Aidez-vous les uns les
autres
I
« Maman prétend toujours que je
devrais me rendre utile, disait à demi-voix
Hélène Milloud, je voudrais bien
savoir en vérité ce qu'elle veut que
je fasse ! »
Hélène n'avait que douze
ans, et elle s'imaginait qu'elle était trop
jeune pour s'inquiéter, soit de la perte du
temps, soit de l'usage qu'elle aurait dû
faire des talents que Dieu lui avait
confiés. Il lui semblait que pourvu qu'elle
apprît tant bien que mal ses leçons et
fît, sans trop grogner, la tâche de
couture qui lui était imposée chaque
jour, on ne pouvait rien lui demander de plus. Elle
s'imaginait que tous les soucis, toutes les
difficultés, tous les travaux, tout ce qui
donnait quelque peine, devaient être la part
des grandes personnes, tandis que toutes les
jouissances et même la paresse, qu'elle
appelait un plaisir, étaient le partage
naturel des enfants.
« Il est clair que je
travaillerai quand je serai grande, se disait-elle,
mais maintenant j'aime mieux
m'amuser. »
C'est ainsi qu'Hélène,
tout en pensant que, dans l'avenir, elle
accomplirait de très grandes choses, ne
pratiquait jamais aucun des devoirs qui devaient
pourtant devenir un jour les habitudes de sa
vie.
Elle se tenait à une
fenêtre, regardant paresseusement dehors,
lorsqu'elle prononça à demi-voix les
paroles que nous avons citées en
commençant ce récit.
Sa mère entrait à cet
instant dans la chambre, et l'ayant entendue, elle
lui dit :
- Veux-tu que je te montre comment on
peut se rendre utile ?
- Si tu veux, maman,
répondit-elle avec
indifférence.
- Eh bien, va mettre ton chapeau et tu
sortiras avec moi.
Hélène remarqua que sa
mère portait au bras un panier bien plein,
et elle pensa : « Maman veut que je
me rende utile en portant son panier ; mais
elle devrait bien savoir que je ne puis souffrir de
porter un panier, surtout dans les
rues ! »
Mais sa mère ne lui demanda pas
de porter son panier.
La conscience d'Hélène lui
reprochait son égoïsme et elle se
disait pour se justifier :
« Pourquoi est-ce que maman n'a pas pris
Anna pour porter ce panier ? Certes elle n'a
pas trop à faire ! »
Mme Milloud vit qu'Hélène
détournait les yeux du panier, et elle
comprit qu'il y avait lutte dans son esprit ;
mais elle ne lui dit rien, elle voulait que la
leçon vînt d'un autre
côté.
Bientôt Hélène,
très paresseuse, se trouva fatiguée
de marcher, et dit :
- Est-ce encore bien loin, maman ?
Tu seras fatiguée. Ne vaudrait-il pas mieux
prendre une voiture ?
- Je ne suis pas le moins du monde
fatiguée, mon enfant... Je crains que tu ne
parles pour toi plutôt que pour moi,
ajouta-t-elle en souriant.
La fillette rougit, car elle sentit que
si elle avait pensé à la fatigue de
sa mère, elle aurait offert de porter son
panier. Elles marchèrent encore un moment,
puis Mme Milloud s'engagea dans une ruelle, et
arriva devant une maison de pauvre
apparence.
Après être montées
trois étages, elles
s'arrêtèrent devant une porte ;
Mme Milloud heurta.
Une douce voix répondit :
Entrez ! La mère et la fille se
trouvèrent bientôt dans une chambre
qui tenait aussi lieu de cuisine.
Hélène regarda autour
d'elle avec surprise ; elle n'avait jamais cru
qu'on pût vivre et tout faire dans une seule
pièce.
La voix qu'elle avait entendue
était celle d'une personne jeune encore,
quoique ses cheveux fussent déjà tout
gris. Elle était assise dans son lit,
soutenue par des oreillers, et tricotait
très rapidement. Elle posa son ouvrage pour
tendre la main à Mme Milloud, et le brillant
sourire qui illumina sa figure montra clairement la
joie que lui faisait cette visite.
- Je vous ai enfin amené ma fille
Hélène dont je vous ai souvent
parlé. - Hélène, mon amie que
tu vois ici s'appelle Olivia Grin.
Hélène s'avança et
tendit la main à la malade ; puis,
lorsqu'elle la vit si heureuse de recevoir le
contenu du panier, elle regretta presque de n'avoir
pas aidé à le porter.
