Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

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JAMES FINLEY


Ses premières années. - La Caroline du Nord au lendemain de la Révolution. - Son père. - Sa conversion à Cane-Ridge. - Ses débuts dans l'itinérance. - Son courage chrétien. Conversion d'un vieux trappeur. - Sa charité. Le tremblement de terre de 1812. - Luttes contre l'intempérance. - Son oeuvre parmi les Indiens. - L'Indien Yeux-gris. - Finley, d'après M. Jobson. - Sa mort.

 James B. Finley occupe une place à part au milieu de nos pionniers. Son éducation première, identique à la leur par certains côtés, en différait considérablement à d'autres égards; il avait de plus que la plupart d'entre eux des traditions de famille, religieuses et autres, qui devaient influer sur son développement et marquer sa carrière d'un sceau tout spécial; il reçut aussi de bonne heure une culture intellectuelle à laquelle ses collègues furent généralement étrangers.

Finley naquit en 1781, dans la Caroline du Nord. Son père, qui avait fait ses études au célèbre collège de Princeton, dans le New-Jersey, était un pasteur presbytérien distingué, et par sa mère il descendait d'une riche famille du pays de Galles. Les premières années de Finley se passèrent au bruit des armes, quoique à l'ombre d'un presbytère. La révolution américaine avait laissé après elle bien des froissements d'intérêt et d'amour-propre, bien des haines sourdes et violentes, qui ne tardèrent pas à éclater au sein d'un pays où la pacification des esprits ne pouvait s'accomplir que très lentement et où le gouvernement nouveau avait à traverser tous les tâtonnements des débuts. Cette effervescence des esprits était grande autour du presbytère; les vaincus de la veille n'avaient pas abandonné toute espérance, et les vainqueurs, de leur côté, n'étaient pas disposés à leur céder le pas. Des violences et des luttes sanglantes avaient lieu, et la famille du pasteur, dont les sentiments patriotiques étaient connus, eut souvent à souffrir de la part des Tories ou partisans de l'ancien état de choses, qui étaient nombreux dans cette partie du pays. Cette aristocratie du Sud voyait avec colère la prépondérance des principes nouveaux, et elle avait recours aux procédés les plus barbares pour perpétuer la résistance. La place publique était continuellement le théâtre de luttes et d'assassinats, qui répandaient la terreur. Tous les frères de la mère de Finley, qui avaient chaleureusement épousé la cause de l'indépendance nationale, périrent de mort violente, soit lâchement assassinés, soit en vendant chèrement leur vie dans de sanglantes rencontres. Son père lui-même était à chaque instant menacé de mort, et un matin qu'il sortait de chez lui, une balle siffla à son oreille et resta engagée dans ses vêtements. Un des anciens de son église, moins heureux que lui, fut tué d'un coup de fusil par sa fenêtre, pendant qu'il était agenouillé avec sa famille pour le culte domestique.

Dégoûté de cette vie de luttes, qui ne lui laissait guère le calme nécessaire pour s'occuper fructueusement de son troupeau, et poussé d'ailleurs par une irrésistible soif d'aventures, le pasteur partit, en 1788, pour l'Ouest, où il s'établit comme colon, sans négliger cependant sa vocation spéciale. Son fils James, né au milieu des combats de la guerre civile, grandit au sein des luttes moins sanglantes, mais aussi émouvantes, de la vie de l'émigrant. Des chants de guerre avaient bercé son enfance; son adolescence se passa au milieu de ces mille voix de la nature sauvage qui résiste à la conquête de l'homme. Son corps se fortifia et son âme se trempa dans ces rudes labeurs; le jeune colon devint intrépide à chasser le loup, l'ours, le daim et le buffle; il n'avait pas son pair, lorsqu'il fallait saisir la carabine pour repousser les agressions des Indiens. Sous la direction paternelle, son esprit se familiarisait avez les diverses connaissances humaines, et sa vive intelligence savait mettre à profit les loisirs d'une vie active pour se développer et s'enrichir par des exercices de tout genre.

