Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Notre confession de foi: ici)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

NOUVELLES DE GENÈVE.

Pays romand
Nouvelles de Genève
Quelques mots du Chroniqueur à ses lecteurs

Noms propres de cette page

La conférence de la Val d'Aoste et ses suites.

Ce n'est pas sans le regretter que nous avons vu, l'un des premiers jours de ce mois, partir le seigneur Rod. Naegueli, ambassadeur de MM. de Berne. Ces frères Naegueli sont de fiers courages et à la fois pleins de sagesse, de douceur et de bienveillance pour nous. - « N'oubliez pas Genève, lui avons-nous dit. Faites savoir à vos seigneurs le bien que nous leur voulons de nous avoir envoyé un homme comme vous. Dites-leur qu'il leur plaise n'avoir déplaisir ni courroux, si dans notre nécessité nous allons quérir des vivres sur nos ennemis. Et dès qu'il leur viendra des nouvelles de la négociation qui se fait à la Val-d'Aoste, nous les prions de nous en aviser. »

Bientôt sont arrivées les nouvelles de la conférence. Elles ne nous ont appris ni mieux ni plus mal que nous n'attendions. Les illustres Franz Naegueli, Rod. de Diesbach, P. d'Erlach et P. Cyro, envoyés de Berne, en arrivant à la cité d'Aoste l'un des derniers jours de novembre, n'y ont point trouvé le Duc, qui pourtant avait promis de s'y rencontrer. Quelques personnes sont venues de sa part donner des raisons frivoles, qui l'avaient, disaient-elles, empêché de se mettre en chemin ; il priait les députés de venir le joindre à Turin ou à Ivrée. - Les députés ont été indignés. La loyauté et la fierté bernoise s'est vivement offensée de ce manque de parole : « Écrivez à votre maître que nous n'irons pas plus loin, ont-ils dicté aux envoyés du Duc. » Charles s'est donc vu contraint de venir ; et tout d'abord les députés, consultant leurs ordres, lui ont exposé leur commission.

Leurs ordres portaient sommairement que Berne voulait absolument savoir ses combourgeois de Genève à couvert des vexations du Duc et de ses gens, et maîtres de se ranger autour de la Parole de Dieu. Leurs Excellences ne consentaient à traiter qu'à cette condition. Elles entendaient cependant aussi, que les Genevois n'entreprendraient rien, en fait de religion, hors de leur ville et sur les terres du Duc. Leur désir était que l'on s'en tînt aux conclusions de St-Jullien et de Payerne. Si cependant le Duc ne voulait pas y consentir, parce que le Pays-de-Vaud se trouvait par ces conclusions engagé aux cantons de Berne et de Fribourg, les ambassadeurs étaient autorisés, pour gain de paix et pour le salut de Genève, à abandonner cet article et à chercher d'autres moyens d'obtenir une bonne pacification. Venait l'ordre de demander l'élargissement de Saunier et la punition de plusieurs homicides commis sur les terres de Savoie.

Suivant ces ordres, les députés ont commencé par parler de la religion et par dire que, si son Altesse accordait ce premier article, le reste se ferait sans peine et amiablement. Ils ont donc demandé que Genève fût assurée de posséder l'Évangile, Comme une ville impériale et qui a droit aux libertés dont jouissent les villes de l'Empire. Le Duc les a priés de ne se point borner à la lecture de cet article, mais de lui faire part de toutes leurs instructions, afin de traiter de tout ensemble. Mais les députés avaient ordre de ne point passer à d'autres choses que l'affaire de la religion ne fût finie ; ils se sont donc refusés à la demande du prince. Charles, de son côté, a déclaré sa résolution de ne point traiter isolément de l'affaire de religion : « Je veux, a-t-il dit, rapporter tout ce qui concerne ce sujet à l'Empereur, mon seigneur et mon parent. Je ne puis d'ailleurs concéder aux Genevois le changement qu'ils ont fait, sans y être autorisé par le Pape ou par un concile général. Je le voudrais, que mes gentils-hommes ne me le permettraient pas. Ma noblesse ne veut absolument pas entendre parler de réformation, et elle est résolue à sacrifier corps et biens pour exterminer les sectateurs de Luther. » Le prince a fini par demander que Genève lui envoyât sa confession de foi. - Les ambassadeurs ont répondu à cette dernière demande, que l'envoi d'une confession était inutile, la doctrine des réformés se trouvant renfermée dans l'Écriture Sainte. Quant aux autres points, ils n'avaient rien à ajouter.

On s'est donc séparé sans rien conclure et les ambassadeurs ont repris le chemin de leurs foyers. Mais ils y arrivaient à peine que des envoyés du Duc se sont présentés à Berne : « Puisqu'à la Val d'Aoste, ont-ils dit, les affaires ne sont pas venues à vuidance, et que son Excellence ne se peut résoudre sur le premier article, touchant la foi, sans le conseil de l'Empereur, il reste à pourvoir à ce que les affaires ne tombent en plus grande fâcherie. Nous vous prions donc de mettre tout en surséance, quatre ou cinq mois durant, sous telle condition, qu'aucune innovation ne se fasse de part ni d'autre durant ce temps. »

À ce nous ne saurions vous faire réponse, ont déclaré MM. de Berne, puisqu'il ne nous appartient, mais à nos combourgeois de Genève ; toutefois nous leur en écrirons. » Là-dessus ils nous ont renvoyé le seigneur Rod. Naegueli et nous ont écrit : « Il nous semble que vous pourriez bien accepter la surséance proposée, afin qu'icelle pendante, l'on puisse trouver moyen que l'affaire ne vienne à fait de guerre. Car si le fait de guerre avenait, nous voulons bonnement vous avertir que nous ne pourrions vous donner secours à cause de nos propres affaires et des dangers auxquels nous sommes. Nous ne le pourrions, voire si même vous nous admonestiez de vous secourir en vigueur de la bourgeoisie, ce que vous n'avez jusqu'ici pas fait. Avisez donc bien à vos affaires et faites-nous sur ce briève réponse ; car de mettre nos affaires et nos vies au hasard ne nous est convenable. Berne le 12 décembre. »

