Comment les
prédicateurs se
frayaient la voie auprès des gens
de l'Ouest. - Asbury perdu dans les bois.
- M. Jenkins, l'homme le moins religieux
du pays, gagné à
l'Évangile. - Axley se fait ouvrir
une porte par le chant d'un cantique. -
À quel prix Cartwright obtient la
permission de prêcher. - Description
d'une cabane de l'Ouest, par W. Milburn. -
Comment s'y prit Cartwright pour inculquer
l'ordre et la propreté à une
famille de colons. - Un discours d'Asbury
contre la malpropreté. - Le culte
dans une cabane d'émigrants. - Une
réunion religieuse dans un cabaret.
- Les jeunes cités de l'Ouest. -
Les commencements de l'oeuvre à
Saint-Louis. - Jessé Walker. - Les
prédicateurs et l'instruction
populaire.
|
Essayons maintenant de prendre sur le fait
l'oeuvre de nos pionniers, en demandant aux
mémoires qu'ils nous ont laissés
quelque lumière sur leur vie de tous les
jours.
L'accueil qu'ils rencontraient
était, on peut le croire, peu cordial
d'ordinaire auprès d'un peuple que
l'isolement et les périls quotidiens avaient
rendu tout à la fois grossier et
défiant. ils furent souvent repoussés avec
brutalité, et ils étaient heureux
quand on ne lançait pas contre eux les
chiens de garde du logis. Leur premier soin dans un
nouveau circuit devait être
nécessairement de se concilier la
bienveillance d'un public soupçonneux et
irritable, en travaillant à détruire
les préjugés qui existaient dans les
esprits contre leur oeuvre. Ils avaient besoin de
posséder un grand fond de bonne humeur et
une patience inaltérable pour accepter sans
murmure les humiliations de toute sorte qui les
attendaient; ils devaient être habiles
à mettre à profit les occasions
favorables, et vaillants pour tenir tête aux
circonstances adverses. Heureux étaient-ils
encore quand, à la suite de plusieurs
tentatives malheureuses, ils parvenaient à
se créer, de distance en distance, de petits
centres d'action, d'où ils pouvaient
rayonner et s'étendre dans toutes les
directions. Quelques traits montreront avec quel
empressement ils saisissaient au vol toutes les
occasions d'évangéliser et avec
quelle confiance ils s'en remettaient à la
Providence du soin de leurs intérêts,
lorsque les occasions ne s'offraient pas
d'elles-mêmes.
Une fois, dans une des parties
les
plus montagneuses de l'Ouest, Asbury perdit son
chemin et erra toute une journée au milieu
de ravins, de fondrières et de
précipices vraiment inextricables. Le soir
venu, il
se trouvait dans une forêt qui paraissait
sans issue. En vain essayait-il de découvrir
un champ cultivé ou la fumée d'une
cabane; il prêtait en vain l'oreille pour
entendre le bruit de la hache d'un bûcheron
attardé dans les bois: rien ne venait
troubler le silence de la nuit toujours plus
obscure, si ce n'est le cri lugubre de la chouette
auquel, de temps en temps, le loup mêlait son
hurlement sauvage. L'évêque, peu
après, discerna à quelque distance le
formidable rugissement de la panthère. Son
jeune cheval, jusqu'alors docile, se cabra de
terreur et refusa d'avancer. Lui-même se
sentait saisi d'une crainte vague. Pour comble
d'infortune, un de ces orages d'été,
violents et rapides, fréquents dans ces
contrées, éclata subitement et le
transperça jusqu'aux os. Asbury avait mis
pied à terre et tenait son cheval par la
bride; l'orage passé, la pauvre bête
n'en pouvait plus d'émotion; une nouvelle
alerte y mit le comble. et, s'arrachant à la
main qui la retenait, elle partit à fond de
train à travers la forêt. Ce bruit qui
l'effrayait fut justement ce qui rassura son
maître, car il avait reconnu des voix
humaines, et se vit bientôt entouré de
chasseurs qui s'étaient attardés
à la poursuite d'un daim et
n'avançaient que lentement sous le poids de
leur capture. Ils lui aidèrent à
retrouver son cheval et le conduisirent chez eux.
