Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



En Canot et en traîneau
À CHIENS
Parmi les Indiens CREE et SALTEAUX


 CHAPITRE XVIII

 

Cependant, un grand changement se préparait pour moi. À la suite de longues correspondances, il fut décidé que je fonderais une nouvelle branche de notre mission, parmi les Salteaux qui vivent dispersés en de nombreux petits clans, sur la côte orientale du grand lac de Berens River et dans l'intérieur des terres et dont la pauvreté et la dégradation sont extrêmes. Quelques-uns d'entre eux, ayant été en contact avec des indigènes convertis de contrées avoisinantes, cherchaient comme à tâtons la grande lumière et essayaient de s'élever dans l'échelle sociale.

Deux nouveaux missionnaires furent désignés pour Norway House et Oxford House et moi-même pour Berens River.
Comme il était désirable que je restasse à Norway House jusqu'à l'arrivée de mon successeur, que d'autre part il se présentait une occasion pour le voyage de ma femme et de nos enfants jusqu'à la Rivière Rouge et qu'il était douteux que de longtemps il s'en présentât une autre, nous résolûmes d'en profiter, si pénible que nous fût la séparation et si insuffisante et inconfortable que fût l'embarcation qui devait les transporter.

J'embarquai donc Mme Young et nos trois chéries Eddie, Lilian et Nelly et les accompagnai avec Sandy Harte, notre garçon d'adoption, natif de Nelson River, jusqu'à l'ancienne station de Norway House - environ une trentaine de kilomètres de notre demeure - et là nous nous dîmes adieu. Toutes quatre étaient bien portantes et dans les meilleures disposition lorsque la voile fut hissée et que nous les vîmes s'éloigner glissant sous la brise favorable. Hélas je ne devais plus revoir ma petite Nelly. Durant ce voyage, l'ardeur du soleil fut terrible, or le bateau était découvert, sans pont, cela va sans dire, sans cabine ni tente ; l'enfant tomba malade et mourut.
Je ne m'appesantirai pas sur ce douloureux événement auquel j'ai fait allusion dans un précédent chapitre. Peu de personnes d'ailleurs seraient à même de comprendre ce que dut souffrir la pauvre mère, alors que, malade elle-même, elle vit cette superbe enfant en proie à la fièvre, languir et s'éteindre dans des circonstances si pénibles. Dieu sait tout ce qui en est. J'ai dit ailleurs que la sympathie du vénérable archi-diacre Cowley, qu'elle trouva à son arrivée, fut pour elle d'un grand prix.
Moi-même, je demeurai à mon poste jusqu'à l'arrivée de mes deux nouveaux collègues. Ce ne fut qu'après avoir passé un dimanche avec eux et avoir vu le frère Ruttan et sa vaillante compagne se mettre à l'oeuvre de tout leur coeur, au milieu des chrétiens auxquels je m'étais fortement attaché, que je me mis en route à mon tour.

Sandy Harte m'accompagna jusqu'à mon premier bivouac et y passa la nuit avec moi. Nous lûmes la Bible, chantâmes un cantique et priâmes ensemble avant de nous étendre côte à côte pour chercher le repos. Nous avions tant à nous dire que bien des heures s'écoulèrent avant que nous pussions dormir. De bon matin cependant nous étions debout, éveillés au cri de : « Bon vent ! pas de temps à perdre ! » et je fus très surpris de me voir entouré d'une foule de natifs qui, durant la nuit, étaient venus en canots rejoindre leur missionnaire et lui serrer une dernière fois la main en lui disant un long adieu.

Après un rapide déjeuner nous nous réunîmes sur le rivage pour la prière et pour chanter un de leurs cantiques favoris qui rappelle celui-ci :

« Pour nous la vie est un voyage
Nous marchons au séjour divin
Déjà nous voyons le rivage,
Notre épreuve touche à sa fin.
 
Plus de larmes ni de tristesse
Dans ce séjour des bienheureux
Le bonheur resplendit sans cesse
Dans le beau royaume des cieux.
 
Et si parfois l'épreuve amère
Accable nos coeurs abattus.
Pensons à la nouvelle terre,
Pensons à l'amour de Jésus.
 
Amis, à la terre nouvelle
Voulez-vous venir avec nous.
Hâtez-vous, Jésus vous appelle
Oh ! venez, pourquoi tardez-vous. »

Vient ensuite la doxologie :

« Gloire soit au Saint-Esprit ! » etc.

