Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

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LE RÉVEIL DU CUMBERLAND.


L'origine des camp-meetings. - Nécessité d'un réveil général. - Union des presbytériens et des méthodistes. - Les disputes publiques. - Commencements du réveil dit Cumberland. - Réunions en plein air. - Le camp religieux de Cane-Ridge. - Prédications de Burke. - Description par un témoin oculaire. - Conversion extraordinaire d'un opposant. - Mort d'un ivrogne. - Un médecin et une dame convertis. - Le réveil se répand. - Aspect des assemblées de réveil. - Prédication d'un jeune garçon. - Les phénomènes physiques dans ce réveil.

Pour voir sur le théâtre où elle se meut le plus à l'aise l'activité de nos prédicateurs, il faut la suivre dans les grandes assemblées en plein air auxquelles on a donné le nom de camps religieux (camp-meetings). L'origine de ces assemblées remonte aux débuts de l'oeuvre de l'Ouest et se rattache au grand réveil religieux qui en marqua les commencements.

Quelque grand qu'eût été le dévouement des missionnaires de l'Ouest, ils ne tardèrent pas, dès les premiers jours, à se voir débordés par les éléments pervers qu'amenait l'émigration. Plusieurs d'entre eux se sentaient pris de découragement, et ils se demandaient avec effroi si le christianisme allait être forcé de baisser pavillon devant l'impiété et la corruption. Il fallait de toute nécessité à l'oeuvre nouvelle une de ces crises fécondes qui rajeunissent et transforment un corps religieux, en lui faisant regagner le terrain perdu. Les moyens ordinaires étaient insuffisants dans ce pays où la population se renouvelait incessamment, et la cause de l'évangélisation eût été submergée sous le flot du mal, si Dieu n'était intervenu par un de ces réveils qui imposent silence à l'incrédulité et au vice. Plus d'un humble missionnaire, l'âme attristée, avait réclamé de Dieu ce déploiement de sa puissance, qui seul pouvait donner à l'oeuvre chrétienne une impulsion décisive. Le Seigneur allait répondre d'une façon éclatante à ces prières.

Chose remarquable, le réveil de l'Ouest fut une manifestation de fraternité chrétienne, et dut son origine aux prières et aux efforts combinés de plusieurs églises. Ce fait, qui semble si naturel de nos jours, était complètement nouveau et passablement étrange dans les premières, années du siècle dernier; dans ces régions reculées, la tolérance entre sectes rivales était chose inconnue, et des luttes acharnées vinrent souvent donner au monde un triste spectacle. Si nous racontions au complet l'histoire religieuse de ces contrées, nous devrions consacrer une place spéciale à ces luttes sur lesquelles nos documents nous fournissent des détails curieux; qu'il nous suffise de dire qu'avec le caractère particulier des colons, ces disputes étaient inévitables; ils se plaisaient presque autant à ces combats de paroles qu'aux combats sanglants qu'ils avaient à soutenir contre la vie sauvage. Des foules nombreuses et attentives se pressaient dans les assemblées en plein air, où quelques ministres joutaient sur le baptisme et le pédobaptisme, sur la prédestination et le salut pour tous, sur la persévérance finale et la possibilité de perdre la grâce; ces débats théologiques passionnaient ce peuple mobile; c'était un feu roulant d'arguments métaphysiques et bibliques, émaillés de réparties spirituelles et de bons mots qui n'étaient pas les moins bien venus. Peu d'hommes se distinguèrent dans ces forums populaires autant que Cartwright, et une des parties les plus pittoresques de ses Mémoires est bien celle où il dépeint ces brillants tournois qui lui valurent de grands succès.

