Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

TITREdeLApage

-------


WILLIAM MILBURN, LE PRÉDICATEUR AVEUGLE
(1).

 William Milburn, le dernier des prédicateurs pionniers dont nous parlerons, a raconté ses premières expériences, dans un livre, intitulé Dix années de la vie d'un prédicateur (1). Il s'y excuse d'avoir osé s'enrôler, lui aveugle, dans la trop clairvoyante compagnie des écrivains. Il raconte que c'est à une suggestion du poète Longfellow qu'il doit l'idée de son livre. Il était tout jeune quand survint l'accident qui aboutit à une cécité à peu près complète. Un fragment de verre, lancé par un de ses camarades de jeux, l'atteignit à l'oeil gauche et nécessita un traitement prolongé, qui se termina par la perte des deux yeux. Une longue réclusion le priva, pendant deux ans. des joies du dehors. La piété de sa mère le conduisit au Sauveur, et son âme, fermée aux choses de la terre, commença à s'ouvrir aux choses du ciel. « J'en vins, dit-il, à voir en Dieu mon ami et mon Père, et cette pensée fut pour moi une clarté brillante au sein d'épaisses ténèbres. » Ses parents furent amenés, par une crise commerciale, à se transporter dans l'Ouest. Il put, pendant quelque temps, entrer dans une école, et y apprendre, entr'autres, des notions des langues anciennes.

Il fit connaissance, dans la demeure de ses parents, avec des prédicateurs méthodistes, qui y étaient reçus au cours de leurs tournées missionnaires. L'un d'eux, Pierre Akers, l'engagea à se mettre au service de Dieu et de son Église. Milburn, après quelque temps d'hésitation, se décida à essayer. Ses parents lui fournirent un bon cheval et sa mère lui garnit son havre-sac de toutes sortes de provisions.

Pour commencer, il fut chargé d'accompagner son presiding-elder, le Rév. Akens, qui devait le former à la vie itinérante. Après quelques mois d'évangélisation irrégulière, Milburn fut présenté à une conférence et reçu dans les rangs des prédicateurs pionniers. Le circuit qui lui fut assigné, embrassait trente lieux de prédication et exigeait quatre semaines de parcours. Le jeune prédicateur, à peine âgé de vingt ans, devait être toujours en route, prêchant une fois chaque jour de la semaine et trois fois le dimanche. « Billy, mon fils, lui dit un vétéran lors de sa réception, ne manquez jamais à un rendez-vous de prédication. Chevauchez jour et nuit, s'il le faut, passez à la nage, s'il le faut, les rivières, courez le risque de vous noyer ou de vous rompre le cou; mais ne manquez jamais à un engagement et n'arrivez jamais trop tard. »

Au bout de deux années de noviciat, Milburn reçut l'ordination, et on le chargea de quêter des fonds pour l'érection de deux collèges dans l'Ouest; un vieil ami devait le guider. De tous côtés, on venait entendre le blind preacher, mais sa collecte ne marchait guère. Découragé par son insuccès, il s'embarqua sur le bateau à vapeur pour Wheeling. Ce jour-là, le bateau était encombré. Le Congrès était sur le point de s'ouvrir, et les membres des deux chambres en grand nombre se rendaient à Washington. Il y avait là des hommes d'État célèbres, et Milburn se promit du plaisir et de l'instruction à observer leur conduite et à écouter leurs conversations. Mais bien cruel fut son désappointement en découvrant que ces représentants du peuple souverain juraient, jouaient aux cartes jour et nuit, et buvaient en quantité leur abominable whisky.

Il fit part de son étonnement à son compagnon de route, qui se contenta de lui répondre que c'était là le grand genre dont la plupart des hommes d'État faisaient parade. Milburn se promit bien de ne pas descendre du bateau sans se décharger la conscience.