Ces jeunes gens étaient de
rudes et grossiers habitants des bois. Leur demeure
était construite avec des poutres
superposées, qui, en ces temps
reculés, remplaçaient partout la
pierre et la chaux, dont l'emploi eût
été comparativement fort
coûteux. Le missionnaire accepta avec
reconnaissance l'hospitalité qui lui
était offerte et fit honneur à un
très-médiocre souper que son
appétit, excité par les aventures de
la journée, trouva délicieux. Le
repas fini, il proposa un culte de famille. Les
gens du lieu ouvrirent de grands yeux, comme s'ils
n'eussent pas compris. L'évêque prit
alors sans plus d'explication sa Bible de poche,
lut un chapitre, puis tomba à genoux et
prononça une prière fervente. Pendant
ce temps, le chef de la famille se tenait debout
près de la porte, avec deux enfants qui
s'accrochaient à ses habits, taudis que sa
femme, avec les deux plus jeunes, s'était
réfugiée au coin de la
cheminée; les autres enfants
s'étaient enfuis du côté du lit
et les jeunes gens qui avaient amené
l'évêque s'étaient
éclipsés.
Cet étrange accueil ne le
déconcerta pas, et, le lendemain matin avant
de partir, il s'offrit à revenir quelques
jours plus tard, pour tenir une assemblée
religieuse qu'il serait aisé de convoquer
pendant son absence. Cette proposition ne recevant
aucune réponse de la part de ses
hôtes, il se crut autorisé à
fixer le jour de son passage et l'heure de la
réunion, et
sur cela il reprit sa route. Au jour venu le bon
évêque arriva, et fut fort surpris en
approchant de voir toutes les collines voisines
s'ébranler et les populations de la
contrée accourir en foule vers l'habitation
de M. Jenkins, l'homme le moins religieux du pays.
Pour abréger, nous dirons qu'une
année à peine écoulée,
une église était organisée
autour de ce point, et presque tous les membres de
la famille s'y étaient ralliés. Ce
n'est pas tout : l'un des jeunes gens dont nous
avons parlé entra lui-même dans le
ministère itinérant, et grande fut la
surprise d'Asbury en le retrouvant ou jour parmi
ses collègues de l'Ouest.
Pour ces hommes remplis de
l'amour
de Dieu et des âmes, il y avait bien des
moyens de se frayer un chemin jusqu'aux coeurs les
plus fermés et les plus
récalcitrants. Ils étaient
maîtres dans l'art d'emporter d'assaut les
forteresses qui eussent paru imprenables à
d'autres. Leur foi naïve et leur
persévérance indomptable les
faisaient réussir là où
d'autres auraient échoué avec des
talents supérieurs.
James Axley, que nos lecteurs
connaissent déjà, fut envoyé
en 1806 dans le comté d'Attakapas
(Louisiane), pour y fonder une oeuvre missionnaire.
Ne voulant pas se renfermer dans les limites qui
lui étaient assignées, il se
lança dans les hasards
d'une grande tournée d'exploration au milieu
d'un pays peuplé surtout de catholiques
français, bigots et fanatiques. Au soir
d'une longue marche, exténué de faim
et de lassitude, il heurta à la porte d'une
ferme et demanda l'hospitalité pour lui et
pour son cheval. La maîtresse du logis, qui,
à la première inspection, avait
reconnu à quelle classe de voyageurs
appartenait son visiteur, lui dit du ton le plus
méprisant : « Il n'y a pas de place;
nous n'avons que faire ici d'un pareil
bétail. » Ce refus insultant alla au
coeur de l'humble missionnaire; la nuit venait; pas
une auberge dans le voisinage, et d'ailleurs il
n'avait pas d'argent pour payer; il n'avait rien
pris de tout le jour, et devant lui se
présentait la sombre perspective de coucher
sur la dure par un froid intense, et
peut-être de succomber d'épuisement.
Tout cela bourdonnait confusément dans sa
tête et oppressait son âme. Il se
laissa alors tomber sur un siège devant la
porte, et, la tête entre les mains, il se
prit à réfléchir tristement
sur sa position. Bientôt il releva la
tête, et, selon son habitude dans toutes les
circonstances difficiles de sa vie, il entonna un
cantique :
Nos prédicateurs étaient tous de
grands chanteurs. Milburn nous dit : « Quand
ils ne pouvaient pas, dans leurs sermons, enlever
une position au moyen de la logique, ils appelaient
un hymne entraînant à leur secours, et
rien ne résistait à cet argument
suprême. » Axley avait une
réputation toute particulière
à cet égard; sa voix puissante et
juste produisait, bien qu'elle n'eût pas
été cultivée, un effet
saisissant; et l'on assure qu'en l'entendant
chanter, des gens qui étaient ses ennemis,
acharnés devinrent ses meilleurs amis. C'est
ce qui arriva dans la circonstance que nous
racontons. La dame du logis, ses enfants et ses
esclaves ne tardèrent pas à se
rapprocher et à revenir de leurs
dispositions hostiles, et le missionnaire n'avait
pas fini son troisième cantique que son
auditoire était tout en larmes. Les
sentiments avaient complètement
changé, sous l'influence pacifiante du
chant; le prédicateur et son cheval furent
logés et nourris somptueusement, et AxIey
compta cette famille de plus au nombre de ses
amis.