Ces luttes avaient une utilité incontestable au point de vue de chaque Église. Outre qu'elles mettaient à nu les inanités des sectes bizarres écloses à cette époque de fermentation religieuse, en les livrant aux sarcasmes du bon sens populaire qui en faisait prompte justice, elles amenaient presque toujours la victoire d'un parti sur un autre, et plus d'une fois il arriva que tel prédicateur, par la justesse de son raisonnement ou par l'habileté de sa discussion, vit passer de son côté le camp opposé avec armes et bagages. Un peuple au milieu duquel la libre controverse petit avoir de pareils résultats est, tout compté, un grand peuple; il peut céder à des entraînements fâcheux, mais ce que la parole a fait, la parole peut le défaire. Convenons toutefois qu'à l'origine, ces grandes discussions eurent fréquemment un résultat regrettable : elles éparpillèrent des forces qui eussent dû se concentrer pour la lutte contre l'irréligion.

Le réveil, dont l'origine remonte ait printemps de l'année 1800, peut être considéré comme une réaction contre cette tendance. Il naquit 'dans le comté de Cumberland, au sud du Kentucky, grâce aux efforts et aux travaux d'un pasteur méthodiste et d'un pasteur presbytérien qui, chaque dimanche, réunissaient leurs congrégations. Ce rapprochement, inouï jusqu'alors, produisit une vive sensation dans la contrée et éveilla la curiosité d'une multitude de gens qui accoururent à ces assemblées. Tout le monde savait que les opinions théologiques des deux pasteurs étaient, sur certains points, en désaccord, et l'on s'étonnait qu'il n'en parût absolument rien dans leur prédication, qui se renfermait dans la proclamation des grandes vérités de la foi. Ces auditeurs, amenés au pied de ces chaires rustiques par la simple curiosité, étaient frappés par ces appels énergiques qui pouvaient se résumer dans ce mot inspiré, dont Wesley avait fait à la fois le résumé de la prédication de ses disciples et la seule condition d'admission dans ses sociétés : fuir la colère à venir. Cet Évangile, ramené ainsi à son antique simplicité et dégagé des gloses théologiques des partis et des sectes, retrouva ses succès d'autrefois. La foule accourait de toutes les parties du pays, à tel point que les lieux de culte les plus vastes étant insuffisants, il fallut s'établir en pleine forêt. Le spectacle offert par ces rassemblements était nouveau et étrange; des véhicules de toute nature, depuis le lourd wagon de l'émigrant, où s'entassaient au besoin tout son avoir et toute sa famille, jusqu'à la voiture élégante du riche, se réunissaient par centaines autour de l'espace consacré à la prédication; la une modeste estrade servait au prédicateur. Ces assemblées en plein air ne lardèrent pas à passer dans les moeurs du pays; elles durent alors, prendre le caractère d'une institution permanente, au lieu de la tournure improvisée des premiers jours. Dès lors ces rassemblements trouvèrent leur nom; le peuple, qui puise les noms qu'il donne aux choses nouvelles dans ses souvenirs et dans les analogies et les ressemblances qui le frappent, les appela des camps religieux (camp-meetings). Ce nom leur est resté.

Ces premières réunions eurent des résultats considérables, d'abord par les conversions nombreuses qui s'y produisirent, puis en attirant les regards de tous sur le mouvement religieux dédaigné jusque-là et avec lequel le scepticisme ne comptait guère. Ces assemblées s'établirent régulièrement et virent grossir dans des proportions incroyables le nombre de leurs assistants. La foule ne s'en lassait pas; elle accourait de tous les points du pays, qui à pied, qui à cheval, qui en charrette. Tant que duraient les assemblées, les routes qui aboutissaient au lieu de réunion ne désemplissaient pas; des gens de tout âge, de tout sexe, de toute condition accouraient dans les bois, qui prenaient pour lors une animation inaccoutumée. Des hameaux étaient complètement déserts, et à peine rencontrait-on un habitant dans des régions fort peuplées. Il y avait là plus qu'une curiosité débordée, il y avait une magnifique explosion de besoins religieux qui devait aboutir à une transformation admirable du pays par un réveil qui se continue sous des formes diverses.

