La
colonisation de l'Ouest. - Fusion des
races les plus diverses. - Quelques
détails statistiques. - Les
Églises, - L'Église
méthodiste.
|
Parvenus à la fin de ces rapides
esquisses, jetons un coup d'oeil d'ensemble sur
l'oeuvre des missionnaires de l'Ouest. Mais, comme
cette oeuvre d'évangélisation a sans
cesse côtoyé et souvent
fécondé l'oeuvre de colonisation
proprement dite, essayons d'abord de nous rendre
compte de l'étendue et de la
prospérité de celle-ci, en n'oubliant
pas que sa grandeur actuelle a sa source non
seulement dans l'indomptable énergie des
colons, mais aussi dans les principes
chrétiens qui, de bonne heure, l'ont
épurée en lui assignant un but
élevé.
On peut dire que la race à
qui est échue la tâche de
conquérir à la civilisation l'immense
bassin du Mississippi, est une race
prédestinée aux grandes choses et aux
larges ambitions. Si elle ne se distingue des
autres familles humaines ni par une
supériorité, physique incontestable,
ni par des aptitudes intellectuelles hors ligne, on
peut dire pourtant
qu'elle a
un cachet de distinction indélébile.
Ce cachet, c'est le génie de la
civilisation. Il faut en effet qu'un peuple
possède en soi une puissance de
progrès bien remarquable pour franchir en
quelques rapides étapes le chemin de douleur
où d'autres peuples s'attardent pendant des
siècles. En un demi-siècle, une
grande nation est née, qui, s'adossant au
revers occidental de la chaîne alleghanyenne,
s'est élancée dans tous les sens, ne
s'arrêtant au nord qu'au bord des lacs
canadiens, et au midi que sur la plage du golfe du
Mexique, et franchissant à l'Ouest les
Montagnes Rocheuses pour jeter ses colonies
victorieuses sur les rives où viennent
mourir les flots du Grand Océan. Position
admirable et sans pareille qui commande aux deux
plus vastes mers du globe et qui semble
destinée à être le berceau du
plus grand peuple de l'avenir.
Voici comment cette marche
victorieuse de la civilisation est décrite
par M. Simonin, l'un des hommes qui connaissent le
mieux parmi nous les États-Unis (1)
:
« Les romans de Cooper ont
dépeint en traits ineffaçables ce
qu'on nommait l'Ouest aux États-Unis à la
fin du XVIIIe siècle et au commencement du
XIXe. Ce fut d'abord la partie la plus lointaine
des États de New-York et de Pensylvanie.
À mesure que le pionnier avançait
dans le désert, disputant sa place et sa vie
à l'Indien, la limite de l'Ouest
s'éloignait et les solitudes allaient se
défrichant et se peuplant. L'Ohio,
l'Indiana, l'Illinois, passèrent ainsi l'un
après l'autre du rang de territoire à
celui d'États. On calculait que cette marche
de la civilisation se faisait à la vitesse
de quinze milles on environ vingt-cinq
kilomètres par an. En 1800, on colonisait
l'Ohio, sur les confins de l'État de
Pensylvanie; en 1830, on était arrivé
à l'extrémité de la
chaîne des lacs, en 1860, le planteur fixait
définitivement sa tente au delà du
Mississippi, et le gouvernement
fédéral, dans cet espace de soixante
ans, ajoutait de nombreux États à la
liste de tous ceux qui avaient été
primitivement admis dans le sein de
l'Union.