Nos Messieurs de Genève ont répondu en peu de mots, comme on les y invitait : « Nous sommes opprimés à ne pouvoir plus l'endurer. Nous sommes donc délibérés de sortir sur nos ennemis. Notre confiance est en Dieu et en vous. » Puis se tournant vers le seigneur Naegueli, ils l'ont de nouveau pris à témoin de la situation où nous sommes et de la perfidie de l'ennemi :

« Le 7 dernier, les Savoyards ont de nouveau interdit publiquement tout commerce avec nous, et ce sous peine de la vie.

Le 9, pressés par la disette, nous nous sommes vus contraints de bannir de la ville les étrangers, gens de bouche inutiles et entr'autres les femmes et les enfans de ceux qui ont quitté Genève. Il leur a été défendu d'y rentrer, sous peine de trois coups d'estrapade. Mais voulez-vous savoir comment les Savoyards les ont reçus ? Ils les ont dépouillés jusqu'à la chemise, ont maltraité les femmes et nous les ont renvoyés ainsi. Voyez les sujets de Monseigneur aller par les campagnes, battre et assaillir nos bourgeois comme brigands. Voici M. d'Aruffens qui vient de prendre à un des nôtres son cheval et lui a dit, qu'en quelque lieu qu'il trouvât gens de Genève, il les mettrait à mort. Deux de Neuchâtel dormaient lorsqu'on les a pris près de Coppet et qu'on leur a coupé la gorge dans leur lit. Voyez ici nos ennemis faire revue sur les terres proches la cité, pour nous mettre en tentation et fâcherie. D'autres se sont logés au château de Cartigny, qui nous a été laissé par M. de St-Victor, et qu'ils ont pillé et saccagé sans raison. Il en est qui sont campés au Pont d'Arve, attendant que quelqu'un se hasarde hors de Genève pour le tuer et l'occire. Ni gens ni marchandises n'osent plus sortir. Nul ne peut aller cultiver son bien. Et pensez-vous que nous devions attendre un changement ?

N'oubliez pas la journée à laquelle vos Excellences viennent encore d'envoyer, d'un bénin regard ; vous y avez bien entendu et pu entendre la moquerie de Monseigneur de Savoie. N'est-il pas clair aujourd'hui qu'il continue son propos, qui est de nous détruire en journeyant. Voici douze mois qu'il y travaille. Journées à Baden, journées à Lucerne, négociations, propositions de trêve, délais sur délais ; y a-t-il autre chose sous tout cela que le dessein de nous ruiner et de nous faire périr de faim ?

Vous savez que pestilence, guerre et famine sont instrumens de guerre à mort ; le seigneur de Savoie ne pouvant user des trois a pris l'un, qui est la famine, qu'il nous fait endurer par ce beau moyen de promettre et de ne rien tenir. Il vous promet par-delà, et par deçà fait du contraire. C'est pourquoi nous vous supplions de demander à vos redoutés seigneurs, pour l'honneur de Dieu et par la passion de notre Sauveur Jésus-Christ, de ne plus écrire à M. de Savoie, car de leurs lettres il ne tient compte ; mais de suivre leurs droits sur l'hypothèque et de nous être en secours. Nous les en prions plutôt par la charité qu'ils doivent avoir pour leurs pauvres frères chrétiens, que par notre combourgeoisie, par la contrainte de laquelle nous ne voudrions leur déplaire. Qu'ils ne nous laissent donc plus mener par trêves et par journées ; mais qu'ils se montrent une bonne fois, eux et les autres amis qu'il plaira à Dieu nous envoyer. »

Ainsi nous parlions au bon seigneur Rod. Naegueli ; ainsi nous écrivions à leurs Excellences de Berne, lorsque nous avons appris, que M. de LuIlin leur écrivait de son côté et bien fortement contre nous. Voici entre autres ce qu'il écrit de Morges : « Messeigneurs ; suivant ce que je vous ai ci-devant décrit, ceux de Genève ont cherché autre aide que la vôtre, et je vous avertis que tout à cette heure j'ai avis, que 200 chevaux en armes et 500 arquebusiers, nation de France, sont sur les frontières prêts à entrer demain à Genève. Je vous laisse à penser quel profit vous en pourrez avoir. Que si vous croyez que Monseigneur veuille poursuivre ses affaires avec vous par voie de guerre, sachez qu'il m'avait commandé de me retirer et les bandes qui étaient en garnison à Versoix, en ne laissant que quelques troupes à Gex et à Gaillard, pour obvier à ce que ceux de Genève ne fassent brûler les pays voisins de leur ville, comme ils l'ont bien voulu dire. Attendu la venue des dits Français, cette retraite se trouve être fort mal à propos. Votre bien humble serviteur LuIlin. »

Je croyais le dire de Monsieur le Gouverneur de Vaud imaginé par la malice de nos ennemis ; mais si je prête l'oreille aux bruits qui courent à cette heure, la nouvelle qu'il mande à MM. de Berne pourrait bien n'être pas sans fondement. L'on parle de nouveau de 700 Français, que l'on dit être aux portes de la ville. Messieurs viennent d'envoyer 500 hommes du côté de Gex, et d'élire deux fourriers, pour loger les Français s'il en vient. On fait cuire du pain. On va quérir du blé à Châtelaine dans la tour de Lévrier. Quelques-uns parlent d'une bataille donnée. Que ne suis-je mieux instruit de ce qui se passe et ne puis-je vous en donner des nouvelles moins incertaines. Nous sommes dans l'attente de l'événement.

