Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

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HENRY BASCOM


Bascom homme de transition. - Ses commencements. - Périls dans les bois et de la part des bêtes féroces. Ses succès remarquables. - Ses talents de prédicateur estimés par Finley. - Sa place dans l'Église.

 L'avant-dernier portrait que nous voulons détacher pour nos lecteurs de la galerie de nos prédicateurs pionniers est celui de Henry Bascom, que l'on a surnommé l'Apollos de l'Ouest. Il nous semble digne de fermer la marche de cette vaillante armée dont nous avons rapidement évoqué le souvenir. Avec de grands talents et un caractère à la hauteur de ses talents, il se tient sur le seuil des temps nouveaux, appartenant au grand passé héroïque de l'Ouest par sa naissance, par ses traditions, par ses premiers travaux, par son courage inébranlable, mais appartenant aussi à l'avenir qu'il rapproche par ses aspirations, et dont il porte en soi l'esprit avide de connaissances et de progrès. Avec lui finit une ère glorieuse, mais nécessairement transitoire, l'ère des petits commencements et des grandes luttes, l'ère où l'on n'avance que pas à pas et où chaque pas que l'on fait coûte une souffrance, un déchirement, souvent une victime. Avec lui s'ouvre une ère nouvelle, celle de l'organisation savante et des perfectionnements féconds, l'ère où l'on cultive ce que l'on a planté dans le sillon péniblement creusé, l'ère où le torrent impétueux s'endigue et devient le fleuve calme et puissant. il est un des derniers parmi les pionniers de la grande vallée, et l'un des premiers parmi ses pasteurs et ses docteurs. Par un côté il appartient donc à cette étude. Il lui appartient d'autant plus que la mort a posé son sceau glacé sur ses lèvres éloquentes, et que le nom de Bascom est inscrit lui aussi au martyrologe de l'Ouest, parmi les noms de tant d'autres jeunes hommes qui ont trouvé une mort prématurée on qui du moins en ont puisé les germes dans les travaux de géants de cette vie sans repos.

Bascom fut essentiellement un homme de l'Ouest. Élevé au sein des paysages sauvages et grandioses des Alleghanys, son esprit y chercha de bonne heure ses inspirations et y trouva sa force. La nature fut sa première et sa principale école; il n'eut pas trois mois de collège dans toute sa vie; et il devint pourtant l'un des hommes les plus distingués de son siècle. Henry Clay, d'un des orateurs politiques et l'un des hommes d'État les plus célèbres et les plus intègres des États-Unis, fut lié par une étroite amitié à cet enfant de la nature, et déclara souvent que Bascom était l'orateur le plus éloquent qu'il eût jamais entendu.

Ce jeune homme, dont les grands talents devaient exercer une sorte de fascination sur ses contemporains, naquit dans l'une des plus pauvres cabanes de l'Ouest. Son père, qui luttait avec courage, mais avec peu de succès, contre la pauvreté, ne put lui donner aucune instruction; la riche intelligence de l'enfant y suppléa en partie par un travail persévérant et opiniâtre. Il fut amené à la connaissance de l'Évangile, bien jeune encore, dans un camp religieux. On se rappelle l'impression d'étonnement et d'admiration produite par cet adolescent, lorsqu'à une assemblée fraternelle où il était venu de fort loin, il se leva dans son costume bizarre de fermier, raconta naïvement sa conversion et parla de l'amour du Sauveur. Il y avait dans le timbre frais et argentin de cette voix enfantine et dans la naïveté, sans prétention de ce récit, quelque chose de profondément touchant. Tous comprirent que, sous la rusticité de son apparence, se cachait une âme d'une rare pureté et une intelligence d'une grande puissance.

Nous n'avons pas à raconter la marche ascensionnelle du talent et de la piété de Bascom. Ses progrès furent si rapides et son développement si précoce qu'à l'âge de seize ans il prenait déjà la parole dans les assemblées et secondait activement les prédicateurs en titre. Il entrait, dès 1814, dans les rangs de l'itinérance, tellement pauvre des biens du corps qu'un membre de son troupeau dut lui faire présent de vêtements mieux en rapports que ses habits de fermier avec sa nouvelle position, mais il était tellement riche déjà des dons de l'intelligence et du coeur qu'il enleva tous les suffrages et gagna dès la première heure l'estime et l'affection de ses collègues et de l'Église.