Je trouvai dur de me séparer d'eux.
Plusieurs étaient en larmes qui n'avaient pas pleuré souvent auparavant. M'approchant de mon bien-aimé Sandy, je l'enlaçai de mes bras, tandis qu'il sanglotait comme si son coeur se brisait. Un dernier « Dieu vous bénisse ! » et je sautai dans le bateau qui fut vivement poussé au large. Une page de ma vie se tournait ; j'étais en route pour me fixer dans le pays des Salteaux.

Lorsque j'arrivai à destination, non sans avoir eu à subir quelques-uns des incidents habituels à de telles expéditions, je reçus de mes nouveaux paroissiens l'accueil le plus enthousiaste. Celui qui avait dit : « Nos yeux sont troubles à force de scruter l'horizon » put me dire :
« Mon regard est voilé par des larmes de joie de ce que j'ai vécu assez pour voir le missionnaire qui doit vivre au milieu de nous. »

Il s'agissait maintenant de travailler ferme, chaque journée était précieuse, car, pour le moment, je ne pouvais demeurer au milieu d'eux qu'aussi longtemps que le lac était libre ; il me fallait les quitter avant que la glace vînt le couvrir. Je dressai une tente pour y vivre durant les quelques semaines que j'avais devant moi. L'emplacement de la station fut choisi ; nous nous mîmes en devoir de le débarrasser de ses arbres. De même pour les endroits où s'élèveraient les huttes des indigènes.
Chaque matin, avant de nous mettre à l'ouvrage, nous célébrions un culte. Le dimanche je tenais trois services. Je devais veiller aussi à ce que l'école de semaine fût régulièrement fréquentée par les enfants.

Une fois que tout fut bien mis en train, j'établis mon brave Martin Papanekis à ma place et je quittai Berens River pour aller rejoindre ma famille à la Rivière Rouge. Ce trajet devait être semé, comme tant d'autres, d'aventures et de dangers. À vrai dire c'était une entreprise risquée que de naviguer en un frêle canot d'écorce sur un si grand lac où la tempête s'élève parfois d'une manière très soudaine et dont les vagues sont aussi redoutables que celles de l'Océan. Mais le mien était bien conditionné ; j'avais comme pilote le grand Tom - dont je parlais tout à l'heure - et surtout notre Père céleste nous gardait, Lui qui commande aux vents et aux flots.

Néanmoins un jour notre embarcation chavira et je pris un bain imprévu qui me glaça complètement. Ailleurs, ayant essayé de ramer toute la nuit, nous fûmes inquiétés par des feux follets que mes natifs, expérimentés pourtant, prirent pour des signaux trompeurs, que des méchants auraient allumés pour nous induire en erreur à notre plus grand dommage.
Arrivé auprès de ma femme, je fus sans retard trouver le sympathique collègue qui l'avait entourée dans son épreuve et j'acceptai l'offre qu'il nous avait faite de nous donner une place dans le paisible cimetière de sa station pour y creuser la tombe définitive de notre chérie petite Nelly. En y déposant la dépouille de cette enfant au son de ces paroles : « Nous rendons la poudre à la poudre, la cendre à la cendre... mais l'âme est retournée à Dieu qui l'avait donnée », nous sentîmes qu'un lien de plus nous unissait à ce pays et à cette oeuvre.
Cependant, je ne m'arrêtai pas longtemps dans ce lieu. Mon but était Toronto où je devais m'entretenir avec mon comité directeur et recevoir ses instructions relativement à la tâche nouvelle que je venais d'entreprendre.
Je rencontrai là le missionnaire Crosby, cet homme remarquable dont le Maître de la moisson s'était servi pour faire une grande oeuvre dans la Colombie britannique et l'Alaska et qui avait tant à raconter de l'ardent intérêt des indigènes pour les enseignements évangéliques et des changements merveilleux dont il était témoin au milieu d'eux. Je passai quelques mois à tenir avec lui des réunions missionnaires. D'immenses foules se réunirent autour de nous dans un grand nombre de villes du Canada. Si je ne me trompe, les recettes des sociétés de missions furent, cette année-là, les plus considérables qu'elles eussent jamais enregistrées.

Cette tâche achevée, je retournai à celle qui m'attendait auprès des Peaux-Rouges de Berens River. Quittant la province d'Ontario le 6 avril, je voyageai vingt-trois jours consécutifs avant de me retrouver au milieu d'eux.

À mon passage à Winnipeg - alors encore un petit village bien qu'il représentât pour nous une capitale - j'eus la joie de rencontrer mon bien-aimé président, le révérend George Young - notre compagnon de voyage lors de notre premier départ - qui avait, dès le début, pris le plus grand intérêt à mon oeuvre et fait tout ce qui était en son pouvoir pour la favoriser comme pour contribuer à notre bien-être. Quel privilège pour nous missionnaires dans l'intérieur, d'avoir un tel homme pour veiller à nos intérêts et pourvoir à notre ravitaillement. En effet, durant des années, nous n'eûmes, sur nos stations, aucun argent ; nous trouvions plus pratique de faire convertir notre traitement en marchandises que nous recevions une fois l'an de Winnipeg. Notre excellent président voulait bien se charger d'acheter, de faire emballer et de nous faire parvenir tout ce dont nous avions besoin, soit pour notre propre ménage, soit pour le paiement des instituteurs, interprètes, guides, rameurs, chefs d'attelages et autres aides dont le concours nous était nécessaire. On sent que, privés de son intervention, nous eussions pu être cruellement trompés et exploités dans ce domaine, qui n'était pas sans importance pour nous.

Je trouvai à Winnipeg mes hommes et mes chiens qui étaient descendus à ma rencontre ainsi que nous en étions convenus à mon départ. Une fois mes marchandises achetées et chargées sur les traîneaux, j'attaquai la dernière partie de ce long voyage. Commencé en un luxueux wagon de chemin de fer, il se terminait dans l'équipage que l'on sait. Après ces six mois d'interruption et de vie civilisée employés à plaider la cause des Indiens devant des auditoires considérables et enthousiastes, je me remis bien vite à ma vie sauvage. Les courses à toute vitesse sur le grand lac gelé, le froid intense qui nous faisait grelotter malgré le violent exercice du pas gymnastique, la douleur aiguë et presque insupportable causée par la réverbération du soleil sur les immenses plaines éblouissantes de blancheur, le coucher à la belle étoile, dans des trous creusés dans la neige, tout cela fut affronté avec succès et joyeusement enduré de nouveau.

PEINANT A TRAVERS BOIS SUR NOS RAQUETTES A NEIGE

Les Salteaux me firent un accueil chaleureux et je fus très satisfait de constater que ceux auxquels j'avais confié le travail s'en étaient acquittés consciencieusement et non sans de bons résultats. Ils avaient édifié un " log house " de huit mètres sur quatre. Je m'installai dans la moitié de cette petite maison qui me servit de cuisine, de chambre à coucher, de salle à manger, de cabinet de travail, de chambre de réception, de tout enfin. Mes deux meilleures bêtes, Jack et Cuffy, la partagèrent avec moi pendant plusieurs mois qui furent pour nous tous une période heureuse et occupée. Vêtu du costume des natifs, je travaillai ferme avec quelques robustes gaillards, parmi lesquels Tom et Martin, à abattre et préparer le bois de construction nécessaire pour notre temple, notre école, notre presbytère. La tâche était malaisée, car, non seulement il nous fallait prendre ce bois dans une île assez éloignée, mais encore les troncs suffisamment gros croissant toujours à une certaine distance les uns des autres, nous étions obligés d'aller à leur recherche et, une fois que nous les avions trouvés, abattus, mesurés, équarris, de leur frayer, pour ainsi dire à chacun, un nouveau chemin dans une neige de plus d'un mètre et au milieu d'épais fourrés et de troncs tombés précédemment. Quand nous avions fixé une des extrémités de la poutre sur un traîneau, quatre chiens placés l'un devant l'autre, l'enlevaient avec une rapidité surprenante. Nous en avions trente-deux sous le harnais, aussi notre pile de bois augmentait-elle à vue d'oeil en dépit des circonstances adverses.