Le point culminant de cette crise religieuse, celui sur lequel nous voulons nous arrêter un instant, ce fut le camp religieux de Cane-Bidge qui a donné son nom au réveil tout entier que Von appelle aussi le réveil du Cumberland. Barton Stone, pasteur presbytérien, et William Burke, prédicateur méthodiste, eurent la direction de cette assemblée, réunie au mois d'août 1801. On y accourut de toutes parts, et non-seulement du Kentucky, mais du Tennessee, de la Virginie et de ce qui est devenu l'État d'Indiana, c'est-à-dire de vingt, trente, cinquante et même cent lieues. Ceux qui rentraient dans leur demeure racontaient des choses tellement merveilleuses, de ces réunions que de nouvelles recrues remplaçaient continuellement ceux que leurs affaires rappelaient chez eux, à tel point qu'il fallut prolonger ces assemblées pendant plusieurs semaines. L'affluence varia de douze à trente mille personnes, et, par suite de ce va-et-vient continuel, on peut calculer que cent ou cent cinquante mille âmes entendirent la prédication de l'Évangile dans cette occasion. Les services se succédaient sans interruption, non-seulement de jour, mais pendant la nuit, à la lueur des torches. Des chaires improvisées en pleine forêt étaient toujours occupées par des pasteurs qui, sans distinction d'Église, annonçaient la repentance envers Dieu et la foi en Jésus-Christ Il n'était pas rare que sept ou huit prédicateurs se fissent entendre simultanément aux foules rassemblées.

Burke fut le héros de cette grande fête chrétienne. Doué d'une énergie infatigable et d'un talent oratoire populaire, il éclatait en appels puissants, et sa voix portait la terreur dans les âmes et y faisait naître la conviction du péché, Un jour il monte sur un tronc d'arbre, au dessus duquel ou avait fixé au sommet d'une perche un vieux parapluie destiné à le préserver des ardeurs d'un soleil brûlant. À peine a-t-il parti qu'un auditoire compact et recueilli de plus de dix mille personnes entoure le prédicateur. Il prend pour texte cette parole : « Il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Christ, » et il se met à décrire, avec une puissance de conviction énergique, les apprêts dit grand jugement. Sous cette parole austère mais vivante, un silence d'effroi succède à l'agitation du premier moment, mais ce silence lui-même fait bientôt place à un trouble nouveau. Les consciences ont parlé, et leur voix a fait écho à celle de l'homme de Dieu, à tel point que sa voix est couverte à la fin par les sanglots et les cris de détresse de centaines qui tombent à terre en demandant grâce.

Rien ne saurait remplacer la description de ces scènes de réveil dues à la plume d'un témoin oculaire. Le Rév. James Finley était alors un jeune et intrépide chasseur de vingt ans, rompu à la vie des bois, et ne songeant guère à s'enrôler jamais dans la troupe des prédicateurs pionniers de l'Église méthodiste. La chose semblait d'autant moins probable que, quoique fils d'un pasteur presbytérien, il était devenu complètement incrédule. Doué d'une intelligence peu commune et ayant reçu auprès de son père une excellente instruction, privilège rare dans l'Ouest, il pouvait mieux que personne porter sur ce réveil un jugement désintéressé et éclairé. Nous, aimons donc à lui laisser la parole au sujet de ces grandes assemblées que nous décrivons, d'autant plus qu'il fut lui-même du nombre de ces âmes que l'Esprit de Dieu terrassa dans ces journées mémorables. Son récit d'ailleurs, l'un des plus détaillés, nous est d'un précieux secours dans cette partie de notre travail (1).