« Au début, le pionnier,
armé de la hache, ouvrit seul sa route
à travers la forêt vierge ou le long
de la plaine sans fin, au milieu des hautes herbes
et des graminées naturelles. Quand la vapeur
eut appris à sillonner la terre et l'eau, ce
ne fut plus le colon qui marcha seul en avant; le
railway, le steamboat, non contents de le suivre,
le précédèrent, et l'Ouest
s'ouvrit encore plus vite et d'une façon
décisive devant tous ces conquérants
réunis. En moins de cinq ans, de 1862
à 1867, nous avons vu se coloniser ainsi
tout l'espace qui s'étend entre le Missouri
et le pied des Montagnes Rocheuses sur cinq cents
milles de long. La plaine immense qui court d'Omaha
à Cheyennes a été ouverte tout
entière à la civilisation par le
tracé, à travers les prairies, du
chemin de foi du Pacifique, une des oeuvres les
plus gigantesques de ce temps, et qui unit
aujourd'hui le Missouri à Sacramento, et par
suite San-Francisco à New-York.
»
Dans ces limites immenses se
meut en
effet un peuple qui possède son unité
et son originalité au milieu de la grande
nation dont il est le plus vigoureux rejeton. Car
jamais peuple n'a manifesté une pareille
force d'expansion. Le dernier venu, il a pris place
au banquet des peuples, et on lui a fait la part de
Benjamin. Son pays, assez vaste, pour contenir tous
les peuples de l'Europe, a toute la richesse et
toute la fécondité d'une terre vierge
que n'a pas épuisée une insatiable
spéculation.
Nous ne serions pas
éloigné de penser que l'un des
éléments essentiels de la
vitalité de ce peuple se rencontre dans
cette fusion des races les plus variées qui
a donné le jour à la
nationalité américaine. L'Ouest, en
particulier, a été le rendez-vous
clos cinq parties du monde. Le fond de la
population est anglo-saxon. L'Illinois et la Louisiane
ont conservé de
nombreux éléments français,
vestiges des premières expéditions
guerrières, et la révocation de
l'édit de Nantes a jeté ce sol
quelques épaves. Une colonie de quinze cents
Grecs établie sur les côtes de la
Floride, et mêlée bientôt
à la population, a infusé dans ses
veines. un sang bien différent. Les
Espagnols, ces anciens maîtres du pays ont
aussi marqué de leur empreinte la race
nouvelle. Dans le Nord-Ouest, les Hollandais et les
Scandinaves mit laissé des traces de leur
passage. L'Allemand enfin a apporté son
caractère national avec ses aptitudes au
travail et sa ténacité. Les Indiens
seuls, ces antiques maîtres de la
centrée, semblent avoir abdiqué
devant l'émigration, cependant cette
première impression s'efface devant une
étude tant soit peu approfondie, et l'on ne
tarde pas à reconnaître que, si la
trace du sang indigène est presque
imperceptible dans la race conquérante,
celle-ci a hérité au moins à
certains égards de l'esprit et des
qualités des vaincus.
Ce peuple, auquel manque
l'homogénéité des grandes
races s'est unifié sous l'inspiration d'un
instinct infaillible, qui est la garantie de son
avenir.
Les principales villes de
l'Ouest
sont Buffalo, Cleveland, Toledo sur le lac
Erié, premiers postes de la civilisation
dans sa marche vers l'Ouest;
Détroit qui se souvient
d'avoir été fondée par des
Français; Pittsburg, fondée aussi par
des Français qui la nommèrent Fort
Duquesne, et aujourd'hui célèbre par
ses innombrables usines; Cincinnati, qui aime
à s'appeler la « cité reine,
» mais à laquelle on donne plus
volontiers le surnom peu gracieux de Porcopolis,
parce qu'elle fait un immense commerce de
salaisons. Toutes ces villes ont une population qui
varie de 100,000 à 250,000 âmes. Mais
leur grandeur et leurs richesses sont
éclipsées par les deux
véritables reines de l'Ouest. Chicago et
Saint-Louis, qui renferment aujourd'hui à
elles deux un million environ d'habitants quoique
la première n'eût en 1840 que 4,800
habitants, et que la seconde n'en eût que
5,000 en 1822. La population de ces deux
étonnantes cités double en dix ans.