Les prêtres devant les Conseils.

il est une chose à laquelle à Genève comme, je le crois, dans le reste de la chrétienté, personne ne contredit ; c'est que les Écritures sont la Parole de Dieu et qu'il leur faut obéir. Les papistes sont sur ce sujet d'accord avec les réformés, et bien qu'ils ne lisent pas la Bible, ils ne contestent pas sa divine autorité. Il vous souvient de tant d'ordonnances du Conseil qui toutes donnent gloire à l'Évangile ; qui interdisent aux prédicateurs « de dire chose qu'ils ne puissent prouver par la Parole de Dieu ; » qui leur commandent « de s'en tenir aux Écritures, afin que personne n'ait à objecter, et que nous vivions tous de bon accord, comme nos pères. » Nous avons vu, il y a deux ans, le peuple bien indigné à la lecture d'une lettre de l'Évêque qui ordonnait « de ne point prêcher l'Évangile ; » on n'opina point là-dessus, parce que tout le Conseil se leva et sortit, tout étonné de ce qu'on avait pu songer à faire une telle défense. C'est chose à l'égard de laquelle on ne rencontre qu'une pensée.

Eh bien, le croirez-vous ? Nous avons à Genève des hommes qui reconnaissent la sainteté des Écritures, qui se nomment prêtres et administrateurs des choses saintes et ne veulent pas obéir à ce que l'Évangile contient. La Bible ne renferme pas la messe, et ils continuent de la dire. Elle ne renferme rien de tant de choses qu'ils vont encore prêchant par la ville. On leur eût pardonné, il y a cinq, six mois ; mais aujourd'hui que chacun dans Genève connaît la vérité... comment peuvent-ils demeurer seuls à ne pas la recevoir ? n'est-ce pas opiniâtreté, n'est-ce pas méchanceté pure ? Il est vrai qu'ils ne fréquentent pas les lieux où l'on prêche la Parole ; eh bien, c'est donc à Messieurs de les contraindre à se laisser instruire, à venir au sermon, à écouter l'Evangile, et bientôt ils verront ce qui en est.

Mais Messieurs, je ne sais pourquoi, usent d'une singulière douceur envers ces faux prêtres. Soit froideur pour l'Évangile, soit égard pour ceux de leurs collègues qui tiennent encore aux vieux abus, soit sagesse plutôt et désir de gagner les catholiques par la douceur, ils tardent, ils tolèrent.... ils usent de ménagemens dont le peuple a fini par se plaindre à haute voix *.

Le peuple de Genève redit après les prédicateurs : « Il faut que les prêtres aient tort ou qu'ils aient raison ; s'ils ont raison qu'ils le prouvent par les Écritures ; s'ils ne peuvent établir leur droit qu'ils sortent de la ville ou qu'au moins ils gardent le silence. »

Le peuple ajoute : « Nous ne pouvons vivre davantage divisés comme nous le sommes. Vainement nous faisons à la patrie le sacrifice de nos vies et de nos biens, si le Duc conserve des amis chez nous, et si la trahison continue à s'abriter dans les murs. En sommes-nous à ignorer que les prêtres s'entendent avec l'ennemi. Et si tandis que nous allons au combat nous laissons des adversaires derrière nous, Genève apparemment va être bien défendue. »

On se lamentait ainsi, et surtout ceux qui supportent les charges des armes et du guet, lorsque certaines découvertes sont venues ajouter à l'indignation commune. Ceux de la ville, comme vous ne l'ignorez pas, sont depuis long-temps après les images ; or voici ce qu'en poursuivant les reliques et les tableaux, ils sont venus à rencontrer.

D'abord et premièrement sachez que l'on prétendait avoir dans l'église de St-Pierre deux reliques. l'une était, disait-on, le cerveau de St-Pierre, patron de Genève, et l'autre un bras de St-Antoine. Cette dernière entr'autres était fort considérée ; on ne la montrait que dans les bonnes fêtes, et on ne la présentait à baiser qu'à ceux qui s'y étaient préparés convenablement. Or il faut entendre que, dans tout le pays, quand il était question de quelque chose douteuse de grande importance, on ne savait moyen d'y mettre fin, que de faire jurer sur ce bras de St-Antoine dans St-Pierre ; ce qui ne se faisait pas sans grand' pompe, au son des cloches, tous les prêtres étant assemblés, après une messe solennelle. Et les prêtres donnaient à comprendre que celui qui se parjurait, la main lui deviendrait sèche dans l'année. Aussi montraient-ils à l'entour tout plein de mains sèches en cire ; ensorte que c'était merveille que ce serment sur le bras de St-Antoine, et que chacun tremblait de le bailler ou même de le recevoir. Mais quand on a ouvert les chasses où se tenaient les deux reliques, on n'a trouvé pour le cerveau de St-Pierre qu'une pierre ponce, et pour le bras de St-Antoine que la partie la plus vile d'un cerf.

Ce n'est pas tout. On avait cru de tout temps dans Genève que les corps de St-Nazaire, de St-Celse et de St-Pantaléon (**) étaient véritablement sous le grand autel de l'église de St-Gervais ; et de là vient que la rue voisine a pris le nom de rue des corps saints.