Lors même qu'à mon arrivée la saison fût très avancée, bien des semaines s'écoulèrent encore avant que nous pussions apercevoir aucun indice du printemps, si ce n'est que les jours s'allongeaient et que le soleil paraissait plus brillant, mais les vastes étendues de neige demeuraient dures et craquantes. Aucune humidité dans l'air parfaitement pur, aucun brouillard, le ciel toujours dépourvu de nuages. Presque chaque matin, durant ces semaines de dur labeur, il nous était donné de contempler d'étranges et magnifiques scènes de mirage. Des îles, des caps lointains s'élevaient de dessous l'horizon et nous apparaissaient comme voisins. À peu d'exceptions près, nos nuits étaient glorieuses aussi, surtout lorsque la brillante lumière du nord célébrait une de ses féeries en prenant pour théâtre le grand lac Winnipeg.
La clarté commençait généralement à poindre à l'horizon du côté du septentrion et s'avançait majestueuse, tantôt remplissant le firmament tout entier de ses colonnes colorées, tantôt faisant jaillir comme des nuages de splendeur et de gloire constamment changeants. Parfois elle formait au zénith une merveilleuse et éblouissante couronne d'où partaient comme des traits de longues colonnes lumineuses de différentes teintes qui éclairaient au loin les rivages glacés. Souvent j'ai vu un nuage brillant glisser rapide à travers ces colonnes, telle une main touchant les cordes d'une prodigieuse harpe. L'illusion était si forte, que, instinctivement, nous écoutions saisis. Il m'est arrivé d'arrêter subitement mes chiens et mes hommes, lorsque nous voyagions sous ces scènes fascinantes, qui nous mettaient presque hors de nous - n'est-ce pas là du reste le sens du mot extase ? et nous avons prêté l'oreille à cette harmonie céleste que quelques voyageurs arctiques affirment avoir perçue et qu'il me semblait pour ainsi dire impossible de ne pas entendre. Toutefois, lors même que je m'y sois attendu des années durant dans le silence absolu de ces immenses solitudes, je n'ai jamais ouï aucun son. Les beautés resplendissantes sont toujours restées pour moi aussi silencieuses que les étoiles qui les dominaient.

Le dimanche nous avions de délicieux services ; presque tous les natifs, à plusieurs milles à la ronde, venaient y assister et de belles conversions m'encourageaient constamment.

Lorsque le printemps parut enfin et que la navigation devint possible, nos bateaux arrivèrent et nous pûmes aller chercher, à la Rivière Rouge, quantité de matériaux de construction et deux habiles charpentiers. L'érection de la maison missionnaire put alors commencer, de même que celle d'une vaste maison d'école qui devait provisoirement servir en même temps de temple. Nous l'appelions « le Tabernacle » et, pendant longtemps, elle répondit parfaitement à son double but.

Mes charpentiers, une fois mis à l'ouvrage avec mes aides, je me suis rendu à Winnipeg à la rencontre de Mme Young et de mes deux petites filles qui étaient restées à Ontario chez des amis jusqu'à ce que j'eusse pu leur préparer un abri et qui maintenant venaient me rejoindre. Au début, il nous fallut nous contenter de mon « log house » de quatre mètres sur quatre. Par le temps sec ou froid, tout allait bien, mais il n'en était plus de même par le temps humide, encore moins par la pluie. La toiture se composait de bûches de peuplier appuyées contre une perche centrale et recouvertes d'une épaisse couche de terre glaise. Séchée et durcie, cette glaise constituait la meilleure protection contre le froid, tandis que, ramollie, elle tombait par plaques sur le lit, la table, le fourneau ou le plancher, je laisse à penser l'agrément. Un matin, nous en trouvâmes une motte qui devait peser plus de cinq livres tombée aux pieds de notre cadette qui dormait paisiblement dans sa couchette à notre côté. Cependant notre nouvelle demeure s'achevait et, au bout de quelques semaines, nous eûmes le bonheur de nous y établir dans un confort relatif et de pouvoir désormais porter toute notre attention sur la grande oeuvre de l'évangélisation.

Prospère en une certaine mesure, notre mission ne fit pourtant pas des progrès aussi rapides que je m'y attendais. J'avais compté que le trop-plein de la population de Norway-House viendrait s'y établir et que plusieurs familles de l'intérieur, se rapprocheraient de nous, comme elles l'avaient promis, et collaboreraient à la fondation de la station. Il s'éleva quelques objections et les Crees de Norway-House préférèrent se fixer un peu plus au sud. En fin de compte ce fut dans cette nouvelle localité que soixante-dix familles s'installèrent et formèrent une annexe florissante.

