Ses
premières années. - La
Caroline du Nord au lendemain de la
Révolution. - Son père. - Sa
conversion à Cane-Ridge. - Ses
débuts dans l'itinérance. -
Son courage chrétien. Conversion
d'un vieux trappeur. - Sa charité.
Le tremblement de terre de 1812. - Luttes
contre l'intempérance. - Son oeuvre
parmi les Indiens. - L'Indien Yeux-gris. -
Finley, d'après M. Jobson. - Sa
mort.
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James B. Finley occupe une place à
part au milieu de nos pionniers. Son
éducation première, identique
à la leur par certains côtés,
en différait considérablement
à d'autres égards; il avait de plus
que la plupart d'entre eux des traditions de
famille, religieuses et autres, qui devaient
influer sur son développement et marquer sa
carrière d'un sceau tout spécial; il
reçut aussi de bonne heure une culture
intellectuelle à laquelle ses
collègues furent généralement
étrangers.
Finley naquit en 1781, dans la
Caroline du Nord. Son père, qui avait fait
ses études au célèbre
collège de Princeton, dans le New-Jersey, était un
pasteur
presbytérien distingué, et par sa
mère il descendait d'une riche famille du
pays de Galles. Les premières années
de Finley se passèrent au bruit des armes,
quoique à l'ombre d'un presbytère. La
révolution américaine avait
laissé après elle bien des
froissements d'intérêt et
d'amour-propre, bien des haines sourdes et
violentes, qui ne tardèrent pas à
éclater au sein d'un pays où la
pacification des esprits ne pouvait s'accomplir que
très lentement et où le gouvernement
nouveau avait à traverser tous les
tâtonnements des débuts. Cette
effervescence des esprits était grande
autour du presbytère; les vaincus de la
veille n'avaient pas abandonné toute
espérance, et les vainqueurs, de leur
côté, n'étaient pas
disposés à leur céder le pas.
Des violences et des luttes sanglantes avaient
lieu, et la famille du pasteur, dont les sentiments
patriotiques étaient connus, eut souvent
à souffrir de la part des Tories ou
partisans de l'ancien état de choses, qui
étaient nombreux dans cette partie du pays.
Cette aristocratie du Sud voyait avec colère
la prépondérance des principes
nouveaux, et elle avait recours aux
procédés les plus barbares pour
perpétuer la résistance. La place
publique était continuellement le
théâtre de luttes et d'assassinats,
qui répandaient la terreur. Tous les
frères de la mère de Finley, qui
avaient chaleureusement
épousé la cause de
l'indépendance nationale, périrent de
mort violente, soit lâchement
assassinés, soit en vendant chèrement
leur vie dans de sanglantes rencontres. Son
père lui-même était à
chaque instant menacé de mort, et un matin
qu'il sortait de chez lui, une balle siffla
à son oreille et resta engagée dans
ses vêtements. Un des anciens de son
église, moins heureux que lui, fut
tué d'un coup de fusil par sa fenêtre,
pendant qu'il était agenouillé avec
sa famille pour le culte domestique.
Dégoûté de cette
vie de luttes, qui ne lui laissait guère le
calme nécessaire pour s'occuper
fructueusement de son troupeau, et poussé
d'ailleurs par une irrésistible soif
d'aventures, le pasteur partit, en 1788, pour
l'Ouest, où il s'établit comme colon,
sans négliger cependant sa vocation
spéciale. Son fils James, né au
milieu des combats de la guerre civile, grandit au
sein des luttes moins sanglantes, mais aussi
émouvantes, de la vie de l'émigrant.
Des chants de guerre avaient bercé son
enfance; son adolescence se passa au milieu de ces
mille voix de la nature sauvage qui résiste
à la conquête de l'homme. Son corps se
fortifia et son âme se trempa dans ces rudes
labeurs; le jeune colon devint intrépide
à chasser le loup, l'ours, le daim et le
buffle; il n'avait pas son pair, lorsqu'il fallait
saisir la carabine pour repousser les agressions
des
Indiens. Sous la direction paternelle, son esprit
se familiarisait avez les diverses connaissances
humaines, et sa vive intelligence savait mettre
à profit les loisirs d'une vie active pour
se développer et s'enrichir par des
exercices de tout genre.