Leur magnificence rivalise avec celle des plus
riches capitales du vieux monde. Leur commerce
atteint et souvent dépasse celui des
métropoles de la richesse européenne,
Liverpool ou Marseille. Tout semble leur
présager le plus brillant avenir, et
l'épouvantable incendie qui a détruit
Chicago, il y a peu d'années, semble n'avoir
servi qu'à donner un nouvel élan
à l'irrésistible marche en avant (2).
Si les villes de l'Ouest
s'élèvent, par leur grandeur et leurs
richesses à la hauteur des grandes
cités de l'Europe, elles sont
menacées de descendre à leur niveau
au point de vue moral, et il faut bien
reconnaître que, la fièvre des
affaires aidant, il s'est produit dans ce
sens-là d'alarmants symptômes.
Toutefois, même au sein de ces vastes
agglomérations où abondent les
éléments pervers, la puissance du
bien l'emporte sur celle du mal. Mais, il faut bien
le dire, c'est surtout le fermier qui paraît
devoir conserver le mieux les traditions de foi et
de moralité qui font du western man le type
de l'attachement incorruptible aux principes. Ce
fermier de l'Ouest a fait de grands progrès
assurément depuis le temps où
Cartwright, ou tel autre de nos prédicateurs
pionniers, lui inculquait les
éléments de la civilisation en
même temps que ceux du christianisme. Partout
aujourd'hui le log-house a été
remplacé par l'habitation confortable
construite à l'européenne. « Que
le fermier soit riche ou simplement dans une
modeste aisance, la maison est toujours proprement
tenue; il n'y manque jamais le salon, le drawing
room, où la famille se réunit le soir
pour lire, causer, faire de la musique. Le piano
marqué souvent du nom d'un des facteurs les
plus connus, est dans un coin de l'appartement, et
la fermière y joue et même y chante
à ses heures. Des tapis moelleux sont étendus sur
le
parquet, sur les marches des escaliers
intérieurs; de bons meubles, quelques-uns
coquets, décorent les diverses
pièces. Le linge est blanc et la table
abondamment servie (3).
»
Ces fermiers de l'Ouest,
intelligents, sobres, travailleurs, qui se sont si
rapidement élevés par
eux-mêmes, ont été, ne
l'oublions pas, les plus fermes soutiens de la
cause du bon droit dans la lutte colossale
où se sont rencontrés, il y a
quelques années, les partisans et les
adversaires de l'esclavage. C'est l'un d'eux,
Abraham Lincoln, qui, appelé à la
présidence des États-Unis à
une heure décisive, s'est trouvé
à la hauteur de la tâche
écrasante que les événements
les plus imprévus ont tout à coup
fait peser sur lui. C'est parmi ses rudes
compatriotes de l'Ouest qu'il a toujours
trouvé, à l'heure où tous les
courages faiblissaient, une énergie
indomptable pour continuer la lutte; ce sont eux,
l'histoire le dira, qui, en jetant dans la balance
longtemps indécise le poids de leur
volonté à la fois tenace et
intrépide, ont sauvé l'Union à
la fois du démembrement et de
l'esclavage.
La religion et l'instruction
sont
également en honneur dans l'Ouest. Vingt
mille églises ouvrent leurs portes à
une population qui a appris à donner le pas aux
intérêts de l'âme sur ceux de la
vie présente. Deux cents collèges et
plus de cinquante mille écoles
reçoivent tous les enfants; nul n'y manque,
et filles et garçons sont reçus dans
le même local. Les moeurs autorisent ce
rapprochement des deux sexes, qui contribue
à inculquer aux futurs citoyens de la
république américaine ce respect de
la femme qui est entré si
profondément dans leurs moeurs.