« Au mois d'août 1801, j'appris que l'on avait convoqué une grande assemblée à Cane-Ridge, l'ancienne paroisse de mon père. Curieux de voir les choses merveilleuses qu'on racontait, je me résolus à partir, d'autant plus volontiers que mes anciens camarades d'école m'invitaient depuis longtemps à visiter des lieux qui me rappelaient les scènes de mon enfance. Après un assez long voyage, j'arrivai un soir, aveu les quelques amis qui m'avaient accompagné, non loin du lieu où se tenait l'assemblée. La famille au sein de laquelle nous trouvâmes l'hospitalité, nous renseigna sur ce que nous désirions savoir. Dès le lendemain, au matin, nous nous rendîmes sur les lieux. À la suite des détails que nous avaient donnés nos hôtes, j'étais loin d'être tout à fait rassuré, et je me rappelle même que je dis à mes amis, sur le ton de la plaisanterie : « Si vous me voyez tomber sur le sol, dites-vous bien que c'est la suite de quelque commotion physique, et nullement l'effet des cantiques et des prières. » Tout en parlant de la sorte, je comptais sur mon courage et sur ma fermeté, et je me croyais à l'abri de toute excitation nerveuse, et capable de défier toute émotion religieuse.

« À peine arrivé, dans l'endroit indiqué, je me trouvai en présence d'une scène non-seulement nouvelle et indescriptible, mais imposante au delà de tout ce que je saurais dire. Une multitude immense, qui pouvait bien s'élever à vingt-cinq mille personnes, était là réunie. Je ne puis comparer la rumeur qui s'élevait de cette foule qu'à celui qui monte de la cataracte du Niagara.

Cet océan d'êtres humains était bouleversé comme au souffle d'une formidable tempête. Je comptai sept ministres prêchant à la fois, les uns sur des troncs d'arbres, les autres du haut d'une charrette; le Rév. William Burke s'était placé sur un tronc d'arbre qui, en tombant, s'était arrêté contre un autre. Ici ou chantait, là on priait, ailleurs des personnes en grand nombre criaient à Dieu pour obtenir grâce dans des accents véritablement navrants, tandis que d'autres exprimaient leur reconnaissance avec une énergie peu Commune. Tandis que je contemplais ces scènes, j'éprouvai qu'une sensation particulièrement étrange et sans précédents dans ma vie envahissait mon âme. Mon coeur battait avec violence, mes genoux se heurtaient, mes lèvres tremblaient convulsivement, et je fus sur le point de me laisser choir à terre de faiblesse. Un étrange pouvoir surnaturel me semblait parcourir toutes les âmes rassemblées en ce lieu. Moi-même je me sentis si faible et si impuissant que je fus obligé de me laisser tomber sur un siège. Quand je me crus un peu remis, je m'enfonçai dans les bois, m'efforçant de rappeler mon courage et de commander à mes impressions. Je me mis à essayer de raisonner mes émotions et de me rendre compte de l'effet prodigieux de ce rassemblement d'hommes; je me dis qu'il n'y avait là qu'une excitation contagieuse et épidémique, une sorte d'enthousiasme religieux, inspiré par des chants entraînants et par d'éloquentes harangues, Mon orgueil était blessé, car je m'étais cru assez de vigueur et d'énergie intellectuelle et physique pour résister avec succès à de pareilles influences.

« Peu après, je revins au camp, et un coup d'oeil me convainquit que la vague de l'émotion générale montait plus haut encore, si possible, que tout à l'heure. La même prostration de sentiments s'empara de moi. Je montai sur un tronc d'arbre d'où mon regard dominait cette mer mouvante d'êtres humains. La scène qui s'offrit alors à mes yeux dans toute sa grandeur ne saurait se décrire. Je vis en une seule fois, plus de cinq cents personnes tomber à terre, comme si la décharge d'une batterie formidable les eût tout à coup renversés. Il montait de cette foule vers le ciel des cris de détresse mêlés de cris de joie. À cette vue mes cheveux se dressèrent sur ma tête, tout mon corps fut pris d'un tremblement nerveux, mon sang parut se figer dans mes veines; je dus fuir une seconde fois dans les bois, maudissant la malencontreuse idée qui m'avait amené, en ce lieu. Mais là même mon émotion devint si intense que je ne pus la supporter. Un moment je sentis une espèce de suffocation qui me prenait à la gorge et une cécité qui se répandait sur mes yeux; je crus que j'allais mourir. Il y avait une auberge à un demi-mille de là; je résolus de m'y traîner et d'y prendre quelque liqueur spiritueuse pour calmer mes nerfs. Lorsque j'y arrivai, je fus pris de dégoût en voyant une centaine d'hommes buvant, jouant aux cartes et se disputant. Ce que je pris, loin de me calmer, empira mon état.

« Le soir venu, je me tenais à l'écart de mes amis, craignant qu'ils ne découvrissent ce qui se passait en moi; triste et abattu, j'errais dans les environs du camp. Parfois je m'arrêtais frappé de stupeur; tous les péchés de ma vie se dressaient d'une manière effrayante devant mon imagination épouvantée, et, en présence de cette redoutable évocation je sentais que je mourrais misérablement si Dieu ne me venait en aide. Mes rêveries d'universalisme, dans lesquelles mon âme avait longtemps cherché un refuge mensonger, s'évanouirent en un clin d'oeil devant l'Esprit de Dieu. Les écailles tombèrent de mes yeux et une conviction puissante s'empara de mon esprit, à savoir que j'étais un homme perdu à toujours si je venais à mourir dans mon état de péché. Malgré cela, mon coeur était si dur et si orgueilleux que je n'eusse pas voulu, même en échange de l'État du Kentucky, tomber à terre au milieu de l'assemblée. Un pareil événement aurait été pour moi un éternel déshonneur, et la bonne opinion que je m'étais faite de mon courage aurait été compromise à mes propres yeux. Je passai la nuit dans un grenier du voisinage, mais le sommeil s'éloigna de mes paupières. Le lendemain, je voulus partir; j'étais un homme ruiné dans ma propre opinion. Nous partîmes, c'est à peine si je desserrai les dents de tout le voyage : de temps en temps un long soupir venait seul révéler à mes compagnons de route ce qui se passait en moi. À un certain endroit pourtant, n'y tenant plus, je m'écriai, en m'adressant à l'un de mes amis :

« Capitaine, si vous et moi ne cessons notre mauvais train, le diable nous prendra à lui ! » Et en disant ces mots, mes yeux versaient les larmes les plus amères que j'eusse jamais versées, et je me mis à sangloter. »

Nous avons cité d'autant plus volontiers ces pages de Finley que nous avons dans son récit, outre une description authentique du camp religieux, les expériences d'un homme qui en a subi l'action d'une manière remarquablement puissante, malgré les résistances d'une raison orgueilleuse. Ajoutons que la commotion violente qu'il ressentit alors fut salutaire et amena peu après une conversion sérieuse. L'étrange scène qu'il avait contemplée à Cane-Ridge, et qui au premier moment lui fit l'effet d'un cauchemar, devint dans ses souvenirs comme une vision glorieuse de la puissance et de la miséricorde de Dieu. Il y revient en ces ternies dans une autre partie de ses Mémoires :

« J'ai déjà décrit cette grande convocation, ou plutôt j'ai essayé de le faire. Mais les langues de la terre sont d'une impuissance complète pour arriver à la hauteur et à la sublimité d'une pareille scène. Une immense multitude, de plus de vingt mille personnes, ondoyante comme les vagues tumultueuses de l'Océan pendant une tempête, et tourmentée comme les arbres de la forêt sous les coups de l'ouragan qui les déracine et les fait tourbillonner, c'est là un spectacle dont mes yeux ont été témoins, mais que ni ma plume ni ma langue ne pourront jamais décrire. »

Les assemblées en plein air de Cane-Ridge eurent une trop grande influence sur l'oeuvre de l'Évangélisation de l'Ouest, et les particularités qui s'y rattachent ont un caractère trop frappant pour que nous résistions au désir d'en raconter quelques détails encore, dans les ternies mêmes de nos documents.

