L'origine
des camp-meetings. -
Nécessité d'un réveil
général. - Union des
presbytériens et des
méthodistes. - Les disputes
publiques. - Commencements du
réveil dit Cumberland. -
Réunions en plein air. - Le camp
religieux de Cane-Ridge. -
Prédications de Burke. -
Description par un témoin oculaire.
- Conversion extraordinaire d'un opposant.
- Mort d'un ivrogne. - Un médecin
et une dame convertis. - Le réveil
se répand. - Aspect des
assemblées de réveil. -
Prédication d'un jeune
garçon. - Les
phénomènes physiques dans ce
réveil.
|
Pour voir sur le théâtre où
elle se meut le plus à l'aise
l'activité de nos prédicateurs, il
faut la suivre dans les grandes assemblées
en plein air auxquelles on a donné le nom de
camps religieux (camp-meetings). L'origine de ces
assemblées remonte aux débuts de
l'oeuvre de l'Ouest et se rattache au grand
réveil religieux qui en marqua les
commencements.
Quelque grand qu'eût
été le dévouement des
missionnaires de l'Ouest, ils ne tardèrent
pas, dès les premiers jours, à se
voir débordés par les
éléments pervers qu'amenait
l'émigration. Plusieurs d'entre eux se
sentaient pris de découragement, et ils se
demandaient avec effroi si le christianisme allait
être forcé de baisser pavillon devant
l'impiété et la corruption. Il
fallait de toute nécessité à
l'oeuvre nouvelle une de ces crises fécondes
qui rajeunissent et transforment un corps
religieux, en lui faisant regagner le terrain
perdu. Les moyens ordinaires étaient
insuffisants dans ce pays où la population
se renouvelait incessamment, et la cause de
l'évangélisation eût
été submergée sous le flot du
mal, si Dieu n'était intervenu par un de ces
réveils qui imposent silence à
l'incrédulité et au vice. Plus d'un
humble missionnaire, l'âme attristée,
avait réclamé de Dieu ce
déploiement de sa puissance, qui seul
pouvait donner à l'oeuvre chrétienne
une impulsion décisive. Le Seigneur allait
répondre d'une façon éclatante
à ces prières.
Chose remarquable, le réveil
de l'Ouest fut une manifestation de
fraternité chrétienne, et dut son
origine aux prières et aux efforts
combinés de plusieurs églises. Ce
fait, qui semble si naturel de nos jours,
était complètement nouveau et
passablement étrange dans les
premières, années du siècle dernier; dans ces
régions reculées, la tolérance
entre sectes rivales était chose inconnue,
et des luttes acharnées vinrent souvent
donner au monde un triste spectacle. Si nous
racontions au complet l'histoire religieuse de ces
contrées, nous devrions consacrer une place
spéciale à ces luttes sur lesquelles
nos documents nous fournissent des détails
curieux; qu'il nous suffise de dire qu'avec le
caractère particulier des colons, ces
disputes étaient inévitables; ils se
plaisaient presque autant à ces combats de
paroles qu'aux combats sanglants qu'ils avaient
à soutenir contre la vie sauvage. Des foules
nombreuses et attentives se pressaient dans les
assemblées en plein air, où quelques
ministres joutaient sur le baptisme et le
pédobaptisme, sur la prédestination
et le salut pour tous, sur la
persévérance finale et la
possibilité de perdre la grâce; ces
débats théologiques passionnaient ce
peuple mobile; c'était un feu roulant
d'arguments métaphysiques et bibliques,
émaillés de réparties
spirituelles et de bons mots qui n'étaient
pas les moins bien venus. Peu d'hommes se
distinguèrent dans ces forums populaires
autant que Cartwright, et une des parties les plus
pittoresques de ses Mémoires est bien celle
où il dépeint ces brillants tournois
qui lui valurent de grands
succès.