Le père de Finley
était un presbytérien rigide, fort
attaché à la doctrine calviniste de
la prédestination absolue. Finley nous
déclare que l'importance excessive que son
père et ses amis donnaient à cette
manière de voir et l'insistance qu'ils
mettaient à la placer toujours au premier
plan, lui firent prendre en haine toute
piété, et le jetèrent dans
tous les excès d'une vie mondaine et
dissipée. Sans admettre la doctrine des
décrets' que sa raison et sa conscience
repoussaient, il se créa, faute de mieux,
une sorte de fatalisme irréligieux qui
s'alliait fort bien avec tous les excès
d'une vie sans Dieu. Cette crise pénible ne
pouvait se terminer que par un choc violent; le
jeune homme le trouva dans ce grand réveil
de Cane-Ridge que nous avons raconté et dont
il fut l'un des fruits. Nous ne reviendrons pas sur
cette conversion remarquable que nos lecteurs
connaissent déjà en détail (1);
elle mit un
terme à une période douloureuse de la
vie intérieure de Finley. Elle ne fut pas
tout d'une pièce pourtant, cette conversion
si chèrement
achetée; esprit essentiellement raisonneur,
Finley avait plus de peine que d'autres à
accepter la simplicité de la foi.
Le camp religieux de Cane-Ridge,
outre cet excellent résultat de changer le
cours de l'existence de James Finley eut pour effet
de le mettre en relation avec l'Église
méthodiste qui venait d'entreprendre avec
tant de zèle l'évangélisation
de l'Ouest. Finley ne tarda pas à
découvrir qu'il y avait entre elle et lui
communion d'idées et de sentiments; d'autre
part, le désir de faire du bien était
très vif chez lui. Pour un esprit aussi
ardent, l'hésitation n'était pas
longue; lui le fils d'un pasteur
presbytérien, il se donna à
l'Église méthodiste, pour la servir
de toutes ses forces; il déclara ne s'en
être jamais repenti. Son père
lui-même devint peu après membre de
cette Église, tout en conservant ses points
de vue particuliers.
À mesure qu'il
avançait, Finley se persuadait davantage que
sa véritable vocation n'était pas de
demeurer colon, et qu'il y avait pour lui quelque
chose de mieux à faire que de chasser le
daim ou l'ours. Après de grandes luttes avec
lui-même, il se décida à offrir
ses services à l'Église de l'Ouest;
c'était au point de vue matériel un
pauvre échange que celui qu'il allait faire,
car il était marié et à la
tête d'un établissement
prospère, et nos lecteurs savent quelle
position matérielle plus que misérable l'Église
faisait à ses missionnaires. Finley
était inaccessible à des
considérations de cette nature, et ses
hésitations ne lui furent inspirées
que par un vif sentiment de sa
faiblesse.
Son premier circuit l'envoyait
à cent trente milles de sa demeure, au
milieu d'un pays sauvage, où il ne pouvait
pas être question au début de
transporter sa jeune famille; il fallut donc la
laisser derrière soi.
« Je n'oublierai jamais, nous
dit-il, la scène du départ. Il me
semblait que je disais adieu pour toujours à
ma femme, à ma petite fille, à mes
parents, au monde entier. Nous priâmes
ensemble, je les embrassai tous, puis je montai en
selle et partis. Arrivé à un endroit
où le chemin tournait, je voulus jeter un
dernier regard à mes bien-aimés, et
je les vis tout en larmes. Je sentis en moi
à ce moment une terrible révolte de
la nature; néanmoins la grâce
triompha, et je lançai mon cheval en avant.