Cartwright, lui, moins
facilement
ému que son collègue, ne perdait pas
aussi vite courage, et savait au besoin
conquérir par son audace
l'hospitalité qu'on lui refusait. S'il
n'avait pas des chants à appeler à
son aide, il avait des arguments. Mieux que
personne, il discutait d'une façon persuasive et
populaire. Il n'était jamais
embarrassé, comme on l'a vu, pour amener ses
hôtes sur le terrain religieux, et il savait
les disposer à prêter l'oreille
à sa prédication. En voici un exemple
pris entre beaucoup d'autres :
« Une fois que J'explorais les
bords de la rivière Cumberland, à
l'affût de quelque occasion nouvelle
d'annoncer l'Évangile et d'étendre le
cercle de mon action, je demandai
l'hospitalité à un riche fermier du
pays; la soirée était assez
avancée, et j'eus le bonheur d'être
accueilli sans trop de peine. Mes hôtes
étaient de bonnes gens, bien
élevés. Plusieurs voisins
s'étant réunis là pour passer
agréablement la soirée, je
m'étudiai à détourner la
conversation des futilités où elle se
traînait pour l'amener sur des sujets
religieux. M'étant aventuré à
demander s'il y avait quelques prédications
dans le voisinage, je m'aperçus
bientôt qu'on en manquait absolument; et
alors je déclinai ma qualité, et
demandai au maître du logis la permission de
convoquer prochainement dans sa maison une
assemblée de culte. il me répondit
sur le ton de la plaisanterie qu'il ne pouvait
agréer cette demande sans connaître
préalablement mes talents de
prédicateur. Je répliquai que rien
n'était plus facile, et que s'il y tenait
j'allais immédiatement prêcher devant
l'auditoire tout trouvé qui était
présent. Il y consentit,
et, après avoir chanté et
prié, je pris nu texte et, pendant une
heure, je les exhortai de toutes mes forces. Les
esclaves qui se trouvaient là pleuraient;
les visiteurs pleuraient; le maître du logis
lui-même pleurait. Quand j'eus fini, il me
dit : « Revenez bientôt; car nous sommes
de « grands pécheurs. »
« Lorsque je fus parti, un
indiquant le jour où je repasserais, on
essaya d'ébranler la résolution de
cet ami, en lui représentant les pasteurs
méthodistes sous les couleurs les plus
noires; rien ne l'ébranla pourtant, et il
déclara qu'il voulait en avoir le coeur net
en nous voyant à l'oeuvre. Bref, je revins,
je prêchai; et bon nombre de personnes se
convertirent à, Dieu, entre autres le
maître de la maison et plusieurs des siens.
Dix personnes s'unirent ce jour-là à
l'Église, et ce petit noyau a
considérablement grandi depuis lors.
»
Nous venons de voir comment les
missionnaires savaient s'ouvrir l'accès des
cabanes de l'Ouest. Voulez-vous connaître de
quelle nature était l'hospitalité
qu'ils y trouvaient? Écoutez Milburn, le
prédicateur aveugle, qui a passé les
plus belles années de sa jeunesse au milieu
des solitudes de la vallée du. Mississippi
:
« Vous auriez pu voir notre
prédicateur s'approchant à cheval de
la porte d'une cabane où il devait loger; et comme
cette
cabane est l'exacte reproduction de toutes celles
du pays, vous me laisserez vous la décrire.
Elle a douze pieds sur quatorze de dimensions et
n'a qu'un rez-de-chaussée. Les espaces
demeurés vides entre les poutres qui forment
les murailles sont enduits avec de la boue en guise
de plâtre. L'intérieur se compose
d'une seule chambre, à l'une des
extrémités de laquelle est le foyer.
C'est dans cette chambre unique que dorment la nuit
le mari et la femme avec les quinze ou vingt
enfants que la Providence leurs a donnés;
car il faut que je dise ici que nos gens de l'Ouest
sont particulièrement favorisés
à cet égard. Je dois ajouter que
très-souvent les hôtes de la
basse-cour eux-mêmes viennent passer la nuit
en compagnie des gens de la maison. pour se mettre
à l'abri des bêtes de la forêt;
à plus forte raison encore les chiens, qui
font partie intégrante de la famille du
chasseur, jouissent-ils de ce droit. Cette salle
commune sert à tous les offices de la vie;
on y dort, on y mange, on y prêche, on y vit.
