Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Parcours féminins



Un dimanche et trois ménages
(Concerne Melissa Stiévenart)

 

Huit ans s'étaient écoulés depuis le dernier entretien dont nous avons rendu compte, lorsqu'on vit, un soir du mois d'août, une voiture immatriculée en Suisse s'arrêter dans la rue du Conroye.

Pendant quelques jours, Mme Vivien fut si occupée des arrangements intérieurs de sa nouvelle maison, qu'elle eut à peine le temps de penser à ses anciennes amies. En approchant d'Erquelinnes, elle avait senti son coeur battre plus fort, elle avait cherché des yeux, mais sans les rencontrer, quelques-uns de ces visages bien connus. Elle savait d'une manière vague que trois de ses amies étaient mariées, Melissa à un boulanger nommé Loïc Stiévenart, Zoé au vieux et riche maraîcher Robert Giraud, Patricia au tenancier de bar-tabac Charles Maillard... quant à Justine, peu de temps après le départ de Mme Vivien, elle avait quitté Erquelinnes pour Bruxelles, et ses parents ne recevaient plus de ses nouvelles. Tout en défaisant les cartons, Anne-Laure avait demandé quelques renseignements plus détaillés à sa voisine, mais celle-ci, qui avait emménagé récemment dans le village, n'avait pu lui en apprendre davantage. Dès lors, Mme Vivien se promettait d'apprécier au plus vite, par elle-même, la situation de ses amies.

Le dimanche après-midi, elle s'informa de l'adresse de Melissa Stiévenart. Cela n'était pas bien difficile vu que son mari était boulanger. Au bout de la principale rue, la rue Albert 1er, se trouvait une maison blanche avec une belle enseigne lumineuse indiquant « A l'épi doré ».

- Vous y voilà, c'est ici, dit une petite fille qui avait accompagné Anne-Laure, entrez, vous les trouverez dans le magasin.

- Dans le magasin, le dimanche... murmura Anne-Laure en soupirant. Puis elle entra et s'arrêta devant le comptoir. Il n'y avait personne dans la pièce, mais elle fut intriguée par une douce voix d'homme qui semblait prier dans l'arrière boutique.

La voix se tut. Anne-Laure repassa par la porte pour faire de nouveau retentir la sonnette. C'est alors qu'une jeune femme arriva, recula, avança, puis s'élançant tout à coup dans les bras d'Anne-Laure, elle l'entraîna dans la maison en s'écriant:

- C'est Mme Vivien, c'est cette amie qui m'a appris à connaître mon Dieu ! Viens, Loïc ! Dites bonjour, les enfants ! Belle-maman, voilà Mme Vivien !

Un homme de trente ans environ, deux petites filles, un petit garçon, une femme âgée s'avancèrent alors vers Anne-Laure.

- Oh ! Madame, je vous remercie des soins que vous avez donnés à mon épouse, dit Loïc en prenant avec respect la main que lui tendait Anne-Laure. Le petit garçon se cacha sous le tablier de sa mère, tandis que les petites filles faisaient aussi les timides. La femme âgée salua froidement Mme Vivien en s'écriant:

- Melissa, fais donc asseoir Madame.

On s'assit en effet, et Anne-Laure put enfin regarder Melissa à son aise. La jeune fille était devenue une jeune maman, sur les traits de laquelle régnaient la douceur et la paix. Cette même expression de sérénité se joignait chez Loïc à quelque chose de plus sérieux et de plus arrêté. Les petites filles étaient gentilles et propres, elles avaient la gaîté un peu contenue des enfants bien sages. Quant au petit garçon âgé de trois ans et toujours accroché au tablier de sa mère, il attachait fixement sur cette étrange inconnue deux grands yeux noirs qu'encadrait une abondante chevelure. La belle-mère de Melissa était de haute taille; sur sa physionomie, on remarquait quelque chose de sec et de gêné, qui semblait indiquer un état de lutte ou de mécontentement intérieur.

L'intérieur de la maison n'avait pas de meubles et de bibelots superflus, mais une Bible de famille siégeait en bonne place. Le tout reluisait de propreté. Il y avait aussi quelques pots de géraniums qui attiraient l'attention et égayaient la pièce.

