Parcours féminins
L'orgueil va devant
l'écrasement
(Concerne
Zoé Giraud)
Zoé avait eu plusieurs fois le
désir de visiter Anne-Laure, son coeur
sentait le besoin de se confier, son âme
soupirait après l'eau vive des paroles
chrétiennes de son ancienne amie, mais sa
fierté 26 redoutait une
leçon, même un conseil. Les jours
passaient donc, les semaines aussi, et Zoé
restait chez elle.
Un jour que son mari avait
quitté la maison pour se rendre à une
foire des environs, Zoé, tristement assise
dans son jardin, pensait avec un certain regret
à ses rêves d'adolescente, aux grandes
aspirations qu'elle avait eues à
l'époque. Ne se voyait-elle pas alors au
bras d'un homme séduisant et riche, tous
deux courant ce monde en voyages et
plaisirs ?
Mais voilà qu'elle fut
surprise par une voix connue.
- Je reviens, dit affectueusement
Anne-Laure, en se dirigeant vers elle. Comme on ne
répondait pas à la porte, mais que
j'entendais les enfants jouer à
l'arrière, je me suis permis de venir
jusqu'ici. Je reviens, au risque de t'ennuyer, de
te fâcher peut-être, bien que
j'espère que cela ne sera pas du tout le
cas.
- Oh ! Anne-Laure !
- Asseyons-nous, Zoé... Tu
souffres, l'état de ta pauvre âme fait
pitié. Je me sens pour toi des entrailles de
mère. N'aie pas peur, je ne veux pas
pénétrer indiscrètement tes
secrets, mais je te vois en danger, ma
chère, et je te prie de m'ouvrir ton
coeur.
- Eh bien ! Oui, dit Zoé dont
les yeux, depuis longtemps séchés par
l'orgueil, laissèrent tout à coup
échapper un torrent de larmes, je suis
malheureuse, profondément malheureuse ! Dieu
me punit, il fait bien... et voilà
tout.
- Zoé, Dieu est amour. S'il
punit, il le fait dans sa tendresse. Laisse le
regard si miséricordieux du Seigneur
s'abaisser sur toi. Laisse-toi scruter par son
amour. Ne lui refuse pas ta repentance.
- Oh non ! C'est fini, reprit
Zoé d'une voix oppressée. Je ne sais
s'il y a un pardon pour moi dans le ciel, mais du
bonheur, de la paix sur la terre, il n'y en a plus.
J'ai su ce que je faisais en me mariant avec
Robert. J'ai sacrifié ma foi et celle de mes
futurs enfants par amour du luxe. Je n'aimais pas
Robert, je ne l'aimerai jamais, d'ailleurs !
Oh ! Je ne me suis pas mariée avec lui
sur un coup de tête, au contraire ! Je
l'ai fait à tête reposée, par
calcul, par orgueil... Je le paie bien cher,
maintenant. C'est juste, mais que c'est cruel
!
Ici les pleurs coupèrent sa
parole.
- Allez, dit Anne-Laure en prenant
les mains de Zoé, pleure, soulage ton coeur,
tu en as besoin, et puis calme-toi et nous
parlerons en amies... Là, tu te sens mieux
?
- Oui, murmura Zoé
après un assez long intervalle.
- Tu me parles de punition, et moi
je veux te parler d'amour. Vois-tu ... et
Anne-Laure ouvrit une petite Bible, vois-tu ce que
le Seigneur te dit là : «Venez à
moi, vous tous qui vous fatiguez et qui êtes
chargés, et moi, je vous donnerai du repos
» (Matthieu 11:28).
- Cela n'est pas pour moi, balbutia
Zoé.
- Non ! Et pour qui donc alors? Pour
les justes ? As-tu oublié ces paroles
de Jésus: «Ceux qui sont en bonne
santé n'ont pas besoin de médecin,
mais ceux qui se portent mal. Mais allez et
apprenez ce que c'est que: « Je veux
miséricorde et non pas sacrifice »; car
je ne suis pas venu appeler des justes, mais des
pécheurs » (Matthieu
9 :12-13) ? Ne veux-tu pas cesser de pleurer
sur ton péché ? Serait-il plus
grand que le Seigneur lui-même et son
pardon ?