Là aussi le prédicateur doit
s'installer, étudier et dormir. Parfois
cependant se rencontre une autre chambre dans la
cabane; on l'appelle d'ordinaire la chambre du
prophète. On y parvient par une mauvaise
échelle boiteuse. C'est une sorte de niche
pratiquée au moyen de solives fixées
dans la charpente de la maison
et sur lesquelles on a jeté quelques
planches mal jointes et non clouées. Une
fois arrivé dans ce recoin obscur, où
il doit passer la nuit, le jeune prédicateur
non encore initié aux misères de la
carrière qui l'attend, a besoin d'user de
mille précautions, car un mouvement un peu
brusque l'enverrait rejoindre les dormeurs de
l'étage inférieur, dont il n'est
séparé que par quelques planches
vermoulues. À force de chercher, il
parviendra bien à trouver dans
l'étroit espace où il se meut ce
qu'on appelle un peu pompeusement le lit du
prophète. C'est en langage plus modeste une
simple peau d'ours ou de buffle ou même un
sac plein de feuilles. Une fois étendu sur
sa couche, notre prophète peut sans bouger
de sa place étudier l'astronomie, si ses
goûts l'y poussent, au travers des larges
fentes du toit. Il est vrai que, lorsqu'il pleut ou
qu'il neige, il est exposé à prendre
un bain froid qui n'a rien d'intéressant.
»
Cette hospitalité plus que
misérable que recevaient les
prédicateurs était souvent
très excusable, et quand ils pouvaient se
convaincre qu'elle résultait de
l'extrême pauvreté de leurs
hôtes, ils la supportaient bravement sans se
plaindre. Mais, quand ils voyaient clairement
qu'elle était le fruit de l'avarice ou de
l'insouciance, ils ne s'y résignaient pas
volontiers et s'efforçaient d'inculquer à ce
peuple à
moitié sauvage des idées d'ordre et
de propreté.
« J'eus à loger une
fois, raconte Cartwright, sous le toit d'un certain
frère assez original. Il avait une femme de
premier ordre et plusieurs filles
intéressantes. J'ajoute qu'on lui
connaissait trois cents dollars bien placés.
Notre ami n'avait qu'une chaise dans sa maison; on
l'appelait la chaise du prédicateur; encore
le fond en était-il usé, et l'un des
pieds de derrière manquait-il
complètement. Un vieux tonneau nous servait
de table. Le foyer n'était qu'un simple trou
creusé dans la terre, et c'était
autour de ce creux informe que les pauvres femmes
devaient préparer leurs repas. Quand vint le
moment de nous mettre à table, on nous
présenta des rondelles de bois en guise
d'assiettes et des morceaux de roseau
aiguisés par le bout en guise de
fourchettes; des gobelets de fer-blanc tenaient
lieu de verres. Il n'y avait dans toute la maison
qu'un vieux couteau de boucher, et encore
manquait-il de manche.
« La maîtresse du logis
se confondit en excuses. Je les aurais
acceptées de grand coeur et ne me serais
formalisé de rien si son mari eût
été réellement pauvre; mais je
ne le pouvais décidément pas avec la
connaissance que j'avais de sa position et je me
crus appelé à lui adresser quelques remontrances.
Je le
connaissais
assez pour savoir qu'il était sage d'user de
ménagements infinis pour aborder un sujet si
délicat. Je commençai par le
féliciter sur la bonne mine de ses filles,
et lui fis observer que sa femme devait faire
à l'occasion une excellente
cuisinière. Je m'enhardis alors et continuai
: « Allons! cher frère, faites combler
ce trou; et puis allez à la ville, et
achetez des chaises, des couteaux, des fourchettes,
des verres et quelques autres bagatelles. Faites ce
plaisir à votre femme et à vos
filles. Ces demoiselles ont assez d'avantages
personnels pour se bien marier, pourvu que vous
vous donniez quelque peine pour elles. » Je
remarquai dès l'abord que les femmes
étaient de mon côté, et cela me
mit à l'aise. Le vieux frère me
répondit qu'il avait vu déjà
bien des prédicateurs orgueilleux, et
qu'à voir mon habit de drap fin, il avait
présumé dès le premier moment
que j'étais du nombre. Il ajouta qu'il ne me
savait aucun gré de me mêler de ses
affaires.