- Melissa, commença Anne-Laure avec émotion, je ne te demande pas si tu es heureuse, ta physionomie, celle de ton mari, ces beaux enfants, surtout ce précieux livre ouvert en famille, tout me le dit.

- Oh ! Oui, s'écria Melissa, bien heureuse ! Trop heureuse, car mon coeur se réjouit trop souvent plutôt des dons de Dieu que de Dieu lui-même.

- C'est vrai ! dit Loïc, avec un sourire qui tempérait le reproche.

Melissa rougit un peu, à son habitude.

- Le Seigneur t'a donc dirigée, ma chère Melissa, il t'a fait trouver un époux chrétien.

- Un ami, Anne-Laure, un guide, un sincère serviteur de Jésus.

Loïc rougit à son tour.

- Tu m'as accusée de t'aimer trop, reprit Melissa en riant, il faut qu'Anne-Laure sache pourquoi. Grâce à Dieu, j'ai évité quelques occasions de me marier, assez convenables selon le monde, mais qui en réalité ne valaient rien. Loïc m'a demandée à mes parents, il était vraiment pieux, sa conduite répondait à sa foi, et quoiqu'il me parût un peu trop austère, quoiqu'il fût d'une humeur trop contenue, trop froide... quoiqu'il eût bien d'autres défauts que je vous dirai plus tard...

La belle-mère jeta, à ces mots, un regard désapprobateur sur Melissa.

- Eh bien ! Belle-maman, ne vois-tu pas que je plaisante ! s'écria Melissa avec un sourire en coin.

Confuse de cette petite plaisanterie devant son amie de longue date, elle continua.

- Nous n'avions à peu près rien ni l'un ni l'autre, c'est sur ce point seulement que je vous ai désobéi, et je dois le dire, nous avons subi les conséquences de notre misère, nous avons souffert. Mais grâce à la protection du Seigneur, au travail de Loïc, à la confiance qu'il inspire, nous nous sommes tirés d'affaire. Tu m'avais prévenue qu'on ne peut rencontrer toutes les perfections chez un mari, qu'il faut se contenter des conditions essentielles au bonheur ... elles y étaient... j'ai passé par-dessus les autres.

- Et je t'approuve, dit Anne-Laure en embrassant de nouveau Melissa et en regardant Loïc avec affection.

- Tu avais raison, poursuivit Melissa, qui, après une si longue séparation, avait besoin d'ouvrir son coeur à Anne-Laure, le bonheur est bien dans l'union placée sous le regard et l'approbation de Dieu. Quelle joie de nous retrouver en couple, de nous agenouiller ensemble, de croire en un même Sauveur, de nous aimer tendrement et d'élever ces chers enfants dans une même foi, d'un même accord !

Ici la mère de M. Stiévenart, Jeanne de son prénom, se leva avec un mouvement d'impatience, imperceptible pour tout autre oeil que pour l'oeil exercé de Mme Vivien.

- Loïc, veux-tu que je fasse une promenade avec les petites ?

- Je te remercie, maman, répondit Loïc.

Elle sortit donc de la pièce avec ses deux petites-filles.

- Nous avons nos défauts, moi surtout, continua Melissa toute joyeuse, mais nous nous aidons l'un l'autre à les combattre. Si, au premier moment, le reproche paraît injuste, sévère, si le coeur se révolte ou se serre, l'instant d'après on sent ses torts et l'on en demande pardon 19. Mon cher mari est mon soutien dans le chemin de la foi, de la sanctification. Le Seigneur Jésus va toujours devant nous. Nous essayons de le suivre à deux d'un même pas, dans le rôle qu'il nous a confié à chacun.

- Que le Seigneur soit béni pour tout ce que j'entends, dit Anne-Laure attendrie. Dès le début vous avez donc marché fidèlement ?

- Avec beaucoup de chutes, répondit humblement Loïc. Toutefois, Dieu nous a fait la grâce de comprendre que, faibles comme nous le sommes, nous avions besoin d'habitudes chrétiennes et régulières.

- Pour ce qui est de la régularité, interrompit Melissa en souriant, on peut se fier à mon mari ! Sa devise pourrait être : « Il y a ce qui se perd faute de règle » (Proverbes 13 :23).