Zoé poussa un gros
soupir.
- Ah ! Ma chère Zoé,
si tu voulais puiser toi-même dans ce riche
trésor qu'est la miséricorde 27 de Dieu, ton âme,
peu à peu, reviendrait à la
vie.
- J'essaierai, dit très bas
Zoé.
Après un moment de silence
:
- Zoé, reprit Anne-Laure, tu
es aimée du Seigneur. Pourquoi donc lui
fermes-tu obstinément ton
coeur ?
- Aimer ... je ne sais plus ce que
cela signifie ! Avec un homme que tout
sépare de moi ! Je ne peux plus le
supporter!
- Ne confonds pas l'amour parfait de
Dieu et l'amour si imparfait du coeur humain !
Tu mélanges ce qui ne peut l'être. Si
tu ouvrais ton coeur à l'amour de Dieu, tu
saurais aimer ton mari, quelque défaut qu'il
ait.
Zoé se redressa avec
fierté.
- L'aimer, jamais !
- Détrompe-toi, ma
chère Zoé, c'est possible.
- En attendant, il n'y a pas besoin
d'aimer un mari pour faire bonne figure devant les
gens, pour tenir tant bien que mal sa place
d'épouse et de mère, répliqua
Zoé, chez qui l'esprit mordant reprenait le
dessus.
- Eh si ! Mon enfant, il faut de
l'affection, non pas pour faire, mais pour bien
faire tout cela. Quand on est indifférente,
plutôt quand on méprise à un
degré quelconque, on ne remplit ses
obligations d'épouse et de maman qu'à
moitié. Oh ! On n'est pas
adultère en actes, mais on rêve
à d'autres hommes en secret, on les
désire. On tient sa maison, mais on le fait
de mauvaise grâce, avec ennui. Et puis, le
secours moral que nous devons à tout
époux, l'influence que nous pouvons exercer
sur lui en bien ou en mal, ce rôle que Dieu
nous a donné, qu'en fais-tu, Zoé
?
- De l'union ! Avec Robert !
s'écria Zoé en haussant les
épaules. On voit bien que tu ne le connais
pas. Mon mari n'a aucun besoin d'affection, il ne
sait pas même ce que c'est. S'il le savait,
il s'en rirait. Il est arrivé à
l'âge qu'il a sans éprouver de
l'amitié pour qui que ce soit. Il m'a
épousée parce qu'il voulait une jeune
femme. Ses plaisirs ce n'est pas nous, sa femme et
ses enfants, mais l'argent. Le compter, l'amasser,
le faire fructifier par tous les moyens, cela seul
lui convient. Moi, je ne suis ici que sa
première servante.
- Si au lieu d'être, comme tu
le dis, sa première servante, tu devenais
vraiment sa femme, s'il trouvait en toi, non pas
les pâles apparences de l'affection, mais
l'affection elle-même, des soins partant du
coeur, un peu de bienveillance, de
l'intérêt pour ses affaires...
peut-être qu'il changerait ?
- Ses affaires ! interrompit
Zoé qui revenait tout à fait à
sa nature orgueilleuse, qui les connaît ? Pas
moi, assurément ! Tout est
mystère avec Robert. Il se méfie de
sa femme plus que de personne. Il me donne juste de
quoi acheter le nécessaire, de telle sorte
que je dois lui soutirer jusqu'au plus petit billet
pour m'habiller. Je suis comme une petite fille qui
doit demander à sa maman si elle est
d'accord pour acheter une telle robe ou un tel
chemisier. Il n'y a pas d'humiliation que je n'aie
soufferte. Il me refuse presque tout ce que je
désire. Il m'enseigne lui-même ce que
j'ai à faire... et j'en profite. Je me
débrouille par tous les moyens.
