sur son compte. Le
consistoire lui intima l'ordre de prêcher
comme les autres curés du diocèse et
de communiquer la copie de ses sermons avant de les
porter en chaire.
« Bien que l'empereur ait
proclamé mon innocence, »
écrivait Boos à cette époque,
« je suis constamment sur le point
d'être déplacé ou enlevé
à toute fonction ecclésiastique.
L'enfer, et le monde ne cessent de rugir contre
moi. Si cela continue, je serai forcé de
partir. Dieu seul peut être mon
gardien ; si je vis encore, c'est un pur effet
de sa grâce. La vive affection que me porte ma
paroisse,
affection que je suis bien loin de mériter,
a aussi été ma sauvegarde. Sans cela
c'en aurait été fait de moi, pauvre
homme, vieux et malade ; ils m'auraient
dévoré, pour dévorer ensuite
ma paroisse. Mes adversaires sont pleins d'envie
contre moi. Je n'ai nulle part souffert autant
qu'ici. »
« Le
28
juillet, j'ai encore été
cité devant le consistoire et j'ai dû
signer cinq propositions que l'on m'a
présentées et auxquelles j'ai cru,
après quelques explications y pouvoir
souscrire. Je ne puis penser qu'il me soit possible
de vivre jusqu'à la fin de cette guerre. Les
gens pieux, selon le monde, persistent à
croire qu'ils acquièrent le ciel par leurs
oeuvres et non par la croix de Christ, quant
à nous, nous ne pouvons admettre une telle
voie de salut : voilà pourquoi nous ne
nous accordons pas. »
« Le
20
août, j'ai été
frappé d'apoplexie, j'ai eu tout le
côté droit paralysé ; la
main, le pied, l'oeil, l'oreille et même la
langue l'étaient au point que je ne pouvais
ni parler, ni écrire. Mais le Seigneur a
donné efficace aux soins du médecin
et je me trouve maintenant beaucoup mieux ; je
puis tant bien que mal tracer ces lignes.
Dès que j'ai eu goûté quelque
repos au-dehors, le Seigneur m'a frappé dans
mon corps, afin que j'eusse toujours une croix
à porter. Que son nom soit
béni ! Durant les dernières
enquêtes, j'ai souffert jusqu'à être
dégoûté de la vie. Il n'est
sortes d'amertumes dont mes ennemis ne m'aient
abreuvé ; c'est ainsi qu'ils
recueillaient par écrit mes sermons,
à mesure que je les prêchais, et les
présentaient tout dénaturés au
consistoire : j'étais obligé
d'en rétablir le sens. De plus, ils ont
envoyé au consistoire des plaintes fort
étendues, contenant des fragments de
discours prononcés au confessionnal ou dans
des visites particulières. J'ai dû
répondre à toutes ces attaques. Leurs
plaintes et mes réponses ayant
été envoyées à Vienne,
le consistoire en a été tellement
indigné, qu'il les a taxés de
fripons. Ils ont publié un pamphlet contre
le consistoire, parce qu'il n'a pas voulu me faire
incarcérer ou me condamner au supplice du
feu. »
Le fléau de la guerre
désolait alors l'Allemagne (1812-1813). Les
victoires des armées françaises
n'avaient laissé que des ruines ; le
sang avait coulé à grands
flots : partout on ne voyait que morts ou
blessés. Dans ces désastres presque
universels, la charité chrétienne eut
bien des plaies à bander, des infortunes
à secourir.
Boos et tous ceux qui, comme lui,
avaient appris à l'école de
l'Évangile à pleurer avec ceux qui
pleurent, déployèrent un zèle,
une activité admirables pour adoucir ces
maux. Les soldats blessés étaient
surtout l'objet de la plus touchante compassion.
Boos ayant un jour provoqué, dans un de ses
sermons, une collecte en faveur
des blessés que l'on avait apportés
à Gallneukirch, reçut une somme si
abondante, que les préposés, pour la
plupart ses adversaires, auxquels il remit cet
argent, lui adressèrent les plus vifs
remercîments. « Dites-vous
toujours, leur demanda-t-il un peu en plaisantant,
que je rejette les bonnes
oeuvres ? » - « Oh !
non, répondirent-ils en riant ; nous
voyons bien le contraire. Nous nous proposons de
faire insérer dans les journaux un article
pour que votre charité soit connue du
public. » - Boos les conjura de n'en rien
faire, et ce ne fut qu'à grand'peine qu'il
parvint à les en dépersuader.