Ce peuple qui, de si bonne
heure, a
cherché avec avidité la satisfaction
de ses besoins moraux et intellectuels dans la
région qui console et élève
l'âme et dans l'étude qui l'embellit,
occupe un rang distingué parmi les peuples,
au point de vue des qualités du coeur et de
l'esprit qui constituent la vraie grandeur d'une
nation. L'habitant de l'Ouest se distingue
même essentiellement de ses compatriotes des
États de l'Atlantique par une
moralité plus générale et par
une vie religieuse plus profonde. Le culte y est
suivi avec régularité, et, ce qui
vaut mieux, les principes chrétiens y sont
pris au sérieux et exercent une influence
décisive sur l'immense majorité de la
nation. La religion, dans son indépendance
absolue à l'égard des pouvoirs
publics, trouve le principe même de sa force
d'expansion; elle n'est pas, comme chez nous, une
branche de l'administration qui peut, au besoin, se
passer des sympathies et de l'appui du peuple,
forte qu'elle
est de
ceux de l'État. Il faut, aux
États-Unis, qu'une religion soit plus qu'une
institution publique; elle est une entreprise qui
réclame le concours des énergies
individuelles, qui met en jeu l'activité de
chacun de ses membres, qui est sans cesse
aiguillonnée par la libre concurrence et par
la perspective de l'abandon où elle serait
laissée à l'instant où elle
serait au-dessous de sa mission. Les Églises
qui ont pris racine dans l'Ouest ont eu d'ailleurs
un passé de luttes et de souffrances qui
doit leur servir de programme et d'engagement pour
l'avenir.
Nous ne voudrions pas
exagérer la part qu'ont prise les
missionnaires méthodistes à ce grand
et laborieux travail de la création d'un
peuple libre, intelligent et moral. Nous
reconnaissons que d'autres Églises en ont
partagé les périls et doivent en
partager la gloire. Un fait est certain toutefois,
et les écrivains les plus
indépendants l'ont reconnu hautement : c'est
que l'Église méthodiste s'est mise
à la tête de
l'évangélisation de la grande colonie
de l'Ouest, et a été l'auxiliaire le
plus utile de la civilisation. Qui petit dire de
quelle lamentable façon aurait
échoué cette grande entreprise, si
l'esprit aventureux et colonisateur de la race
anglo-saxone n'avait reçu la forte direction
religieuse qui lui imprimèrent nos courageux
évangélistes? Au lieu de ce peuple si
grand parce qu'il a su allier la
liberté la plus complète à
l'ordre social le mieux établi, nous
verrions, pour tout résultat d'une grande
entreprise misérablement avortée,
quelque république orageuse et violente
comme les républiques espagnoles de
l'Amérique du Sud, se déchirant dans
des luttes sans grandeur.
L'Église militante dont nous
avons fait connaître les travaux a
trouvé dans l'Ouest un succès et une
prospérité qui sont la
récompense de ses efforts
persévérants. On peut dire que ses
progrès ont été en rapport
avec ceux du pays, et ce n'est pas peu dire. Elle
est encore aujourd'hui la plus nombreuse et la plus
florissante des Églises de l'Ouest Ses
membres, qui sont aux États-Unis au nombre
de deux millions, et ses adhérents, qui
atteignent un chiffre de dix millions, sont surtout
répandus dans l'Ouest. Dans l'Indiana, un
septième de la population fait partie de
l'Église et près de la moitié
se rattache à son culte; aussi a-t-on
quelquefois appelé cet État
l'État méthodiste. Dans l'Illinois,
dans l'Ohio, la proportion est presque aussi
forte.
On le voit, si Dieu a appelé
l'Église méthodiste à de
grandes souffrances et à de grandes luttes,
il lui a donné une belle part dans le
succès. Sans doute, tout n'est pas fait, et
il ne faudrait pas qu'elle s'endormît sur son
passé; ses vétérans ne cessent de lui rappeler les
exemples des anciens jours et de lui dire que sa
seule force sera dans un ministère largement
missionnaire et agressif.