- Oui, poursuivit Loïc, quand on est boulanger, il vaut mieux avoir de l'ordre et de la régularité. Vis-à-vis de la clientèle, on ne peut pas se permettre d'agir n'importe comment. J'ai dû apprendre cela, bien que difficilement, lors de mon apprentissage. Dès le premier jour, nous avons donc institué la lecture de la Bible à deux le matin, et le culte en famille le soir; nous avons aussi senti la nécessité de rompre avec le monde 20, avec ce qu'on appelle les plaisirs. Depuis longtemps Melissa n'allait plus danser dans les boîtes de nuit avec ses copines. Je m'étais de mon côté éloigné des cafés et des parties de cartes interminables; mais au moment de notre mariage, le diable essaya de nous ébranler dans nos résolutions. Nous avons résisté, nous avons donné nos raisons à ceux que nous fréquentions auparavant 21, nous leur avons dit que là où le Seigneur ne voudrait pas venir avec nous, s'il était sur la terre, nous ne pouvions aller sans lui. Bien sûr, ils ne nous ont pas approuvés, et après quelques semaines assez difficiles, où sans cesse de nouvelles propositions nous étaient faites, que sans cesse il fallait repousser, on nous laissa bien tranquilles dans notre petit coin.

- Oui... en disant beaucoup de mal de nous, et en excitant contre notre couple les moqueries du dehors 22, l'irritation du dedans !

Un regard mécontent de Loïc arrêta presque ces dernières paroles sur les lèvres de Melissa.

- Enfin, Anne-Laure, nous ne manquons pourtant pas de plaisirs, reprit-elle après un instant de silence.

- Le dimanche... oh ! nos beaux dimanches, si ceux qui nous plaignent de les passer dans la tristesse et l'ennui pouvaient savoir comme ils sont doux. Le matin, j'habille proprement nos enfants et je les conduis ici, dans l'arrière boutique que je balaie le samedi soir. Loïc fait prier les petites, nous chantons de tout notre coeur un psaume ou un cantique. Ensuite, nous ouvrons le magasin jusqu'à quinze heures. Loïc et moi-même, nous nous occupons des enfants à tour de rôle et en fonction des clients, en attendant la fermeture de la boulangerie. Enfin, vers seize heures, nous allons chez les Martin, une famille qui nous ouvre sa maison, ainsi qu'à d'autres, pour des réunions, des moments de louanges et de prières. Nous aimerions nous réunir dans une assemblée chrétienne, mais il n'y en a pas encore dans la région. Mais nous prions pour que cela arrive un jour. En attendant, nous nous réunissons à quelques-uns chez cette famille hospitalière, et les enfants en profitent autant que les parents. De retour chez nous, nous soupons. Le repas terminé, nous chantons un cantique et prions ensemble. Les jours fériés, qui sont trop rares, nous visitons quelques voisins pauvres ou malades, avec un ou plusieurs enfants lorsque cela est possible. Parfois, sur l'argent de poche que leur donne leur papa, ils ont pu en épargner un peu; quelle joie c'est alors pour eux que de le porter à une vieille femme pour qu'elle en achète de la nourriture, en plus du pain que nous portons en général à chacun. Le soir nous nous promenons quand il fait beau. Loïc, qui a beaucoup lu et qui s'instruit dès qu'il en a le temps, raconte toujours des choses instructives sur la nature, sur l'histoire, sur les pays étrangers, et nous rentrons heureux, bénissant Dieu d'avoir créé le dimanche. Mais je parle trop, sans songer à te faire visiter la maison.

Melissa se leva. Anne-Laure et Loïc la suivirent, et ils visitèrent quelques chambres, une petite cuisine, tout cela bien arrangé, quoique modeste, puis un jardin dont l'aspect charma d'autant plus Anne-Laure, qu'il était peut-être le seul de ce genre à Erquelinnes.

Cette parcelle de terrain ressemblait à un magnifique écrin de la nature. Tout y était travaillé et entretenu régulièrement; les légumes et les fruits se mêlaient aux fleurs et arbustes qui ajoutent aux agréments de la vie. Mais pour ce tableau qui ravit les yeux et aide aux soins de la famille, que d'efforts constants ! Il a fallu plus que quelques coups de bêche, plus que quelques arrosoirs d'eau versés à propos; et puis le goût de l'arrangement, et puis la persévérance, sans laquelle les plus doués ne viennent à bout de rien. On ressentait l'amour du travail bien fait, sans pour autant exagérer sur le futile. Tout était en bonne proportion, les fruits et légumes utiles et les fleurs qui réjouissaient les coeurs.