- Zoé, ne parle pas comme
cela, cela me fait mal. Veux-tu que je te parle en
toute franchise ? J'admets que ton mari soit un de
ces hommes qui s'occupent plus de l'argent qu'il
peut thésauriser que de l'entretien de sa
famille. Mais son avarice t'autorise-t-elle
à commettre des vols ? Dis-moi, si je me
trompe, mais est-ce que te servir dans les magasins
te laisse la conscience
tranquille ?
Zoé baissa la
tête.
- Moi, j'appelle cela voler, et
c'est très grave ! A ta place, je
mettrais ma fierté de côté, et
je me repentirais. Tu devrais renoncer à la
convoitise 28 des vêtements et des
bijoux.
- Ce n'est pas seulement mon
âme qui se perd, s'écria Zoé
rouge de confusion, on y perd toute dignité.
Ne faut-il pas que moi, la femme d'un riche
maraîcher, je travaille comme une pauvresse,
pendant que mes amies passent doucement leur temps
à ne rien faire.
- Oh ! Zoé ! Je suis certaine
qu'il y a de grandes bénédictions
à travailler plutôt que d'être
oisive et indolente. Tu as déjà fait
l'erreur d'un mauvais conjoint par amour de cette
vie que tu croyais avoir avec lui. Tu n'as donc pas
encore compris la leçon ? Te faut-il
regimber comme cela pour ne pas accepter que c'est
ton amour de la frivolité qui t'a conduite
dans ce malheur ?
- Je suis perdue, mais il l'est tout
autant avec son horrible avarice ! reprit
Zoé, d'un ton très dur, comme si son
orgueil se dressait dans toute sa
laideur.
- Que penses-tu de quelqu'un qui
laisse son bras se gangrener alors qu'il sait qu'il
lui faut couper la partie infectée ?
C'est de la folie ! Excuse-moi d'être
aussi dure, mais tes paroles m'y obligent. Il faut
couper ton orgueil et le jeter au loin, pour ne pas
périr avec lui !
Il y avait encore plus
d'exaspération que de douleur chez
Zoé.
- Et toi, Zoé, reprit
doucement Anne-Laure, crois-tu que Jésus
puisse te pardonner de tels actes et de tels
sentiments? Je t'en supplie ! Il est encore
temps pour toi et ton mari, et pour vos
enfants.
Zoé, dont ces mots
froissaient l'orgueil, poursuivit avec
véhémence:
- Ah ! Les enfants, quelle
jouissance me donnent-ils ? Je le sais, je
mérite toutes les peines qu'ils me
causeront. Je m'y attends. Je ne me fais aucune
illusion à ce sujet.
- C'est justement ce qu'il ne faut
pas faire ! s'écria Anne-Laure.
- Eh bien ! Comment veux-tu que
je m'y prenne ? L'exemple de leur père
peut-il leur enseigner quelque chose de bon ?
Robert s'occupe-t-il d'eux autrement que pour leur
perte en leur montrant l'exemple d'un père
rongé par l'appât du gain, prêt
à tout pour s'engraisser au détriment
des autres. L'aîné n'a pas confiance
en moi. Il ne me témoigne aucune tendresse.
Il ne m'appartient déjà plus. Et
Jérôme, lorsque je le
réprimande, me répond : «
Laisse-moi, comme papa ! »
- As-tu essayé de lire, de
prier avec tes enfants ?
- Une fois ou deux au début,
mais cela les ennuie. Ils se sont plaints à
leur père, et Robert s'est
fâché contre moi, devant eux en
plus !
- Zoé, tu as un grand devoir
à remplir envers tes enfants, celui de leur
présenter la vérité, de la
leur présenter dans tes paroles et dans ta
conduite. Pour la leur offrir, il faut la
posséder. Commence donc par retourner
toi-même à la lecture sérieuse
de la Bible. Agenouille-toi devant Dieu, et
confesse-lui sincèrement tous tes
péchés 29. Demande au Saint Esprit
de t'éclairer. Regarde à
Jésus, qui a souffert pour toi sur la croix.