D'autre part, l'Église
méthodiste semble avoir compris les
nécessités du temps. Son jeune
clergé, formé dans des
facultés et dans des collèges
nombreux, est apte à répondre aux
besoins nouveaux. Puisse-t-il réussir
à allier dans une juste mesure l'esprit des
pères, qui fut la force et la gloire de
l'Église, aux exigences d'une époque
qui réclame beaucoup de ceux à qui
elle confie le soin de l'instruire ! Pour que cette
Église conserve la place éminente
qu'elle s'est faite, il faut que ses pasteurs aient
plus d'instruction et autant de zèle que
ceux qui les ont précédés.
Nous pensons que ces deux éléments
peuvent se combiner, et cependant, il faut
l'avouer, l'histoire de l'Église prouve que
cette union si désirable s'est rarement
réalisée. Le problème n'est
pas insoluble toutefois, et sa solution renferme,
non seulement l'avenir d'une Église
particulière, mais celui de l'Église
universelle.
Nous sommes heureux de donner la traduction
complète du discours que le Président
des États-Unis prononça, le 26
février 1903, dans la vaste salle de
Carnegie-Hall, à New-York, à
l'occasion du deuxième centenaire de la
naissance de John Wesley. Il y rend un hommage
éloquent et sympathique à l'oeuvre de
civilisation chrétienne de l'Ouest,
accomplie par les « Prédicateurs
pionniers.»
Mesdames et Messieurs.
Je suis heureux d'avoir
l'occasion
d'adresser la parole à cette
assemblée, qui représente la grande
Église fondée par Wesley, et de le
faire à l'occasion du deux centième
anniversaire de sa naissance. L'Amérique a
d'ailleurs un droit spécial de revendiquer
la mémoire de Wesley, car c'est sur notre
continent que l'Église méthodiste a
atteint son plus grand développement.
À l'époque où nous
n'étions qu'une colonie de l'Angleterre, le
Méthodisme n'exerça pas, en somme,
une grande influence sociale et religieuse sur
notre peuple. Les Congrégationalistes
avaient la suprématie dans presque toute la
Nouvelle-Angleterre, et les Épiscopaux dans
le sud, à partir de New-York; les
Presbytériens occupaient surtout les
régions qui formaient alors notre
frontière de l'Ouest; les Quakers, les
Catholiques et les Réformés
hollandais avaient aussi atteint un certain développement
dans
diverses régions du pays. La grande
extension de l'Église méthodiste,
comme celle de l'Église baptiste,
commença à peu près au moment
des guerres de notre Révolution. Je n'ai
à vous parler aujourd'hui que du
Méthodisme.
Depuis les jours de la
Révolution, non seulement l'Église
méthodiste s'est accrue grandement dans les
treize États primitifs; mais elle a eu une
part prédominante dans la colonisation de
notre pays et a assumé une position
d'immense importance, dans la vaste région
à l'ouest des Alleghanys, annexée aux
États-Unis depuis la date de leur premier
Congrès.
Pendant le siècle qui a suivi
la Déclaration d'indépendance, la
plus grande oeuvre accomplie par notre peuple
(à l'exception de l'oeuvre de
préservation nationale faite par Lincoln) a
été celle des pionniers qui ont pris
possession de ce continent. Durant ce
siècle, nous nous sommes étendus
à l'ouest jusqu'au Pacifique, au sud !
Jusqu'au golfe du Mexique et an Rio-Grande, au nord
jusqu'à l'Alaska. Ce fut l'oeuvre typique de
notre nation de reculer ses frontières
à travers les forêts, les
déserts et les chaînes de montagnes;
et les hommes qui ont fait cette oeuvre, pionniers,
hommes des bois, des plaines et des montagnes,
forment, dans notre histoire, une classe à
part. Pour cette tâche, il fallait des hommes
qui eussent des corps de fer et des âmes de
fer. Ils eurent des caractères
également forts pour le bien et pour le mal;
leur rude nature leur donnait une puissance d'une
rare intensité pour propager la
lumière ou les
ténèbres.