- Voilà une de nos ressources, dit Loïc en montrant son verger; grâce à un choix d'espèces de pommiers et de poiriers, ainsi qu'un grand noyer, nous avons des fruits une bonne partie de l'année. Ces framboisiers sont aussi la joie de nos enfants. Et le potager nous permet de manger de bons légumes. Venez, asseyez-vous sur le banc.

- Dieu vous a fait une grande grâce en vous accordant trois beaux enfants, dit Anne-Laure.

- Oui, notre couple n'aurait pas été si béni sans nos chers enfants, reprit Melissa.

Anne-Laure opina de la tête.

- Je les aime du plus profond de mon âme, dit Melissa, je vois en eux une bénédiction d'en haut. Et même si je crois que le mariage peut être saint, béni, complet même sans enfants, je suis certaine qu'il donne une autre dimension à notre couple.

- Certainement, continua Anne-Laure, mais prends garde à ne pas idolâtrer tes chers enfants !

- C'est vrai, interrompit Melissa en riant. Mon mari a raison; je me sens entraînée à de l'idolâtrie pour mes enfants, et si le bon sens de Loïc n'était là pour me retenir, j'en ferais de petits égoïstes. J'ai besoin de me mettre constamment en face de la responsabilité qui pèse sur moi, pour ne pas m'abandonner à ma faiblesse.

- Vous avez donc un plan d'éducation, Loïc, et vous ne laissez pas plus vos enfants que vos plantes croître au hasard ?

- Nous nous efforçons d'élever nos enfants selon les préceptes divins 24 et en vue de ce qui les attend dans leur vie à venir. Nous essayons de les préparer à la vie chrétienne, pour que lorsqu'ils deviendront des rachetés du Seigneur, ils puissent être suffisamment armés pour supporter le bon combat. Quant à les élever en projetant sur eux des rêves de réussite dans le plan de ce monde, nous tâchons de ne pas le faire ; l'égoïsme y trouverait trop vite et trop bien son compte. Que l'arbre soit bon, les fruits le seront aussi.

- Loïc, reprit Melissa, a posé comme principe essentiel dans l'éducation, une obéissance de la part des enfants. Parfois, il leur explique le motif des défenses qu'il leur fait ou des ordres qu'il leur donne; parfois il ne leur explique pas, pour différentes raisons. Il attend d'eux une soumission de confiance, d'habitude, et ne permet ni qu'on discute indéfiniment, ni qu'on murmure. « Dieu agit ainsi envers nous », dit-il. Tantôt il soulève le voile qui couvre ses desseins à notre égard, tantôt il l'abaisse et ne nous montre plus qu'une chose, sa volonté; il faut que les enfants s'accoutument à rencontrer dans la famille ce qu'ils trouveront plus tard dans la vie. Mais attention, il leur apprend en même temps à vérifier par la Parole de Dieu le bien-fondé de leur obéissance. Mon mari élève ses enfants dans la vérité, voilà son second principe; jamais de promesses ou de menaces faites en vain, jamais de mensonges, toujours ce qui est, rien de plus, rien de moins. En outre, Loïc n'agit pas capricieusement à l'égard de nos enfants, ce qu'il est aujourd'hui, il le sera demain, il l'était hier. Si une rébellion, une ruse, une désobéissance de leur part l'ont ému, il attend, pour gronder ou pour punir, d'être calme. Il punit, non pas en proportion du « résultat » de la faute, du souci qu'elle nous a occasionné, des dommages qu'elle nous a causés, mais en proportion de sa gravité aux yeux de Dieu. C'est parfois difficile pour moi, parce que j'ai à lutter contre mon penchant de les excuser facilement. Nous devons être deux dans l'éducation de nos enfants, et je dois faire attention à ne pas amoindrir l'autorité de leur papa. Il prétend que je fais d'eux des tyrans... mais je ne veux pas que mes enfants soient des despotes ! Ils apprendront de bonne heure à ne se placer qu'en seconde, qu'en troisième ligne, à préférer l'intérêt ou le plaisir des autres au leur.

- C'est encore une manière de les faire passer avant moi! interrompit Loïc en riant.