« - Mon frère, lui
répliquai-je, vous êtes depuis
longtemps membre de notre Église, et vous
devriez savoir que notre discipline fait un devoir
à tout prédicateur de recommander
partout la propreté et la décence. Et
quand bien même il n'en serait pas fait
mention dans la discipline, il me suffirait de
l'affection que je vous porte pour m'obliger à
vous en
parler. Et vous devriez suivre mon avis, pour votre
avantage personnel aussi bien que pour celui de
votre famille.
« La femme et les filles
abondèrent alors dans mon sens. Je repris
:
« - Vos deux garçons
vous aideront à mettre tout en ordre. Pour
moi, je vous déclare que si, lorsque je
reviendrai dans quatre semaines, vous n'avez tenu
aucun compte de nies observations, je ne
prêcherai plus dans votre maison et je
chercherai asile ailleurs.
« Il me dit que je pouvais
aller où bon me semblerait et que, puisque
j'étais trop orgueilleux pour me contenter
de son logis, il n'avait que faire de m'y recevoir.
Sur ce, je partis; mais je vous assure qu'à
mon retour tout était bien changé.
Les femmes s'étaient emparées de la
catéchisation que j'avais adressée au
vieux frère et en avaient fait le
thème de nouveaux discours. Nos efforts
réunis avaient réussi: le trou dans
la terre avait disparu; on s'était
procuré six chaises neuves, plus un
assortiment complet de couteaux, fourchettes,
verres, assiettes, etc. Je reçus des dames
l'accueil le plus empressé; le père
lui-même me regarda d'un tout autre oeil. Je
dois ajouter que les femmes avaient des robes
neuves et étaient très-propres.
Presque tous les membres de cette famille devinrent
pieux, et je compte parmi ceux qui vivent encore
quelques-uns de mes meilleurs amis. »
Cartwright n'était pas le
seul à travailler à la civilisation
des colons aussi bien qu'à leur conversion;
tous ces hommes furent éducateurs sociaux
tout autant qu'évangélistes, et les
contrées immenses qui bordent le Mississippi
leur sont redevables en grande partie de leur
civilisation. Grâce à eux, les
misérables taudis dont le&
émigrants s'étaient longtemps
contentés, se transformèrent peu
à peu en habitations décentes et
confortables. Asbury, qui souffrait plus que
personne de la malpropreté et du
désordre, ne manquait pas, à
l'occasion, de travailler à cette
réforme nécessaire, mais il le
faisait avec des égards dont Cartwright
eût été incapable. Quinn nous a
conservé le souvenir d'un discours
intéressant où il aborda ce sujet
avec certaines précautions oratoires. Il
commença par constater que l'Église
aussi bien que l'État étant à
leurs débuts, les privations abondaient et
bien des choses étaient à
réformer dans tous les domaines. Il
recommanda en conséquence aux
chrétiens de redoubler de vigilance et de
prières et de ne pas négliger la
pratique des exercices de dévotion. Il fit
allusion en passant, et non sans émotion,
à ses propres souffrances et aux
succès glorieux que Dieu avait
accordés à ses efforts. Ceci l'amena
à recommander l'observation de la discipline
de l'Église, sauvegarde contre la
mondanité et le relâchement.
Après avoir insisté en
termes touchants 'sur l'affection due aux
prédicateurs, il aborda en ces termes le
sujet tout pratique qui lui tenait à coeur :
Quelques mots maintenant, nies bons amis, sur votre
manière de vivre. Voilà bien des
années que je vis dans vos cabanes, j'en ai
parfois rencontré qui me semblaient aussi
propres et aussi douces qu'un palais. J'ai dormi de
bon coeur parfois sur des lits bien durs et bien
grossiers, mais où, j'en étais
sûr, l'eau et le savon n'avaient pas
été épargnés, de sorte
qu'il ne s'y rencontrait aucun de ces insectes qui
sont le fléau des gens fatigués.
Tenez propre votre cabane, mes amis, pour l'amour
de votre santé et pour l'amour de votre
âme. Répétez-le bien à
vos femmes et à vos filles : il ne peut pas
y avoir de piété dans la
malpropreté, dans l'ordure et dans la
vermine. Autres conseils : Éloignez de votre
demeure la bouteille d'eau-de-vie. Ne
négligez jamais la prière du matin et
du soir en famille. »
Une fois que le prédicateur
itinérant avait réussi à
pénétrer dans la cabane du colon
longtemps méfiant, il ne tardait pas
à en devenir l'hôte familier et l'ami
bienvenu. Il n'y paraissait pas souvent, il est
vrai, et n'y demeurait guère. Son circuit
lui demandait eu général quatre
semaines de parcours, et ce n'était par
conséquent qu'une fois par mois que chaque
localité pouvait avoir le privilège de l'entendre.