L'oeuvre avançait donc, lors même que ce ne fût pas selon le plan que quelques-uns d'entre nous en avaient tracé.
Ma vaillante compagne s'évertuait avec moi. Des occasions ne nous manquaient pas d'exercer en commun les excellentes vertus du courage, de l'espérance, de la foi, de la patience ; et nous avions la joie de voir le succès nous sourire toujours en quelque mesure. Constamment il nous était donné de constater quelque signe de progrès et de temps à autre nous étions témoins de telle conversion franche et décisive ; une âme sortait de la plus abjecte dégradation et de la superstition, pour recevoir la joyeuse assurance de la faveur et de la bénédiction divines.

Un été, nous eûmes la visite d'une « cheffesse » de l'intérieur, accompagnée de plusieurs suivants. Son mari avait été à la tête de sa tribu ; à sa mort elle avait pris sa charge et s'en acquittait à merveille. Lors même qu'elle demeurât à plusieurs journées à l'Est, elle avait entendu parler du missionnaire qui était venu vivre au milieu des Salteaux pour leur faire part des enseignements du Grand Livre. N'était-elle pas une Salteau et n'avait-elle pas le droit de connaître cette nouvelle manière de vivre dont on parlait tant ? C'est pourquoi elle arrivait à la station.
De suite nous reconnûmes en elle une femme intéressante et nous fîmes notre possible pour éclairer et diriger dans la bonne voie cet esprit candide et curieux de la bonne curiosité. Avant son départ, je lui donnai une feuille de papier et un crayon et lui montrai comment elle devait s'y prendre pour savoir quand ce serait dimanche, car, parmi plusieurs autres instructions, je lui avais parlé du jour du Seigneur qui nous est donné pour le repos et l'adoration et cela l'avait frappée ; elle se promettait de l'observer.

Comme son canot s'éloignait de notre rivage, elle me lança une dernière et importune requête : « Viens, aussitôt que tu le pourras, visiter moi et mon peuple dans notre propre pays ! » Je ne pus m'y rendre qu'au milieu de l'hiver suivant.
Sa joie fut vive et démonstrative lorsque je fis irruption dans son village avec mes deux compagnons et mes attelages. Vite, elle courut chercher deux têtes d'élans qu'elle avait tenues suspendues en plein air pour les conserver par le gel jusqu'au moment de ma visite. On les flamba pour enlever le poil, puis elles furent coupées à la hache en morceaux d'un kilo environ et mises au pot. Je fournis du thé et, pendant les apprêts du repas, ceux qui n'y étaient pas occupés s'assirent pour causer.

Ces gens étaient affamés d'instruction spirituelle. Je leur lisais quelques fragments de l'Écriture et, avec le concours de mon interprète, leur expliquais une vérité après l'autre. Ils y apportaient la plus sérieuse attention. Le dîner nous réunit en cercle dans le wigwam de la cheffesse autour d'un vaste plat en bois où l'on avait jeté le contenu de la marmite. Comme mes hommes et moi étions les hôtes de la bonne dame, je ne sortis pas mes assiettes et gobelets d'étain, mes couteaux et fourchettes. J'implorai la bénédiction divine, puis le repas commença. Le plan était que chaque convive s'emparât de l'un des morceaux le tenant à la main, et, à l'aide d'un couteau de chasse ou de ses dents, s'en appropriât les parties mangeables.