- Oh ! Chéri, tu sais que tu es le chef de famille, reprit en riant Melissa. Tu sais, Anne-Laure, j'ai le bonheur d'avoir un merveilleux mari !

- Fais attention, interrompit Anne-Laure, à ne pas aussi idolâtrer ton mari.

- Tu as raison, Anne-Laure, c'est parfois plus fort que moi. Je dis qu'on a des défauts, mais j'oublie trop souvent d'avoir de la réserve dans mes paroles quand je parle de ceux que j'aime tendrement.

- Vous savez, Loïc, reprit Anne-Laure, je n'ai jamais vu d'éducation réussir sans l'autorité du mari clairement établie, non plus que sans un complet accord entre le père et la mère.

- C'est vrai, répondit Loïc, quant à l'accord entre nous, nous le maintenons de toutes nos forces. Si j'ai une remarque à faire à Melissa, je ne la lui adresse que lorsque nous sommes seuls. Les enfants nous voient constamment unis, et à part de petites différences qui disparaissent vite en causant, en priant ensemble, nous agissons comme si nous étions un devant nos enfants. Nous nous efforçons aussi de combattre tout égoïsme chez nous afin de montrer l'exemple à nos enfants dans ce domaine.

- Vous faites bien de combattre de cette manière l'égoïsme chez vos enfants, reprit Anne-Laure.

- L'orgueil aussi, répondit Loïc, qui n'est qu'une autre forme de la personnalité. Si on n'y prend garde, il grossit et devient très difficile à vaincre!

- L'orgueil est la bête noire de mon mari, s'écria Melissa. Il ne m'a jamais permis de réveiller l'émulation de mes filles en les comparant à leurs amies; leur allure ne se distingue de celle de leurs compagnes ni par une simplicité affectée, ni par de l'élégance. Nos enfants sont intelligents, nous pourrions les pousser vers une réussite sociale. Ma voisine, Yvonne Delmar, y est toute décidée pour son fils. Loïc, au contraire, veut qu'à moins d'une direction particulière du Seigneur, ses enfants n'ambitionnent pas une haute position dans la société. Il pense qu'en agissant de la sorte nous entrons mieux dans les vues de Dieu, nous assurons à nos enfants un bonheur plus solide que si nous les élevions à une place qui ne leur était pas destinée.

- Dites-moi, mes amis, depuis quand avez-vous commencé l'éducation de vos enfants ?

- Dès les premiers mois de leur existence !

- Pourquoi pas dès le premier jour ! dit Loïc, que la vivacité de Melissa faisait sourire.

- Eh ! Chéri, ce serait peut-être plus juste ! Te rappelles-tu la petite Naomi ? Lorsque je la nourrissais, elle pleurait souvent de colère. Une maman distingue vite les pleurs qu'arrache à son enfant la faim ou la souffrance, des pleurs que lui fait verser l'impatience ou la violence des volontés. La petite criait-elle par dépit ou par entêtement, tu me disais de la poser doucement dans son berceau; je la laissais là à contre coeur, sans la regarder. Et tu m'obligeais à la laisser aussi longtemps que durait l'accès de mauvaise humeur; bientôt elle se calmait et dès l'âge de huit mois, son caractère s'était considérablement adouci.

- Melissa dit vrai, reprit Loïc, et ce qui est aussi vrai, c'est qu'il n'est jamais trop tôt pour commencer l'éducation chrétienne d'un enfant.

La pensée de Dieu n'a rien qui étonne ces jeunes âmes, mais notre science humaine complique les vérités du salut, tandis que la candeur de l'enfant les lui rend faciles à comprendre. Dès que sa petite bouche balbutie le nom de son père terrestre, on peut lui apprendre le nom du Père céleste; on peut de bonne heure prononcer auprès de lui des prières courtes et simples, on peut lui enseigner à aimer le Sauveur Jésus, on peut lui donner ses premières leçons de lecture dans la Bible, et le familiariser de la sorte avec les Saintes Écritures. Quant à la connaissance du bien et du mal, de notre méchanceté naturelle, il n'est pas besoin de beaucoup de discours pour la lui faire acquérir. Ses premières révoltes lui apprennent vite qu'il est pécheur et qu'il a besoin de pardon.

- Je vois avec plaisir que vous vous occupez ensemble de l'éducation de vos enfants. Que cela n'est pas départi à l'un ou à l'autre.