Au jour fixé d'avance, ou était
sûr de le voir arriver sur sa monture
fatiguée d'une longue marche; il ne manquait
pas au rendez-vous, car l'une des règles de
ces pionniers était de ne jamais
désappointer une assemblée.
Dès que l'heure était là,
l'humble cabane se transformait rapidement en lieu
de culte; quelques planches, soutenues par des
chaises boiteuses et parfois appuyées sur de
vieux troncs d'arbre ou sur des barriques hors
d'usage, tenaient lieu de bancs. Une table
quelconque, séparait le prédicateur
de l'assistance et remplaçait la chaire,
avec le grand avantage de ne pas mettre de distance
entre l'homme de Dieu et ses auditeurs', Dans ses
rapports avec eux, il s'efforçait d'ailleurs
de se placer à leur niveau, et rien dans sa
conduite ou dans sa parole n'était de nature
à faire supposer qu'il se
considérât comme appartenant à
une caste consacrée.
Les assemblées, dans
certaines régions où la population
s'était rapidement accrue, étaient
fort nombreuses; le plus souvent pourtant, elles ne
se composaient que d'un petit nombre de personnes,
de quelques vieilles femmes bien ignorantes
parfois. Quel que lût le nombre de ses
auditeurs le missionnaire se croyait tenu de faire
son service avec autant de soin qu'il en
était capable. Il commençait
invariablement par un cantique emprunté au beau
recueil de Wesley,
cantique toujours précis quant à la
doctrine, entraînant et populaire quant
à la forme, et qui convenait aussi bien aux
pauvres fermiers de l'Ouest qu'au petit peuple de
l'Angleterre du dix-huitième siècle
pour lequel il avait été
composé. Souvent, surtout lorsqu'il
prêchait pour la première fois dans
une localité, le prédicateur
était seul à chanter son hymne, ce
qui ne l'empêchait pas d'aller
consciencieusement jusqu'au bout. Ses auditeurs,
s'ils ne savaient pas chanter, aimaient le chant,
et leurs dispositions s'adoucissaient parfois en
entendant leur pasteur entonner à pleine
voix un cantique, comme on l'a vu à propos
d'Axley. La prière qui suivait
plaçait l'auditoire en présence de
Dieu par la ferveur et l'onction qui l'animaient.
La prédication devenait dans un pareil
milieu familière, sans cesser d'être
grave, et s'appliquait à mettre à la
portée d'intelligences bornées les
vérités du salut. À peine le
service proprement dit terminé, le
prédicateur invitait les personnes
désireuses de s'occuper de leur salut
à demeurer quelques moments encore, et il
avait avec elles un entretien familier qui faisait
souvent pénétrer dans la conscience
les vérités générales
énoncées dans la
prédication.
Ce n'était pas seulement chez
les honnêtes fermiers au caractère
inoffensif que se convoquaient ces premières
réunions. Les missionnaires voulant atteindre les
colons
impies et endurcis qu'ils n'avaient pas chance de
voir à leurs prédications, les
poursuivaient dans les lieux où ils allaient
chercher des distractions et des, amusements. Nous
parlerons des' grandes assemblées en plein
air, un des traits caractéristiques de cette
oeuvre. Les cabarets eux-mêmes étaient
à l'occasion les lieux où le
zèle de nos pionniers aimait à se
déployer. En voici un exemple
emprunté à Finley :
« Pendant cette tournée,
je voulus essayer de prêcher à Newark;
ce lieu était renommé au loin pour
son impiété : aussi aucune maison ne
voulut me recevoir et je dus prêcher dans le
cabaret de l'endroit. Préalablement,
craignant la malice du peuple, j'avais caché
mon cheval dans un fourré de buissons des
environs. Quand j'entrai dans le cabaret, il
était tout encombré de buveurs. Le
spectacle qui s'offrit à mes yeux
ressemblait assurément beaucoup plus
à la célébration de quelque
orgie en l'honneur de Bacchus qu'à un lieu
de culte chrétien. Je me dis pourtant que,
puisque l'Évangile devait être
prêché à toute créature,
ma mission s'étendait à tous les
lieux de ce côté-ci de l'enfer.
À tout hasard je me mis à l'oeuvre.
Monté sur un tabouret, je criai à
pleine voix : « Réveille-toi, toi qui
dors, et te lève d'entre les morts, et
Christ t'éclairera! » Pendant trente
minutes, je m'efforçai de prouver à
ces pauvres gens qu'ils
étaient sur le chemin de l'enfer et qu'ils
couraient le plus grand danger sans y songer le
moins du monde. Je les conjurai de se
réveiller, les avertissant que l'enfer
lui-même les réveillerait, s'ils n'y
prenaient pas garde. Je me tenais sur le seuil de
la porte, et je partis dès que j'eus fini.