On croyait encore communément que ces saints chantaient et conversaient entr'eux toutes les veilles de Noël et en d'autres grandes occasions. On savait aussi que lorsqu'on mettait des chapelets dans le canal qui aboutissait aux reliques des trois saints, on sentait leurs bras les retenir, et les retenir d'autant plus fort que la personne qui les déposait leur était plus agréable, Or voici qu'il y a huit jours, les balayeurs (mundatores) du temple de St-Gervais sont venus raconter en Conseil la plaisante fourbe qui a donné lieu à ces croyances. En tournant et retournant les pierres de dessous l'autel, ils ont trouvé que celle où l'on glissait les chapelets était de roche, taillée à dents de poissons et propre à retenir les chapelets que l'on faisait descendre. Plus bas ils ont trouvé deux ou trois vaisseaux concaves, percés comme des flûtes d'orge, et pour peu de bruit que l'on fît à l'ouverture, il se faisait un retentissement dans ces vaisseaux, semblable au murmure de voix confuses se parlant et s'entre-répondant. « Voilà, ont dit aussitôt Messieurs, les causes de tant de sots discours que l'on a faits si long-temps dans cette ville : Toutes les nuits de Noël les corps de St-Gervais chantent ; les corps de St-Gervais se plaignent de ce qu'on a ôté la messe. » Et les railleries dé pleuvoir sur les pauvres papistes, qui n'eussent pu croire ce qu'ils entendaient s'ils n'eussent eu la chose devant les yeux.

Je ne veux ici parler des esprits que l'on faisait apparaître, ni des âmes des morts qui s'allaient, disait-on, piteusement promener sur les cimetières, demandant des messes pour leur repos. Ces âmes dolentes n'étaient, comme on le sait, que de petits cierges allumés et placés sur des écrevisses, que l'on envoyait durant la nuit se montrer sur les cimetières.

Au milieu de tant de séductions et de jongleries imaginées pour tromper le pauvre populaire, quelle n'a pas été la surprise de ceux qui bataillent contre les idoles, de rencontrer, dans l'église des Jacobins de Palais, la portraiture suivante. Elle a été peinte il y a plus d'un siècle. Elle représente un monstre à sept têtes et à dix cornes (Apocalypse, chap. 17), ayant la façon d'un diable, et ce diable se trouve rendre, au lieu d'excrémens, des papes, des cardinaux, des prêtres, des moines et des ermites ; et tout ce ménage tombe dans un abîme qui en est déjà rempli. La fournaise vomit une flamme ardente, et tout à l'entour des diables, armés de fourches, sont occupés activement à attiser et à souffler le feu. Les vers latins suivans, rimés suivant le goût du siècle, se lisent au bord du tableau :

Judicabit indices judex generalis :
Hic nihil proderit dignitas papalis,
Sive sit Ëpiscopus, sive Cardinalis
Reus condemnabitur, nec dicetur qualis.
Hic nihil proderit quicquam allegare,
Neque excipere, neque replicare,
Nec ad apostolicam sedem appellare,
Reus condemnabitur, nec dicetur quare.
Cogitate miseri, qui, vel quales estis
Quid in hoc judicio dicere potestis;
Idem erit Dominus, Judex, Actor, Testis. »

Un de nos poètes a traduit ces vers de la façon qui suit :

« Le juge universel jugera justement
Les juges qui viendront devant son jugement ;
Il ne pèsera pas la dignité papale,
La crosse d'un évêque ou pompe cardinale ;
Les criminels seront jugés en équité,
Sans qu'on s'enquière d'eux ni de leur qualité ;
Il ne servira rien d'alléguer quelque chose,
La ruse ne saura rendre bonne la cause,
Il s'en faudra tenir au décret souverain,
Et n'en appeler pas au pontife romain.
Les méchans recevront une juste sentence.
Sans prétexter alors le péché d'ignorance
Le criminel voyant le jugement sur soi,
Ne pourra plus répondre ou bien dire. pourquoi ? »

Que dire de ce tableau ? peut-être a-t-il été saisi des mains de quelque hérétique par les Dominicains, qui de tout temps ont eu l'exercice de l'inquisition. En ont-ils peut-être dépouillé quelque Vaudois des vallées des Alpes ? Quoi qu'il en soit à cet égard, vous pensez bien qu'il a fait une forte impression sur les esprits. On a été fort étonné que d'autres aient déjà connu dès long-temps les abus du pape, et que ce ne soit pas d'aujourd'hui qu'ils aient été découverts.

On a été moins surpris, mais bien grandement scandalisé, en présence d'un autre tableau que l'on a trouvé dans le couvent des Cordeliers de Rive. On y voit François d'Assise, leur patriarche, représenté sous l'image d'un gros cep de vigne, d'où sortent plusieurs beaux sarmens habillés en cordeliers, et sous cette image il est écrit : « Je suis le vrai cep et vous êtes les sarmens. » Vous jugez de l'indignation dont on a été saisi, en voyant ces moines appliquer au fondateur de leur ordre ce que le Sauveur disait de sa personne divine.

Ainsi par tous les temples nos chercheurs ont trouvé quelque nouvelle marchandise. Et pendant qu'on rencontrait ces preuves de la ruse malicieuse des prêtres, ceux-ci allaient se promenant dans Genève, entrant et disant dans les maisons que c'était leurs adversaires qui séduisaient le peuple ; que le mauvais succès de la dispute n'était pas une preuve de la fausseté de la religion ; qu'il en est de ces exercices comme de la guerre, où les armes sont journalières ; qu'il ne fallait pas juger de la bonté de la cause de l'Eglise par le peu de savoir du clergé de Genève ; qu'il se trouve ailleurs de grands et habiles théologiens qui renverseraient sans peine des milliers de prédicateurs de la nouvelle doctrine. Et là-dessus, nos prêtres de baptiser et de faire leurs cérémonies. Et le Conseil de se taire, de laisser dormir les règlemens et de patienter encore. Certes vous comprenez que quelques-uns en Deux-Cents aient fini par porter gravement leur plainte. Dès lors Messieurs du Conseil ont cessé de fermer l'œil et de laisser sans exécution les décrets du peuple de Genève.

