Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Ténèbres et Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS DE MATHILDA WREDE

Un dernier mot de Mme Joséphine von Knorring.

 

C'est avec beaucoup d'amour et une grande joie que j'ai travaillé à la traduction de cette oeuvre, mais un sentiment de mélancolie s'empare de moi, au moment où je vois mon travail achevé : il me semble que je suis appelée à prendre congé d'un ami, que je ne reverrai plus.

Je me sens pressée d'ajouter quelques mots à l'oeuvre que je présente au public en donnant essor au sentiment de vénération et de chaleureuse gratitude que J'éprouve pour cette femme qui laisse après elle un aussi lumineux sillon de son passage parmi les enfants des hommes.

En dépit des descriptions les plus exactes, celui qui n'a pas connu personnellement Mathilda Wrede est incapable de se faire une juste idée de cette personnalité unique et puissante. Quant à celui qui a eu le rare bonheur de l'approcher, ne fût-ce qu'une seule fois, il ne l'a sûrement plus jamais oubliée.

C'est, il y a environ quatre ans, que j'ai rencontré Mathilda Wrede pour la première fois. J'arrivais, sans être attendue, auprès des deux soeurs Marie et Aline de Nicolay, dans leur propriété de Monrepos, près de Wiborg. Toute la famille était à table et, à ma joyeuse surprise, Mathilda Wrede dont je désirais faire la connaissance depuis longtemps, se trouvait aussi parmi les personnes présentes. C'est alors que commencèrent les questions et les récits. Nous causions en allemand. Mathilda Wrede était assise silencieuse, la tête légèrement rejetée en arrière, dans une attitude particulière ; seul son regard, plein de vie, s'attachait attentif à la nouvelle venue. À ce que j'appris plus tard, la langue allemande ne lui était pas très familière. Elle m'interpella tout à coup en français :

- Baronne, savez-vous le suédois ?

Sur ma réponse affirmative, elle s'écria avec vivacité

- Parfait ! nous pourrons alors causer agréablement ensemble. je suis persuadée que nous avons beaucoup de choses à nous dire.

Surprenant quelque étonnement dans mon regard, elle ajouta :

- Le travail que j'ai accompli pendant ma vie m'a rendue perspicace. C'est pourquoi je sens immédiatement ce que j'ai à faire.

J' eus bientôt l'occasion d'admirer sa connaissance extraordinaire des hommes et la finesse de son intuition. Une fois le repas achevé, elle me prit le bras, et nous fûmes bientôt plongées dans un entretien qui dura plusieurs heures et qui est demeuré inoubliable dans mon souvenir; j'éprouvais le même sentiment que le voyageur qui, après une montée pénible, sur un sentier rapide et rocailleux, peut enfin respirer et reprendre haleine. Je passais à cette époque-là par une crise pénible, due à des causes variées. J'ai compris alors pourquoi Mathilda possède un tel pouvoir sur les âmes, qu'il s'agisse d'un tzigane ou d'un grand seigneur rencontré parmi le troupeau pitoyable des fugitifs à la frontière russe, d'un buveur à bout de ressources, qui lui joue un dernier air d'harmonica dans une rue d'Helsingfors, ou d'une association ouvrière, en excursion, et rencontrée par hasard.

Quand Mathilda Wrede donne des leçons d'anglais à un prisonnier cultivé, blessé dans son âme, ou quand elle adresse une semonce méritée à un cordonnier qui n'a pas tenu la promesse faite, c'est toujours la même femme, poussée par l'amour fraternel, qui se prodigue, qui comprend tout, qui pardonne tout, et qui par là même guérit tout. Toute sa vie est pénétrée de cet amour fraternel qui se reflète en son clair regard, lui met sur les lèvres, et au bon moment, le mot qu'il faut dire et qui triomphe de son corps maladif, quand il s'agit de se mettre au service de Dieu.

Sa foi et son amour chrétiens n'ont rien de commun avec ce christianisme théorique, onctueux, qui est celui de tant de vieilles «tantes» moroses qui, dès qu'elles se trouvent en face des tragiques réalités de la vie, ne savent plus quel conseil donner. Son christianisme à elle est pratique, foncièrement pratique ; elle a compris les paroles du Maître : Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je suis venu appeler non des justes, mais des pécheurs (Marc 11, 17). Et c'est aux malades, aux misérables, à ceux que le monde repousse qu'elle a voué sa vie!

Quant à son humour, il est inséparable de sa personnalité et s'élève souvent, en souffle bienfaisant, qui rafraîchit et purifie. C'est pourquoi toute sa personne répand tant de joie, Il suffit de penser à Mathilda Wrede, à son visage caractéristique, aux traits accentués, pour se sentir tout à la fois plus joyeux et plus libre.

La dernière fois que je vis Mathilda Wrede c'était à Helsingfors, à son foyer, en automne 1924. Elle relevait d'une maladie de plusieurs semaines, et son coeur était encore si faible que la conversation lui causait des crises d'étouffement. Je venais pour l'entretenir de la traduction de cet ouvrage et je me faisais des reproches de la contraindre à parler. Mais la tentation de passer une heure en sa compagnie était trop forte: je ne pus y résister. Il était tout naturel qu'elle me reçût avec la grande cordialité qui lui était propre, cette cordialité avec laquelle elle accueille, du reste, tout enfant des hommes que Dieu place sur son chemin. Elle met dans son accueil toute la franchise, toute la chaleur de son âme. C'est pour elle une impérieuse nécessité de communiquer aux autres les trésors de vie intérieure dont Dieu l'a si richement douée. Quand je pénétrai dans sa chambre, j'étais sous la forte impression d'une expérience désagréable qui paralysait mes pensées et mes sentiments ; mais je ne fis pas mention de mes dispositions intimes et notre conversation roula sur des sujets d'un intérêt plus général.

Une heure plus tard, je quittais le foyer confortable de Mathilda Wrede avec le sentiment de m'être désaltérée ou d'avoir respiré la brise saline et fortifiante du large. Mon abattement avait disparu. En redescendant l'escalier, je pensais: «Dieu seul sait combien d'hommes lassés qui ont rencontré Mathilda, l'ont quittée fortifiés et consolés. Et si, même dans leur vie tout entière, ils n'ont pu vivre que deux expériences analogues à celles qui sont racontées dans ce livre : « Rien qu'un vieil os, trouvé dans la soupe » et «Aux travaux forcés et dans les fers », Mathilda Wrede n'aurait pas vécu en vain.),

Vie trois fois bénie !

Ce sont, en réalité, des fleuves d'eau vive qui ont jailli de sa personne. Loué soit Dieu, le Père des miséricordes, qui, pour la consolation, pour la bénédiction de ses pauvres et faibles enfants, envoie, dans sa vigne, après les avoir munis de sa force et de son amour, des ouvriers tels que Mathilda Wrede !


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