Le père de Finley était un presbytérien rigide, fort attaché à la doctrine calviniste de la prédestination absolue. Finley nous déclare que l'importance excessive que son père et ses amis donnaient à cette manière de voir et l'insistance qu'ils mettaient à la placer toujours au premier plan, lui firent prendre en haine toute piété, et le jetèrent dans tous les excès d'une vie mondaine et dissipée. Sans admettre la doctrine des décrets' que sa raison et sa conscience repoussaient, il se créa, faute de mieux, une sorte de fatalisme irréligieux qui s'alliait fort bien avec tous les excès d'une vie sans Dieu. Cette crise pénible ne pouvait se terminer que par un choc violent; le jeune homme le trouva dans ce grand réveil de Cane-Ridge que nous avons raconté et dont il fut l'un des fruits. Nous ne reviendrons pas sur cette conversion remarquable que nos lecteurs connaissent déjà en détail (1); elle mit un terme à une période douloureuse de la vie intérieure de Finley. Elle ne fut pas tout d'une pièce pourtant, cette conversion si chèrement achetée; esprit essentiellement raisonneur, Finley avait plus de peine que d'autres à accepter la simplicité de la foi.

Le camp religieux de Cane-Ridge, outre cet excellent résultat de changer le cours de l'existence de James Finley eut pour effet de le mettre en relation avec l'Église méthodiste qui venait d'entreprendre avec tant de zèle l'évangélisation de l'Ouest. Finley ne tarda pas à découvrir qu'il y avait entre elle et lui communion d'idées et de sentiments; d'autre part, le désir de faire du bien était très vif chez lui. Pour un esprit aussi ardent, l'hésitation n'était pas longue; lui le fils d'un pasteur presbytérien, il se donna à l'Église méthodiste, pour la servir de toutes ses forces; il déclara ne s'en être jamais repenti. Son père lui-même devint peu après membre de cette Église, tout en conservant ses points de vue particuliers.

À mesure qu'il avançait, Finley se persuadait davantage que sa véritable vocation n'était pas de demeurer colon, et qu'il y avait pour lui quelque chose de mieux à faire que de chasser le daim ou l'ours. Après de grandes luttes avec lui-même, il se décida à offrir ses services à l'Église de l'Ouest; c'était au point de vue matériel un pauvre échange que celui qu'il allait faire, car il était marié et à la tête d'un établissement prospère, et nos lecteurs savent quelle position matérielle plus que misérable l'Église faisait à ses missionnaires. Finley était inaccessible à des considérations de cette nature, et ses hésitations ne lui furent inspirées que par un vif sentiment de sa faiblesse.

Son premier circuit l'envoyait à cent trente milles de sa demeure, au milieu d'un pays sauvage, où il ne pouvait pas être question au début de transporter sa jeune famille; il fallut donc la laisser derrière soi.

« Je n'oublierai jamais, nous dit-il, la scène du départ. Il me semblait que je disais adieu pour toujours à ma femme, à ma petite fille, à mes parents, au monde entier. Nous priâmes ensemble, je les embrassai tous, puis je montai en selle et partis. Arrivé à un endroit où le chemin tournait, je voulus jeter un dernier regard à mes bien-aimés, et je les vis tout en larmes. Je sentis en moi à ce moment une terrible révolte de la nature; néanmoins la grâce triompha, et je lançai mon cheval en avant. »

Ses premiers pas dans la carrière missionnaire auraient été de nature à rebuter tout autre. Il eut à faire un long voyage sous une pluie battante, dont une mauvaise couverture, jetée sur ses épaules ne le préservait guère. Le premier membre de l'Église qu'il rencontra le toisa des pieds à la tête et lui dit un peu dédaigneusement : « Vous avez l'air de toute autre chose que d'un prédicateur. » Lorsqu'il eut passé quatre mois au milieu de ces ouailles peu sympathiques, il fut pris du mal du pays ou plutôt de la famille, et écrivit à son père de lui amener sa femme et son enfant. Ne sachant où leur trouver un logement, il reprit pour quelques jours sa hache, abattit quelques arbres et leur construisit une cabane de douze pieds sur quatorze; c'était assez grand pour son petit mobilier, qui se réduisait à un lit et quelques escabeaux. Tout cela ne s'était pas fait sans des frais qui avaient épuisé les petites ressources du prédicateur. Il raconte qu'à cette époque il dut vendre une paire de bottes pour faire quelque argent.

Il faut le voir dans ces premiers jours de son ministère, ardent et infatigable à la poursuite des âmes qui se perdent. Si, d'aventure, sa monture égarée vient s'arrêter au soir d'une journée de marche à la porte de la maison d'une famille irlandaise et catholique, il saura, à force de douceur, d'amour et de simplicité, vaincre les préjugés de ses membres et les amener à l'Évangile; désormais cette maison sera pour lui un lieu de culte, où son arrivée sera saluée avec joie. Si, dans un village, toutes les portes lui sont fermées, il s'établira sur la place publique et y prêchera si bien que les dispositions seront toutes changées et qu'un vieil Allemand incrédule dira à son fils :

« Jacob, si nous ne devenons pas meilleurs, le diable nous prendra à lui. » Si l'opposition est trop forte, il ira audacieusement braver ses adversaires en plein cabaret et les contraindre à entendre chez eux la prédication de l'Évangile qui les condamne. Son courage faillit un jour lui coûter cher; un colon dont la femme avait été convertie, prétendait qu'il l'avait ensorcelée et l'attendit, le fusil à la main, sur le chemin où il devait passer; une circonstance providentielle le délivra de la colère de ce fanatique .

Il savait admirablement trouver le côté accessible des plus opposés, le défaut de la cuirasse des mieux armés, Voici, raconté par lui-même, un trait qui montre la fécondité de ressources et l'habileté de conduite qu'il savait déployer en présence des moins bien disposés.

« Dans les limites de mon circuit, vivait un chasseur à moitié sauvage. il passait sa vie dans les bois et ne voyait personne; aussi ses voisins ne cachaient pas que sa présence leur causait quelque effroi. Je pris la résolution de m'éloigner un peu de ma route habituelle, pour lui faire visite et m'efforcer de lui faire quelque bien. Je m'arrêtai donc un jour devant la porte de la pauvre cabane qu'il habitait avec sa famille, et lui demandai s'il pourrait me procurer quelque nourriture pour moi-même et pour mon cheval. Il me toisa d'un regard farouche et me dit sans cacher sa mauvaise humeur : « Nous pourrons voir. » Sur ce consentement ambigu, je mis pied à terre, attachai mon cheval et pénétrai hardiment dans l'antre du vieux sauvage. Pendant que sa femme m'apprêtait un peu de nourriture, le misanthrope ne desserrait pas les dents et semblait Irrité contre moi à cause de J'empiétement que je tentais sur ses domaines, et contre soi-même à cause de la lâche concession qu'il avait faite en tolérant cette intrusion. Un fusil que je vis suspendu au-dessus de la porte vint fort à propos me fournir une occasion de rompre ce silence qui devenait embarrassant pour moi et qui pouvait lui inspirer de mauvaises pensées à mon sujet.

- Vous avez là une belle arme, lui dis-je en essayant de prendre cet incorrigible chasseur par son côté vulnérable.
- Oui, répondit-il avec le laconisme d'un oracle.
- Êtes-vous bon tireur, Monsieur Reeves?
- Je me vante d'être l'un des meilleurs du pays, dit-il avec quelque fierté.
- Et vous sentiriez-vous de force à me battre au tir?
- Non seulement vous, mais qui que ce soit, ajouta-t-il de l'air le plus dédaigneux.
- Je me permets d'en douter.
- Dînez seulement, répondit-il, piqué au jeu, et je vous en aurai bientôt donné la preuve. »

Il prit alors son fusil, et pendant que je mangeais, il le nettoya avec soin, le chargea et l'amorça, puis attendit avec une certaine impatience le moment de confondre ma bravade. Nous sortîmes, il fixa une cible, puis me tendant l'arme, il me dit . « A vous le premier coup. » Je couchai en joue et fis feu, puis il en fit autant; ma balle avait atteint le centre de la cible et la sienne en était à quelque lignes. Nous répétâmes l'expérience deux fois encore avec des résultats à peu près semblables. Mon homme s'intéressait tellement à la chose qu'il voulait prolonger l'exercice et prendre sa revanche. Mais j'avais autre chose à faire que de lui prouver mon adresse; il me suffisait d'avoir gagné son respect et intéressé son amour-propre; je lui dis : « Si cela vous fait plaisir, je repasserai dans quelques semaines, lorsque l'ordre de mes services me rappellera de ce côté, et nous pourrons nous exercer encore. »

J'ajoutai :

- Si vous voulez bien dire à vos voisins de se réunir chez vous, d'aujourd'hui en quatre semaines, je leur donnerai en même temps une prédication. » Sur cela, je pris congé de mon nouvel ami.

Quand je revins, je trouvai rassemblée pour la prédication, toute la population de la contrée à quatre milles à la ronde. J'eus une grande liberté de parole, et je vis couler des larmes abondantes, tandis que je parlais affectueusement du salut à ces pauvres gens. Lorsque l'assemblée se fut dispersée, le chasseur me dit : « Monsieur, je vous laisse, il me faut aller visiter mes trappes. » Je lui offris de l'accompagner. Tout en lui aidant à tendre ses pièges, je me mis à lui parler de son âme et j'amenai la conversation sur le salut offert par Jésus-Christ. D'abord il m'écoutait avec embarras et méfiance; mais peu à peu son âme s'amollit, il sentit la puissance de la vérité et il éclata en démonstrations presque passionnées de douleur morale et de repentance. Nous rentrâmes chez lui, et je pus prier au milieu de cette famille ce soir-là et le lendemain matin. Ce ne fut qu'à ma prochaine visite que le vieux chasseur obtint la paix par la foi; je formai peu après une classe dans sa maison; il en fut le conducteur. »

On voit par ce récit l'usage ingénieux que Finley savait faire de son adresse et de ses talents d'enfant de l'Ouest; on ne peut qu'admirer cet art merveilleux, qui fut commun à tous nos pionniers, de se mettre au niveau des intelligences les plus variées, pour leur faire saisir de quelque façon les vérités du salut. Cette tactique naïve peut amener le sourire sur nos lèvres; elle ne demeure pas moins l'indice incontestable d'une rare énergie d'action et d'une adaptation remarquable de l'ouvrier à l'oeuvre. Quand nous aurons fait avec nos manoeuvres oratoires savamment combinées, ce que ces hommes rudes et simples firent avec leur stratégie toute primitive, il sera temps de leur jeter la pierre.