Le lundi 29 novembre, ils se sont assemblés dans le but d'interdire de nouveau les sacremens inventés par les hommes ; ce qu'entendant l'un d'entr'eux, Louis Dufoux, s'est retiré, disant ne s'y vouloir pas rencontrer. Alors, selon la volonté des Deux-Cents, on a fait entrer tous les prêtres de cette ville. J'ai remarqué parmi eux Rollet Dupan (De Pane), Ami Boucha (Bochuti), qui tient l'école vis-à-vis des Cordeliers, CI. Blanc (Albi), Maniglier, qui tient une des chapelles, Aillod le Goitreux, Thomas Genod, qui tient la chapelle de Ste-Catherine en St-Pierre, CI. Dunan (de Nanto), Jean Couland, Servand dit Bochin, le pédagogue, Messire Jn. Hugonier, George Desplands (de Planis ), qui gouverne l'horloge de St-Pierre; ils étaient peut-être vingt ou trente autres encore, que je ne puis ici nommer (***).

Messieurs les ont simplement interrogés s'ils veulent ou non tenir la messe et autres semblables choses inventées par les hommes. Ils les ont invités, s'ils veulent garder ces choses, à les défendre, ou s'ils ne s'en jugent pas capables, à faire venir des théologiens étrangers, de ceux qu'ils jugeront les plus propres à soutenir leur religion. - Rollet Dupan a répondu pour tous : « Nous n'avons jamais eu la témérité de croire que nous puissions réformer ce qui a été enseigné par nos prédécesseurs et décidé par l'Eglise ; et pour faire ce qu'on nous demande, nous n'avons ni la suffisance, ni le savoir. » - « Eh bien, ont dit Messieurs, vous ne direz plus de messe dès à présent, ni n'administrerez aucun sacrement des hommes ; encore moins continuerez-vous de séduire le peuple ; mais vous irez au sermon des prédicateurs entendre comme il faut vivre. » - « Pour ceci, ont dit les prêtres, nous ne le pouvons, plutôt sortir de la ville. »

Le dimanche 5 décembre, la chose a été déférée en Deux-Cents. « Quoi donc, s'est-on écrié, leur demande-t-on chose qui ne soit raisonnable ! N'est-il pas convenable qu'ils commencent par s'instruire eux-mêmes, eux qui sont appelés à enseigner les autres ? Faisons donc le commandement exprès à tous les prêtres qui sont dans la ville, d'aller ouïr l'Évangile en l'un des prêches, lequel ils voudront ; ils entendront les prédicateurs enseigner une saine doctrine, puis ils nous feront savoir et nous diront tout haut ce qu'ils en pensent, afin que tous nous puissions suivre la plus saine doctrine de Dieu. S'ils ne veulent pas aller au prêche, qu'ils sortent de la ville et pour n'y rentrer jamais. »

Messieurs ont le lendemain convoqué les prêtres, pour leur faire savoir cette résolution. « Voulez-vous demeurer dans la ville ? » leur ont-ils demandé. - Ils ont dit que oui. - « Voulez-vous obéir aux ordres de MM. les syndics ? » - « Oui, nous le voulons. » - « Eh bien nous vous ordonnons d'aller aux prêches, et si vous y entendez chose qui ne soit pas bien, de nous le rapporter, afin que nous puissions corriger les prédicateurs. »

Là-dessus les prêtres se sont partagés. Quelques-uns ont déclaré qu'ils renonçaient à la religion romaine, qu'il y avait long-temps qu'ils en connaissaient les abus, mais qu'ils n'avaient point jusques à maintenant été suffisamment éclairés. D'autres ont prié de considérer qu'ils ne peuvent passer si subitement d'un extrême à l'autre. Ils ont demandé du temps. « Eh bien, leur a-t-on dit, allez changer d'habit, fréquentez les sermons et donnez attention à ce que vous commande la Parole de Dieu. » Enfin il s'est trouvé des prêtres qui ont mieux aimé sortir de Genève que de se soumettre à ce que l'on voulait d'eux ; il a été accordé à ceux-ci huit jours pour mettre ordre à leurs affaires.

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QUELQUES MOTS DU CHRONIQUEUR A SES LECTEURS.

Notre chronique finit-elle avec l'an 1535 ? Genève est assiégée ; le Pays-de-Vaud est dans l'angoisse de l'attente ; déjà, nous assure-t-on, Berne revêt son armure ; laisserons-nous à ce point notre récit, et ne raconterons-nous point l'issue de l'action qui s'est engagée et dont les fils se trouvent aujourd'hui, pour la plupart, dans nos mains ?

C'est de nos abonnés que nous attendons la solution de cette question ; pour ce qui le concerne, le Chroniqueur a sa réponse prête. Tout drame a son noeud, ses péripéties, sa crise et son dénouement ; et le nôtre n'est pas à son terme. Si donc nos lecteurs consentent à nous suivre encore et à nous entendre retracer les faits de l'an 1536, nous leur en devons le récit. Nous en avions pris l'engagement. Dès l'abord, nous considérions ces deux années comme ne pouvant être séparées ; tout commence, mûrit et se prépare dans l'une, et dans l'autre tout se consomme, tout court à sa solution. Notre sujet, dans son unité, les embrasse donc toutes deux. Du drame, deux actes seuls ont été jusqu'ici mis en scène ; le troisième est encore à remplir. L'action a commencé par les périls de Genève. Genève est notre Ilion ; autour de ses murs se combattent le passé et l'avenir, les libertés et la servitude, les puissances de ténèbres et les anges messagers fidèles, attentifs à la voix de la prière et gardiens des enfans de Dieu. Genève, près de périr, a tendu la main vers la Suisse, et Berne et Fribourg l'ont couverte de leurs boucliers. Dans ces commencemens, Lausanne et les petites villes du Pays-de-Vaud étaient pour elle ; les intérêts politiques étaient seuls en jeu ; c'était la lutte de la vieille tyrannie contre la jeune liberté.
Ainsi le premier acte s'est accompli.