Quelques grandes que fussent les vexations dont on l'entourait, Boos ne proclamait pas moins fortement la gratuité de ce salut qui faisait toute joie. Partout il annonçait Christ comme la justice parfaite qui peut sauver les âmes. Le consistoire, informé de cette persistance qui lui faisait ombrage, lui rappela ses précédents arrêts, et le 20 septembre 1814, il prit la décision suivante
« La doctrine de la justification est une matière spéculative, nullement appropriée aux besoins du peuple. Un pasteur doit envisager la religion du côté pratique ; il guérira bien plus facilement les hommes de leur orgueil et les portera bien mieux à une humble reconnaissance envers la grâce de Dieu, en les encourageant sans cesse à la pratique du bien et en leur faisant voir les bonnes oeuvres comme un don de Dieu (*). Le pasteur Boos ne s'est pas justifié de plusieurs fautes commises dans l'exercice de ses fonctions, entr'autres de la distribution de Bibles, et ses discours sur la grâce sont exclusivement consacrés à un seul côté du sujet. Dans toutes ces matières, il doit se conformer pour le fond et pour la forme aux directions du consistoire, sous peine d'être immédiatement éloigné de sa paroisse. Du reste, nous lui conseillons de chercher dès à présent un autre poste. »
Comme on le conçoit, Boos ne put
obtempérer aux injonctions de
l'autorité. Il en avait déjà
appelé à une autorité
placée au-dessus de tous les conseils
ecclésiastiques possibles, à celle de
Jésus-Christ, dont il tenait sa mission. Il
continua donc à prêcher comme il
l'avait fait jusqu'alors. Il semblait qu'on le
laissait enfin en repos.
L'empereur François,
fatigué de toute cette affaire, dont on lui
rebattait sans cesse les oreilles, et convaincu de
l'injustice et de la malveillance des plaignants,
leur avait imposé un silence absolu, sous
peine de punitions sévères. Tout le
monde regardait la cause de Boos, si ce n'est comme
gagnée, du moins comme assoupie et
abandonnée.
Le curé de Gallneukirch
était encore à son poste ;
pendant près d'un an (depuis octobre 1814
jusqu'en juillet 1815) il
n'avait reçu ni arrêt du consistoire,
ni sommation de son évêque. Mais ce
calme était celui qui précède
la tempête. Boos éprouva de nouveau
que les ennemis du chrétien ne s'avouent
jamais vaincus. On voulait à tout prix se
défaire d'un prédicateur. qui mettait
en première ligne l'Évangile de
Christ et qui préférait obéir
à Dieu plutôt qu'aux hommes.
Le 24 juillet 1815, Boos est cité
devant le consistoire, présidé par
l'évêque. On soulève les
mêmes griefs que dans les
précédentes comparutions. Plusieurs
lettres de ses amis, et que ses juges avaient
depuis huit jours entre les mains, sont
épluchées et déposées
sur le bureau comme pièces au procès.
L'accusé se défend avec calme et une
sainte hardiesse : c'est en vain qu'il prouve
au consistoire, par des citations de la Bible et du
concile de Trente, que ses principes ne sont autre
chose que ceux des écrivains
sacrés ; c'est en vain qu'il leur
rappelle et les menées infâmes des
plaignants et la manière dont la cour de
Vienne les avait jugés : tout est
inutile ; sa perte est décidée.
L'évêque prononce l'arrêt
suivant :
« Je vous dépouille de toute fonction ecclésiastique. Je ne souffrirai pas que vous restiez plus long-temps dans votre paroisse, ni dans mon diocèse, ni dans le pays. Telle est aussi la volonté de tous les conseillers ici présents. Après le dîner que vous prendrez chez moi, vous vous rendrez dans la prison du couvent des Carmélites, où vous attendrez la décision de l'empereur. Ainsi que nous le prouvent ces lettres, vous êtes un des principaux membres d'une société secrète de piétistes, que l'empereur ne tolère pas dans ses États. »
On ne sait duquel on doit le plus s'étonner, ou de la forme, ou du fond même de cet arrêt. Boos ignorait jusqu'au nom d'une société secrète quelconque. Sa candeur, la pureté de sa conduite, témoignaient assez hautement de sa parfaite innocence ; mais l'aveuglement de ses juges était tel, qu'ils ne virent pas qu'ils condamnaient un curé très-catholique et fermement attaché aux institutions de l'église établie.