On me dit ensuite que, revenus de leur
première surprise, les buveurs
irrités de mon audace à les braver
chez eux, s'étaient mis à ma
recherche; ils me faisaient dire que si je
reparaissais dans le pays, ils me feraient
rôtir à petit feu. La prochaine fois,
je pus prêcher dans un lieu moins
agité, et par la suite je pus fonder une
église dans cet endroit. »
S'il est intéressant de voir
les missionnaires de l'Ouest porter de cabane en
cabane la prédication de l'Évangile,
il ne l'est pas moins de les voir à l'oeuvre
au milieu des centres de population
déjà formés ou en voie de
formation. Dès les premières
années du XIXe siècle, les
cités naissent comme par enchantement sur ce
sol de l'Ouest, vers lequel se dirigea un courant
humain toujours plus large et plus profond.
Quelques années suffirent pour qu'à
la place la plus déserte de la forêt
s'élevât une industrieuse cité.
Au commencement du siècle, des tribus
guerrières appartenant à la nation
des Iroquois étaient campées à
la place où sont aujourd'hui Buffalo et
Cleveland.
Là où
s'élève Chicago, avec plus de 500,000
habitants, il n'y avait en 1830 qu'un petit fort
bâti par le gouvernement
fédéral, pour tenir en respect les
Indiens qui occupaient librement les immenses
prairies marécageuses où allait se
fonder et grandir si merveilleusement cette Reine
de l'Ouest. Dès ces premiers jours,
l'Église méthodiste comprit son
devoir envers ces agglomérations où
se concentrait la vie si intense de ce jeune empire
de l'Ouest, mais où se donnaient rendez-vous
aussi les éléments les plus corrompus
de la colonisation. Chicago fut occupé
dès 1830 par l'un des plus intrépides
missionnaires de l'Ouest, Jessé Walker, et
formait, deux ans après, la tête d'un
district.
C'était le même homme
qui, dix ans plus tôt, avait planté le
drapeau de l'Évangile à Saint-Louis,
cette rivale de Chicago, qui a aujourd'hui une
population et une importance commerciale presque
égales. Cette histoire est
caractéristique et mérite
d'être racontée.
Saint-Louis, contrairement à
ses soeurs de l'Ouest, a un passé, puisque
sa fondation remonte à 1764 et est due aux
Français, qui les premiers
colonisèrent la vallée du
Mississippi. Au moment où la France
céda la Louisiane aux États-Unis, en
1803, Saint-Louis n'avait que 1,200 habitants; en
1822, elle en avait 5,000. C'était la
métropole du catholicisme
dans un pays où la domination
française l'avait laissé
prédominant. Aussi, tous les efforts
tentés pour y implanter la foi
évangélique avaient-ils
échoué devant l'indifférence
ou le fanatisme de la population. Les
itinérants méthodistes, selon
l'expression de l'un d'eux, « n'avaient jamais
pu y trouver un lieu où poser la plante de
leurs pieds. » Walker, l'intrépide
parmi les intrépides, qui avait servi
d'éclaireur à ses frères dans
l'Illinois et le Missouri, prit sur lui de forcer
l'entrée de Saint-Louis. C'était en
1820. Il choisit deux collègues jeunes, et
courageux pour l'assister dans cette difficile
entreprise et leur assigna rendez-vous pour un
certain jour. Ils firent ensemble à cheval
leur entrée dans la petite ville, où
la législature du territoire était
justement en session. Ils se mirent à
chercher un logement, mais toutes leurs recherches
furent vaines. Les auberges étaient
remplies, et partout ailleurs on se refusait
à héberger des prédicateurs;
dès qu'on reconnaissait leur qualité,
on les éconduisait, le plus souvent avec des
injures.
Arrêtés ainsi
dès leurs premiers pas, les trois
missionnaires eurent à cheval une
consultation en pleine place publique. Les deux
jeunes gens déclarèrent qu'ils se
refusaient à aller plus avant dans une voie
que la Providence fermait si visiblement, et,
malgré l'insistance de Walker, ils tournèrent
bride et
partirent, en secouant la poussière des
pieds de leurs chevaux contre la cité
inhospitalière. Jessé Walker,
demeuré seul, eut lui aussi son accès
de découragement et, après y avoir
réfléchi, il prit le parti d'imiter
ses collègues. Mais à la
première halte qu'il fit à dix-huit
milles de Saint-Louis, il entra en pourparlers avec
sa conscience : « Ai-je jamais
été vaincu jusqu'ici, se dit-il, dans
la sainte oeuvre que je poursuis? » et il
était contraint de répondre : «
Jamais. » - « Est-il jamais arrivé
à quelqu'un de se confier au Seigneur
Jésus-Christ et d'être confondu?