Au second s'est montré tout un nouvel ordre de faits. Une voix avait parlé du ciel, quelques hommes obscurs l'avaient entendue ; ils l'ont redite dans Genève, et Genève a reçu la réformation. Les haines, les périls, le courage, dès ce moment tout a doublé. La pauvre désolée Genève, à vingt lieues tout autour d'elle, ne voit que des ennemis. Des deux amis puissans qu'elle invoque, l'un est pour elle plus à craindre que le Duc, l'autre dit ne la pouvoir délivrer. Une poignée de braves accourus au bruit de sa détresse, ont remporté une victoire inutile et n'ont pu parvenir à la sauver. Ses chemins sont aujourd'hui déserts. La faim s'est rangée parmi ses adversaires. On se demande en ces abois, ce qu'il lui reste à espérer. Elle espère, elle croit pourtant, et lève les yeux vers le ciel et se confie ; la foi qui s'est montrée au milieu d'elle ne la laisse point s'abattre ni se décourager. Elle se persuade que la ville que Dieu a aimée, de laquelle il s'est approché, que Genève ne peut périr. On lit sur ses monnaies, dans les replis de ses drapeaux et, qui mieux est, dans les coeurs : « Dieu, notre Dieu, combat pour nous. » C'est ce qui se répète aux foyers comme dans les temples, et ce que les sentinelles redisent s'entre-répondant sur les remparts : « L'Éternel est notre mur et notre avant-mur ; l'Éternel est pour nous, l'Éternel peut toutes choses, et ce qu'il peut il le fera. » - « Il le fera, » redisent hors de Genève des âmes élues en grand nombre. Elles mêlent à des cris de détresse les accens de la prière, et des chants qui respirent l'abandon, la confiance et la joie. N'entendez-vous pas ces chants et ces prières s'élever des réunions évangéliques d'Orbe, de Moudon, de Payerne, de Neuchâtel.

À Lausanne, plus d'un coeur s'y associe et, nous le savons de source certaine, plus d'une voix les redit tout bas dans les vallées de la Tarentaise et de la Savoie. Tout ce peuple instruit par les saintes Écritures à espérer contre toute espérance, attend le salut de Dieu. Gémissant sous une double tyrannie, il attend une double délivrance, et c'est cette délivrance que nous avons à retracer. Un dernier acte du drame demeure donc à remplir. Genève sauvée, le Pays-de-Vaud arraché à l'anarchie et trouvant un abri sous la bannière des Confédérés, enfin la dispute de Lausanne, l'événement peut-être le plus important de l'histoire de notre vieille patrie, voilà les faits qui doivent en occuper les principales scènes. Ces faits accomplis, la révolution se trouvera consommée et la réformation aura pris racine dans le pays. L'Helvétie Romande sera entrée dans un nouvel âge. La Suisse aura atteint sa limite naturelle et elle aura conquis le rempart derrière lequel il lui sera permis, trois siècles durant, de vivre neutre et respectée.

Quand nous l'aurons vue s'asseoir, nous aurons mis nos lecteurs dans la position de juger tout entière la révolution religieuse et politique du seizième siècle dans nos cantons. Alors le moment de déposer la plume sera venu pour nous. Notre engagement se trouvera rempli. Nous aurons achevé de rendre notre génération le témoin d'une des grandes scènes de la vie de nos pères. Nous sortirons alors avec empressement d'une carrière dans laquelle nous nous sommes engagés malgré nous.

C'était une idée qui nous paraissait plus piquante que facile à exécuter que celle de reproduire, d'une manière circonstanciée et sous la forme qui nous était proposée, les événemens d'une époque lointaine ; que de vouloir, sans sortir de la vérité de l'histoire, populariser un recueil de documens. On ne rend pas, nos lecteurs n'en ont que trop souvent fait l'expérience avec nous, on ne rend pas à des détails une vie qu'ils ont depuis long-temps perdue ; on ne peut leur prêter un intérêt qu'ils ne possèdent pas même toujours lorsqu'ils appartiennent à notre âge et qu'ils sont la nouvelle du présent. S'obliger à en faire un volume contenant la matière de 800 pages d'un in - 8° ordinaire ; se condamner à découper ce récit ; à ne le livrer au public que par fragmens, de quinze en quinze jours, en sacrifiant tout l'intérêt qui naît d'une narration suivie ; se laisser enfermer dans les colonnes de fer d'un journal, comme dans un lit de Procruste, c'est se soumettre à une gêne que l'on ne se donne pas de son choix.

Ajoutez que rien n'était prêt, qu'il a fallu amasser, comparer et mettre en oeuvre tout à la fois ; que nous marchons presque à l'aventure sans trop savoir ce qui se présentera sous nos pas ; que telle quinzaine ne nous offre pas une page de matières à répandre dans notre moule obligé ; qu'écrivant en courant, comme nous le faisons, nous avons le sentiment habituel de ne pouvoir contenter le critique, l'artiste, ni le chrétien ; et l'on comprendra que nous n'ayons pas sans effort renoncé au charme libre de l'étude ; que nous soyons entrés dans la carrière que l'on nous ouvrait presque sans espoir d'y pouvoir marcher avec succès.