- Oh ! madame, que vous êtes
bonne, dit la malade. Et que Dieu est bon de me
susciter de si bons amis ! Je ne puis
être assez reconnaissante envers Lui... Je
suis toujours couchée et je n'ai pas besoin
de grand-chose, mais ma mère a besoin,
à son âge, d'une nourriture
fortifiante.
- Vous êtes toujours
couchée ? s'écria
Hélène. Est-ce que vous ne vous levez
jamais ?
- Non. On me soulève seulement de
temps en temps pour arranger mon lit. Je suis
sûre qu'il y a plus d'années que je
suis couchée ici, que vous n'en avez sur
votre tête.
- J'ai douze ans.
- Eh bien, il y a quinze ans que j'ai eu
l'accident qui m'a privée de l'usage de mes
jambes.
- Racontez cela à ma fille, dit
Mme Milloud.
- Eh bien, depuis que j'étais
toute petite, j'ai dû travailler dans une
fabrique, de sorte que je n'ai pas eu le temps
d'apprendre à lire, ni à
écrire, ni à coudre, ni rien en un
mot. Mon père et ma mère
travaillaient aussi à la fabrique, et quand
mon père mourut, il me fallut travailler
d'autant plus. Je ne vous raconterai pas mon
accident ; il y eut sans doute de ma faute, je
m'approchai trop des machines, et la
conséquence fut qu'après beaucoup de
souffrances, on me rendit enfin à ma
mère en me déclarant
complètement incurable !
Je n'avais alors que dix-sept ans ;
aussi, vous pouvez vous imaginer combien cette
sentence me parut épouvantable ! Je dis
à ma mère :
« Si je suis incurable, les
docteurs ne pourront me faire aucun bien, de sorte
que je puis facilement me passer d'eux ; aussi
je crois qu'il faut prendre
patience jusqu'à ce que je puisse t'aider de
nouveau. »
Ma mère éclata en pleurs
et me dit :
« Ma pauvre enfant, tu ne
pourras jamais plus travailler à la
fabrique !
« Non, lui dis-je, et j'ai
pris mon parti d'avoir mes jambes inutiles. Ce qui
m'afflige surtout, c'est que mes doigts soient
aussi inutiles. »
- Mais vous pouviez pourtant remuer vos
mains ? s'écria Hélène
qui avait suivi ce récit avec le plus grand
intérêt.
- Oui, j'ai toujours eu l'usage de mes
mains, mais, malgré cela, elles n'en
étaient pas moins inutiles.
- Est-ce que vous n'aviez jamais eu
l'occasion d'apprendre à travailler de vos
doigts ? dit Hélène.
- J'aurais pu apprendre si je l'avais
voulu : mais j'étais jeune et il me
semblait qu'après mes heures de travail,
j'avais bien assez fait. Je ne savais donc ni bien
coudre, ni tricoter, ni crocheter, ni broder ;
je ne savais faire que l'ouvrage de la fabrique et,
jusque là, j'étais toujours
sûre de gagner ma vie. J'aimais beaucoup
courir et m'amuser, je ne voulais pas aller
à l'école du soir, et j'étais
ainsi arrivée à l'âge de
dix-sept ans sans rien savoir de ce qu'une femme
devrait toujours connaître. Je pensais que
j'aurais toujours le temps d'apprendre ces
choses ; mais je compris alors et je regrettai
le temps et les occasions que j'avais
perdus !... Mais cela m'enseigna à
prier.
- Est-ce que votre mère ne vous
avait pas enseigné à
prier ?
- Oui, sans doute, elle m'avait fait
prier le matin et le soir ; mais ce n'est que
lorsque j'ai senti un pressant besoin du secours de
Dieu et de son pardon, que j'ai appris à
prier réellement.
Ce dont j'avais besoin, c'était
de trouver un moyen d'utiliser mes mains, et Dieu
m'a accordé ma demande.
- Comment cela ?
- J'étais ainsi
péniblement préoccupée,
lorsque votre mère vint chez nous. Elle
avait appris ce qui m'était arrivé,
et elle vint pour me consoler, et
surtout pour m'enseigner où je trouverais la
vraie consolation. Elle me parla de Jésus,
de sa vie, de sa mort et de sa gloire auprès
du Père où il intercède en
notre faveur. En l'entendant, mon coeur fut d'abord
rempli de douleur à la pensée de mes
péchés, puis de reconnaissance en
apprenant que j'avais un tel Sauveur.