Cette estime et cette affection, on les lui témoigna en l'appelant aux postes les plus périlleux et aux circuits les plus reculés. Nous avons raconté déjà à quels périls il fut exposé de la part des bêtes féroces, auxquelles il dut parfois disputer sa vie. Un jour, il était poursuivi par une panthère à laquelle il n'échappait qu'à grand'peine. Un autre jour, une autre panthère le guettait, tandis qu'absorbé dans ses méditations, il cheminait sans préoccupations de cette nature; heureusement pour lui qu'un chasseur était là, dont la balle vint le délivrer de ce terrible ennemi qui prenait son élan pour fondre sur lui. D'autres fois, le vaillant jeune homme se délivra lui-même; c'est ainsi qu'on raconte une lutte corps à corps qu'il soutint contre un ours qui s'était précipité sur lui et qu'il tua, en lui enfonçant un couteau-poignard dans le coeur, au moment même où il sentait sa poitrine se resserrer et sa respiration devenir haletante sous l'étreinte de la lourde patte du fauve quadrupède.

À côté de ces grands et tragiques dangers, combien d'autres moins émouvants, mais dont la fréquence ne laissait pas que d'être inquiétante ! Coucher à la belle étoile presque quotidiennement ne l'effrayait guère; mais ce qui était peu rassurant, c'est d'être tenu éveillé toute la nuit par les hurlements des loups ou par les rugissements sinistres de la panthère; s'installer commodément sur un arbre pour y dormir peut paraître intéressant et pittoresque de loin, mais quand il fallait constamment, par la pluie et par le gel, user d'un pareil régime, la chose devait bien assurément avoir ses inconvénients, eût-on une constitution de fer. Puis il fallait par tous les temps traverser à la nage les fleuves et les rivières, et quelquefois porter ensuite pendant des heures entières des vêtements trempés qui, en hiver, se raidissaient et se couvraient de glaçons. La faim et la soif, la chaleur et le froid apportaient aussi leur contingent de souffrances.

La première année du ministère de Bascom s'écroula au milieu des privations et des luttes de tout genre. Elle lui laissa quelques résultats positifs : d'abord la conviction que Dieu l'appelait à persévérer dans la voie où il était entré, et où il avait rencontré des succès fort encourageants à côté de difficultés qui avaient singulièrement mûri son caractère et sa piété. Son esprit avait acquis la conscience de sa force dans les longues méditations auxquelles il avait pu se livrer; des lectures bien faites avaient agrandi le champ de ses connaissances. Dans ces douze mois, il avait parcouru quatre mille milles et prêché quatre cents fois; le traitement que lui avait fourni l'Église s'élevait à douze dollars et dix cents (60 fr. 50 c.), outre quelques effets d'habillement. Il fallait être bien ingénieux en vérité pour faire vivre sur cette somme un homme et un cheval.

Quand il fut de retour du poste reculé où l'avait placé l'Église, il était méconnaissable. Son talent de prédicateur avait grandi d'une manière étonnante, et ses collègues se refusaient presque à croire que ce prédicateur qui savait si bien gouverner sa parole fût le même que le jeune homme a la démarche gauche et embarrassée qui, une année auparavant, était parti seul pour les profondeurs de l'Ouest. Ceux-mêmes qui avaient reconnu dès lors les heureuses dispositions de cette nature d'élite, voyaient leurs espérances les plus ambitieuses à l'égard de ce jeune homme complètement dépassées par la réalité.
Voici à cet égard le témoignage d'un homme bien informé et d'un jugement sûr, l'excellent Finley.

« Lorsque la renommée de ce jeune et éloquent prédicateur parvint jusqu'à moi, j'étais sur un point tout opposé de notre circonscription de l'Ouest. Bien que la rumeur publique parlât avec un grand enthousiasme de la puissance enchanteresse et incomparable de sa prédication je me tins prêt, selon la règle que m'a imposée une expérience constante, à rabattre considérablement de ses descriptions qui me semblaient évidemment exagérées. L'occasion se présenta pour moi, dès notre prochaine conférence, de faire ample connaissance avec ce jeune homme. Il monta en chaire au milieu de l'attention générale. Mon impression sur la prédication pénétrante que j'entendis peut se résumer dans le mot de la reine de Scébah : « On ne m'en avait pas raconté la moitié. » Ceux qui n'ont eu le privilège de l'entendre que lorsque son âme ardente eut été emprisonnée et enchaînée dans l'étroite et parfois étouffante prison d'une haute culture intellectuelle, et lorsqu'elle eut perdu quelque chose de sa fraîcheur et de sa puissance dans l'atmosphère des villes, ne se feront jamais une idée parfaite de ce qu'était cette âme profonde lorsqu'elle était en communion avec la nature et avec le Dieu de la nature, et lorsque les souffles purs des cimes élevées passaient en frémissant sur elle, dans ces jours lumineux et féconds de sa vie itinérante.