« Le dimanche matin, raconte-t-il, nous nous trouvions encore à quatre-vingts milles de Wheeling, et il n'y avait aucun lieu où nous puissions nous arrêter pour passer ce saint jour au bord du fleuve. À l'heure du déjeuner, bon nombre de passagers vinrent me demander une prédication. Jamais je n'ai saisi au vol une occasion aussi volontiers que cette fois-là, car jamais je n'avais eu un tel besoin de dire tout ce que j'avais sur le coeur. Près de trois cents personnes se trouvaient réunies à dix heures et demie; je me plaçai entre les cabines des hommes et celles réservées aux dames; à ma droite et à ma gauche, assis aux sièges d'honneur, se trouvaient ceux à qui j'avais principalement affaire ce jour-là, les membres du Congrès. Je n'avais jamais parlé dans une occasion analogue, et cependant jamais comme ce jour-là je n'ai prêché aussi bien qu'il est en mon pouvoir, ce qui n'est pas beaucoup dire. À la fin du discours proprement dit, je ne pus résister plus longtemps au véhément désir qui m'oppressait d'adresser quelques paroles plus directes à mes auditeurs de droite et de gauche. Me tournant vers eux, je dis donc : « Vous êtes, je crois, membres du Congrès des États-Unis; comme tels, vous êtes, vous devez être les représentants, non pas seulement des opinions politiques, mais aussi de la condition intellectuelle, morale et religieuse de notre peuple. N'ayant que rarement vu dans ma vie des hommes de votre position, j'ai éprouvé, en montant sur ce bateau, le désir d'écouter votre conversation et d'observer vos habitudes. Et si je devrais juger de la nation par vous-mêmes, je devrais conclure qu'elle ne se compose que de profanes blasphémateurs, de joueurs et d'ivrognes.
À supposer qu'il y eût ici un étranger intelligent venu dans notre pays, pour se former une idée mûrie et désintéressée sur la marche de nos institutions libérales, en vous voyant et en apprenant quelle position vous occupez parmi nous, à quelle conclusion s'arrêterait-il? Inévitablement il penserait que les principes que nous défendons ont prouvé leur impuissance et que notre nation est en pleine décrépitude. Songez à l'influence de votre exemple sur notre jeunesse, et à quelle école de vices vous l'élevez! Vous avez le droit de vous perdre, mais je ne vous reconnais pas celui d'entraîner, par votre exemple, dans le vice et la corruption ceux qui sont l'espoir de la patrie. Comme citoyen de l'Amérique, votre conduite m'a révolté; comme prédicateur de l'Évangile, j'ai pour mission de vous dire que si vous ne renoncez à votre conduite mauvaise, si vous ne vous repentez de vos péchés et si vous ne croyez en Jésus-Christ, en tournant vos coeurs vers ce qui est droit, vous serez infailliblement damnés. »

Quelque peu inquiet par rapport aux suites que pourrait avoir sa vive improvisation, mais bien décidé pourtant à ne pas rabattre un seul mot des dures vérités que sa conscience l'avait forcé d'énoncer, Milburn s'était retiré dans sa cabine. Il y était depuis un certain temps, lorsqu'il entendit frapper à sa porte. Un messager entra et lui dit : « J'ai été chargé de venir vous trouver de la part des membres du Congrès présents à bord. Ils m'ont chargé de vous remettre les cent cinquante dollars renfermés dans cette bourse comme une preuve de la reconnaissance qu'ils ont pour la sincérité et le courage que vous avez montrés en censurant leur conduite. Je dois également vous demander en leur nom si vous consentiriez à vous mettre sur les rangs lors de la prochaine élection du chapelain du Congrès. Si vous n'y faites pas d'objection, ils s'engagent à faire réussir votre candidature. » Après quelques heures de réflexion, Milburn crut devoir accepter, et quelques jours plus tard il entrait dans ses nouvelles fonctions.

Les quelques années que Milburn passa à Washington furent utiles à son développement intellectuel; mais il aimait trop la vie du prédicateur itinérant pour qu'un séjour prolongé dans la capitale des États-Unis pût lui convenir. Il se sentait appelé à la vie missionnaire; il donna donc sa démission pour recouvrer sa liberté. Mais il n'était plus seul; il s'était donné une compagne dont l'affection répandit sur la vie du pauvre aveugle un parfum inconnu et dont la vive intelligence partagea ses études.

Pendant six années, Milburn séjourna, pour cause de santé, dans les États du sud. Il s'y occupa avec un grand zèle de la population noire, qui, à cette époque, était encore esclave.

« Je suis fier, dit-il, de pouvoir affirmer que le méthodisme a compris, dès le commencement, l'étendue de sa tâche par rapport aux nègres, et qu'il a accepté cette oeuvre comme son champ spécial d'activité; il y a travaillé avec une infatigable énergie, et c'est là que s'est faite sa plus précieuse moisson. Depuis les insalubres champs de riz et les malsaines plantations de coton sur les côtes de la Caroline et de la Géorgie, jusqu'aux marécages de la rivière Rouge et de l'Ouachitan, sur lesquels pèse une atmosphère infecte, - le long des bancs du Rio-Grande et de la Trinité, - dans les cultures de cannes à sucre de l'Attakapas et les plantations de coton du Mississippi, - partout où s'élève la case d'un nègre, - partout où ce pauvre peuple s'épuise de fatigue dans les sillons ou au milieu des buissons ou des bois reculés, partout vous rencontrerez mes collègues, peu soucieux des privations, des fatigues, du froid, de la chaleur, de la faim, des émanations pestilentielles et de la mort, prêchant partout les richesses insondables de Christ et suppliant les hommes d'être réconciliés avec Dieu. Nos vénérables évêques et nos jeunes prédicateurs, nos publicistes et nos présidents, hommes de tout rang, de tout âge, de toute culture intellectuelle, ont rivalisé de zèle à qui ferait le plus et réussirait le mieux en plantant la croix du Sauveur dans l'âme des enfants de l'Afrique. Par leurs travaux dévoués et désintéressés, des centaines de milliers d'enfants de Cam ont passé des ténèbres à la lumière, de la puissance de Satan à Dieu, et ont tourné leurs regards du côté de Sion; et des myriades, laissant à la fois le dur labeur et la vie, sont morts dans l'espérance ferme de l'héritage incorruptible et inflétrissable qui ne passera jamais. Honneur à ces serviteurs du Maître, qui, quoique pauvres, en ont enrichi plusieurs, et qui ont considéré l'opprobre de Christ comme préférable aux trésors de l'Égypte ! »