Si Finley se montra dès l'origine de son ministère intrépide et vaillant, il sut aussi déployer cette mansuétude et cette débonnaireté de coeur qui sont tout aussi indispensables au ministre de Jésus-Christ. Son circuit avoisinait le champ cultivé par les Moraves; il entretint avec eux les rapports les plus fraternels, et il rend le plus cordial hommage à leurs travaux évangéliques. La charité du jeune missionnaire était inépuisable, et son désintéressement était sans limites. Il lui arriva un jour d'être appelé à visiter une pauvre femme qui venait de perdre son mari, et qui était réduite à la misère avec ses quatre jeunes enfants; en voyant cette indigence, le prédicateur oublia la sienne. Il avait en poche trente-sept cents (1 fr. 85 c.), qui composaient toute sa fortune : il les glissa dans la main de la pauvre veuve; puis, voyant ses enfants grelotter sous leurs habits insuffisants, il se dépouilla lui-même de tous ceux de ses vêtements qui ne composaient pas le strict nécessaire de son pauvre accoutrement. Ce fut seulement en sortant de la cabane qu'il aperçut que l'air était bien vif et bien pénétrant et qu'il réfléchit que sa libéralité allait l'exposer cruellement aux intempéries de la saison; comme confirmation de cette pensée, la pluie vint bientôt transpercer ses habits et le tremper jusqu'aux os. Il ne céda pourtant pas à la tentation de regretter sa couverture de voyage, qu'il voyait par l'imagination servant d'abri aux chétives créatures auxquelles il l'avait laissée. Lorsque la nuit vint, il fallut que notre prédicateur, tout grelottant, se décidât, quoique à contre coeur, à frapper à la porte d'une auberge; il déclara franchement au tavernier qu'il n'avait pas un sou en poche. Cet homme le prenant en pitié, le reçut toutefois, et son coeur fut tellement touché des prières et des exhortations de Finley, qu'à son départ il lui remit un dollar, plus quelques effets d'habillement, qui remontèrent un peu la garde-robe épuisée du prédicateur. Celui-ci reconnaissant continua sa route en se rappelant ce passage des Proverbes « Celui qui a pitié du pauvre prête à l'Éternel, qui lui rendra son bienfait. »

Finley affirme que cette première année de son ministère fut la plus intéressante et l'une des plus fructueuses; il admit, dans ce court espace de temps, cent soixante-dix-huit membres dans l'Église.

Nous nous sommes étendu sur ces débuts, qui nous ont paru caractéristiques et qui nous ont permis de faire connaître le prédicateur dont nous parlons, en prenant sur le fait son ministère à son origine. Nous n'avons pas la pensée de raconter avec détail l'histoire de sa vie : nous voulons seulement dessiner les grandes lignes d'un caractère chrétien d'une remarquable pureté, et il nous suffira de prendre çà et là quelques traits dans sa vie pour tracer cette image.

Cette première année avait décidé de la vocation de Finley; il avait compris que Dieu l'appelait à l'oeuvre de l'évangélisation, et il s'y dévoua sans arrière-pensée. Les années qui suivirent furent marquées pour lui par des succès sans cesse grandissants : des réveils religieux accompagnèrent partout sa prédication. Le grand tremblement de terre de 1812 sembla donner une nouvelle vigueur à sa parole, en même temps qu'il jetait une salutaire terreur dans les consciences. L'une des secousses eut lieu pendant qu'il célébrait un service funèbre; on conçoit quel commentaire un pareil événement devait apporter à cette cérémonie, et à quelle puissance dut atteindre la parole du prédicateur, au milieu du tumulte et des cris d'effroi. L'une des plus violentes secousses eut lieu le 16 février; elle dura quinze minutes, pendant lesquelles les édifices oscillaient avec force et s'écroulaient avec fracas. Finley nous raconte que l'épouvante avait atteint son paroxysme et que les plus incrédules gémissaient ou se tordaient de désespoir. Au milieu de ces scènes de désolation, il vit une pauvre chrétienne, méprisée jusque-là, parcourir les rues en sautant de joie, et en criant : « Gloire, gloire à Dieu ! Mon Sauveur vient ! Je suis à Lui, et il est à moi ! » Le missionnaire sut mettre à profit cette occasion unique; et les cris confiants de la pénitence répondirent bientôt partout à son message de paix.

Les victoires remportées par lui ont toutes un caractère singulièrement attachant par le courage qu'il y déploie et la variété des moyens qu'il met en oeuvre. Si un cabaretier soulève une émeute pour chasser du pays le prédicant importun qui lui enlève sa clientèle, Finley trouvera moyen, par une manoeuvre stratégique bien calculée, d'isoler de sa troupe cet honnête commerçant, qui, pour toute punition, est forcé de subir, tout effrayé et tout tremblant, quelques prières qui achèvent de le démoraliser; ses acolytes subissent l'un après l'autre le même traitement, et plusieurs se convertissent.