Telle est néanmoins la puissance de ces noms de religion et de patrie, tel est l'intérêt qui s'attache à nos yeux à tout ce qui nous en parle, que le Chroniqueur, malgré les vices inhérens à son mode de publication, a été dès son apparition appelé le bien venu dans nos vallées. Il y a rencontré un accueil dont personne, je le crois, n'a été plus surpris que son rédacteur. Nous avons vu l'étranger même prendre quelque intérêt à nos récits. Les scènes de nos annales sur lesquelles s'est portée notre attention, sont si bien liées aux plus grandes scènes des annales de France ; la réformation de Genève et de l'Helvétie Romande est devenue pour l'histoire générale un événement d'une si haute importance ; la cause des petits, la cause de l'Évangile et des libertés européennes, cette cause, gagnée en 1556 par la délivrance de Genève, est demeurée si grave et si sainte aux yeux des populations réformées, que leurs regards aimeront toujours à se reposer sur ce qui les en entretient. Nous devons sans aucun doute à ces motifs de voir croître le nombre des lecteurs que nous avons en France. Hâtons-nous de dire à qui le Chroniqueur doit la bonne part de ce succès.

Il la doit à l'accueil libéral qui lui a ouvert la bibliothèque des villes et les archives des Cantons ; à la généreuse protection qu'il a tout d'abord reçue du gouvernement et du Conseil de l'instruction publique du canton de Vaud ; aux encouragemens d'hommes dont aucun n'est oublié dans son coeur et que, dans sa reconnaissance. il voudrait pouvoir ici tous nommer ; enfin à l'assistance de quelques amis de son oeuvre qui lui ont fait parvenir de divers lieux d'utiles matériaux. Grâce à ces secours, nous nous sommes vus riches en faits, nous avons rencontré bien des points de vue nouveaux ; nos récits se sont composés en grande partie sur des documens qui n'avaient pas encore été publiés ; celles mêmes de nos histoires qui étaient les plus connues, je donne comme exemple celle de Genève, se sont présentées sous un nouveau jour et avec un nouveau degré de vérité. Nous nous sommes trouvés, j'ose le dire, avoir jeté les fondemens d'une histoire nationale plus pragmatique, plus complète et plus approfondie.

Riche de ce qu'il avait reçu, le Chroniqueur a laissé, selon sa promesse, les matériaux se fondre dans sa narration. Il est demeuré, dans la simple signification de son nom, chroniqueur, se bornant à enregistrer ce qu'il trouvait. Il l'a fait avec une impartialité qui ne lui a pas été contestée. Quelques personnes ont même cru qu'il l'avait portée trop loin et qu'il avait agi avec plus de sincérité que de sagesse.

Elles eussent préféré un tableau duquel on eût effacé les ombres, pour laisser apparaître plus lumineuse, plus belle et plus pure, la sainte cause de la réformation. Pour nous, nous n'avons pas cru que les réformateurs eussent besoin de piédestal, ni que la miséricorde divine dût paraître moins resplendissante, pour s'être déployée envers des êtres plus semblables à nous.

Quoi qu'il en soit, avant d'être de la réforme, nous sommes de la vérité. Notre engagement, le seul que nous ayons pu prendre, a été celui de retracer avec simplicité les faits sociaux, politiques et religieux d'une époque digne de mémoire, et cet engagement notre devoir est de le remplir dans son entier. Le degré, nous en sommes convaincus, le degré auquel nous serons trouvés irréprochables au sortir de la lice sera celui auquel nous serons demeurés, selon notre promesse, narrateurs consciencieux et fidèles, sur le ferme terrain des faits.

Au reste, ce n'est pas à l'école de nos classiques que nous avons appris cette façon d'écrire ; nous l'avons reçue d'un livre unique en toutes choses. La Bible n'a pas de héros; elle n'a pas de saints dans le sens ordinaire de ce mot. Si nous écrivions aujourd'hui les histoires d'Abraham, de Moïse ou de David, idées de grandeur, de vertu, de délicatesse avec nos idées de prudence, que nous les raconterions différemment que ne l'ont fait les écrivains enseignés de Dieu ! Chose digne d'être remarquée, ces écrivains ne sortent pas du rôle de chroniqueurs ; ils ne louent, ne blâment, ni ne démontrent ; ils se bornent à raconter. Ils parlent en regard de la vérité divine, ils exposent les faits à sa lumière ; mais, veuillez y faire attention, ils n'argumentent pas, ils ne plaident pas, ils ne cherchent pas à tromper les imaginations ; simples et naïfs narrateurs, ils le sont des faiblesses des enfans de Dieu, comme ils le sont de leur foi.

À cet exemple, nous croyons devoir continuer de faire ni apologie, ni plaidoyer. Nous laissons les faits passer, et nous leur abandonnons la charge de prêcher et d'instruire. Nous leur conservons, autant qu'il dépend de nous, leurs détails, leur physionomie et leur couleur, et nous ne contrôlons que leur vérité ; la confiance de nos lecteurs est à ce prix. Leur place, leur étendue dans nos récits, sont celles qu'ils occupent dans les documens qui nous sont restés. Politiques ou religieux, les uns ne sont pas élus de préférence aux autres. Quelques personnes nous ont fait le reproche d'avoir laissé prendre trop de développement aux faits religieux. Il est vrai, chrétien, à qui l'évangile est cher (la vie a pour nous moins de prix), nous avons accordé une grande place aux événemens qui concernent l'Eglise ; mais nous leur en avons donné moins, peut-être, qu'ils n'en réclament dans la réalité. Que l'on veuille rapprocher les noms que portent les deux grandes époques de notre âge ; nous appelons l'une celle de la révolution, le nom de réformation est celui que nous conservons à l'autre ; or ces mots sont l'expression exacte des choses. Quelles que soient les préoccupations de nos jours, quelles que soient les couleurs dont on revêt le seizième siècle, ce siècle n'en a pas moins été un âge essentiellement si religieux. L'impulsion venait aux hommes de ce temps de plus haut que la terre. Leurs premiers mobiles étaient pris hors des intérêts du monde qui passe. Sous des formes grossières et sous la corruption dont ils avaient hérité avec leur siècle, il n'est pas difficile de reconnaître chez eux les traces d'une vie divine et d'une impulsion trop étrangère aux hommes avec lesquels nous vivons. Ils obéissaient à la foi chrétienne ; la multitude en empruntait le langage ; tout, il y a trois cents ans, parlait, agissait et se mouvait sous le nom de la religion.