« Pendant ces exercices religieux, l'impiété ne se tenait pas en repos. Des hommes pris de vin s'efforçaient d'interrompre les exercices du culte. Je vis un homme se précipiter à cheval au milieu de l'assemblée en prière, la bouche écumante de furie et proférant les plus horribles imprécations. Tout à coup il chancela et roula à terre, comme frappé d'éblouissement. Un cri partit alors de l'assemblée; tous virent là un jugement de Dieu. Je tremblai moi-même à la pensée que Dieu venait de mettre à mort cet audacieux blasphémateur. Il ne donnait en effet aucun signe de vie; ses membres étaient raidis, son pouls était éteint et son souffle n'était pas appréciable. Plusieurs de ses compagnons voulurent le voir, mais la puissance de Dieu ne tarda pas à les atteindre pareillement et ils tombèrent sur le sol comme des hommes frappés dans la bataille. J'étais alarmé à la vue de ces symptômes extraordinaires; mais voulant en connaître l'issue, je ne perdis pas de vue le corps de ce pauvre homme, qui, pendant trente heures, ne donna aucun signe de vie. À la fin il se produisit chez lui quelques spasmes convulsifs, accompagnés de lamentables gémissements : il semblait traverser une agonie intense. Peu à peu il sortit de cet état de prostration physique et morale. Il ne tarda pas à regarder au Sauveur et à posséder l'assurance de son salut. Sa joie devint alors aussi profonde que l'avait été son abattement. Il fut dès lors un homme nouveau (2). »

« Je dois raconter un incident très-sérieux dont je fus témoin. Il arriva une troupe de mauvais sujets ivres, décidés à troubler notre assemblée. Ils avaient à leur tête un ivrogne de haute taille qui se moquait en blasphémant des choses religieuses. Il ne tarda pas à être frappé, et ses convulsions devinrent si fortes qu'il ne put fuir, quelque envie qu'il en eût. Il s'arrêta dans un coin du bois, et sortit sa bouteille d'eau-de-vie, en jurant qu'il boirait jusqu'à la mort; mais son tremblement nerveux avait atteint une telle intensité qu'il ne réussit pas à porter la bouteille à ses lèvres, malgré ses efforts, et que même il la brisa et en répandit le contenu sur le sol. Il se mit alors à jurer et à blasphémer comme un enragé; mais une crise nouvelle s'empara de lui; il roula à terre et ne tarda pas à expirer, le blasphème et l'imprécation sur les lèvres (3).

« Un certain médecin vint, par pure curiosité, voir ce qui se passait à nos assemblées Il était accompagné d'une dame fort bien mise, et il se promettait d'étudier scientifiquement l'étrange phénomène dont on lui avait parlé. La dame ne tarda pas, sous l'empire d'une conviction de péché puissante, à tomber dans la poussière devant Dieu. Le médecin tout agité s'approcha d'elle, lui tâta le pouls et fut terrifié en découvrant qu'il ne battait plus. Lui-même alors, ne pouvant plus se payer de vains sophismes, pâlit et tomba à terre sous l'empire de la même main invisible qui avait terrassé sa compagne. Cet état de prostration dura quelque temps; lorsqu'ils en sortirent, ils trouvèrent l'un et l'autre la paix et le pardon aux pieds du Sauveur. Ils s'en retournèrent glorifiant Dieu. Ils vécurent et moururent en vrais chrétiens. Des milliers de personnes furent affectées d'une manière toute semblable (4). »

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( Note de "Regard": Certaines manifestations décrites dans cette page nous ont conduit à vous diriger directement sur la pensée de l'auteur - Texte mis en gras)- concernant ces dites manifestations )

Nous ne voulons pas nous arrêter maintenant sur les réflexions que suggèrent de pareils récits. Disons seulement qu'il ne nous est pas permis de les juger avec les idées préconçues et les systèmes tout faits que nous tenons de notre éducation, de notre temps, de notre pays. Ce ne serait pas là seulement la méthode la plus inintelligente; ce serait la plus stérile et la plus injuste.