»
Ses premiers pas dans la
carrière missionnaire auraient
été de nature à rebuter tout
autre. Il eut à faire un long voyage sous
une pluie battante, dont une mauvaise couverture,
jetée sur ses épaules ne le
préservait guère. Le premier membre
de l'Église qu'il rencontra le toisa des
pieds à la tête et lui dit un peu
dédaigneusement : « Vous avez l'air de
toute autre chose que d'un prédicateur. »
Lorsqu'il eut passé quatre mois au milieu de
ces ouailles peu sympathiques, il fut pris du mal
du pays ou plutôt de la famille, et
écrivit à son père de lui
amener sa femme et son enfant. Ne sachant où
leur trouver un logement, il reprit pour quelques
jours sa hache, abattit quelques arbres et leur
construisit une cabane de douze pieds sur quatorze;
c'était assez grand pour son petit mobilier,
qui se réduisait à un lit et quelques
escabeaux. Tout cela ne s'était pas fait
sans des frais qui avaient épuisé les
petites ressources du prédicateur. Il
raconte qu'à cette époque il dut
vendre une paire de bottes pour faire quelque
argent.
Il faut le voir dans ces
premiers
jours de son ministère, ardent et
infatigable à la poursuite des âmes
qui se perdent. Si, d'aventure, sa monture
égarée vient s'arrêter au soir
d'une journée de marche à la porte de
la maison d'une famille irlandaise et catholique,
il saura, à force de douceur, d'amour et de
simplicité, vaincre les
préjugés de ses membres et les amener
à l'Évangile; désormais cette
maison sera pour lui un lieu de culte, où
son arrivée sera saluée avec joie.
Si, dans un village, toutes les portes lui sont
fermées, il s'établira sur la place
publique et y prêchera si bien que les
dispositions seront toutes changées et qu'un
vieil Allemand incrédule dira à son
fils :
« Jacob, si nous ne devenons
pas meilleurs, le diable nous prendra à lui.
» Si l'opposition est trop forte, il ira
audacieusement braver ses adversaires en plein
cabaret et les contraindre à entendre chez
eux la prédication de l'Évangile qui
les condamne. Son courage faillit un jour lui
coûter cher; un colon dont la femme avait
été convertie, prétendait
qu'il l'avait ensorcelée et l'attendit, le
fusil à la main, sur le chemin où il
devait passer; une circonstance providentielle le
délivra de la colère de ce fanatique
.
Il savait admirablement trouver
le
côté accessible des plus
opposés, le défaut de la cuirasse des
mieux armés, Voici, raconté par
lui-même, un trait qui montre la
fécondité de ressources et
l'habileté de conduite qu'il savait
déployer en présence des moins bien
disposés.
« Dans les limites de mon
circuit, vivait un chasseur à moitié
sauvage. il passait sa vie dans les bois et ne
voyait personne; aussi ses voisins ne cachaient pas
que sa présence leur causait quelque effroi.
Je pris la résolution de m'éloigner
un peu de ma route habituelle, pour lui faire
visite et m'efforcer de lui faire quelque bien. Je
m'arrêtai donc un jour devant la porte de la
pauvre cabane qu'il habitait avec sa famille, et
lui demandai s'il pourrait me
procurer quelque nourriture pour moi-même et
pour mon cheval. Il me toisa d'un regard farouche
et me dit sans cacher sa mauvaise humeur : «
Nous pourrons voir. » Sur ce consentement
ambigu, je mis pied à terre, attachai mon
cheval et pénétrai hardiment dans
l'antre du vieux sauvage. Pendant que sa femme
m'apprêtait un peu de nourriture, le
misanthrope ne desserrait pas les dents et semblait
Irrité contre moi à cause de
J'empiétement que je tentais sur ses
domaines, et contre soi-même à cause
de la lâche concession qu'il avait faite en
tolérant cette intrusion. Un fusil que je
vis suspendu au-dessus de la porte vint fort
à propos me fournir une occasion de rompre
ce silence qui devenait embarrassant pour moi et
qui pouvait lui inspirer de mauvaises
pensées à mon sujet.
- Vous avez là une belle
arme, lui dis-je en essayant de prendre cet
incorrigible chasseur par son côté
vulnérable.
- Oui, répondit-il avec le
laconisme d'un oracle.
- Êtes-vous bon tireur,
Monsieur Reeves?
- Je me vante d'être l'un des
meilleurs du pays, dit-il avec quelque
fierté.
- Et vous sentiriez-vous de
force
à me battre au tir?
- Non seulement vous, mais qui
que
ce soit, ajouta-t-il de l'air le plus
dédaigneux.
- Je me permets d'en
douter.
