Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JAROUSSEAU
LE PASTEUR DU DÉSERT

PRÉFACE
LES MORTS INCONNUS.

Je n'ai jamais passé à côté d'un cimetière de village, sans être tenté de questionner la mort et de lui demander le secret des diverses générations qui sont venues finir là.

Qu'ont fait ces hommes quand ils étaient debout qu'ont-ils pensé, si toutefois ils ont pensé ? Aucune voix ne répond à cette question ; le vent souffle à travers les buissons du sentier : la mort garde le silence.

Beaucoup, sans doute, ont ignoré leur âme; pâtres ou laboureurs, ils ont retourné la glèbe ou conduit leurs troupeaux, troupeaux eux-mêmes d'un ordre plus élevé, Mais d'autres aussi, mieux servis par la destinée, ont porté la vie plus haut; ils ont eu toutes les bonnes pensées ou accompli les fortes oeuvres que la Providence des humbles avait mises à leur portée. Maintenant, ils sont couchés là, et aucune trace après eux, pas même une pierre, ne témoigne de leur passage. La vie la plus pleine, si elle a coulé à l'ombre, n'a pas d'épitaphe; son nom reste en blanc.

Pour peu qu'un homme ait joué un rôle en plein jour, fait du bruit là où l'on fait le plus de bruit, n'importe où, n'importe à quel titre, aussitôt l'histoire prête l'oreille, et voilà un nom de plus noté.

Qu'un héros inédit, au contraire, aussi grand par l'âme qu'on peut l'être ici-bas, fasse le bien modestement, consciencieusement, sans quitter sa vallée, sans attrouper la foule, est-ce que l'histoire le connaîtra ? est-ce qu'elle daignera retourner la tête pour le regarder ? Non, celui-là vit ignoré et meurt comme il a vécu. Son heure venue, il tombe à l'écart. La terre le dévore tout entier, sans que sa vie, prolongée après lui en écho, retentisse dans le souvenir de personne. Il a passé.

L'humanité perd ainsi en chemin la moitié de sa gloire; elle donne par là trop d'avantage contre elle à l'esprit de scepticisme. Aussi, pour réparer sa négligence et pour payer à l'homme tout ce qui lui est dû, à tous les degrés de l'échelle, nous voudrions, si toutefois nous avions le droit de donner l'exemple, poser enfin la dignité de la gloire sans bruit, de la vertu sur place, jusqu'à présent balayées à l'oubli, comme la paille du chemin, et dire au moindre serviteur, au moindre grand homme anonyme : 0 toi, qui que tu sois, qui as fait noblement ta besogne à ton poste, dans ta mesure, tu peux dormir en paix ton oeuvre est comptée !

Certes, nous respectons le génie. Mais il est absorbant de sa nature. Il a eu cependant, il a encore mille précurseurs oubliés, mille collaborateurs inconnus. Il faudrait en tenir compte; on les passe sous silence. Le fleuve coule solitairement, roulant à grands flots l'orgueilleuse nappe de son courant; lui seul se nomme, et il ne nomme pas les nombreux affluents dont il est formé. Il y a là une évidente partialité. On ne doit pas sacrifier le petit au grand, pour lui constituer encore plus de grandeur. À chacun sa part, c'est la loi de justice.

Souvent, en traversant la montagne, nous avons rencontré une pyramide de pierres sèches élevée au bord d'un précipice : c'était la tombe d'un voyageur.

La tourmente l'avait surpris en chemin et la neige l'avait enveloppé de son tourbillon. Après avoir cherché en vain sa route à travers la nuit de l'avalanche, il avait terminé là son voyage, et la neige avait continué de tomber.

Son corps était resté enseveli, sous ce tertre glacé, jusqu'au printemps. Un rayon de soleil avait alors dispersé cette première sépulture. Un passant avait heurté du pied le cadavre à moitié restitué à la lumière, lui avait creusé un lit de repos, avait roulé une pierre sur la fosse, et un autre passant une pierre encore, jusqu'à ce que, de main en main, la pyramide, toujours exhaussée, eût définitivement perpétué le souvenir de ce mort inconnu,

Et nous aussi, simple passant de la grande route, nous éprouvons, au fond du coeur, le besoin religieux de rouler la pierre de commémoration sur la tombe de ces voyageurs sans nom, battus de la rafale et interceptés, par l'injustice de la destinée, aux sympathies de leur génération. En faisant cela, qu'on nous pardonne cette superstition, nous croyons attirer comme une part d'eux-mêmes et une bénédiction de plus sur la cause sacrée qu'ils ont aimée, que nous servons à leur exemple.

- Dors sous mon toit, disait la femme de Mégare au juste immolé, tu lui porteras bonheur.

L'heure nous semble venue d'écrire à côté de l'histoire officielle, qui désigne seulement tout ce qui est éclatant ou retentissant, une seconde histoire privée, domestique en quelque sorte, qui nomme là et là, d'une colline à l'autre, quiconque dans cette vie a été fort ou méritant, à sa manière, dans sa circonférence d'action, afin que chaque motte de terre, que chaque pierre de foyer, ait désormais une vertu, une gloire en partage, et que partout où l'homme met le pied il marche escorté d'un bon exemple ou d'un bon souvenir.
Nous avons souvent rêvé cette histoire écrite, de droite et de gauche, par le premier Thucydide venu.

Dans chaque contrée et le plus tôt possible on devrait tenir., au jour le jour, les archives de la famille et de la commune, ces deux patries élémentaires de la grande patrie. Aussi, pour payer de notre personne, nous publions l'humble odyssée d'un pasteur du désert à la recherche de la liberté de conscience. Nous garantissons l'authenticité de ce récit. Notre mère nous l'a fait trop souvent au coin du feu, dans notre enfance, pour que nous ayons pu en oublier aucun épisode. Si cependant on mettait en doute la fidélité de notre mémoire, nous pourrions appeler en témoignage plus d'un vieillard qui a connu dans sa jeunesse le héros de cette biographie.


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