Les grandes assemblées de Cane-Ridge furent le point de départ d'une oeuvre de réveil des plus remarquables qui se répandit dans l'Ouest tout entier avec la rapidité de l'incendie des savanes. On compta par milliers les personnes converties en cette occasion, et ce succès poussa les méthodistes et les presbytériens à convoquer de nouveaux camps religieux; ces deux Églises continuèrent à combiner leurs efforts. Quelques pasteurs montrèrent bien d'abord une certaine répugnance à s'associer à une oeuvre qui se présentait sous des dehors aussi extraordinaires; ils auraient désiré qu'elle suivit une marche plus calme et plus régulière. Mais tous ceux qui parmi eux avaient sérieusement à coeur l'avancement du règne du Sauveur virent bientôt leurs objections tomber devant le fait qu'à la suite de ces commotions violentes, des hommes d'une nature dépravée et d'habitudes vicieuses furent complètement changés et qu'une magnifique transformation s'opéra dans l'état social du pays.

Ces assemblées de réveil du commencement du siècle dernier offrirent souvent un aspect semblable à celui que nous avons décrit plus haut. Elles se composaient surtout de prédications ardentes et directes auxquelles répondaient dans l'assistance des gémissements, des sanglots et des cris. Tant que la voix du prédicateur dominait, l'ordre (un ordre tout relatif, bien entendu) régnait dans l'assemblée. Mais à l'instant où il cessait de parler, à l'instant où sa voix était couverte par la grande voix d'un peuple en détresse, tout ordre extérieur cessait, et l'émotion générale éclatait de toute part. Chaque âme angoissée élevait la voix; ici un pécheur convaincu et terrassé demandait grâce à Dieu; là une âme soulagée du fardeau de ses péchés rendait grâce à la miséricorde divine; ailleurs, des chrétiens exhortaient à la repentance leurs parents et leurs amis encore inconvertis, tandis que les pasteurs, chefs naturels du mouvement, avaient quitté l'estrade pour porter de rang en rang leurs exhortations et leurs prières. Les scènes les plus diverses s'offraient au regard du spectateur, si tant est qu'il pût y avoir là des spectateurs qui ne devinssent pas bientôt, en dépit d'eux-mêmes, acteurs dans ce grand drame. Tel, poursuivi par les obsessions d'une conscience réveillée, essayait de fuir hors du camp, et tombait bientôt arrêté par la souveraine main de Dieu. Tel autre, comme nous en avons cité des exemples, passait presque sans transition du blasphème aux prières. Au milieu de toute cette agitation montaient de groupes isolés des chants d'une incomparable douceur, expression naturelle des sentiments renouvelés.

« Je fus témoin, raconte Finley, de circonstances bien touchantes et bien remarquables dans cette oeuvre de grâce. Il plut au Seigneur de se servir de tout jeunes enfants comme d'instruments de salut. Pendant une de nos grandes convocations, un jeune garçon de dix ans à peine, poussé assurément par une impulsion supérieure, monta sur un tronc d'arbre à un endroit désert près du camp, et d'une voix émue il répéta cette parole de l'Évangile : « Le dernier jour de la fête Jésus « cria : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et