Ce respectable témoin de la
vérité est donc conduit en
prison ; il n'a pour tout ameublement qu'une
chaise, une lampe et un grabat. Son coeur est
navré à la vue de la violence qui lui
est faite ; mais il
sent
que la main de son Père céleste le
soutient ; les consolations d'en haut viennent
relever et rafraîchir son âme.
Oh ! qu'il est heureux le fidèle qui,
du fond de la fournaise de l'épreuve, sait
où trouver un ami puissant et attentif
à tous, ses cris ! L'Éternel est
sa retraite et son bouclier, et gardera son issue
et son entrée dès maintenant et
à toujours. ( Ps.
CXIX, 144 ; CXXI,
8)
Boos épanchait dans le sein de
quelques-uns de ses frères les sentiments de
son coeur. Au nombre de ses amis était une
personne avec qui il entretenait depuis quelque
temps une correspondance active ;
c'était une femme, Anna Schlatter, de
St-Gall, qui, comme nous le verrons bientôt,
plaida avec force la cause du curé bavarois.
Celui-ci lui écrivit de sa prison,
« Je te remercie de
l'intérêt que tu prends à moi.
Tu sais que l'hôte de la croix (1)
a beaucoup de
croix à porter ; il en a une maison
toute pleine : il pourrait en vendre, mais
personne ne veut en acheter. Il est trois hommes
qui me rendent quelquefois visite dans ma
prison : l'évêque, toujours.
grondeur ; le chanoine Hasslinger et le
professeur Ziegler ; ces deux derniers
cherchent à m'apporter quelque consolation.
Zobo (2)
ne peut
s'entretenir avec a aucun de ses
paroissiens. Quelques-uns viennent le voir, ils se
tiennent devant lui sans mot dire, les yeux
baignés de larmes. Nous nous comprenons sans
proférer une parole. Celui qui est suspendu
à la croix voit près de lui un Jean,
une Marie et une Madeleine. Ne doit-on pas se
réfugier chez les païens, puisque les
chrétiens ne veulent plus entendre
l'Évangile ? - On m'a écrit
plusieurs lettres qui ne me sont jamais parvenues
et qui sont tombées entre les mains de mes
gardiens, ainsi que la liste de tes amis. - Que
Dieu conduise tout à sa
gloire !
Jamais Zobo n'a éprouvé un
traitement pareil à celui du 24 juillet
1815. Il obtiendra difficilement sa
libération. Ce qui le tourmente le plus,
c'est de savoir s'il doit attendre le dernier coup
de la cour de Vienne ou s'il doit se
résigner entièrement. Oh ! que
ne sait-il à quoi s'en tenir à cet
égard ! Demande à Dieu qu'il me
fasse connaître et accomplir sa
volonté, de peur qu'en cherchant à
m'aider moi-même, je ne me précipite
dans la mer.
Toutefois, Zobo ne cessera pas la lutte,
parce qu'il ne peut croire que le gouvernement
interdise le piétisme, c'est-à-dire
la piété, et qu'il veut attendre ce
qu'on fera de lui. C'est seulement alors qu'il s'en
ira. Sait-il où il doit aller ? S'il le
savait, il serait déjà parti ;
mais il a derrière lui Pharaon ; devant
lui est la mer ; la terre et le ciel ne s'ouvrent
pas pour le
recevoir.
- Trois jours après son dernier combat, Zobo
s'est encore défendu par écrit. Le
gouvernement ne nous a trouvés coupables
d'aucun délit, ni en politique, ni en
théologie ; il nous regarde comme des
saints pleins de vie et d'exaltation
religieuse ; mais le consistoire a vu en nous
plusieurs péchés, entr'autres le
péché capital d'appartenir à
une société secrète de
piétistes.