Ils avaient, en même temps que
des traits héroïques de
caractère, de dangereuses tendances au mal,
trop fréquentes chez des hommes qu'attirent
des aventures héroïques. De tels hommes
peuvent devenir d'admirables serviteurs de Dieu, si
leur vitalité et leur énergie
surabondantes sont bien dirigées : mais si,
au contraire, elles prennent une mauvaise
direction, elles deviennent pernicieuses pour la
cause du christianisme et de la vraie civilisation,
Dans la dure
et
cruelle existence de nos pionniers, aux prises avec
les forces hostiles d'une nature sauvage et avec
des hommes plus sauvages encore, les influences qui
les entouraient tendaient à les abaisser
moralement. S'ils Pussent été
laissés à sans enseignement moral,
et, sans ces influences qui relèvent l'homme
en subjuguant la brute qui est en lui, leur
destinée eût été sombre,
et la nôtre aussi par
conséquent.
Nous avons été
préservés de ce malheur par le fait
que, en même temps que nos colons, des
prédicateurs pionniers s'avancèrent
vers l'Ouest; et c'est le grand honneur des
Méthodistes envoyé le plus grand
nombre de ces prédicateurs
pionniers.
Ces prédicateurs, de la
trempe du vieux Pierre Cartwright, furent des
hommes qui partagèrent toutes les privations
de leurs compagnons et qui, de plus,
domptèrent leurs âmes sauvages et
farouches. Leur tâche n'eût pas pu
être accomplie par ceux qui aiment leurs
aises. Il leur fallait l'esprit des martyrs, non
pas pourtant l'esprit des martyrs qui ne savent que
souffrir et opposent au mal une passive endurance.
Ils luttèrent contre les forces du mal moral
avec la même énergie et la même
ardeur qu'ils déployèrent, eux et
leurs compagnons, pour conquérir un
continent. Ils avaient en eux l'esprit
héroïque, qui méprise le
bien-être, s'il faut l'acheter par le
sacrifice du devoir; l'esprit qui aime les
périls d'une vie énergique pourvu
qu'elle ait un but qui en vaille la peine. Notre
dette envers ces hommes est grande, et
j'éprouve quelque impatience quand j'entends
ceux qui les critiquent. Il est facile à
ceux qui n'ont jamais en à lutter contre de
telles difficultés, de déclarer
qu'ils furent rudes et étroits. On les a
critiqués, comme on critique tous les
hommes, missionnaires, soldats explorateurs, qui
font l'oeuvre de défrichement qui
prépare les voies à la civilisation.
Il est aisé pour ceux qui restent
confortablement chez eux et qui n'ont jamais
été aux prises avec les forces
inférieures de l'humanité, de critiquer
les hommes qui, en employant de rudes façons
d'agir, ont préparé la voie à
une vie plus haute et meilleure. Mais
souvenons-nous qu'il convient aux gens qui n'ont
rien à faire, d'être
réservés dans leurs jugements sur
leurs frères, qui, malgré leur
rudesse et leurs fautes, ont fait avancer
l'humanité. Ces pionniers du
méthodisme possédèrent les
vertus militantes avec lesquelles ou accomplit de
grandes choses. Leurs défauts semblent bien
petits si en les met en regard de l'oeuvre qu'ils
firent.
Et maintenant, mes amis, en
célébrant la croissance merveilleuse
du Méthodisme, et en rue réjouissant
du bien qu'il a fait à ce pays et à
l'humanité, j'ai à peine besoin de
rappeler à une assemblée telle que
celle-ci que la grandeur des pères devient
une honte pour leurs enfants, si elle sert
d'excuse, à leur inaction, au lieu de les
stimuler à l'effort en vue de nobles
entreprises. Je ne vous parle pas seulement comme
à des méthodistes, mais comme
à des citoyens américains. Les jours
des pionniers sont passés. Tous maintenant
nous faisons partie d'une grande nation
civilisée, avec une vie industrielle et
sociale complexe, et avec des possibilités
infinies pour le bien ou pour le mal. Le milieu et
les moyens d'action ont changé
immensément depuis les jours où de
rudes prédicateurs pionniers s'occupaient
des besoins moraux et spirituels de leurs
paroissiens plus rudes encore. Mais si nous voulons
réussir, il faut que nous fassions notre
oeuvre clans le même esprit où ils
firent la leur. Ces hommes allèrent de
l'avant et atteignirent au succès, parce que
le sentiment du devoir était la moelle de
leurs os. Ce sentiment n'était pas une sorte
d'appendice à leur théologie, en
dehors de la vie de tous les jours. Ils le
portaient avec eux les jours de semaine comme le
dimanche. Ils ne séparaient pas le spirituel
du séculier. Ils n'avaient pas une sorte de
conscience pour un côté de leur vie et
une autre pour l'autre côté.