- Dînez seulement,
répondit-il, piqué au jeu, et je vous
en aurai bientôt donné la preuve.
»
Il prit alors son fusil, et
pendant
que je mangeais, il le nettoya avec soin, le
chargea et l'amorça, puis attendit avec une
certaine impatience le moment de confondre ma
bravade. Nous sortîmes, il fixa une cible,
puis me tendant l'arme, il me dit . « A vous
le premier coup. » Je couchai en joue et fis
feu, puis il en fit autant; ma balle avait atteint
le centre de la cible et la sienne en était
à quelque lignes. Nous
répétâmes l'expérience
deux fois encore avec des résultats à
peu près semblables. Mon homme
s'intéressait tellement à la chose
qu'il voulait prolonger l'exercice et prendre sa
revanche. Mais j'avais autre chose à faire
que de lui prouver mon adresse; il me suffisait
d'avoir gagné son respect et
intéressé son amour-propre; je lui
dis : « Si cela vous fait plaisir, je
repasserai dans quelques semaines, lorsque l'ordre
de mes services me rappellera de ce
côté, et nous pourrons nous exercer
encore. »
J'ajoutai :
- Si vous voulez bien dire à
vos voisins de se réunir chez vous,
d'aujourd'hui en quatre semaines, je leur donnerai
en même temps une prédication. »
Sur cela, je pris congé de mon nouvel
ami.
Quand je revins, je trouvai
rassemblée pour la
prédication, toute la population de la
contrée à quatre milles à la
ronde. J'eus une grande liberté de parole,
et je vis couler des larmes abondantes, tandis que
je parlais affectueusement du salut à ces
pauvres gens. Lorsque l'assemblée se fut
dispersée, le chasseur me dit : «
Monsieur, je vous laisse, il me faut aller visiter
mes trappes. » Je lui offris de l'accompagner.
Tout en lui aidant à tendre ses
pièges, je me mis à lui parler de son
âme et j'amenai la conversation sur le salut
offert par Jésus-Christ. D'abord il
m'écoutait avec embarras et méfiance;
mais peu à peu son âme s'amollit, il
sentit la puissance de la vérité et
il éclata en démonstrations presque
passionnées de douleur morale et de
repentance. Nous rentrâmes chez lui, et je
pus prier au milieu de cette famille ce
soir-là et le lendemain matin. Ce ne fut
qu'à ma prochaine visite que le vieux
chasseur obtint la paix par la foi; je formai peu
après une classe dans sa maison; il en fut
le conducteur. »
On voit par ce récit l'usage
ingénieux que Finley savait faire de son
adresse et de ses talents d'enfant de l'Ouest; on
ne peut qu'admirer cet art merveilleux, qui fut
commun à tous nos pionniers, de se mettre au
niveau des intelligences les plus variées,
pour leur faire saisir de quelque façon les
vérités du salut. Cette tactique
naïve peut amener le sourire sur nos
lèvres; elle ne demeure pas moins l'indice
incontestable
d'une rare énergie d'action et d'une
adaptation remarquable de l'ouvrier à
l'oeuvre. Quand nous aurons fait avec nos
manoeuvres oratoires savamment combinées, ce
que ces hommes rudes et simples firent avec leur
stratégie toute primitive, il sera temps de
leur jeter la pierre.