Votre mère me témoigna
tant de bonté que je lui confiai le grand
chagrin que j'avais de ne pouvoir rien faire pour
gagner ma vie. Alors elle me lut la parabole des
talents et me montra que ce que Dieu demandait,
c'était seulement de faire valoir le talent
qu'il nous avait confié. Puis elle
continua :
« Vous avez encore vos mains,
ma chère Olivia, et, si vous le voulez, je
me charge bien volontiers de vous enseigner
à vous en servir avec
profit. »
La malade s'arrêta, et, prenant
son ouvrage, elle le montra à
Hélène en lui demandant comment elle
le trouvait.
- Magnifique ! Je voudrais bien
savoir travailler comme cela... mais je pense que
je le pourrai tout naturellement quand je serai
grande.
- Savez-vous qui m'a enseigné
à travailler ainsi, à faire encore
beaucoup d'autres ouvrages, et, bien mieux,
à lire et à écrire ? Oui,
mademoiselle, vous avez raison de regarder votre
mère, c'est elle qui est l'amie que Dieu m'a
envoyée en réponse à mes
prières. Personne ne saura jamais quel temps
elle m'a consacré et quelle patience elle a
eue avec moi. Maintenant, on a la bonté de
me fournir de l'ouvrage, et je gagne assez pour les
premiers besoins de notre vie. Nous avons aussi de
bonnes voisines qui viennent volontiers nous donner
un coup de main, et ainsi il ne nous manque rien et
nous sommes très heureuses !
Olivia se tut.
Mme Milloud regarda sa montre et
dit :
- Il nous faut partir ; mais
j'espère que ma fillette n'oubliera pas ce
qu'elle vient d'entendre.
- Oh ! non, maman, dit
Hélène d'un ton convaincu.
Et, se levant, elle serra
affectueusement la main de la malade.
- Ma mère sera triste de ne pas
avoir été ici pour vous voir, madame,
mais je l'ai engagée à sortir un peu
par ce bel après-midi. Si vous
désirez reprendre le panier, j'appellerai
notre voisine, Mme Martin, pour qu'elle le
débarrasse.
- Non, ma chère Olivia, nous
laisserons le panier, car je pense que votre
mère préférera le vider
elle-même. Viens, Hélène, ma
chérie, je crains que nous ne soyons en
retard.
Et après avoir dit
affectueusement adieu à la malade, Mme
Milloud partit avec sa fille.
II
Tandis que Mme Milloud et Hélène
retournaient chez elles, celle-ci était
très silencieuse, et sa mère se garda
bien de la distraire de ses pensées.
Ce fut Hélène qui rompit
enfin le silence, en disant :
- Maman, me permettras-tu d'aller demain
chercher le panier ?
- Certainement, ma chérie, si
cela te fait plaisir de faire cette course.
- Cela me fera plaisir de revoir
Olivia... Dis-moi, quel bonheur que tu lui aies
enseigné tant de choses !
- Cela a aussi été un
bonheur pour moi, car si j'ai pu lui enseigner
quelques petites choses, elle m'en a
enseigné de bien plus grandes.
- Comment cela, maman ?
- Je ne puis te l'expliquer
maintenant : mais je crois que si tu vois
souvent Olivia Grin, tu comprendras bientôt
par toi-même ce que je veux dire.
- J'irai demain, maman, puisque tu me le
permets...
Le jour suivant, Hélène
n'oublia pas d'aller chercher le panier mais avant
de partir, elle dit à sa mère
- Si Olivia est toute seule, puis-je
rester un moment avec elle ?
- Oui, ma chérie, si cela te fait
plaisir.
Hélène marcha beaucoup
plus vite que la veille, de sorte que la distance
lui parut bien moins longue.
Elle frappa à la porte de la
chambre habitée par Olivia et sa
mère, et entendit la voix paisible d'Olivia
l'invitant à entrer.
- Hélène ! dit la
malade. Quelle surprise de vous voir
déjà aujourd'hui ! Veuillez
prendre une chaise.
Hélène prit une chaise en
disant :
- Maman m'a permis de rester un moment,
si vous étiez seule et que cela ne vous
dérangeât pas.
- Cela me fera le plus grand plaisir,
car il y a bien longtemps que je désirais
faire votre connaissance. Je me demandais toujours
si vous ressembliez à votre excellente
mère.
- On dit que je ressemble surtout
à papa, au moins pour la figure.
- Eh bien, si vous ressemblez à
votre mère pour le reste, vous
amènerez la joie partout où vous vous
présenterez.
La fillette sentait fort bien qu'elle
ressemblait encore moins à sa mère
par son coeur et son âme que par son
apparence extérieure ; mais comme cette
pensée ne lui était pas
agréable, elle détourna la
conversation en disant :
- Je ne sais pas ; j'espère
que cela viendra en grandissant, mais je n'ai pas
encore essayé. Cependant, quand je vous vois
travailler, j'ai presque envie d'apprendre aussi
à tricoter et à crocheter.