Si nous voulons réussir comme
nation, il faut que nous ayons en nous le
même esprit. Nous devons sans doute
être des hommes pratiques, qui regardent en
face les faits tels qu'ils sont. Les
prédicateurs pionniers du Méthodisme
n'auraient pas tenu quinze jours, s'ils n'avaient
pas eu l'esprit essentiellement pratique et s'ils
n'avaient pas possédé la plus large
et la plus profonde sympathie pour leurs
semblables. Mais il faut qu'à
côté du bon sens pratique, dont chacun
de nous a besoin dans la vie, nous sachions nous
élever vers les choses supérieures;
sans cela, nous périrons, nous et notre
nation. La vie n'est facile pour personne; elle ne
l'est pas surtout pour ceux qui, individus ou
nations, aspirent à faire de grandes choses.
Dans le siècle qui commence, Faction des
forces et des tendances qui composent notre
système social, parait devoir être
encore plus violente que dans le siècle qui
vient de finir. Si, dans ce nouveau siècle,
les hommes qui ont le sens moral
élevé et affiné se montraient
des êtres débiles; s'ils
possédaient seulement cette vertu
claustrale, qui s'effarouche au contact des rudes
réalités de la vie; s'ils n'osaient
pas descendre dans l'arène tumultueuse,
où les hommes forts luttent pour la
suprématie; s'ils se tenaient à
l'écart des conflits, - alors, aussi
sûrement que le soleil se lève et se
couche chaque jour, tous nos immenses
progrès matériels, tous les
innombrables moyens que nous employons pour notre
confort et notre bien-être, tout cela
aboutirait au néant, et notre civilisation
deviendrait une farce brutale.
Mais si, comme je le crois, nous
devons progresser en humanité, en
bienveillance, en fraternité, du même
pas que nous progressons dans notre conquête
des forces de la nature, ce sera en transformant
notre force en vertu et notre vertu en force. ce
sera en formant des hommes qui soient à la
fois bons et forts, doux et vaillants des hommes
qui rougissent de faire le mal et qui aient le
courage et la force de lutter pour la justice.
Wesley a dit qu'il ne voulait
lias
laisser au service du diable toute la bonne musique (4).
Il
ne voulut
pas non plus que les qualités fortes et
viriles demeurassent exclusivement au service dit
mal, et c'est pour cela qu'il a tant fait pour
l'humanité. L'Église qu'il fonda a
été, tout au travers de son histoire,
l'Église des pauvres aussi bien que des
riches, et n'a pas voulu faire acception de
personnes. Elle a été une
Église dont les membres fidèles aux
enseignements de leur fondateur, n'ont pas
cherché de plus grand privilège que
de se dépenser ait service de la vie
supérieure, et qui ont mis leur gloire, non
à éviter les tâches difficiles,
mais à les entreprendre et à les
mener à bonne fin.
Je suis venu ici ce soir pour
vous
féliciter et pour payer un tribut de
reconnaissance à votre passé. Vous
avez bien mérité de
l'humanité; vous avez lutté avec
énergie et pour rapprocher le, jour dit
triomphe, de la paix ci de la justice parmi les
peuples de la terre.
(Traduit par M. Lelièvre)
Chapitre précédent | Table des matières | - |