Si Finley se montra dès
l'origine de son ministère intrépide
et vaillant, il sut aussi déployer cette
mansuétude et cette
débonnaireté de coeur qui sont tout
aussi indispensables au ministre de
Jésus-Christ. Son circuit avoisinait le
champ cultivé par les Moraves; il entretint
avec eux les rapports les plus fraternels, et il
rend le plus cordial hommage à leurs travaux
évangéliques. La charité du
jeune missionnaire était inépuisable,
et son désintéressement était
sans limites. Il lui arriva un jour d'être
appelé à visiter une pauvre femme qui
venait de perdre son mari, et qui était
réduite à la misère avec ses
quatre jeunes enfants; en voyant cette indigence,
le prédicateur oublia la sienne. Il avait en
poche trente-sept cents (1 fr. 85 c.), qui
composaient toute sa fortune : il les glissa dans
la main de la pauvre veuve; puis, voyant ses
enfants grelotter sous leurs habits insuffisants,
il se dépouilla lui-même de tous ceux
de ses vêtements qui ne composaient pas le
strict nécessaire de son pauvre
accoutrement. Ce fut seulement
en sortant de la cabane qu'il aperçut que
l'air était bien vif et bien
pénétrant et qu'il
réfléchit que sa
libéralité allait l'exposer
cruellement aux intempéries de la saison;
comme confirmation de cette pensée, la pluie
vint bientôt transpercer ses habits et le
tremper jusqu'aux os. Il ne céda pourtant
pas à la tentation de regretter sa
couverture de voyage, qu'il voyait par
l'imagination servant d'abri aux chétives
créatures auxquelles il l'avait
laissée. Lorsque la nuit vint, il fallut que
notre prédicateur, tout grelottant, se
décidât, quoique à contre
coeur, à frapper à la porte d'une
auberge; il déclara franchement au tavernier
qu'il n'avait pas un sou en poche. Cet homme le
prenant en pitié, le reçut toutefois,
et son coeur fut tellement touché des
prières et des exhortations de Finley,
qu'à son départ il lui remit un
dollar, plus quelques effets d'habillement, qui
remontèrent un peu la garde-robe
épuisée du prédicateur.
Celui-ci reconnaissant continua sa route en se
rappelant ce passage des Proverbes « Celui qui
a pitié du pauvre prête à
l'Éternel, qui lui rendra son bienfait.
»
Finley affirme que cette
première année de son
ministère fut la plus intéressante et
l'une des plus fructueuses; il admit, dans ce court
espace de temps, cent soixante-dix-huit membres
dans l'Église.
Nous nous sommes étendu sur
ces débuts, qui nous ont paru
caractéristiques et qui nous ont permis de
faire connaître le prédicateur dont
nous parlons, en prenant sur le fait son
ministère à son origine. Nous n'avons
pas la pensée de raconter avec détail
l'histoire de sa vie : nous voulons seulement
dessiner les grandes lignes d'un caractère
chrétien d'une remarquable pureté, et
il nous suffira de prendre çà et
là quelques traits dans sa vie pour tracer
cette image.
Cette première année
avait décidé de la vocation de
Finley; il avait compris que Dieu l'appelait
à l'oeuvre de
l'évangélisation, et il s'y
dévoua sans arrière-pensée.
Les années qui suivirent furent
marquées pour lui par des succès sans
cesse grandissants : des réveils religieux
accompagnèrent partout sa
prédication. Le grand tremblement de terre
de 1812 sembla donner une nouvelle vigueur à
sa parole, en même temps qu'il jetait une
salutaire terreur dans les consciences. L'une des
secousses eut lieu pendant qu'il
célébrait un service funèbre;
on conçoit quel commentaire un pareil
événement devait apporter à
cette cérémonie, et à quelle
puissance dut atteindre la parole du
prédicateur, au milieu du tumulte et des
cris d'effroi. L'une des plus violentes secousses
eut lieu le 16 février; elle dura quinze
minutes, pendant lesquelles les édifices
oscillaient avec force et s'écroulaient avec
fracas. Finley nous raconte que l'épouvante
avait atteint son paroxysme et que les plus
incrédules gémissaient ou se
tordaient de désespoir. Au milieu de ces
scènes de désolation, il vit une
pauvre chrétienne, méprisée
jusque-là, parcourir les rues en sautant de
joie, et en criant : « Gloire, gloire à
Dieu ! Mon Sauveur vient ! Je suis à Lui, et
il est à moi ! » Le missionnaire sut
mettre à profit cette occasion unique; et
les cris confiants de la pénitence
répondirent bientôt partout à
son message de paix.
Les victoires remportées par
lui ont toutes un caractère
singulièrement attachant par le courage
qu'il y déploie et la variété
des moyens qu'il met en oeuvre. Si un cabaretier
soulève une émeute pour chasser du
pays le prédicant importun qui lui
enlève sa clientèle, Finley trouvera
moyen, par une manoeuvre stratégique bien
calculée, d'isoler de sa troupe cet
honnête commerçant, qui, pour toute
punition, est forcé de subir, tout
effrayé et tout tremblant, quelques
prières qui achèvent de le
démoraliser; ses acolytes subissent l'un
après l'autre le même traitement, et
plusieurs se convertissent.