» - « Non! » - « Eh bien! par
la grâce de Dieu, je retournerai à
Saint-Louis et j'en prendrai possession en son nom.
»
Il fit volte-face, sans faire
prendre aucune nourriture, ni à lui ni
à sa monture, et rentra dans la ville
où il réussit à trouver un
abri dans une misérable auberge. Le
lendemain matin, il se mit à l'oeuvre sans
perdre un moment. Quelques membres de la
législature l'ayant reconnu lui dirent :
« C'est vous, père Walker, mais
qu'êtes-vous venu faire ici? » - «
Je viens prendre possession de Saint-Louis, »
leur répondit-il.Ils se mirent à
essayer de le décourager, en lui
représentant qu'il n'y avait dans la ville
que des papistes bigots on des incrédules,
et ils lui conseillèrent de retourner dans
l'Illinois. Mais à toutes leurs objections, Walker
répondait : « Je suis venu, au nom de
Christ, pour prendre possession de Saint-Louis, et,
par la grâce de Dieu, je le ferai. »
Nous ne raconterons pas toutes les démarches
et toutes les fatigues qu'il dut s'imposer pour
trouver un lien où il pût commencer un
culte. Il réussit à la fin à
louer, pour dix dollars par mois, une maison
inachevée, acheta de vieux bancs qu'il
répara de ses propres mains et organisa un
modeste lieu de culte. Ce qui était plus
difficile encore, c'était de le remplir.
Voici comment il s'y prit. Il annonça qu'il
ouvrait une école où il enseignerait
gratuitement à lire et à
écrire aux enfants pauvres pendant cinq
jours de la semaine; il s'offrait à
instruire les adultes pendant la soirée, aux
mêmes conditions. Il eut bientôt son
école pleine d'élèves et sa
chapelle d'auditeurs. Sa prédication
puissante réveilla beaucoup d'âmes et
groupa les éléments d'une petite
église qui, au bout d'un an de travaux,
comptait déjà soixante et dix
membres. Mis à la porte de sa maison par le
propriétaire qui lui avait loué,
Walker résolut de bâtir une modeste
chapelle. Il se trouva au bon moment un
généreux citoyen qui lui offrit
gratuitement le bois qui lui était
nécessaire. La chapelle s'éleva, et
Walker la considéra comme la prise de
possession de cette ville, qu'il avait
appelée, sous l'impression des premières
difficultés, « la forteresse de Satan.
» Deux ans plus tard, une conférence de
pasteurs s'y réunissait et admirait l'oeuvre
remarquable que la foi d'un seul homme avait
accomplie en si peu de temps.
Comme on vient de le voir, les
prédicateurs de l'Ouest ne limitèrent
pas leur oeuvre à la prédication
proprement dite. Ces hommes de Dieu, dont le plus
grand nombre étaient peu instruits,
travaillaient à faire comprendre aux pauvres
colons tout le prix de l'instruction; ils
plaçaient eux-mêmes une foule de
livres destinés à faire
pénétrer dans la hutte du
désert les connaissances les plus diverses.
« J'ai connu, dit Milburn, tel
prédicateur de l'Ouest qui eût
construit avec peine une demi-douzaine de phrases
selon les règles de la grammaire et qui
mettait de côté chaque année la
moitié de son modique salaire pour venir en
aide à quelque école dans le besoin.
» Ces mêmes hommes furent les premiers
à fonder dans l'Ouest des collèges et
des académies pour la haute culture
intellectuelle.
S'ils s'efforçaient de
développer leurs ouailles au point de vue
moral et intellectuel, il fallait souvent aussi
leur venir en aide dans le dénûment
absolu où quelques-unes d'entre elles
étalent plongées. Plus d'une fois le
prédicateur vida sa bourse et se
dépouilla de l'un de ses vêtements pour secourir
les misères
qui l'entouraient. Plus d'une fois il s'assit au
chevet du malade pour lui prodiguer les soins
médicaux avec lesquels sa longue
expérience l'avait familiarisé, en
même temps qu'il lui présentait les
consolations de l'Évangile. Est-il
étonnant que cet homme et mal vêtu
fût considéré comme la
providence des pauvres gens, et que son
arrivée sous le toit des fermiers de l'Ouest
fût fêlée au nombre des rares
événements heureux qui
s'accomplissaient dans ce petit monde?
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