- Je vous l'enseignerai volontiers, si
vous voulez.
Hélène se laissa
facilement persuader, et Olivia, prenant
aussitôt des aiguilles et de la laine, se mit
patiemment à donner sa première
leçon.
Cela n'alla pas très bien au
commencement, et Hélène fut plus vite
fatiguée qu'Olivia ; cependant elle
avait appris à tenir les aiguilles et
à faire une maille, lorsqu'une jeune femme
ouvrit la porte et entra dans la
chambre avec un gros poupon dans ses bras. Celui-ci
se mit à pousser des cris de joie en
apercevant Olivia, et il lui tendit ses petits
bras.
- Ah ! petit malin !
s'écria la mère, tu connais ceux qui
te gâtent ! Je suis venue,
continua-t-elle, pour voir si vous pourriez me
garder un peu ce petit ; j'ai plusieurs
commissions à faire, et je les ferai
infiniment plus vite si je puis y aller sans
lui.
- Oui, sans doute, madame Martin, je le
garderai volontiers. Viens vers moi,
Jeannot.
Mme Martin donna un bon baiser à
son poupon, le mit dans les bras d'Olivia et partit
pour aller faire ses commissions.
- Comment pouvez-vous vous charger de ce
gros garçon ? dit Hélène.
C'est si fatigant de garder les enfants !
Chaque fois que je veux soigner un moment mon petit
frère, je n'en peux plus
après.
- J'aime tellement ce cher petit !
Vous ne pouvez comprendre combien cela
m'égaie de le voir rire, de l'entendre
gazouiller et de sentir ses chères petites
mains dodues me caresser le visage ! Mais
c'est aussi un grand bonheur pour moi de pouvoir
rendre un petit service à sa mère.
Vous n'avez aucune idée combien elle nous
rend de services. Elle ne trouve jamais rien de
trop difficile quand c'est pour nous aider.
Cette conversation ne continua pas sans
interruption, car Jeannot n'entendait pas
être laissé de côté, et
il fallait constamment s'occuper de lui.
Hélène ne faisait pas mine
de s'en aller, car elle était
intéressée par tout ce qu'elle
voyait.
Ce fut Olivia qui lui dit enfin :
« J'aime beaucoup vous garder ici, ma
chère enfant, mais ne craignez-vous pas que
votre mère ne soit en peine à votre
sujet ? »
Hélène se leva, prit le
panier et promit de revenir. Elle remercia Olivia
de la peine qu'elle s'était donnée
pour elle, secoua le bras potelé du petit
bout d'homme, et se hâta de reprendre le
chemin de la maison.
Elle ne raconta pas à sa
mère ce qui était arrivé, mais
Mme Milloud reconnut, à divers petits
indices, qu'il y avait une différence dans
les actions de sa fille. Elle se mit à
accomplir, sans qu'on le lui dît, certains
petits devoirs qu'elle cherchait auparavant
à esquiver. Elle consolait son petit
frère, cherchait les joujoux qu'il avait
perdus et passait de bons moments à l'amuser
et à l'égayer.
Le soir de ce premier jour, quand
Hélène fut dans sa chambre et que,
comme elle y avait été
habituée, elle se mit à genoux pour
prier, au lieu de répéter
nonchalamment des phrases sans y mettre son coeur,
elle pensa à une parole que lui avait dite
Olivia et qui l'avait beaucoup
frappée : « J'ai
demandé à Dieu de tout mon coeur ce
dont j'avais besoin » et elle se
dit : « J'ai grand besoin, moi, de
devenir sage, afin d'être la joie et la
consolation de ma mère ; aussi je vais
le demander à Dieu de tout mon
coeur ».
La première fois
qu'Hélène put retourner chez Olivia,
elle trouva Mme Grin qui introduisait justement un
vieillard dans la chambre, et elle reconnut
bientôt que c'était un
aveugle.
- Vous arrivez au bon moment pour voir
ma mère et un de nos meilleurs amis, lui dit
la malade. Il demeure à quelques pas d'ici,
et, comme il n'y voit pas pour lire, maman va le
chercher et je lis pour nous trois. Quel bonheur
que j'aie une si bonne vue !
- Ah ! je le crois bien, dit le
vieillard. Personne ne peut savoir quelle
épreuve c'est de ne plus voir la
lumière bénie du soleil, de ne plus
voir les belles fleurs, de ne plus voir un visage
aimé ! ...