Selon eux, désobéir
à l'autorité, c'est
désobéir à Dieu. Je
persisterai jusqu'à ce qu'ils aient
prononcé. Mais il me serait difficile,
à moi qui suis affranchi par Christ, de me
soumettre à un consistoire et de plier le
cou comme un esclave sous le joug d'une loi
oppressive. Aie donc pitié de moi, afin que
je trouve une issue pour prêcher librement
l'Évangile; il n'y a plus de liberté
ici, ni pour Zobo, ni pour la doctrine du salut.
Tout est plongé dans une nuit obscure et
enfermé sous les verrous. Prie pour la
victime dévouée !
« L'HÔTE DE LA CROIX. »
Anna Schlatter ayant appris que la correspondance du curé avait été saisie, et qu'un des plus grands griefs élevés contre lui c'étaient les relations qu'il entretenait avec des protestants, écrivit au chanoine Waldhausen, à Lintz, pour l'instruire de la manière dont elle avait fait la connaissance de Boos et pour éclairer, si c'était possible, ses juges.
St. Gall, le 1er août 1815.
« Très-révérend
monsieur le Chanoine,
L'amour de la vérité et
l'affection que je porte au respectable M. le
pasteur Boos, me font prendre la hardiesse de vous
écrire ces lignes. J'ai été
informée par plusieurs de mes amis, il y a
quelques semaines, que la correspondance de notre
ami Boos a été saisie et soumise
à une enquête. Comme parmi ces lettres
il s'en trouve quelques-unes que je lui ai
écrites et qui pourraient lui faire du tort,
je m'empresse de vous dire un mot de l'origine et
de la nature de cette correspondance.
Ce n'est qu'en élevant par la foi mes
regards vers Celui qui fait tout tourner au bien de
quiconque souffre pour son nom et qui donne la
force de supporter l'épreuve, ce n'est qu'en
regardant à Dieu, que je puis me faire
à la pensée que mon fils et moi avons
été la cause des souffrances que le
digne pasteur Boos doit endurer. Veuillez me
prêter un instant d'attention.
Mon fils étant à Munich
comme ouvrier, m'écrivit qu'il
désirait se rendre à Vienne et avoir,
s'il était possible, une lettre de
recommandation pour la route. Je n'avais à
Vienne, ni sur la route, aucune connaissance
à qui je pusse recommander mon fils. J'avais
entendu
parler, sans le connaître ni de vue, ni par
lettre, du respectable curé de Gallneukirch.
Le Seigneur nous a dit : « Tout ce
que vous voulez que les hommes vous fassent,
faites-le leur aussi de même. »
D'après ces paroles, je cherche des conseils
et des consolations auprès de catholiques et
de protestants, sans leur demander : À
quelle Église appartenez-vous ? Mais je
leur dis quels sont mes besoins et en quoi je puis
être aidée.
Je recourus donc à Boos, comme
à un chrétien, plein de zèle
et de foi, et j'écrivis, en toute confiance,
une lettre pour recommander mon fils à ce
pieux pasteur ; c'était dans
l'été de 1814, et ce furent les
premières lignes que je lui envoyai. La
suite prouva que je ne m'étais pas
trompée dans mes espérances
fondées sur les préceptes de
l'Évangile. Mon fils passait sur le pont
Isar, lorsque le Seigneur permit que ce pont
s'écroula : le jeune homme put se
sauver de l'eau avec son sac, et, après
quelques heures de marche, il arriva chez le
pasteur Boos, qui lui prodigua les soins de la plus
touchante amitié. Je n'oublierai jamais,
tant que mon sang coulera dans mes veines, les
services de ce digne disciple de Christ. Il fut,
à l'égard de mon fils, tant pour
l'âme que pour le corps, un bienfaiteur et un
père.
Mon fils m'écrivit tout ce qui
lui était arrivé, et M. le
curé Boos fut assez aimable pour me faire
part de l'arrivée et du départ du jeune ouvrier.
Mon coeur de mère aurait-il pu garder le
silence ? Vous comprenez vous-même
qu'une mère aurait béni et
embrassé le bienfaiteur de son enfant,
eût-il été Turc ou
nègre.