Je te le dis:
« Repens-toi ! » Et alors,
tu pourras aider tes enfants. Le soir, avant leur
sommeil, tu te mettras à genoux près
de leur lit, et tu recommanderas leurs âmes
à Jésus, non par le moyen de
prières récitées, mais en
parlant au Seigneur comme un racheté parle
à son Sauveur, de manière à ce
que tes enfants comprennent tes paroles, et peu
à peu s'y joignent de coeur. Tu ne feras
rien de tout cela en cachette, tout au grand jour.
Et qui sait, Zoé, qui sait si, avec la
grâce de Dieu, ces paroles, cet exemple,
n'attendriront pas ton mari ? Qui sait si, un jour,
tu ne prieras pas avec ton mari ? Qui sait, si vous
ne ferez pas un beau couple devant le Seigneur,
rempli d'amour l'un pour l'autre ? C'est mon
souhait le plus cher !
- Jamais! Jamais ! fit Zoé
d'une voix étouffée et le coeur
serré. Non, c'est fini. Pour mes enfants,
oui, il peut y avoir de l'espoir! oui, j'essaierai
de faire quelque chose... mais pour Robert, c'est
inutile. Il me dirait, comme à chaque
fois que l'on a abordé le sujet:
« Laisse-moi en paix, je ne veux rien
entendre à tes sornettes !
»
- Rien n'est impossible à
Dieu, Zoé, pour celui qui vient à lui
le coeur brisé et humilié 30.
- Non, c'est trop tard ! Ce que
j'ai à faire, ce que j'ai fait, ce que je
ferai, c'est de me renfermer sur moi-même, et
de laisser Robert agir de son côté.
Oui, c'est cela ; rester dans mon coin, au
moins mes sentiments, mes pensées seront
libres.
- Libre de pécher, tu le
seras ! Libre d'accroître ton malheur.
Libre de rendre insupportable le peu de rapports
que tu seras obligée d'avoir avec ton mari.
Quoi que tu fasses, tu es sa femme, à moins
que tu ne divorces 31. Mais, je t'en supplie, ma
chère Zoé, ne fais jamais cela !
Tu détruirais le reste de ta vie. Il y a
déjà assez de souffrances comme cela
dans ton existence.
- Divorcer ? Pas maintenant, en
tous cas, reprit Zoé dans un accent de
sincérité. J'ai encore besoin de lui.
Que ferais-je sans ressource ? J'ai trop peur
de la misère pour m'y enfoncer.
- Oh ! Que tu es
aveuglée sur ton état, ma
chère Zoé. Combien j'ai de la peine
pour toi. Est-ce que penser et parler ainsi diminue
tes peines ? Est-ce que cela t'aide à
supporter ton présent ?
- Non, murmura
Zoé.
Puis elle ajouta, secrètement
poussée par sa conscience:
- Il me semble alors qu'un serpent
me ronge le coeur.
- Zoé, sois-en sûre, ce
qui te trouble ainsi, ce qui te dévore
ainsi, vient du diable. Tu ne dois pas lui laisser
autant de liberté dans ta vie, sans quoi tu
finiras complètement détruite.
Oppose-toi à ses attaques 32 en te confiant en
Jésus, le seul qui peut combattre et
remporter la victoire en toi, avec et pour
toi.
Zoé soupira.
- Ma chère, ce n'est pas de
haine que ton coeur a besoin, c'est d'amour. Aime
Dieu qui a donné son Fils pour ton salut.
Ouvre ton coeur à Jésus qui, toute
orgueilleuse que tu es, t'aime tant. Quand tu en
seras là, Zoé, tu comprendras que ton
épreuve est là pour te bénir,
pour t'amener humiliée au pied de la croix.
Alors tu saisiras la laideur de tes
péchés. Et tu déposeras le
poids de ta culpabilité devant ton
Sauveur.
En prononçant ces
dernières paroles, Anne-Laure se leva.
Lorsqu'elle fut arrivée au portail,
Zoé lui dit tout bas et d'une voix
émue :
- Je lirai la Bible et je
prierai.
- Que Dieu te donne le vouloir et le
faire !
Anne-Laure embrassa Zoé, et
partit le coeur décidément bien
lourd.
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