- Oh ! Je ne voudrais me décharger sur personne du soin de leur âme, continua Loïc. Je ne puis leur donner qu'une ou deux leçons, mais je tiens à le faire, car ce n'est qu'en travaillant avec ses enfants qu'un père comprend leur caractère. S'il se contente de les surveiller de loin, il ne les connaît qu'en partie et risque fort d'appliquer le remède à côté du mal. A mon grand regret, Melissa est obligée de tenir le magasin et est ainsi moins disponible les mercredis après-midi et les samedis lorsque les enfants ne sont pas à l'école. Bien sûr, ma mère les surveille, mais cela ne remplace pas les soins d'une maman attentionnée. Nous faisons tout pour ne pas négliger nos enfants.

- Je voudrais que tu entendes les leçons que donne mon mari ! s'écria Melissa. Le soir, lorsque nous sommes réunis dans le salon, c'est un plaisir que de l'écouter. Il a l'air de s'amuser autant qu'elles; les petites répondent assez bien, le gamin s'en mêle aussi.... et puis il est d'une patience !

Loïc a aussi l'art d'intéresser ses enfants à ce qu'il fait ! Quand ils travaillent bien, il leur donne alors quelques pièces, et les enfants les mettent dans leur tirelire ou s'achètent un bonbon. Chaque mois on regarde ce qu'elles contiennent. Naomi et Adèle dépensent leur argent comme elles l'entendent, mais la grosse part va souvent aux pauvres, tandis que Paul dépenserait tout en chocolat, si on l'écoutait !

- Melissa, interrompit Loïc, tu vas faire croire que tout marche ici comme dans le ciel.

Et se tournant vers Mme Vivien, il poursuivit :

- Il n'en est rien malheureusement. Nos principes, grâce à Dieu, sont évangéliques, ils sont fermes comme tout ce qui s'appuie sur le « rocher », mais la pratique n'y répond pas assez. Ma chère épouse parle bien plus de ce que nous voudrions être que de ce que nous sommes.... nous avons de grands défauts... les enfants aussi, et nous, faisons souvent de lourdes chutes. Toutefois nous ne perdons pas l'espoir. Le Seigneur est là, il nous aidera. Si le mal vient de nous, le bien vient de Dieu... Il est plus riche en miséricorde que nous ne le sommes .... même en péchés.

Anne-Laure se leva, car l'après-midi se terminait.

- Où en sont vos voisins ? demanda-t-elle, pouvez-vous quelque chose pour le salut de leur âme ?

- Nos voisins ! s'écria Melissa, tout en regardant s'ils étaient dans leur jardin, ils nous ont longtemps tourmentés. Tout chez nous les scandalisait; notre vie retirée d'abord, ils prétendaient que cette sévérité n'était que de l'hypocrisie ou de l'orgueil; l'éducation de nos enfants ensuite, ils assuraient, tantôt que nous en ferions des idiots, tantôt que nous développions beaucoup trop leur esprit et que nos filles ne seraient que des « savantes ». A la suite de leurs médisances, mon mari avait perdu quelques clients, mais peu à peu on s'est aperçu qu'il travaillait bien et qu'il était honnête. On commence aussi à remarquer que nos filles ne sont ni des imbéciles, ni de vaniteuses petites pédantes, et l'on nous épargne un peu. Cependant le coeur de ces pauvres gens n'est pas encore changé, loin de là!

- Cela viendra, Melissa, cela viendra, interrompit Anne-Laure. Avant que le Saint Esprit eût touché notre coeur, nous étions en tout pareils à nos voisins.... même plus endurcis peut-être ? Le Saint Esprit n'a pas perdu sa puissance; prions pour eux afin qu'il les change comme il nous a changés.

Anne-Laure quitta cette chère famille le coeur tout réjoui, malgré le fait qu'ils travaillent le dimanche. Elle n'avait pas cru bon de relever ce point. Le Seigneur lui donnerait sûrement l'occasion d'en parler par la suite. Elle prit alors le chemin de la maison de Zoé Giraud, sans avoir eu le temps de demander à Melissa plus de renseignements que son adresse.


Table des matières

Page précédente:
Page suivante:
Un dimanche et trois ménages (Concerne Zoé Giraud)
 

- haut de page -