Ainsi commença la correspondance
entre une femme protestante et un curé
catholique. Il est clair comme le jour que mes
lettres, dictées par le coeur, furent
écrites sous le regard de Dieu. Appartenant
à un pays libre, et née et
élevée dans une église
où les consciences ne connaissent aucun joug
et où les correspondances sont à
l'abri de toute inquisition, il ne me vint jamais
à la pensée que mes lettres pussent
tomber en d'autres mains qu'entre celles de mon
vénérable ami ; aussi lui
écrivis-je plusieurs choses que dans cette
supposition je n'aurais jamais écrites. Mais
comme la parole de Jésus m'apprend qu'il ne
tombe pas un seul des cheveux de ma tête sans
la volonté de mon Père
céleste, aucune de mes lettres ne pourra
parvenir que là où il le
permettra : c'est pourquoi je n'en ai aucun
souci. Mais il est de mon devoir de vous prier
humblement de mettre sur mon compte, et non sur
celui du cher Boos, tout ce que mes lettres
pourraient contenir de blessant. Il
m'écrivait toujours en très-peu de
mots et à la hâte, tandis que mes
réponses étaient fort longues, selon
l'usage des personnes du sexe.
Je prenais plaisir à être
instruite par lui des vérités de
l'Évangile. - Il m'est doux d'espérer
que le temps est proche
où l'on ne dira plus : Es-tu de Paul ou
d'Apollos ? Mais seulement Es-tu
chrétien ? Elle s'avance
l'époque où nous tous, qui croyons
à l'Eglise sainte, universelle,
chrétienne, et à la communion des
saints, vivrons dans une communion réelle et
vraie. J'ai assez de confiance en la justice de
Votre Grâce pour être fermement
assurée qu'elle n'attribuera pas au pasteur
Boos mes vues particulières, que je n'ai la
prétention d'imposer à
personne.
Si le repos de ce pieux pasteur et de
son troupeau l'exige, je ne lui écrirai
plus, aussi longtemps qu'il sera à
Gallneukirch. Bien que ses lettres pleines
d'onction m'édifient beaucoup, que son
humilité, empreinte de l'image de Christ,
m'apprenne à combattre mon orgueilleuse
propre justice, et que sa confiance en la force et
en l'esprit de Christ relève mon courage
pour combattre le péché, je ferai
à son repos le sacrifice d'une
correspondance qui m'était
chère ; car l'esprit de Christ n'est
lié à aucun homme. Lui seul est
parfait et tout homme est fragile, comme le prouve
assez l'exemple de Paul, de Jacques et de Jean.
Cependant je crois que mes principes,
puisés dans la parole de Dieu, source de la
paix de mon âme et du faible degré de
sanctification à laquelle il m'a
été donné de parvenir,
n'auraient nui à personne, si mes lettres
fussent restées dans le bureau de mon ami. Si on
les a
fouillées, attaquées, mises au grand
jour, ce n'est pas notre faute, tout comme ce
n'était pas notre intention. Le meilleur
moyen de populariser certains principes, c'est de
les combattre. Là où règne le
support et un esprit de paix, le peuple reste dans
ses anciennes croyances religieuses. Boos n'aurait
pas eu de long-temps un si grand nombre de
partisans, si on l'eût laissé en
repos.
« Veuille le Seigneur
Jésus, qui a versé son sang pour nos
péchés, embraser tous les coeurs de
foi et d'amour pour lui, et qu'ainsi la terre soit
pleine de sa gloire. Que sa grâce soit avec
vous !
Votre dévouée servante,
Anna SCHLATTER, née BERNET. »
Mais les conséquences qu'ils tirent de ce dogme sont entièrement différentes : la partie de l'Église romaine qui reçoit cette vérité, croit que les oeuvres produites en nous par le Saint-Esprit sont la cause de notre justification devant Dieu ; les Protestants, au contraire, soutiennent que nous sommes justifiés par les seuls mérites de Jésus-Christ qui nous sont appropriés par la foi, et que ce même esprit, qui nous a donné de croire en lui comme Sauveur, régénère nos âmes et nous donne de produire des oeuvres qui rendent témoignage à la réalité de cette foi.
C'est donc le dogme de la justification par la seule foi qui est la marque distinctive des Églises vraiment évangéliques. Celui qui ne croit point à ce dogme fait des œuvres pour être sauvé; celui qui y croit fait des œuvres parce qu'il est sauvé, parce qu'il est déjà enfant de Dieu, et parce que l'Esprit de Dieu habite en lui.
(Note de la Société de Traduction.)
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