J'ai le regret de dire que mon honorable voisine de droite avait des mains d'un aspect fort sale et de fortes dents longues et brillantes. Elle saisit son morceau et, après l'avoir abondamment manipulé, se mit en devoir de le déchiqueter d'une manière fort peu classique. Elle en mordit quelques bouchées puis, subitement, le jeta devant elle sur le sol pour tirer de son sein une grande feuille de papier graisseuse et noircie qu'elle déploya devant moi en me racontant avec beaucoup d'excitation comment elle avait tenu le compte des « jours de prière », le dimanche. Vivement intéressé par le ton joyeux et pittoresque dont elle me narrait ses efforts pour tenir exactement son répertoire, je m'arrêtai de manger et considérai le papier. Imaginez ma joie en constatant que, durant les longs mois qui venaient de s'écouler depuis que je lui avais remis papier et crayon, elle n'avait pas manqué un jour de tracer sa marque : six courtes barres successives pour les jours ouvrables, puis une plus longue pour le dimanche ; or nous étions au mardi et son papier l'indiquait bien ainsi. « Missionnaire, disait-elle avec sérieux, j'ai été plus d'une fois tentée de manquer à mon engagement, car des canards ou des oies s'approchaient très près et j'étais sur le point de saisir mon fusil et de faire feu, puis je me souvenais que c'était le jour de la prière, alors je le reposais et faisais vite ma longue barre. Je n'ai pas tendu un filet ni pris un poisson, ni tiré un seul coup de feu dans ce jour depuis que tu m'en as parlé là-bas chez toi. » Ce discours me réjouit fort, on peut le croire et j'ajoutai quelques mots d'encouragement après quoi. le repas interrompu reprit de plus belle. Ayant replacé le précieux papier et le crayon, elle ramassa son morceau et continua à y mordre à belles dents, tandis que je m'évertuais à extraire du mien ce que je pouvais à l'aide de mon couteau de poche. Tout d'un coup, elle s'arrêta et après l'avoir regardé attentivement, elle s'écria : « Ton morceau n'est pas fameux ; le mien est excellent », et, avant que j'eusse pu protester ou dire un mot, elle avait opéré un échange et je me voyais dans la cruelle nécessité de finir mon repas selon son gré. Ce qu'elle venait de faire est considéré comme un acte de suprême bienveillance ; aussi eus-je garde de laisser voir aucun déplaisir et m'efforçai-je de réprimer mon dégoût et d'accomplir bravement mon devoir.
Ensuite, le service religieux nous absorba de nouveau.
Peu après, cette femme devint une chrétienne décidée.
Cependant, il vint un moment où, ma femme étant tombée malade, nous nous vîmes contraints de quitter cette contrée et d'aller travailler dans une autre partie de la vigne du Seigneur.

L'oeuvre était désormais implantée au sein de cette tribu des Salteaux, si méchante et si dégradée, bien différente de celle des pacifiques Crees. Une vaste école - le Tabernacle que j'ai mentionné - y avait été construite de même qu'un presbytère, ou mieux une demeure suffisante pour le missionnaire et sa famille, contenant tous les meubles nécessaires.

Dans ce champ de travail, nous avons été en butte à une grande opposition, et cela souvent de la part de personnes dont nous aurions attendu tout autre chose. Malgré cela, nos coeurs étaient joyeux, car Celui qui nous avait appelés à « sortir » pour répandre la semence nous avait aussi accordé l'honneur de voir quelques gerbes dorées prêtes à être recueillies dans le grenier céleste.

Notre dernier dimanche fut peut-être le plus réjouissant de tous ceux que nous avons passés dans la mission. Notre tabernacle était bondé et une partie de l'auditoire qui n'avait pu y pénétrer, stationnait à l'entour. Il y eut, soit le matin, soit l'après-midi, plusieurs baptêmes parmi lesquels celui d'un vieillard avec sa femme et l'un de ses petits-enfants. Cet homme n'avait jamais auparavant assisté à un culte public, mais il m'avait précédemment entendu annoncer l'Évangile dans son village. Il avait attaché un grand prix à la Bible et au recueil d'hymnes que je lui avais remis alors ; la nuit, il les plaçait sous son oreiller et le jour il les avait toujours sous la main, essayant de les lire.
N'y parvenant que très imparfaitement, il repassait du moins dans sa mémoire tout ce qu'il en avait déchiffré ou ce que je lui en avais raconté.
La sainte Cène fut aussi célébrée ce jour-là et j'y admis pour la première fois plusieurs nouveaux membres baptisés quelques mois auparavant. Ce fut comme le sceau que notre divin Maître mettait à notre ministère.

Des pays de l'Aurore
Aux plaines du couchant,
Partout où l'homme adore
S'élève un cri touchant,
C'est la clameur immense
Des peuples à genoux :
« N'est-il pas de clémence,
Point de grâce pour nous ? »
 
En vain dans sa détresse,
L'homme, sous tous les cieux,
Fait et détruit sans cesse
Des temples pour ses dieux.
Toute prière est vaine,
Tous ces dieux sont mortels
Et tu meurs, foule humaine,
Aux pieds de tes autels !
 
0 vous à qui le Père
Par Christ s'est révélé,
Pour qui, sur le Calvaire,
L'Agneau fut immolé ;
C'est vous, c'est vous qu'appelle
Le cri des malheureux,
Car la Bonne Nouvelle,
Elle est aussi pour eux
 
À toute âme flétrie,
À tout coeur désolé,
Parlez de la patrie
Dont il est exilé !
Dites-leur : « Crois, espère »
Et, leur prenant la main,
Conduisez-les au Père
Par Christ, le seul chemin !
(R. S.)

FIN

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