Dans tout l'Ouest, l'abus des
liqueurs fortes faisait un mal incalculable, ainsi
que nous l'avons dit ailleurs. Finley fut l'un des
plus vaillants champions de la
sobriété, et on peut dire qu'il remporta de
véritables
conquêtes à cet égard, et,
à force de luttes, transforma certaines
parties de la contrée. Il ne laissait pas
passer une occasion de protester contre ce vice; il
préféra passer une nuit en plein
champ que d'accepter l'hospitalité d'un
membre du troupeau qui faisait le trafic de
l'eau-de-vie et qu'il expulsa sans pitié de
l'Église. Sa fidélité sur ce
point lui attira bien des inimitiés; un jour
qu'il avait prêché avec chaleur sur ce
sujet, un auditeur se leva et l'apostropha en ces
termes : « Jeune homme, je vous conseille de
quitter ce circuit et de rentrer chez vous, car
vous faites plus de mal que de bien; je vous
avertis que nous ne vous supporterons pas plus
longtemps si vous continuez à nous
prêcher autre chose que l'Évangile et
à vous mêler de nos affaires
privées. » Le jeune prédicateur
répondit carrément : « Je ne
partirai pas; car j'ai reçu mission de Dieu
de détruire cette forteresse du diable, et
c'est ce que je ferai, avec le concours de Dieu, en
dépit de tous les distillateurs, de tous les
vendeurs et de tous les buveurs d'eau-de-vie.
»
Cette intrépidité
morale qu'il portait dans toutes les sphères
de son activité la rendait féconde,
et les succès ne manquèrent pas
à ses efforts. Sa parole agressive et simple
portait un jour le trouble dans l'âme d'un
vieux Français qui avait servi l'empereur
Napoléon, et que les hasards d'une vie aventureuse
avaient jeté
sur le sol des États-Unis. Lorsque la paix
fut descendue dans son âme, il
s'écriait naïvement en mauvais anglais
: « J'ai combattu sous l'empereur
Napoléon, mais maintenant je combattrai sous
l'empereur Jésus. Vive l'empereur
Jésus. » Un autre jour, la
prédication de Finley atteignait et
convertissait un homme dont un magistrat disait :
« Si les méthodistes rendent meilleur
celui-là, ils feront ce que n'a pu faire la
police pennsylvanienne, car il a habité
presque toutes les prisons de l'État, sans
valoir mieux pour cela. »
Finley connut la vie des camps
religieux dans toutes ses émouvantes et
tragiques péripéties; il savait aussi
bien qu'un autre tenir tête à l'orage
et le dominer par une fermeté virile. Sa
parole commandait la tranquillité et
imposait le silence aux perturbateurs les plus
audacieux, et plus d'une fois elle transforma leurs
dispositions hostiles. Un certain officier
s'était mis un jour à la tête
d'une troupe de mauvais sujets qu'il avait
excités à force d'eau-de-vie, pour
inquiéter l'une de ces assemblées
religieuses; mais le sérieux du
prédicateur le saisit et paralysa l'un
après l'autre tous ses mauvais desseins;
sous cette parole pressante et claire, il sentit
tout ce que sa conduite avait de
répréhensible; le sentiment du
péché qu'il ignorait jusqu'à
ce jour se dressa dans sa conscience avec toutes
ses exigences
et
toutes ses terreurs. Pour échapper à
cette obsession, il s'enfuit chez lui; mais
l'Esprit de Dieu ne l'abandonna pas; se fut
là le point de départ d'une vie
nouvelle pour ce pauvre homme.
Après avoir été
l'un des meilleurs prédicateurs au. milieu
des colons de l'Ouest, Finley devait être
aussi l'un des premiers missionnaires au milieu des
populations indigènes. L'évêque
Asbury le désigna, lorsqu'en 1822 il voulut
entreprendre sur une large échelle
l'évangélisation des Indiens.