D'une autre part, nous avons été blâmés d'avoir donné trop à la politique et d'avoir ouvert trop largement nos colonnes aux faits étrangers à la réformation. - Mais quoi ? à ne vouloir retracer que l'histoire de l'Eglise, sera-t-elle bien comprise si vous l'isolez de celle des faits sociaux ? L'Eglise en ce monde est de ce monde. Elle prêche, et sa doctrine est un levain qui fait fermenter tout ce qui l'environne. Elle parle, et sa voix met en mouvement toutes les affections. Elle ne plante pas une croix qu'un drapeau ne s'élève auprès. Elle ne sème pas une vérité morale, que la politique ne la modifie et qu'elle ne se reverse dans la politique à son tour. L'Eglise ne pose pas le pied sur la terre, qu'elle ne touche à tous les intérêts, et qu'elle n'émeuve le corps social. Arrive-t-elle, l'Évangile en main, parmi des populations courbées, comme c'était le cas au seizième siècle, ses prédicateurs se trouveront rangés parmi les défenseurs des libertés civiles. Descend-elle au sein de l'anarchie, elle enseigne que le magistrat est établi de Dieu, et elle prêche, au milieu des passions déchaînées, la patience, l'ordre et la soumission. Se montre-t-elle pure, elle remplit l'office qui est le sien, de rapprocher les contraires, de réconcilier l'individu avec le tout, la force avec la faiblesse, l'ordre avec la liberté, la justice avec la douceur. S'est-elle laissée corrompre, elle verse son venin au coeur même de la société. Mais pure, tiède ou souillée, corrompante ou corrompue, elle n'est jamais sans recevoir l'action du corps social, ni sans réagir sur lui.

Lors donc même que dans nos feuilles nous ne nous serions proposé que de retracer l'histoire de l'Eglise, encore ne pourrions-nous la faire comprendre sans nous laisser entraîner sur le terrain des faits politiques. Mais engagés, comme nous le sommes, à reproduire aux yeux de nos lecteurs les faits, de quelque ordre qu'ils soient, qui peuvent intéresser le pays, à plus forte raison leur devons-nous de ne point passer sous silence ce qui, à l'époque qui nous occupe, agitait toute la société.

Qu'il nous soit donc permis de n'omettre rien de ce qui touche à la patrie. Qu'il nous soit permis, à travers l'éloge ou le blâme, de continuer à aller au vrai ; le vrai seul a puissance qui dure. Il fut un temps, et qui n'est pas éloigné, où cette marche libre n'eût pas été licite à l'historien ; une oeuvre historique devait, être la glorification d'un système d'un parti ou d'une cour. Grâces à Dieu, de meilleures théories se sont fait jour. Osons nous prévaloir des privilèges qu'elles nous donnent. Usons de toutes nos franchises. Ne méprisons aucune vérité. Ne négligeons, autant que Dieu nous le donne, aucune source d'instruction. Ne nous soucions avec cela que de demander à Dieu un esprit plus éclairé, un coeur plus droit, plus ferme, plus aimant, plus docile à ses inspirations saintes. C'est la grâce que nos frères en la foi, s'ils ont rencontré dans nos premières pages quelque instruction et quelque aliment, ne négligeront pas de demander au Ciel pour nous.


Table des matières

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* Dans la séance des Deux-Cents du mercredi 24 novembre. Chaque mot a son histoire ; je voudrais qu'on écrivît celle du mot tolérance. À peine le correspondant du Chroniqueur sait-il le bégayer, et encore n'est-ce que pour le condamner qu'il le prononce. Le jour ne viendra-t-il point que Dieu à qui il appartient d'accorder les contraires, saura le concilier avec l'expression de la foi ? qu'il enseignera les hommes à le prononcer dans une acception plus élevée et plus pure, et que la notion qu'il exprime ira se perdre, sans se confondre, dans l'idée de la charité chrétienne, à laquelle il sera donné de tout réunir ?

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* *« Qui demandaient d'être canonisés et ainsi ne fut. Roset.

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*** Leurs noms se lisent dans les Antiquités de Genève de M. de Corbière.

 


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Abraham - Albi - Alpes - Antoine - Aoste - Apocalypse - Aruffens - Arve - Assise -

Baden - Bible - Bochin - Bochuti -

Cartigny - Catherine - Charles - Christ - Confédérés - Coppet - Corbière - Cordeliers - Couland -

David - Desplands - Diesbach - Dieu - Dominicains - Dufoux - Dunan - Dupan - Erlach -

Français - France - François - Franz - Fribourg -

Genève - Genevois - Genod - Gervais - Gex - Goitreux -

Helvétie -

Jacobins -

Lausanne - Lévrier - Louis - Lucerne - LuIlin - Luther -

Maniglier - Moïse - Morges - Moudon -

Naegueli - Nazaire - Neuchâtel - Noël -

Orbe -

Payerne - Pierre - Pont -

Rive - Rod - Rollet - Romande - Roset -

Saunier - Sauveur - Savoie - Savoyards - Servand - Suisse -

Tarentaise - Thomas - Turin -

Vaud - Vaudois - Versoix -

 

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