Olivia demanda à
Hélène de faire la lecture à
sa place, mais elle répondit qu'elle
préférait écouter.
Bien des fois, soit à la maison,
soit à l'école du dimanche, elle
avait déjà entendu les paroles qui
furent lues, elle les savait même par coeur,
et pourtant elles lui parurent toutes nouvelles ce
jour-là, quand elle entendit Olivia les lire
d'une voix claire et expressive.
La lecture finie, la leçon de
tricot commença. Les progrès
d'Hélène, cette fois-ci, furent bien
plus marqués, car elle commençait
à ressentir le désir de devenir
utile.
Pendant les six mois qui suivirent, les
visites d'Hélène à Olivia
devinrent de plus en plus fréquentes, et,
à mesure que les semaines succédaient
aux semaines, Mme Milloud voyait avec joie et
reconnaissance, que le caractère de sa fille
s'améliorait considérablement.
Hélène ne parlait plus, comme
autrefois, de tout ce qu'elle ferait quand elle
serait grande ; mais, avec le secours de Dieu
qu'elle implorait constamment, elle essayait de se
rendre utile au moment même. Elle gagnait
ainsi l'affection de tous ceux qui l'entouraient
et, de jour en jour, elle sentait mieux combien il
valait la peine d'obtenir cet amour, même au
prix de quelques sacrifices.
Le jour de naissance de Mme Milloud,
Hélène entra de bonne heure dans la
chambre de sa mère et lui apporta quelques
petits ouvrages qu'elle avait eu le plaisir de
faire pour elle.
- C'est Olivia qui t'a enseigné
à travailler ainsi ? lui dit sa
mère en l'embrassant. Mais tu n'as jamais pu
avoir le temps de faire tout cet ouvrage pendant
les visites que tu lui as faites ?
- Oh ! non, maman, mais je me suis
levée de bonne heure pour travailler quand
j'ai su le faire toute seule. Mais je n'aurais
jamais persévéré sans les
encouragements d'Olivia, et sans son exemple. Je me
disais qu'elle faisait tant avec si peu de forces,
et j'avais honte de faire si peu, moi qui ai tous
mes membres et toutes mes facultés.
- Tu te rappelles, ma chérie, que
lorsque je t'emmenai pour la première fois
voir Olivia, je t'avais dit que je te montrerais
comment on peut se rendre utile ?
- Oh ! oui, maman, et je
n'oublierai jamais ce que j'éprouvai quand
j'entendis cette pauvre infirme, couchée
constamment dans cette misérable chambre,
parler avec tant de coeur de la miséricorde
de Dieu en sa faveur ! Je ne pouvais
comprendre de quoi elle pouvait être
reconnaissante
Puis, c'est si touchant de lui voir
faire tout ce qu'elle peut pour les autres, en
travaillant sans se lasser et toujours d'une
manière gaie et joyeuse, pour procurer le
nécessaire à sa
mère...
Mine Milloud écoutait sa fille,
les yeux rayonnants de joie.
Hélène
reprit :
- Je lui ai demandé une fois si
elle ne pensait pas avec un grand regret à
son accident, et si elle ne désirait pas
beaucoup que ce ne fût pas arrivé.
Elle me répondit : « Non, je
ne voudrais pas qu'il en fût autrement. Quand
j'étais forte et bien portante, je ne
pensais pas à Dieu, je ne l'aimais pas, et
je n'étais jamais reconnaissante de ses
bienfaits envers moi. Je ne savais ni lire ni
prier. Je ne savais pas même que
j'étais une pécheresse ! Mais,
par cette épreuve, Dieu m'a enseigné
à le connaître et à l'aimer.
Jésus est mon Sauveur et je ne me sens
jamais seule, car Il est toujours auprès de
moi ! »
Je ne pourrais jamais te
répéter, maman, tout ce qu'elle m'a
raconté, mais j'ai bientôt compris ce
que tu m'avais dit, qu'Olivia t'avait
enseigné encore plus de choses que tu
n'avais pu lui en apprendre. Pour moi, j'ai vu
combien j'étais égoïste,
inutile, ingrate !... Je suis encore bien loin
de ce que je devrais être, mais je
désire faire toujours mieux, je prie Dieu de
m'aider, et il me semble qu'Il le fait...
L'enfant se tut, et la mère et la
fille restèrent longtemps dans les bras
l'une de l'autre, en versant des larmes de
joie.
Enfin Mme Milloud dit :
- Ma récompense est
magnifique ! Dieu m'a aidée à
venir au secours d'une de ses servantes
affligées, et Il a accompli sa promesse en
me rendant au centuple ce que j'ai fait pour Lui
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