Dans tout l'Ouest, l'abus des liqueurs fortes faisait un mal incalculable, ainsi que nous l'avons dit ailleurs. Finley fut l'un des plus vaillants champions de la sobriété, et on peut dire qu'il remporta de véritables conquêtes à cet égard, et, à force de luttes, transforma certaines parties de la contrée. Il ne laissait pas passer une occasion de protester contre ce vice; il préféra passer une nuit en plein champ que d'accepter l'hospitalité d'un membre du troupeau qui faisait le trafic de l'eau-de-vie et qu'il expulsa sans pitié de l'Église. Sa fidélité sur ce point lui attira bien des inimitiés; un jour qu'il avait prêché avec chaleur sur ce sujet, un auditeur se leva et l'apostropha en ces termes : « Jeune homme, je vous conseille de quitter ce circuit et de rentrer chez vous, car vous faites plus de mal que de bien; je vous avertis que nous ne vous supporterons pas plus longtemps si vous continuez à nous prêcher autre chose que l'Évangile et à vous mêler de nos affaires privées. » Le jeune prédicateur répondit carrément : « Je ne partirai pas; car j'ai reçu mission de Dieu de détruire cette forteresse du diable, et c'est ce que je ferai, avec le concours de Dieu, en dépit de tous les distillateurs, de tous les vendeurs et de tous les buveurs d'eau-de-vie. »

Cette intrépidité morale qu'il portait dans toutes les sphères de son activité la rendait féconde, et les succès ne manquèrent pas à ses efforts. Sa parole agressive et simple portait un jour le trouble dans l'âme d'un vieux Français qui avait servi l'empereur Napoléon, et que les hasards d'une vie aventureuse avaient jeté sur le sol des États-Unis. Lorsque la paix fut descendue dans son âme, il s'écriait naïvement en mauvais anglais : « J'ai combattu sous l'empereur Napoléon, mais maintenant je combattrai sous l'empereur Jésus. Vive l'empereur Jésus. » Un autre jour, la prédication de Finley atteignait et convertissait un homme dont un magistrat disait : « Si les méthodistes rendent meilleur celui-là, ils feront ce que n'a pu faire la police pennsylvanienne, car il a habité presque toutes les prisons de l'État, sans valoir mieux pour cela. »

Finley connut la vie des camps religieux dans toutes ses émouvantes et tragiques péripéties; il savait aussi bien qu'un autre tenir tête à l'orage et le dominer par une fermeté virile. Sa parole commandait la tranquillité et imposait le silence aux perturbateurs les plus audacieux, et plus d'une fois elle transforma leurs dispositions hostiles. Un certain officier s'était mis un jour à la tête d'une troupe de mauvais sujets qu'il avait excités à force d'eau-de-vie, pour inquiéter l'une de ces assemblées religieuses; mais le sérieux du prédicateur le saisit et paralysa l'un après l'autre tous ses mauvais desseins; sous cette parole pressante et claire, il sentit tout ce que sa conduite avait de répréhensible; le sentiment du péché qu'il ignorait jusqu'à ce jour se dressa dans sa conscience avec toutes ses exigences et toutes ses terreurs. Pour échapper à cette obsession, il s'enfuit chez lui; mais l'Esprit de Dieu ne l'abandonna pas; se fut là le point de départ d'une vie nouvelle pour ce pauvre homme.

Après avoir été l'un des meilleurs prédicateurs au. milieu des colons de l'Ouest, Finley devait être aussi l'un des premiers missionnaires au milieu des populations indigènes. L'évêque Asbury le désigna, lorsqu'en 1822 il voulut entreprendre sur une large échelle l'évangélisation des Indiens. Malgré des difficultés sans nombre, des débuts fort pénibles, Finley prouva qu'il méritait la confiance de ses frères. Nous ne nous étendrons pas sur les phases successives de cette mission dont il devint le principal ouvrier; nous renvoyons le lecteur aux détails que nous avons donnés précédemment .