Malgré des difficultés sans nombre,
des débuts fort pénibles, Finley
prouva qu'il méritait la confiance de ses
frères. Nous ne nous étendrons pas
sur les phases successives de cette mission dont il
devint le principal ouvrier; nous renvoyons le
lecteur aux détails que nous avons
donnés précédemment
.
À la conférence
générale d'Indianapolis, en 1856,
Finley arriva avec l'un de ses collègues et
amis Indiens, dont la présence produisit une
grande sensation. Le vieux missionnaire monta sur
l'estrade et présenta à
l'assemblée son ami vêtu du costume
national; son nom fut accueilli avec un sourire
sympathique; il s'appelait Yeux-gris et jamais nom
ne fut mieux mérité. C'était
un homme de taille moyenne et à la figure intelligente.
Finley
raconta sa
conversion et ses débuts comme
prédicateur. Puis il ajouta : « Ce
frère, mon collègue et mon fils dans
l'Évangile, a, depuis vingt ans,
annoncé la parole de vie à son
peuple, sans cesse refoulé par les
déprédations et les injustices des
blancs, Il est venu ici à pied avec sa
femme, des profondeurs du Kansas où sa tribu
habite, pour voir son ancien pasteur, et mon coeur
s'est embrasé de joie quand je l'ai
rencontré après une longue
séparation. Lorsque je lui ai demandé
des nouvelles de mes enfants spirituels, il m'a
appris que bon nombre étaient partis pour le
ciel. Que Dieu soit loué à jamais de
m'avoir envoyé au milieu de ces pauvres
Indiens pour leur annoncer l'Évangile de son
Fils. Encore un peu de temps, bien peu de temps, et
je rejoindrai moi-même ces frères et
ces soeurs devant le trône de mon Dieu. Mes
frères, priez pour les Indiens ! Il n'y a
jamais eu de peuple plus maltraité et plus
trompé que celui-là. Ah! si
j'étais jeune, je voudrais rivaliser avec
ceux d'entre vous qui ont le privilège de
les évangéliser, et ce serait avec
joie que je travaillerais à leur salut.
Mais, hélas ! je suis vieux et je touche
à ma fin. »
Laissons à M. Jobson, qui
nous cite cet appel chaleureux du vieux pionnier en
faveur de ses chers Indiens, le soin de nous
dépeindre Finley tel qu'il l'a vu à
cette conférence d'Indianapolis, où il assistait
lui-même en qualité de
délégué, des wesleyens anglais
:
« Finley est un très
digne et très aimable vieillard. Il est
grand et corpulent, comme son ami Cartwright, bien
qu'il n'ait ni l'extérieur rude ni
l'orageuse nature de l'oncle Pierre. L'expression
qui domine sur son visage est la
sérénité. La
piété semble avoir adouci les lignes
un peu dures de sa physionomie brunie par le
soleil; elle lui a communiqué je ne sais
quelle transparence et quel doux éclat. Ses
cheveux blancs, longs et soyeux qui retombent sur
ses épaules, le rangent parmi les
patriarches de la conférence. Un coup d'oeil
même rapide suffit pour placer un tel homme
parmi les caractères fortement
trempés. Lorsqu'il parle dans la
conférence, on sent toute l'autorité
et tout le poids d'une parole qui a derrière
elle une longue expérience dans l'oeuvre de
Dieu. Son langage est toujours vivant et viril; son
style, pur, pittoresque et imagé, a
emprunté quelque chose aux grandes
forêts de l'Ouest; il plane sur ces discours
une émotion communicative qui attache et qui
entraîne. Les sources vives, de cette nature
expansive se répandent quelquefois en larmes
abondantes, et lorsqu'il prêche, on sent
qu'il a pour ses auditeurs toute la sollicitude et
toute l'affection d'un père en Israël (2).
»
Depuis que ce portrait a
été tracé, Finley s'en est
allé rejoindre auprès de Dieu cette
première génération de
missionnaires et de fidèles de l'Ouest qu'il
a connue. Nos documents ayant tous
été écrits avant sa mort, nous
manquons de détails sur la fin de ce juste;
mais il n'y a pas imprudence de notre part à
affirmer qu'elle a dû être douce et
paisible, sinon glorieuse et triomphante. La vie
d'un tel homme nous répond de sa mo
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