Ces luttes avaient une
utilité incontestable au point de vue de chaque
Église. Outre qu'elles mettaient à nu
les inanités des sectes bizarres
écloses à cette époque de
fermentation religieuse, en les livrant aux
sarcasmes du bon sens populaire qui en faisait
prompte justice, elles amenaient presque toujours
la victoire d'un parti sur un autre, et plus d'une
fois il arriva que tel prédicateur, par la
justesse de son raisonnement ou par
l'habileté de sa discussion, vit passer de
son côté le camp opposé avec
armes et bagages. Un peuple au milieu duquel la
libre controverse petit avoir de pareils
résultats est, tout compté, un grand
peuple; il peut céder à des
entraînements fâcheux, mais ce que la
parole a fait, la parole peut le défaire.
Convenons toutefois qu'à l'origine, ces
grandes discussions eurent fréquemment un
résultat regrettable : elles
éparpillèrent des forces qui eussent
dû se concentrer pour la lutte contre
l'irréligion.
Le réveil, dont l'origine
remonte ait printemps de l'année 1800, peut
être considéré comme une
réaction contre cette tendance. Il naquit
'dans le comté de Cumberland, au sud du
Kentucky, grâce aux efforts et aux travaux
d'un pasteur méthodiste et d'un pasteur
presbytérien qui, chaque dimanche,
réunissaient leurs congrégations. Ce
rapprochement, inouï jusqu'alors, produisit
une vive sensation dans la contrée et
éveilla la
curiosité d'une multitude de gens qui
accoururent à ces assemblées. Tout le
monde savait que les opinions théologiques
des deux pasteurs étaient, sur certains
points, en désaccord, et l'on
s'étonnait qu'il n'en parût absolument
rien dans leur prédication, qui se
renfermait dans la proclamation des grandes
vérités de la foi. Ces auditeurs,
amenés au pied de ces chaires rustiques par
la simple curiosité, étaient
frappés par ces appels énergiques qui
pouvaient se résumer dans ce mot
inspiré, dont Wesley avait fait à la
fois le résumé de la
prédication de ses disciples et la seule
condition d'admission dans ses
sociétés : fuir la colère
à venir. Cet Évangile, ramené
ainsi à son antique simplicité et
dégagé des gloses théologiques
des partis et des sectes, retrouva ses
succès d'autrefois. La foule accourait de
toutes les parties du pays, à tel point que
les lieux de culte les plus vastes étant
insuffisants, il fallut s'établir en pleine
forêt. Le spectacle offert par ces
rassemblements était nouveau et
étrange; des véhicules de toute
nature, depuis le lourd wagon de l'émigrant,
où s'entassaient au besoin tout son avoir et
toute sa famille, jusqu'à la voiture
élégante du riche, se
réunissaient par centaines autour de
l'espace consacré à la
prédication; la une modeste estrade servait
au prédicateur. Ces assemblées en
plein air ne lardèrent pas à passer
dans les moeurs du pays; elles
durent alors, prendre le caractère d'une
institution permanente, au lieu de la tournure
improvisée des premiers jours. Dès
lors ces rassemblements trouvèrent leur nom;
le peuple, qui puise les noms qu'il donne aux
choses nouvelles dans ses souvenirs et dans les
analogies et les ressemblances qui le frappent, les
appela des camps religieux (camp-meetings). Ce nom
leur est resté.
Ces premières réunions
eurent des résultats considérables,
d'abord par les conversions nombreuses qui s'y
produisirent, puis en attirant les regards de tous
sur le mouvement religieux dédaigné
jusque-là et avec lequel le scepticisme ne
comptait guère. Ces assemblées
s'établirent régulièrement et
virent grossir dans des proportions incroyables le
nombre de leurs assistants. La foule ne s'en
lassait pas; elle accourait de tous les points du
pays, qui à pied, qui à cheval, qui
en charrette. Tant que duraient les
assemblées, les routes qui aboutissaient au
lieu de réunion ne désemplissaient
pas; des gens de tout âge, de tout sexe, de
toute condition accouraient dans les bois, qui
prenaient pour lors une animation
inaccoutumée. Des hameaux étaient
complètement déserts, et à
peine rencontrait-on un habitant dans des
régions fort peuplées. Il y avait
là plus qu'une curiosité
débordée, il y avait une magnifique explosion de
besoins
religieux
qui devait aboutir à une transformation
admirable du pays par un réveil qui se
continue sous des formes diverses.
Le point culminant de cette
crise
religieuse, celui sur lequel nous voulons nous
arrêter un instant, ce fut le camp religieux
de Cane-Bidge qui a donné son nom au
réveil tout entier que Von appelle aussi le
réveil du Cumberland. Barton Stone, pasteur
presbytérien, et William Burke,
prédicateur méthodiste, eurent la
direction de cette assemblée, réunie
au mois d'août 1801. On y accourut de toutes
parts, et non-seulement du Kentucky, mais du
Tennessee, de la Virginie et de ce qui est devenu
l'État d'Indiana, c'est-à-dire de
vingt, trente, cinquante et même cent lieues.
Ceux qui rentraient dans leur demeure racontaient
des choses tellement merveilleuses, de ces
réunions que de nouvelles recrues
remplaçaient continuellement ceux que leurs
affaires rappelaient chez eux, à tel point
qu'il fallut prolonger ces assemblées
pendant plusieurs semaines. L'affluence varia de
douze à trente mille personnes, et, par
suite de ce va-et-vient continuel, on peut calculer
que cent ou cent cinquante mille âmes
entendirent la prédication de
l'Évangile dans cette occasion. Les services
se succédaient sans interruption,
non-seulement de jour, mais pendant la nuit,
à la lueur des torches. Des chaires
improvisées en pleine
forêt étaient toujours occupées
par des pasteurs qui, sans distinction
d'Église, annonçaient la repentance
envers Dieu et la foi en Jésus-Christ Il
n'était pas rare que sept ou huit
prédicateurs se fissent entendre
simultanément aux foules
rassemblées.
Burke fut le héros de cette
grande fête chrétienne. Doué
d'une énergie infatigable et d'un talent
oratoire populaire, il éclatait en appels
puissants, et sa voix portait la terreur dans les
âmes et y faisait naître la conviction
du péché, Un jour il monte sur un
tronc d'arbre, au dessus duquel ou avait
fixé au sommet d'une perche un vieux
parapluie destiné à le
préserver des ardeurs d'un soleil
brûlant. À peine a-t-il parti qu'un
auditoire compact et recueilli de plus de dix mille
personnes entoure le prédicateur. Il prend
pour texte cette parole : « Il nous faut tous
comparaître devant le tribunal de Christ,
» et il se met à décrire, avec
une puissance de conviction énergique, les
apprêts dit grand jugement. Sous cette parole
austère mais vivante, un silence d'effroi
succède à l'agitation du premier
moment, mais ce silence lui-même fait
bientôt place à un trouble nouveau.
Les consciences ont parlé, et leur voix a
fait écho à celle de l'homme de Dieu,
à tel point que sa voix est couverte
à la fin par les sanglots et les cris de
détresse de centaines qui tombent à
terre en demandant grâce.
Rien ne saurait remplacer la
description de ces scènes de réveil
dues à la plume d'un témoin oculaire.
Le Rév. James Finley était alors un
jeune et intrépide chasseur de vingt ans,
rompu à la vie des bois, et ne songeant
guère à s'enrôler jamais dans
la troupe des prédicateurs pionniers de
l'Église méthodiste. La chose
semblait d'autant moins probable que, quoique fils
d'un pasteur presbytérien, il était
devenu complètement incrédule.
Doué d'une intelligence peu commune et ayant
reçu auprès de son père une
excellente instruction, privilège rare dans
l'Ouest, il pouvait mieux que personne porter sur
ce réveil un jugement
désintéressé et
éclairé. Nous, aimons donc à
lui laisser la parole au sujet de ces grandes
assemblées que nous décrivons,
d'autant plus qu'il fut lui-même du nombre de
ces âmes que l'Esprit de Dieu terrassa dans
ces journées mémorables. Son
récit d'ailleurs, l'un des plus
détaillés, nous est d'un
précieux secours dans cette partie de notre
travail (1).
« Au mois d'août 1801,
j'appris que l'on avait convoqué une grande
assemblée à Cane-Ridge, l'ancienne
paroisse de mon père. Curieux de voir les
choses merveilleuses qu'on racontait, je me
résolus à partir, d'autant plus
volontiers que mes anciens
camarades d'école m'invitaient depuis
longtemps à visiter des lieux qui me
rappelaient les scènes de mon enfance.
Après un assez long voyage, j'arrivai un
soir, aveu les quelques amis qui m'avaient
accompagné, non loin du lieu où se
tenait l'assemblée. La famille au sein de
laquelle nous trouvâmes l'hospitalité,
nous renseigna sur ce que nous désirions
savoir. Dès le lendemain, au matin, nous
nous rendîmes sur les lieux. À la
suite des détails que nous avaient
donnés nos hôtes, j'étais loin
d'être tout à fait rassuré, et
je me rappelle même que je dis à mes
amis, sur le ton de la plaisanterie : « Si
vous me voyez tomber sur le sol, dites-vous bien
que c'est la suite de quelque commotion physique,
et nullement l'effet des cantiques et des
prières. » Tout en parlant de la sorte,
je comptais sur mon courage et sur ma
fermeté, et je me croyais à l'abri de
toute excitation nerveuse, et capable de
défier toute émotion
religieuse.
« À peine arrivé,
dans l'endroit indiqué, je me trouvai en
présence d'une scène non-seulement
nouvelle et indescriptible, mais imposante au
delà de tout ce que je saurais dire. Une
multitude immense, qui pouvait bien s'élever
à vingt-cinq mille personnes, était
là réunie. Je ne puis comparer la
rumeur qui s'élevait de cette foule
qu'à celui qui monte de la cataracte du
Niagara.
Cet océan d'êtres
humains était bouleversé comme au
souffle d'une formidable tempête. Je comptai
sept ministres prêchant à la fois, les
uns sur des troncs d'arbres, les autres du haut
d'une charrette; le Rév. William Burke
s'était placé sur un tronc d'arbre
qui, en tombant, s'était arrêté
contre un autre. Ici ou chantait, là on
priait, ailleurs des personnes en grand nombre
criaient à Dieu pour obtenir grâce
dans des accents véritablement navrants,
tandis que d'autres exprimaient leur reconnaissance
avec une énergie peu Commune. Tandis que je
contemplais ces scènes, j'éprouvai
qu'une sensation particulièrement
étrange et sans précédents
dans ma vie envahissait mon âme. Mon coeur
battait avec violence, mes genoux se heurtaient,
mes lèvres tremblaient convulsivement, et je
fus sur le point de me laisser choir à terre
de faiblesse. Un étrange pouvoir surnaturel
me semblait parcourir toutes les âmes
rassemblées en ce lieu. Moi-même je me
sentis si faible et si impuissant que je fus
obligé de me laisser tomber sur un
siège. Quand je me crus un peu remis, je
m'enfonçai dans les bois, m'efforçant
de rappeler mon courage et de commander à
mes impressions. Je me mis à essayer de
raisonner mes émotions et de me rendre
compte de l'effet prodigieux de ce rassemblement
d'hommes; je me dis qu'il n'y avait là
qu'une excitation contagieuse et
épidémique, une sorte d'enthousiasme
religieux, inspiré par des chants
entraînants et par d'éloquentes
harangues, Mon orgueil était blessé,
car je m'étais cru assez de vigueur et
d'énergie intellectuelle et physique pour
résister avec succès à de
pareilles influences.
« Peu après, je revins
au camp, et un coup d'oeil me convainquit que la
vague de l'émotion générale
montait plus haut encore, si possible, que tout
à l'heure. La même prostration de
sentiments s'empara de moi. Je montai sur un tronc
d'arbre d'où mon regard dominait cette mer
mouvante d'êtres humains. La scène qui
s'offrit alors à mes yeux dans toute sa
grandeur ne saurait se décrire. Je vis en
une seule fois, plus de cinq cents personnes tomber
à terre, comme si la décharge d'une
batterie formidable les eût tout à
coup renversés. Il montait de cette foule
vers le ciel des cris de détresse
mêlés de cris de joie. À cette
vue mes cheveux se dressèrent sur ma
tête, tout mon corps fut pris d'un
tremblement nerveux, mon sang parut se figer dans
mes veines; je dus fuir une seconde fois dans les
bois, maudissant la malencontreuse idée qui
m'avait amené, en ce lieu. Mais là
même mon émotion devint si intense que
je ne pus la supporter. Un moment je sentis une
espèce de suffocation qui me prenait
à la gorge et une cécité qui
se répandait sur mes yeux; je crus que j'allais
mourir. Il y avait une auberge à un
demi-mille de là; je résolus de m'y
traîner et d'y prendre quelque liqueur
spiritueuse pour calmer mes nerfs. Lorsque j'y
arrivai, je fus pris de dégoût en
voyant une centaine d'hommes buvant, jouant aux
cartes et se disputant. Ce que je pris, loin de me
calmer, empira mon état.
« Le soir venu, je me tenais
à l'écart de mes amis, craignant
qu'ils ne découvrissent ce qui se passait en
moi; triste et abattu, j'errais dans les environs
du camp. Parfois je m'arrêtais frappé
de stupeur; tous les péchés de ma vie
se dressaient d'une manière effrayante
devant mon imagination épouvantée,
et, en présence de cette redoutable
évocation je sentais que je mourrais
misérablement si Dieu ne me venait en aide.
Mes rêveries d'universalisme, dans lesquelles
mon âme avait longtemps cherché un
refuge mensonger, s'évanouirent en un clin
d'oeil devant l'Esprit de Dieu. Les écailles
tombèrent de mes yeux et une conviction
puissante s'empara de mon esprit, à savoir
que j'étais un homme perdu à toujours
si je venais à mourir dans mon état
de péché. Malgré cela, mon
coeur était si dur et si orgueilleux que je
n'eusse pas voulu, même en échange de
l'État du Kentucky, tomber à terre au
milieu de l'assemblée. Un pareil
événement aurait été
pour moi un éternel déshonneur, et la
bonne opinion que je
m'étais faite de mon courage aurait
été compromise à mes propres
yeux. Je passai la nuit dans un grenier du
voisinage, mais le sommeil s'éloigna de mes
paupières. Le lendemain, je voulus partir;
j'étais un homme ruiné dans ma propre
opinion. Nous partîmes, c'est à peine
si je desserrai les dents de tout le voyage : de
temps en temps un long soupir venait seul
révéler à mes compagnons de
route ce qui se passait en moi. À un certain
endroit pourtant, n'y tenant plus, je
m'écriai, en m'adressant à l'un de
mes amis :
« Capitaine, si vous et moi ne
cessons notre mauvais train, le diable nous prendra
à lui ! » Et en disant ces mots, mes
yeux versaient les larmes les plus amères
que j'eusse jamais versées, et je me mis
à sangloter. »
Nous avons cité d'autant plus
volontiers ces pages de Finley que nous avons dans
son récit, outre une description authentique
du camp religieux, les expériences d'un
homme qui en a subi l'action d'une manière
remarquablement puissante, malgré les
résistances d'une raison orgueilleuse.
Ajoutons que la commotion violente qu'il ressentit
alors fut salutaire et amena peu après une
conversion sérieuse. L'étrange
scène qu'il avait contemplée à
Cane-Ridge, et qui au premier moment lui fit
l'effet d'un cauchemar, devint dans ses souvenirs
comme une vision glorieuse de la
puissance et de la miséricorde de Dieu. Il y
revient en ces ternies dans une autre partie de ses
Mémoires :
« J'ai déjà
décrit cette grande convocation, ou
plutôt j'ai essayé de le faire. Mais
les langues de la terre sont d'une impuissance
complète pour arriver à la hauteur et
à la sublimité d'une pareille
scène. Une immense multitude, de plus de
vingt mille personnes, ondoyante comme les vagues
tumultueuses de l'Océan pendant une
tempête, et tourmentée comme les
arbres de la forêt sous les coups de
l'ouragan qui les déracine et les fait
tourbillonner, c'est là un spectacle dont
mes yeux ont été témoins, mais
que ni ma plume ni ma langue ne pourront jamais
décrire. »
Les assemblées en plein air
de Cane-Ridge eurent une trop grande influence sur
l'oeuvre de l'Évangélisation de
l'Ouest, et les particularités qui s'y
rattachent ont un caractère trop frappant
pour que nous résistions au désir
d'en raconter quelques détails encore, dans
les ternies mêmes de nos
documents.
« Pendant ces exercices
religieux, l'impiété ne se tenait pas
en repos. Des hommes pris de vin
s'efforçaient d'interrompre les exercices du
culte. Je vis un homme se précipiter
à cheval au milieu de l'assemblée en
prière, la bouche écumante de furie
et proférant les plus horribles imprécations.
Tout
à coup il chancela et roula à terre,
comme frappé d'éblouissement. Un cri
partit alors de l'assemblée; tous virent
là un jugement de Dieu. Je tremblai
moi-même à la pensée que Dieu
venait de mettre à mort cet audacieux
blasphémateur. Il ne donnait en effet aucun
signe de vie; ses membres étaient raidis,
son pouls était éteint et son souffle
n'était pas appréciable. Plusieurs de
ses compagnons voulurent le voir, mais la puissance
de Dieu ne tarda pas à les atteindre
pareillement et ils tombèrent sur le sol
comme des hommes frappés dans la bataille.
J'étais alarmé à la vue de ces
symptômes extraordinaires; mais voulant en
connaître l'issue, je ne perdis pas de vue le
corps de ce pauvre homme, qui, pendant trente
heures, ne donna aucun signe de vie. À la
fin il se produisit chez lui quelques spasmes
convulsifs, accompagnés de lamentables
gémissements : il semblait traverser une
agonie intense. Peu à peu il sortit de cet
état de prostration physique et morale. Il
ne tarda pas à regarder au Sauveur et
à posséder l'assurance de son salut.
Sa joie devint alors aussi profonde que l'avait
été son abattement. Il fut dès
lors un homme nouveau (2).
»
« Je dois raconter un incident
très-sérieux dont je fus
témoin. Il arriva une troupe de mauvais sujets
ivres,
décidés à troubler notre
assemblée. Ils avaient à leur
tête un ivrogne de haute taille qui se
moquait en blasphémant des choses
religieuses. Il ne tarda pas à être
frappé, et ses convulsions devinrent si
fortes qu'il ne put fuir, quelque envie qu'il en
eût. Il s'arrêta dans un coin du bois,
et sortit sa bouteille d'eau-de-vie, en jurant
qu'il boirait jusqu'à la mort; mais son
tremblement nerveux avait atteint une telle
intensité qu'il ne réussit pas
à porter la bouteille à ses
lèvres, malgré ses efforts, et que
même il la brisa et en répandit le
contenu sur le sol. Il se mit alors à jurer
et à blasphémer comme un
enragé; mais une crise nouvelle s'empara de
lui; il roula à terre et ne tarda pas
à expirer, le blasphème et
l'imprécation sur les lèvres (3).
« Un certain médecin
vint, par pure curiosité, voir ce qui se
passait à nos assemblées Il
était accompagné d'une dame fort bien
mise, et il se promettait d'étudier
scientifiquement l'étrange
phénomène dont on lui avait
parlé. La dame ne tarda pas, sous l'empire
d'une conviction de péché puissante,
à tomber dans la poussière devant
Dieu. Le médecin tout agité
s'approcha d'elle, lui tâta le pouls et fut
terrifié en découvrant qu'il ne
battait plus. Lui-même alors, ne pouvant plus
se payer de vains sophismes, pâlit et tomba
à terre sous l'empire de
la même main invisible qui avait
terrassé sa compagne. Cet état de
prostration dura quelque temps; lorsqu'ils en
sortirent, ils trouvèrent l'un et l'autre la
paix et le pardon aux pieds du Sauveur. Ils s'en
retournèrent glorifiant Dieu. Ils
vécurent et moururent en vrais
chrétiens. Des milliers de personnes furent
affectées d'une manière toute
semblable (4).
»
( Note de "Regard": Certaines manifestations décrites dans cette page nous ont conduit à vous diriger directement sur la pensée de l'auteur - Texte mis en gras)- concernant ces dites manifestations ) Nous ne voulons pas nous arrêter
maintenant sur les réflexions que
suggèrent de pareils récits. Disons
seulement qu'il ne nous est pas permis de les juger
avec les idées préconçues et
les systèmes tout faits que nous tenons de
notre éducation, de notre temps, de notre
pays. Ce ne serait pas là seulement la
méthode la plus inintelligente; ce serait la
plus stérile et la plus injuste. |
Les grandes assemblées de
Cane-Ridge furent le point de départ d'une
oeuvre de réveil des plus remarquables qui
se répandit dans l'Ouest tout entier avec la
rapidité de l'incendie des savanes. On
compta par milliers les personnes converties en
cette occasion, et ce succès poussa les
méthodistes et les presbytériens
à convoquer de nouveaux camps religieux; ces
deux Églises continuèrent à
combiner leurs efforts. Quelques pasteurs
montrèrent bien d'abord une certaine répugnance à
s'associer à une oeuvre qui se
présentait sous des dehors aussi
extraordinaires; ils auraient désiré
qu'elle suivit une marche plus calme et plus
régulière. Mais tous ceux qui parmi
eux avaient sérieusement à coeur
l'avancement du règne du Sauveur virent
bientôt leurs objections tomber devant le
fait qu'à la suite de ces commotions
violentes, des hommes d'une nature
dépravée et d'habitudes vicieuses
furent complètement changés et qu'une
magnifique transformation s'opéra dans
l'état social du pays.
Ces assemblées de
réveil du commencement du siècle
dernier offrirent souvent un aspect semblable
à celui que nous avons décrit plus
haut. Elles se composaient surtout de
prédications ardentes et directes auxquelles
répondaient dans l'assistance des
gémissements, des sanglots et des cris. Tant
que la voix du prédicateur dominait, l'ordre
(un ordre tout relatif, bien entendu)
régnait dans l'assemblée. Mais
à l'instant où il cessait de parler,
à l'instant où sa voix était
couverte par la grande voix d'un peuple en
détresse, tout ordre extérieur
cessait, et l'émotion générale
éclatait de toute part. Chaque âme
angoissée élevait la voix; ici un
pécheur convaincu et terrassé
demandait grâce à Dieu; là une
âme soulagée du fardeau de ses
péchés rendait grâce à
la miséricorde divine; ailleurs, des
chrétiens exhortaient à la repentance leurs
parents et leurs amis
encore inconvertis, tandis que les pasteurs, chefs
naturels du mouvement, avaient quitté
l'estrade pour porter de rang en rang leurs
exhortations et leurs prières. Les
scènes les plus diverses s'offraient au
regard du spectateur, si tant est qu'il pût y
avoir là des spectateurs qui ne devinssent
pas bientôt, en dépit
d'eux-mêmes, acteurs dans ce grand drame.
Tel, poursuivi par les obsessions d'une conscience
réveillée, essayait de fuir hors du
camp, et tombait bientôt arrêté
par la souveraine main de Dieu. Tel autre, comme
nous en avons cité des exemples, passait
presque sans transition du blasphème aux
prières. Au milieu de toute cette agitation
montaient de groupes isolés des chants d'une
incomparable douceur, expression naturelle des
sentiments renouvelés.
« Je fus témoin, raconte
Finley, de circonstances bien touchantes et bien
remarquables dans cette oeuvre de grâce. Il
plut au Seigneur de se servir de tout jeunes
enfants comme d'instruments de salut. Pendant une
de nos grandes convocations, un jeune garçon
de dix ans à peine, poussé
assurément par une impulsion
supérieure, monta sur un tronc d'arbre
à un endroit désert près du
camp, et d'une voix émue il
répéta cette parole de
l'Évangile : « Le dernier jour de la
fête Jésus « cria : Si quelqu'un
a soif, qu'il vienne à moi et
« qu'il boive ! » La foule
qui l'avait suivi s'était groupée
autour du jeune prédicateur qui, les larmes
aux yeux, se mit à exhorter les
pécheurs à échapper au danger
qui les menaçait en mettant leur confiance
en Jésus leur Sauveur. Pendant qu'il
parlait, la presse devint si grande autour de lui
que deux hommes durent l'élever sur leurs
épaules pour qu'il pût dominer
l'assemblée. Il parla pendant près
d'une heure avec une éloquence émue,
que l'esprit de Dieu inspirait certainement;
à la fin il s'arrêta de lassitude, et
jeta à son auditoire d'une voix
brisée mais vibrante encore ce dernier appel
: « 0 pécheur ! repens-toi de tes
péchés et convertis-toi à
Dieu, si tu veux éviter l'enfer. »
L'émotion de la foule avait
été en grandissant; elle
éclata en ce moment, et de tous
côtés on entendit les cris des
âmes qui cherchaient Dieu. Je puis affirmer
que ce jour-là l'oeuvre du Seigneur
avança d'une façon extraordinaire (5).
»
Nous avons essayé ailleurs (6)
d'expliquer
à quel point de vue nous envisageons les
phénomènes physiologiques qui ont
été très-fréquents dans
les mouvements religieux qui ont
éclaté à la suite
d'époques d'indifférence et de
torpeur spirituelles. Nous n'y reviendrons pas
à l'occasion des faits
que nous avons racontés. Qu'il nous suffise
d'entendre encore sur ce sujet le témoignage
de Finley que nous avons souvent
invoqué.
« J'essayerai de donner
quelques détails encore sur les commotions
physiques qui accompagnèrent notre glorieux
réveil. Elles commençaient souvent
par un tremblement général, qui
s'emparait soudain du corps d'une personne et
qu'accompagnaient parfois quelques cris
perçants. Hommes et femmes tombaient
lourdement sur le sol, exténués de
fatigue. Dans cet état, ils ne perdaient pas
toujours connaissance et pouvaient, dans certains
cas, parler et se servir. Souvent pourtant ils
perdaient la parole. Le pouls faiblissait et la
respiration devenait difficile; parfois la
frigidité de la mort envahissait les
extrémités. Cela durait plusieurs
heures. Je me guis entretenu avec bien des
personnes qui ont traversé cet état
et qui m'ont toutes assuré qu'elles
n'éprouvaient aucune souffrance physique, et
que leur malaise était d'une nature toute
morale; que d'ailleurs elles se sentaient en pleine
possession de leur intelligence. il résulte
de là pour moi qu'on ne saurait ranger ces
phénomènes au nombre des simples
évanouissements ou des affections nerveuses.
Ces étranges manifestations ont
déjoué jusqu'à aujourd'hui les
efforts et les conjectures des ennemis de cette
oeuvre. Telle personne a été saisie en retournant
chez
elle;
telle autre dans sa demeure, au milieu de ses
affaires ou pendant le cours des dévotions
domestiques. Des incrédules et des impies
ont été renversés alors qu'ils
avaient encore le blasphème sur les
lèvres. Je n'accepte pas le reproche de
fanatisme, car je n'ai jamais vu une
humilité aussi naïve que chez ces
pauvres gens; chez eux, nulle confiance en leurs
oeuvres ou en leurs efforts, mais un abandon
complet aux mérites du Sauveur. Il
était vraiment touchant de voir avec quelle
ardeur ces pécheurs réveillés
réclamaient Jésus-Christ comme le
seul médecin capable de les guérir.
Ceux qui appellent cela du fanatisme nous diront ce
qu'ils entendent par le vrai christianisme (7).
»
Nous ne prétendons pas que
tout fût pur dans ce réveil. Il s'y
mêla des excès regrettables, dont les
chefs du mouvement ne furent responsables en aucune
mesure, et que d'ambitieux fondateurs de sectes
éphémères s'efforcèrent
de propager. Les prédicateurs
méthodistes, Cartwright le premier,
combattirent de toutes leurs forces ces folles
extravagances. Ce qui demeure de leur oeuvre, je
veux dire la transformation religieuse de l'Ouest,
est assez pour prouver le sérieux et la
grandeur de ce réveil.
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