Doué, d'un talent naturel extraordinairement puissant et brillant, Bascom avait surtout besoin d'une culture appropriée à son génie, et nous sommes convaincu que la Providence le plaça dans la sphère qui était le mieux en rapport avec sa nature toute spéciale. Si son génie eût été, entravé par les règles des écoles (qui sont souvent aussi peu nécessaires à l'orateur qu'un livre de musique le serait au rossignol ou qu'un traité sur les lois du son et du mouvement le serait à l'impétueux et retentissant Niagara), si dis-je, son génie eût passé sous les laminoirs des écoles, nous aurions eu sans doute un Bascon, expert dans l'art de bien dire et connaissant toutes les ressources et toutes les finesses d'une élocution savante; mais il aurait eu aussi quelque chose de la raideur de l'automate auquel il ne manque que la vie; nous aurions possédé la précision parfaite qui caractérise les oeuvres étonnantes de l'art humain, mais tout cela aurait senti l'effort et aurait conservé tir, cachet artificiel. La nature, ne nous lassons pas de le dire, est la source où l'orateur doit puiser son inspiration et la sphère où doivent se développer ses talents. Comme l'aigle qui prend son essor bien au-dessus des demeures des hommes et qui baigne son oeil dans les clartés sereines du soleil, l'enfant du génie doit planer ainsi au sein des vivifiantes lumières de la nature.

« Bascom nous a souvent dit au sujet de la composition de ses sermons qu'il ne possédait pas en général la liberté d'esprit nécessaire pour se livrer à ce travail, à moins qu'il ne fût en pleine campagne, en face de la nature. On montre au voyageur dans le Kentucky un vieux débris de fortifications indiennes, à l'ombre duquel il a composé quelques-uns de ses meilleurs sermons.

« Ses talents si remarquables oh, prédicateur se montrèrent de très bonne heure; il atteignit presque du premier élan la haute position qu'il occupa comme orateur chrétien. Les grands talents oratoires auxquels certains hommes, tels que Démosthène, ne parviennent que par une sévère application et par de lents progrès, furent chez lui, non le fruit tardif de l'éducation, mais le produit spontané de la nature. Il naquit orateur et n'eut pas à modeler son fougueux génie dans un moule quelconque, qui n'aurait pu que le déformer.

« Un grave théologien à qui l'on demandait, après le sermon de Bascom, ce qu'il pensait du prédicateur, répondit : « Je n'ai pas eu le temps de penser au prédicateur; ma pensée a été toute absorbée par la contemplation de la grandeur du Dieu qui a créé, un tel homme. »

« J'ajouterai un mot au sujet de cette éloquence qui dérive de l'étude et de la contemplation de la nature. Dans ce temps où livres et collèges abondent dans notre pays, il ne serait pas mauvais d'étudier un peu aussi le monde extérieur. Trop souvent ou nous a rendus malades avec l'uniformité désespérante des préparations que l'on fait subir dans nos écoles aux futurs pasteurs de nos Églises. Ils sont presque tous calqués sur un même patron et fondus dans un même moule. Une servile et désastreuse imitation a prévalu partout jusque dans le ton de la voix et dans les formes du débit, jusque dans le geste de la main et l'inclinaison de la tête, hélas! jusque dans la coupe de l'habit et jusque dans la démarche. Aussi, adieu le naturel, adieu l'originalité, adieu la vie et la puissance; tout est plaqué et artificiel. Dieu me garde de dire du mal des livres et des écoles : nous en avons un trop grand besoin; mais ce qu'il nous faut aussi ce sont des hommes simples dont la parole ne soit pas une fusée brillante ou un feu d'artifice, mais un tonnerre allumé au grand récipient de la nature et à celui de la Bible (1). »

Nous n'avons rien voulu retrancher aux remarques dont Finley accompagne ses appréciations. Il y a sans doute quelque chose d'exagéré dans ces appréhensions qui ne tiennent pas assez compte de l'esprit des temps nouveaux. Mais n'y a-t-il pas aussi beaucoup à prendre dans ces avertissements que nos vieux pionniers ne se sont pas lassés d'adresser à la jeune génération qui les suit? N'ont-ils pas eu un juste sentiment des dangers qui menacent la prédication contemporaine, trop portée à se lancer en dehors du réel, à devenir métaphysique et savante, ou poétique et vaporeuse?

Henry Bascom ne demeura dans l'Ouest que pendant les premières années de son ministère. Il acquit une science étendue qui lui fit assigner plusieurs postes importants de professeur dans les universités de son Église; ses collègues l'appelèrent enfin à l'épiscopat. Nous n'avons pas à le suivre dans ces divers postes, où il déploya un zèle égal à ses talents. Il nous suffit de l'avoir présenté à nos lecteurs dans les rapports qu'il soutint avec l'Ouest. C'est une gloire pour l'Église de la Grande Vallée d'avoir formé des hommes comme celui-là.

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(1) Finley's Sketches, p. 278. 
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