À la conférence générale d'Indianapolis, en 1856, Finley arriva avec l'un de ses collègues et amis Indiens, dont la présence produisit une grande sensation. Le vieux missionnaire monta sur l'estrade et présenta à l'assemblée son ami vêtu du costume national; son nom fut accueilli avec un sourire sympathique; il s'appelait Yeux-gris et jamais nom ne fut mieux mérité. C'était un homme de taille moyenne et à la figure intelligente. Finley raconta sa conversion et ses débuts comme prédicateur. Puis il ajouta : « Ce frère, mon collègue et mon fils dans l'Évangile, a, depuis vingt ans, annoncé la parole de vie à son peuple, sans cesse refoulé par les déprédations et les injustices des blancs, Il est venu ici à pied avec sa femme, des profondeurs du Kansas où sa tribu habite, pour voir son ancien pasteur, et mon coeur s'est embrasé de joie quand je l'ai rencontré après une longue séparation. Lorsque je lui ai demandé des nouvelles de mes enfants spirituels, il m'a appris que bon nombre étaient partis pour le ciel. Que Dieu soit loué à jamais de m'avoir envoyé au milieu de ces pauvres Indiens pour leur annoncer l'Évangile de son Fils. Encore un peu de temps, bien peu de temps, et je rejoindrai moi-même ces frères et ces soeurs devant le trône de mon Dieu. Mes frères, priez pour les Indiens ! Il n'y a jamais eu de peuple plus maltraité et plus trompé que celui-là. Ah! si j'étais jeune, je voudrais rivaliser avec ceux d'entre vous qui ont le privilège de les évangéliser, et ce serait avec joie que je travaillerais à leur salut. Mais, hélas ! je suis vieux et je touche à ma fin. »

Laissons à M. Jobson, qui nous cite cet appel chaleureux du vieux pionnier en faveur de ses chers Indiens, le soin de nous dépeindre Finley tel qu'il l'a vu à cette conférence d'Indianapolis, où il assistait lui-même en qualité de délégué, des wesleyens anglais :

« Finley est un très digne et très aimable vieillard. Il est grand et corpulent, comme son ami Cartwright, bien qu'il n'ait ni l'extérieur rude ni l'orageuse nature de l'oncle Pierre. L'expression qui domine sur son visage est la sérénité. La piété semble avoir adouci les lignes un peu dures de sa physionomie brunie par le soleil; elle lui a communiqué je ne sais quelle transparence et quel doux éclat. Ses cheveux blancs, longs et soyeux qui retombent sur ses épaules, le rangent parmi les patriarches de la conférence. Un coup d'oeil même rapide suffit pour placer un tel homme parmi les caractères fortement trempés. Lorsqu'il parle dans la conférence, on sent toute l'autorité et tout le poids d'une parole qui a derrière elle une longue expérience dans l'oeuvre de Dieu. Son langage est toujours vivant et viril; son style, pur, pittoresque et imagé, a emprunté quelque chose aux grandes forêts de l'Ouest; il plane sur ces discours une émotion communicative qui attache et qui entraîne. Les sources vives, de cette nature expansive se répandent quelquefois en larmes abondantes, et lorsqu'il prêche, on sent qu'il a pour ses auditeurs toute la sollicitude et toute l'affection d'un père en Israël (2). »

Depuis que ce portrait a été tracé, Finley s'en est allé rejoindre auprès de Dieu cette première génération de missionnaires et de fidèles de l'Ouest qu'il a connue. Nos documents ayant tous été écrits avant sa mort, nous manquons de détails sur la fin de ce juste; mais il n'y a pas imprudence de notre part à affirmer qu'elle a dû être douce et paisible, sinon glorieuse et triomphante. La vie d'un tel homme nous répond de sa mo

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(1) Voir chap. VII de la première partie, p. 169. 
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(2) Jobson's America and American Methodism, p. 209. 
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