Dans l'après-midi du dimanche, le pasteur méthodiste dirige un service religieux où ne sont admis que les nègres, outre celui du matin qui est mixte.

Empruntons encore aux souvenirs de W. Milburn (antérieurs à l'époque de la libération des esclaves) ce qu'il dit des aptitudes musicales des noirs. Il n'y a rien d'entraînant comme le chant de deux ou trois mille noirs réunis dans un camp-meeting. Ils ont leurs cantiques à eux qu'ils chantent avec un entrain admirable. Les paroles, la mélodie, l'intonation, tout y a un caractère profondément sérieux, en même temps que puissamment original. Tantôt le sentiment qui déborde de toute part, c'est la pensée du triomphe et de la victoire, comme dans l'hymne qui, après chaque vers, répète ce refrain, puissant comme un chant guerrier :

And we shall gain the victory (2) !

Tantôt c'est un sentiment de mélancolique tristesse, où se mêle la douce pensée du repos, et dont la mélodie plaintive se termine parfois en sanglots:

There's a rest for the weary (ter),
Where they rest for evermore!
In the fair fields of Eden (ter),
We'll rest for evermore! (3)

Ou bien, écoutez-les chanter leur fameux cantique, entraînant comme le chant des Girondins et mélodieux comme un chant du ciel,

« Ofd ship of Zion. »
What ship is this that will take us all home!
Glory! hallelujah!
Tis the old ship of Zion! oh! glory! hallelujali!
But are you sure she will bc able tu take us all home?
Yes, glory! hallelujah!
She's landed many a thousand, and she'll land as many more;
King Jesus is the captain! oh! glory! hallelujah! (4)

Milburn assure que l'onction et l'animation qui accompagnent ce chant, et l'intonation qu'ils donnent aux derniers vers ont toujours produit sur lui l'effet d'une commotion électrique.

C'est auprès de ce peuple sensible et aimant que notre prédicateur exerça son ministère avec le plus de succès. Une vive sympathie s'établit entre les nègres et lui, et il parle d'eux en termes d'une affection touchante.

Depuis l'époque de leur libération, les Méthodistes noirs se sont groupés en églises indépendantes, dont voici la statistique, d'après les tableaux dressés à la Conférence oecuménique de Londres (1921) :

Église méthodiste épiscopale africaine 6,550 pasteurs, 551,776 membres;
Église méthodiste épiscopale de Sion 3,456 pasteurs, 458,734 membres;
Église méthodiste épiscopale de couleur 2,402 pasteurs, 267,361 membres;

Total : 12,408 pasteurs, 1,277,871 membres.

.
(1) l'en years of preacher-life : chapters from an autobiography, by William Henry Milburn, ouvrage que nous avons résumé dans le Chrétien évangélique de Lausanne, 1860. 
.
(2) Sentant combien une traduction est impuissante à rendre la simplicité et l'énergie de ces hymnes, nous avons préféré citer l'original, et donner la traduction en note pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent pas l'anglais. Voici ce premier vers :
« Et nous remporterons la victoire! » 
.
(3) Il est un repos pour ceux qui sont fatigués,
Nous nous reposerons pour toujours!
Dans les belles prairies de l'Eden,
Où nous nous reposerons pour toujours! 
.
(4) Quel est ce vaisseau qui doit nous mener tous à notre demeure? Gloire! alléluia!
C'est le vieux vaisseau de Sion! oh! gloire! alléluia!
Mais croyez-vous qu'il pourra nous mener tous à notre demeure ?
Oui ! gloire, alléluia!
Il en a porté bien des milliers, et il en portera plus encore;
Le roi Jésus est le capitaine! oh! gloire! alléluia!

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant