Ignorance
des colons de l'Ouest. - Le
Hollandais qui voulait porter sa croix. -
Les sectes bizarres nées dans
l'Ouest. - Lutte contre les superstitions.
- Les libres penseurs. - Opposition
à l'Évangile. - Lutte contre
l'ivrognerie. - Les prédicateurs
tournés en dérision. - Une
tentative d'assassinat. - Une accusation
odieuse. - Les prédicateurs
harcelés par les Indiens. -
Incident d'un voyage d'Asbury. - Deux
prédicateurs massacrés. -
Périls au milieu des bêtes
féroces. - Traits de la vie de
Bascom. - Finley et le serpent à
sonnettes. - Souffrances et dangers
divers. - Moyens de se diriger dans le
désert.
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Les premières et les plus
sérieuses difficultés auxquelles se
heurtèrent les prédicateurs
pionniers, dans l'accomplissement de leur mission
de paix, leur vinrent des habitants mêmes de
l'Ouest. Loin d'avoir subi une préparation
quelconque en vue de
l'évangélisation, ils étaient
pour la plupart complètement
étrangers aux notions les plus
élémentaires du christianisme, si
même ils n'étaient
pas, par leurs antécédents, les
adversaires déclarés de toute vie
religieuse. Leur ignorance était profonde,
et comment en eût-il été
autrement dans l'existence toute matérielle
qu'ils menaient? Les missionnaires
s'efforçaient sans doute de faire
pénétrer quelques rayons de
lumière dans ces intelligences engourdies.
Mais ils étaient arrêtés
à chaque instant, soit par les
préjugés de l'ignorance, soit
même par un manque d'aptitude presque complet
à l'endroit des conceptions qui
dépassaient leur sphère
étroite.
« Voici, raconte Cartwright, un
trait qui fera comprendre à quelle
grossière ignorance nos premiers
prédicateurs méthodistes eurent
à se heurter dans leurs rapports avec les
populations de l'Ouest. Wilson Lee fut l'un de nos
plus anciens pionniers dans ces contrées;
c'était un homme de Dieu profondément
sérieux et dévoué. Un jour il
prêchait dans une ferme sur ces paroles de
notre Seigneur : « Si un homme ne renonce
à soi-même et ne se charge de sa
croix, il ne peut être mon disciple. »
D'une voix émue et les yeux pleins de
larmes, il pressa ses auditeurs de se charger de
leur croix et de la porter, quelque lourde qu'elle
fût.
« Il se rencontrait là
un Hollandais, très-endurci et sa femme,
tous deux profondément ignorants par rapport
aux Écritures et au chemin du salut. La femme
était
d'une humeur assommante, à tel point que son
mari était fort malheureux; il tremblait
quand elle élevait la voix et se
considérait comme le plus malheureux des
hommes. Dieu permit que ce jour-là la parole
de M. Lee touchât leurs âmes
indifférentes et en brisât
l'endurcissement. Ils pleurèrent à
chaudes larmes en songeant à leur triste
état; ils résolurent de mieux faire
à l'avenir et de se charger de leur
croix.
« L'émotion fut
d'ailleurs générale. M. Lee
encouragea ces pauvres gens et pria pour eux
jusqu'au moment où il congédia
l'assistance, pour se rendre à une autre
réunion qu'il devait présider le soir
même. Il ne prit que le temps de manger un
morceau avant de monter en selle. À peine
avait-il parcouru une faible distance qu'il
aperçut en avant de lui un homme qui
avançait difficilement et portait une femme
sur son dos. La chose étonna M. Lee; il
réfléchit pourtant et pensa tout
naturellement que la femme était infirme ou
qu'un accident venait de la mettre hors
d'état de marcher, car l'homme était
de petite taille et la femme grande et lourde. Tout
en cheminant, le prédicateur se demandait
comment il pourrait leur venir en aide; mais, quand
il les eut atteints, quel fut son étonnement
en reconnaissant le Hollandais et sa femme, qui
avaient été si fort affectés !
M. Lee s'empressa de demander au mari quel malheur avait
pu survenir à sa
moitié qui l'obligeât à la
porter de la sorte. Le pauvre Hollandais se tourna
vers lui et lui dit : « Ne nous avez-vous pas
dit dans votre sermon de ce matin que nous devions
nous charger de notre croix et suivre le Sauveur;
qu'autrement nous ne pourrions être
sauvés et aller au ciel? Je désire
aller au ciel autant que qui que ce soit, et cette
femme est si méchante, elle gronde et crie
si fort à tout propos, qu'elle est bien la
plus grande croix que j'aie en ce monde.
Voilà pourquoi je l'ai chargée sur
mes épaules, car je veux aussi sauver mon
âme. »
« Vous comprenez sans peine que
M. Lee eut la bouche close. Après
s'être un peu remis de son étonnement,
il dit au Hollandais, de mettre sa femme à
terre, et, descendant lui-même de cheval, il
les fit asseoir près de lui sur le bord de
la route. Il prit alors sa Bible, leur en lut
quelques passages et essaya de leur mieux faire
comprendre la voie du salut. Il leur expliqua aussi
de quelle nature est la croix de Christ et de
quelle manière il faut s'en charger. Cette
explication finie, il pria avec eux, toujours au
bord du chemin, et, quittant ces pauvres gens qui
paraissaient vivement émus, il remonta en
selle et poursuivit sa route.
« Bien avant qu'une
tournée ramenât M. Lee en cet endroit, le
Hollandais et
sa femme disputeuse furent sérieusement
convertis à Dieu, et lui-même put les
admettre dans l'Église. La femme ne
querellait plus et le mari fut complètement
déchargé de cette croix-là.
Ils vécurent ensemble longuement et
heureusement, furent l'honneur de l'Église
et prouvèrent jusqu'à la fin que la
religion peut guérir une femme grondeuse, et
que Dieu peut et veut convertir les pauvres
Hollandais ignorants. »
L'ignorance, et souvent une
ignorance absolue, telle était la plaie de
l'Ouest. Prétentieuse et arrogante chez la
plupart des émigrants aisés venus des
États de l'Atlantique, elle était
crédule et superstitieuse chez la masse des
petits propriétaires, gens venus de tous les
points du globe, dénués de tout,
aussi bien de traditions que de fortune. Leurs
antécédents religieux étaient
nuls en général; ils appartenaient
presque tous à cette classe d'aventuriers
qui, s'ils ont un passé, ont
intérêt à le cacher. Ce
passé, en tout cas, ne leur parlait
guère de Dieu. Il est impossible toutefois
que l'âme humaine s'isole absolument de tout
sentiment religieux, surtout lorsqu'elle est
arrachée à l'agitation corruptrice
des villes et jetée en face des grandes
scènes de la création. Ce besoin de
satisfactions supérieures à celles de
la vie matérielle ne tarda pas à se
développer chez les émigrants de l'Ouest.
Malheureusement il donna naissance, comme toujours,
à une foule de superstitions et de
bizarreries, misérables contrefaçons
de l'Évangile, qui eurent d'autant plus de
crédit qu'elles insultaient davantage
à la raison et au bon sens. L'ignorance dans
laquelle croupissaient les colons
déterminait chez plusieurs une
crédulité excessive. Il suffisait
qu'un homme eût un peu d'assurance et de
facilité dans la parole pour qu'il en
imposât au peuple, se fît une
réputation de prophète et
rassemblât des adhérents. Ce ne fut
pas la partie la moins difficile ni la moins utile
de la tâche de nos missionnaires que de
lutter contre ces excroissances malsaines. Ils
comprirent qu'il y avait là un adversaire
qu'il fallait vaincre à tout prix. Ils
furent vaillants dans ce bon combat; leur arme
principale était la Parole de Dieu, qu'ils
connaissaient à fond et qui, entre leurs
mains, était bien l'épée de
l'Esprit. Plusieurs parmi eux savaient aussi manier
admirablement Parme du simple bon sens fort
prisée au milieu de ce peuple des bois;
l'ironie fine et spirituelle était chez
quelques-uns, chez Cartwright
particulièrement, une lame
acérée qui pénétrait
partout, et perçait à jour ces
systèmes soi-disant religieux, bizarres
entassements d'absurdités; nul ne discutait
aussi vivement que cet enfant de l'Ouest; nul mieux
que lui ne savait montrer le
côté faible ou ridicule des sectes
nouvelles. Nous n'avons pas la pensée de
justifier les exagérations dans lesquelles
entraîne presque forcément un pareil
système de discussion, nous n'en faisons pas
ici l'apologie. Qu'il nous suffise de constater que
ce mode, qui n'est que la simple réduction
à l'absurde, est éminemment populaire
et que rien n'était mieux adapté
à la tournure d'esprit des, gens de
l'Ouest.
Les visionnaires et les
imposteurs
de toute nature ne réussissaient d'habitude
qu'auprès des gens ignorants et grossiers.
Les colons qui avaient des prétentions
à la culture et à la
délicatesse d'esprit affichaient ouvertement
le déisme ou l'athéisme, en
enveloppant dans un même mépris les
Églises chrétiennes sérieuses
et intelligentes et les sectes bizarres
écloses en ce temps de fermentation
religieuse. Ils se piquaient de lire Voltaire et de
se moquer de la Bible. Le besoin de dogmatiser
était tellement une nécessité
de nature pour ces gens de l'Ouest, que ces libres
penseurs se faisaient volontiers les apôtres
de leurs idées et s'efforçaient de
les vulgariser par la parole. Ils convoquaient
leurs assemblées publiques et s'attaquaient
de toutes leurs forces aux croyances positives.
Parfois le gros bon sens du peuple faisait justice
de ces diatribes passionnées. Un jour,
à la suite d'une assemblée où
un colon bel esprit
s'était donné beaucoup de peine pour
prouver à ses auditeurs qu'il n'y avait pas
d'enfer, un simple fermier, qui l'avait
écouté avec une attention Soutenue,
s'approcha de lui et lui dit : « Monsieur,
votre sermon était admirablement
raisonné; vous avez prouvé clairement
qu'il n'y a pas d'enfer; néanmoins, je vous
ferais bien volontiers votre provision de tabac si
vous pouviez m'en donner une assurance parfaite.
»
On se méprendrait sur les
dispositions et sur le caractère de cette
race si complexe, qui se formait à la dure
école de l'Ouest, si l'on s'imaginait
qu'elle reçût sans trop de
résistance les austères leçons
de l'Évangile. Une prédication
fidèle devait heurter de front la plupart de
ses goûts, de ses habitudes, de ses
préjugés; et les hommes qui se
faisaient les organes de cette prédication
devaient s'attendre à voir retomber sur eux
tout le poids de cette inimitié farouche qui
grandissait dans bien des coeurs,. Ils
s'étaient, du reste, si complètement
identifiés avec leur oeuvre, qu'il
était dans la logique des choses qu'on fit
rejaillir jusqu'à eux la haine que l'on
portait à l'Évangile. Cette haine,
d'abord sourde et contenue, éclata
bientôt avec fureur; il était
impossible qu'avec des caractères
indisciplinés et des natures à
moitié sauvages, cette opposition eût
les formes modérées que
revêtent d'ordinaire les oppositions de ce genre
dans nos pays
civilisés; elle devait être et elle
fut ardente et souvent brutale.
Si les colons
disséminés accueillaient volontiers
les visites du missionnaire itinérant, il en
était, en général, tout
autrement de la population des villes et des
villages où s'aggloméraient les
éléments pervers et
indisciplinés que l'émigration
entraînait vers ces lointains parages. Lit se
développaient avec une rapidité
effrayante les instincts grossiers ou sensuels que
les émigrants avaient apportés des
États de l'Atlantique. L'ivrognerie
particulièrement avait atteint des
proportions colossales au milieu de cette
société lancée en pleine
démoralisation. L'usage des spiritueux
était devenu général, et les
plus lointains campements n'étaient pas
à l'abri de cette plaie hideuse. On en usait
comme d'un préservatif universel; aussi la
barrique d'eau-de-vie avait-elle
pénétré dans les plus modestes
chaumières; le pain pouvait manquer sur la
table, mais l'eau-de-vie ne devait jamais manquer
au tonneau. On ne bâtissait pas une
habitation, on ne moissonnait pas un champ de
froment, on ne célébrait pas une noce
ou un service funèbre sans se plonger dans
de dégoûtantes orgies. L'abus des
boissons alcooliques était le cancer hideux
de cette société naissante. Pour le
guérir, il fallait y porter hardiment le fer
et le feu, sans trop se mettre en peine des
fureurs du
malade.
Les prédicateurs, nous l'avons vu, ne
craignaient pas d'aller relancer les buveurs en
plein cabaret et de tonner en toute occasion contre
ces penchants détestables. Ils s'abstenaient
absolument eux-mêmes de toute boisson
alcoolique et mettaient en exercice la régie
de la discipline qui exclut de l'Église
méthodiste tout membre qui en fait usage.
Une prédication qui ne manquait jamais de
dénoncer les conséquences odieuses
d'un pareil penchant devait nécessairement
soulever des tempêtes de colère contre
les courageux serviteurs de Dieu, qui ne trouvaient
jamais un sujet trop vulgaire pour la chaire
chrétienne, lorsque sous ce sujet
était cachée une grande plaie
sociale.
Ces tempêtes se
déchaînèrent surtout dans ces
grandes assemblées en plein air qui duraient
plusieurs jours, et où, avec leur
franc-parler toujours digne et intrépide,
ils dressaient, au nom de Dieu, un
réquisitoire complet des
péchés de leur peuple. Nous y
reviendrons lorsque nous parlerons de ces
assemblées.
Dans l'accomplissement ordinaire
de
leur mission de paix, les prédicateurs
devaient s'attendre à être les objets
de la haine et des mauvais traitements de ceux que
leurs prédications irritaient. Les injures
étaient les moindres manifestations de cette
hostilité latente; ils ne s'en effrayaient guère
et savaient
riposter, à l'occasion, en bénissant
ceux qui les maudissaient. Tous les moyens
semblaient bons pour les caricaturer, eux et les
doctrines qu'ils prêchaient. Des chansons qui
n'étaient que de grossières charges,
divertissaient à leurs dépens les
beaux esprits, de cabaret; des bateliers
parodiaient leur prédication à grand
renfort d'éclats de voix absurdes et de
grotesques gesticulations; des sobriquets ridicules
les désignaient à l'aversion
publique; des imitations décousues et
dénaturées de leurs sermons
étaient livrées en pâture aux
sarcasmes du peuple, et, chose triste à
dire, on vit des pasteurs appartenant à des
églises rivales s'associer à cette
oeuvre impie. Finley nous assure qu'il a connu un
ministre qui, par intervalle, donnait à son
auditoire, en guise de passe-temps, une
représentation mimique d'une classe
méthodiste, en faisant les plus
consciencieux efforts pour la ridiculiser. Les
almanachs eux-mêmes, ces livres universels
devant lesquels nulle porte n'est fermée,
publiaient des caricatures et des chansons sur les
prédicateurs, pour le plus grand amusement
de leurs lecteurs. Ces pauvres et ignorants
cavaliers de circuit (circuit riders), comme on les
appelait, étaient les boucs
émissaires de la foi en lutte avec le
scepticisme et le matérialisme. Ils
devaient, à force de travail et de
dévouement, venir à bout de toutes
ces oppositions.
Cette haine contre l'Évangile
et ses ministres se manifesta souvent sous les
formes les plus odieuses et les plus violentes. La
femme d'un colon avait été convertie
par la prédication de Finley. Son mari,
prétendant qu'il l'avait ensorcelée
jura qu'il le tuerait comme sorcier. Dans cette
intention, il chargea son fusil d'une balle
enchantée par quelques manipulations
cabalistiques et vint se cacher dans des
broussailles, à portée du chemin
où devait passer le prédicateur.
Heureusement que celui-ci n'arriva pas
aussitôt, ce qui laissa à la
conscience de ce pauvre homme le temps
d'élever la voix. Bientôt son
sang-froid l'abandonna; il se crut le jouet de
quelque possession infernale. Il rentra chez lui
tout éperdu. Dieu préserva de la
sorte son serviteur et se servit de cette aventure
pour le salut du colon lui-même, qui ne tarda
pas à imiter sa femme.
D'autres fois, les ennemis des
prédicateurs inventaient les plus perverses
machinations pour les perdre. Un de ces derniers,
Simon Carlisle, s'était attiré la
haine d'un jeune homme qu'il avait repris à
cause des désordres de sa conduite. Voici
comment celui-ci se vengea de ces exhortations
importunes. Il parvint à introduire une
paire de pistolets, qui lui appartenaient, dans la
valise du missionnaire, puis il mit la police
à sa poursuite, sous l'accusation
d'escroquerie.
Arrêté et
fouillé, celui-ci se trouva porteur des
pistolets qui avaient été
cachés dans ses effets et dont il ne put
expliquer la présence. Les apparences
étaient si fort contre lui qu'il ne parvint
pas à faire croire à son innocence et
dut être expulsé de l'Église
par ses collègues, qui avaient eu
jusqu'alors la plus haute estime pour sa
piété. La vérité ne fut
connue qu'une année plus tard. Le jeune
homme tomba gravement malade, et avant de mourir
révéla solennellement le secret qui
oppressait son âme à cette heure
suprême. Il va sans dire que Carlisle fut
réhabilité avec
empressement.
C'était, on le voit, au
milieu de peines et de souffrances de toute nature
que nos prédicateurs poursuivaient leur
oeuvre sainte, apaisant les haines à force
d'amour et surmontant les mépris à
force de renoncement. Leur oeuvre présentait
aussi d'autres difficultés toutes
spéciales, qui tenaient aux conditions
mêmes de l'existence dans une contrée
nouvelle; les extraits du journal d'Asbury que nous
avons cités en ont donné une
idée. Le moment est venu de nous
arrêter un peu sur les conditions
matérielles de l'oeuvre des
pionniers.
Ainsi que nous l'avons dit, les
déprédations et les perfidies des
Indiens furent au nombre des premières et
des plus inquiétantes préoccupations des
prédicateurs dans les
débuts de l'évangélisation de
l'Ouest. Leurs courses étaient constamment
entravées par ces incommodes voisins qui
s'entendaient aussi bien à fouiller les
poches de leurs victimes qu'a faire tournoyer sur
leurs têtes le redoutable tomahawk on
à loger une balle dans leur crâne.
Tout voyageur qui passait à portée de
leur mousquet leur était tributaire,
à moins qu'il ne fût armé
jusqu'aux dents et accompagné dune bonne
escorte capable de tenir en respect ces pillards
avides. Les Peaux-Rouges, surtout ceux des
frontières, avaient rapidement
dégénéré au contact de
la civilisation envahissante; tandis qu'à
l'origine ils combattaient pro aris et focis et
donnaient l'exemple des mâles vertus d'un
peuple qui préfère la mort à
l'asservissement, ils en étaient venus
à n'opposer à l'envahissement de la
race blanche qu'une résistance
insignifiante, et, de patriotes ils étaient
devenus brigands et pillards, comprenant que, s'il
devenait impossible de contenir le flot grossissant
de l'émigration, il était très
aisé de faire ses petites affaires aux
dépens des colons isolés de toute
assistance et des voyageurs assez hardis ou assez
pauvres pour s'engager sans escorte dans le
désert. Nos humbles missionnaires se
trouvant justement dans cette dernière
position, eurent beaucoup à souffrir,
pendant la première période de leur
oeuvre de ces agressions
continuelles. Harcelés sans relâche,
ils durent s'armer quelquefois pour résister
à leurs assaillants.
Les mémoires des plus anciens
prédicateurs de l'Ouest sont remplis
d'incidents relatifs à ce% redoutables
Indiens. Voici, par exemple, un trait
emprunté à l'Autobiographie de
William Burke. Il s'agit d'une expédition
destinée à escorter
l'évêque Asbury, lors de l'une de ses
visites dans l'Ouest.
« Nos pauvres chevaux
étaient très-fatigués; car,
outre nos effets personnels et nos vivres, ils
devaient, dans cette partie du pays, porter leur
provision de fourrage pour trois jours. Pendant la
journée, rien ne nous annonça la
présence des Indiens; mais le soir, une
heure après le coucher du soleil, comme nous
passions non loin d'un défilé de
montagne qui sert de communication entre les tribus
du nord et celles du sud, nous entendîmes des
cris perçants qui ressemblaient, à
s'y méprendre, aux cris que pousse un enfant
en détresse. Nous ne tardâmes pas
à découvrir que les Indiens
étaient en grand nombre dans la direction
d'où partaient ces cris, qui
n'étaient eux-mêmes qu'un
stratagème habile destiné à
nous attirer dans une embuscade où nous
eussions été infailliblement
massacrés. La ruse était fort
ingénieuse en vérité. Quelques
jours avant notre passage, ils
avaient battu et taillé en pièces une
compagnie d'émigrants commandée par
un nommé Mac Farland; ce désastre
avait jeté la terreur dans le pays, et l'on
racontait que quelques pauvres enfants, seuls
débris de cette troupe infortunée,
erraient perdus dans les bois. Les sauvages,
pensant bien qui nous connaissions ces
détails, avaient voulu faire leurs affaires
aux dépens de nos bons sentiments, et nous
dévaliser en faisant appel à notre
émotion. Ils n'y réussirent pas, et
nous éventâmes la ruse. Nous
éperonnâmes nos chevaux et
sortîmes de ce mauvais pas, sans autre mal
que la peur. Arrivés à quelque
distance, nous fîmes halte pour nous
consulter sur ce qu'il y avait de meilleur à
faire. On en vint aux voix, et tous furent d'avis
de marcher toute la nuit pour échapper aux
Indiens, excepté pourtant l'un des
prédicateurs qui déclara que, si l'on
ne mettait pas pied à terre, son cheval
serait mort avant le matin. L'évêque
n'avait pas pris la parole une seule fois pendant
toute la délibération et était
demeuré en selle; il se contenta d'opiner en
disant : « S'il faut choisir, sacrifions le
cheval « plutôt que l'homme! » et
l'on se remit en marche. La nuit était
ténébreuse, et le sentier
était fort étroit. Deux cavaliers
furent chargés d'ouvrir la marche et de
découvrir le chemin; deux autres
formèrent l'arrière-garde, et
cheminèrent à quelque distance en
arrière avec l'ordre de nous donner avis, de
demi-heure en demi-heure, si nous étions
poursuivis. Jusqu'à minuit nous
apprîmes que les Indiens nous suivaient; il
ne nous était pas possible d'ailleurs de
prendre de l'avance sur eux, l'obscurité de
la nuit et la fatigue de nos montures nous
obligeant à aller au pas. Le matin, nous
prîmes quelques rafraîchissements, et
nous fîmes encore nos quarante ou cinquante
milles dans la journée. Quand nous
arrivâmes le soir chez notre bon ami Willis
Green, il y avait quarante heures que nous
étions à cheval, et nous avions fait
sans débrider cent dix milles.
»
Une chose digne de remarque,
c'est
que, en dépit des dangers auxquels
s'exposaient sans crainte ces infatigables
missionnaires, deux seulement tombèrent
victimes des sauvages; l'un et l'autre portaient le
nom de Tucker. Le premier était un jeune
homme; comme il se rendait dans le Kentucky, sur un
bateau plat qui descendait l'Ohio avec plusieurs
autres, tous chargés d'émigrants, un
détachement d'Indiens, voyant là mie
bonne aubaine, attaqua la petite flottille. Les
assaillants étaient nombreux, et ils
n'eurent pas de peine à s'emparer de
plusieurs bateaux dont ils massacrèrent
l'équipage et pillèrent le
chargement. Le bateau où se trouvait le
jeune prédicateur avait perdu l'un
après l'autre tous ses défenseurs valides, et
lui-même
était blessé mortellement. Les
Indiens tentèrent l'abordage à
plusieurs reprises, mais Tucker leur tint
tête avec une valeur admirable. Quelques
femmes, les seules survivantes de
l'expédition, chargeaient les fusils, et le
jeune homme qui perdait son sang rapidement,
entretenait un feu nourri contre les assaillants,
et ses décharges portaient si juste qu'ils
durent reculer. L'embarcation échappa aux
Indiens, mais le missionnaire expira avant d'avoir
atteint le but du voyage. Ses restes reposent
à Limestone, sur les bords de l'Ohio. On
parle d'y élever un modeste monument
à ce jeune héros. L'autre
prédicateur fut massacré sur les
bords de la rivière Verte; les
détails de sa mort son inconnus.
Les Indiens ne tardèrent pas
cependant à s'apercevoir qu'il n'y avait
guère à gagner avec ces
prédicateurs dit désert mal
vêtus et dont les poches étaient mal
garnies. Les pauvres haridelles qui leur servaient
habituellement de montures ne valaient pas la peine
d'être volées, et les Indiens
étaient trop bons connaisseurs en fait de
chevaux pour dépenser inutilement une charge
de poudre à leur intention. D'ailleurs ils
surent bientôt que ces hommes étaient
leurs meilleurs amis, et quand ils les virent
à l'oeuvre au milieu de leurs tribus
errantes, déployant là comme partout
un dévouement et une activité incomparables, ils
comprirent
qu'ils devaient respecter ces existences modestes
et utiles, et la vie des missionnaires devint pour
eux chose sacrée. Ajoutons qu'insensiblement
le caractère farouche de ces races s'adoucit
au contact de la civilisation, et que,
refoulées par elle, elles prirent peu
à peu, au moins sur les frontières,
les dispositions humbles et soumises des peuples
vaincus, qui n'espèrent plus rien de
l'avenir.
Nous avons peu parlé
jusqu'à présent des périls
auxquels étaient exposés les
prédicateurs par la présence des
bêtes féroces dont ces solitudes
étaient infestées. Quelques traits
empruntés à la vie de Bascom, le plus
éloquent peut-être de tous les
prédicateurs de l'Ouest, montreront au
lecteur à quelles aventures tragiques ces
hommes étaient exposés.
« Dans le circuit de
Guyandotte, raconte son biographe, le jeune Bascom
rencontra de grandes fatigues et de nombreux
dangers. Il les supporta en bon soldat du Christ.
Un jour il fut suivi pendant plusieurs milles par
une énorme panthère dont il entendait
les rugissements à quelques pas
derrière son cheval effrayé et dont
il croyait à tout instant sentir la dent
cruelle sur ses chairs palpitantes. Il ne lui
échappa qu'en se réfugiant, le soir
venu, dans une cabane qui se rencontra sue son
chemin.
« Une fois qu'il s'était
étendu, sa Bible ouverte devant lui,
à l'ombre d'un chêne. Il savait mieux
que personne s'absorber dans ses méditations
au point d'être insensible à ce qu'il
se passait près de lui. Pendant qu'il
s'abandonnait au charme de ses méditations,
il fut arraché à sa rêverie par
un cri d'alarme poussé par un chasseur;
celui-ci le conjura sur sa vie de ne pas faire un
mouvement. Bascom obéit et vit non sans
quelque terreur que le chasseur visait quelque
chose au-dessus de sa tête, dans les branches
de l'arbre sous lequel il était
placé. Il comprit du coup que quelque
terrible danger le menaçait, et, il vit que
son salut dépendait d'une immobilité
absolue. Il put pourtant, sans bouger, regarder
au-dessus de lui, et son regard rencontra l'oeil
fixe et terrible d'une panthère qui le
guettait et s'apprêtait à fondre sur
lui. Tout cela se fit dans un moment, mais ce
moment lui parut un siècle. Enfin le
chasseur, qui avait pris son temps pour viser au
coeur la panthère, lâcha la
détente, et la bête féroce,
percée par une balle sûre, roula sans
vie aux pieds du prédicateur.
« Bascom avait la calme
intrépidité de l'homme des bois.
Pendant qu'il voyageait dans ce même circuit,
il fit halte un jour dans une cabane pour prendre
quelque repos. Tandis qu'il était à
table avec la famille de son hôte, le plus
jeune enfant, âgé
de trois ans, jouait devant la porte, Soudain un
cri perçant se fit entendre. « Mon
enfant ! mon enfant ! » s'écria la
mère, dehors en moins de temps qu'il n'en
faut pour le dire. Toute la famille la suivit. Une
panthère s'était
précipitée sur l'enfant et avait
grimpé sur un arbre en emportant sa victime
dans sa gueule. Le jeune prédicateur saisit
un fusil et sans hésiter
s'élança à la poursuite de la
panthère. Il fit feu, et elle tomba morte.
Malheureusement l'enfant avait été
déchiré par les dents cruelles de la
bête féroce, et
l'intrépidité de Bascom ne parvint
pas à le rendre à l'affection de ses
parents (1).
Finley raconte dans son
Autobiographie que, s'étant retiré un
jour dans les bois pour y méditer quelques
instants avant une prédication, il fut tout
à coup arraché à ses
préoccupations par le tintement particulier
que fait entendre en se déplaçant le
serpent à sonnettes et qui lui a valu son
nom. Il aperçut à quelques pas l'oeil
fascinant et la langue fourchue du terrible serpent
qui s'avançait sur lui. Il n'eut que le
temps de fuir à toutes jambes, en
bénissant la Providence de ce qu'elle avait
doté ce reptile peu intéressant de ce
signal d'alarme auquel il était redevable de
son salut.
Il serait impossible
d'énumérer les souffrances et les
dangers auxquels étaient exposés ces
serviteurs de Dieu. Tel passa vingt et un jours et
vingt et une nuits en plein désert, sans
rencontrer une âme vivante; tel autre
s'aventura dans un frêle canot sur un fleuve
et le descendit sur une longueur de 700 milles,
pour aller porter la prédication de
l'Évangile aux émigrants les plus
éloignés. Tous étaient souvent
appelés à passer à la nage les
fleuves débordés, au risque de s'y
noyer, comme ce jeune et éloquent Blackman,
qui périt dans les flots rapides de l'Ohio,
alors qu'il se rendait à son poste. Et quand
ils avaient réussi à échapper
à une mort cruelle, ils étaient
souvent obligés de dormir dans leurs
vêtements humides sur un sol glacé.
Là les surprenait quelquefois la mort. C'est
ce qui arriva à un autre jeune homme,
Richard Nolley, caractère antique par
l'héroïsme, âme vaillante dans un
corps débile. Placé dans un circuit
reculé, non loin des rives du Mississippi,
il partit avec joie, dans les derniers jours de
novembre, en dépit des pluies glaciales qui
avaient grossi tous les cours d'eau, et rendaient
sa marche fort difficile. Un soir, il arriva sur le
bord d'une rivière débordée;
quelques Indiens qu'il rencontra essayèrent
de le dissuader de la traverser. Mais rien
n'annonçait un changement dans la
température, et la voix du devoir parlait
haut chez ce jeune homme. Il
s'avança donc dans la rivière,
encourageant de la voix le fidèle animal qui
le portait. Celui-ci, malgré ses efforts
pour surmonter la violence du courant, fut
bientôt entraîné vers un banc de
rocher à pied où il était
impossible d'aborder. Le jeune prédicateur,
renversé de cheval par la force des vagues,
réussit à atteindre la rive à
la nage, tandis que sa monture regagnait le bord
opposé. Le missionnaire se mit alors en
marche pour la cabane la plus rapprochée;
mais, avant d'avoir atteint une habitation, il dut
s'arrêter, n'en pouvant plus de lassitude et
transpercé par le froid. Incapable de faire
un pas de plus, il se laissa tomber à genoux
et recommanda son âme à Dieu. Et
là, dans la posture de la prière,
seul avec son Dieu, Richard Nolley ferma ses yeux
à la terre pour les rouvrir dans le ciel.
Lorsque quelques passants trouvèrent son
corps le lendemain, un sourire d'ineffable paix
rayonnait encore sur ses lèvres.
Nos pionniers n'avaient pour se
diriger dans les hautes prairies et dans les
forêts immenses, d'autres ressources que de
consulter la boussole ou la position des
étoiles. Quelquefois aussi ils suivaient la
piste des Indiens, cherchant leurs traces sur le
sol ou se guidant par les entailles faites par eux
aux arbres. Dans les régions montagneuses,
de nouvelles difficultés se
présentaient.
Un prédicateur de l'Ohio
faillit un jour se perdre en traversant les monts
Gaulley. Son cheval glissa en passant au bord d'un
précipice couvert de glace; il n'eut que le
temps lui-même de s'accrocher aux
arêtes du rocher, et il put de là voir
le pauvre animal bondir de roc en roc et
disparaître dans l'abîme.
Tels étaient les dangers
auxquels s'exposaient joyeusement les
prédicateurs qui entreprirent la
régénération de l'Ouest par
l'Évangile.
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