« qu'il boive ! » La foule qui l'avait suivi s'était groupée autour du jeune prédicateur qui, les larmes aux yeux, se mit à exhorter les pécheurs à échapper au danger qui les menaçait en mettant leur confiance en Jésus leur Sauveur. Pendant qu'il parlait, la presse devint si grande autour de lui que deux hommes durent l'élever sur leurs épaules pour qu'il pût dominer l'assemblée. Il parla pendant près d'une heure avec une éloquence émue, que l'esprit de Dieu inspirait certainement; à la fin il s'arrêta de lassitude, et jeta à son auditoire d'une voix brisée mais vibrante encore ce dernier appel : « 0 pécheur ! repens-toi de tes péchés et convertis-toi à Dieu, si tu veux éviter l'enfer. » L'émotion de la foule avait été en grandissant; elle éclata en ce moment, et de tous côtés on entendit les cris des âmes qui cherchaient Dieu. Je puis affirmer que ce jour-là l'oeuvre du Seigneur avança d'une façon extraordinaire (5). »

Nous avons essayé ailleurs (6) d'expliquer à quel point de vue nous envisageons les phénomènes physiologiques qui ont été très-fréquents dans les mouvements religieux qui ont éclaté à la suite d'époques d'indifférence et de torpeur spirituelles. Nous n'y reviendrons pas à l'occasion des faits que nous avons racontés. Qu'il nous suffise d'entendre encore sur ce sujet le témoignage de Finley que nous avons souvent invoqué.

« J'essayerai de donner quelques détails encore sur les commotions physiques qui accompagnèrent notre glorieux réveil. Elles commençaient souvent par un tremblement général, qui s'emparait soudain du corps d'une personne et qu'accompagnaient parfois quelques cris perçants. Hommes et femmes tombaient lourdement sur le sol, exténués de fatigue. Dans cet état, ils ne perdaient pas toujours connaissance et pouvaient, dans certains cas, parler et se servir. Souvent pourtant ils perdaient la parole. Le pouls faiblissait et la respiration devenait difficile; parfois la frigidité de la mort envahissait les extrémités. Cela durait plusieurs heures. Je me guis entretenu avec bien des personnes qui ont traversé cet état et qui m'ont toutes assuré qu'elles n'éprouvaient aucune souffrance physique, et que leur malaise était d'une nature toute morale; que d'ailleurs elles se sentaient en pleine possession de leur intelligence. il résulte de là pour moi qu'on ne saurait ranger ces phénomènes au nombre des simples évanouissements ou des affections nerveuses. Ces étranges manifestations ont déjoué jusqu'à aujourd'hui les efforts et les conjectures des ennemis de cette oeuvre. Telle personne a été saisie en retournant chez elle; telle autre dans sa demeure, au milieu de ses affaires ou pendant le cours des dévotions domestiques. Des incrédules et des impies ont été renversés alors qu'ils avaient encore le blasphème sur les lèvres. Je n'accepte pas le reproche de fanatisme, car je n'ai jamais vu une humilité aussi naïve que chez ces pauvres gens; chez eux, nulle confiance en leurs oeuvres ou en leurs efforts, mais un abandon complet aux mérites du Sauveur. Il était vraiment touchant de voir avec quelle ardeur ces pécheurs réveillés réclamaient Jésus-Christ comme le seul médecin capable de les guérir. Ceux qui appellent cela du fanatisme nous diront ce qu'ils entendent par le vrai christianisme (7). »

Nous ne prétendons pas que tout fût pur dans ce réveil. Il s'y mêla des excès regrettables, dont les chefs du mouvement ne furent responsables en aucune mesure, et que d'ambitieux fondateurs de sectes éphémères s'efforcèrent de propager. Les prédicateurs méthodistes, Cartwright le premier, combattirent de toutes leurs forces ces folles extravagances. Ce qui demeure de leur oeuvre, je veux dire la transformation religieuse de l'Ouest, est assez pour prouver le sérieux et la grandeur de ce réveil.

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(1) Autobiography de James-B. Finley.
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(2) Autobiography of J. B. Finley. 
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(3) Autobiography of Peter Cartwright.
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(4) Autobiography of J. 13. Finley. 
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(5) Autobiography of J. B. Finley. 
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(6) John Wesley, sa vie et son oeuvre, 41 édit., p. 114.
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(7) Autobiography of J. B. Finley. 
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