Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JAROUSSEAU
LE PASTEUR DU DÉSERT

AVANT-PROPOS

 


À ÉLISABETH-ANNE JAROUSSEAU
À la mère bonne et pieuse qui sut aimer entre toutes et faire le bien.


I. - Eugène Pelletan n'était âgé que de six ans, lors de la mort de son grand-père, le pasteur Jarousseau. Il n'avait donc pu le connaître. Mais combien de fois n'avait-il pas entendu évoquer, au foyer, un souvenir encore si proche et resté si vénéré. Les récits qu'il nous a livrés sont ceux qui avaient bercé son enfance et profondément impressionné son jeune cerveau. Il les avait recueillis sur les genoux de sa mère.

Dans quelle mesure cette tradition orale a-t-elle dénaturé ou, de bonne foi, embelli la véracité des faits? Dans quelle mesure l'imagination de l'écrivain, pour donner plus de vie à son récit, a-t-elle brodé sur la trame que la tradition lui avait fournie?
Ce sont là des questions que le lecteur de ce livre sera amené à se poser.
Un descendant du pasteur, mon oncle M. Georges Dusser, ancien commissaire de la Marine, s'est efforcé de les élucider dans un travail manuscrit que j'ai sous les yeux.

Ce travail est d'abord un témoignage, car M. Dusser a pu, dans sa jeunesse, connaître ceux qui avaient fait partie de l'entourage du pasteur : ses doux gendres, Hector et Benjamin Ardouin, puis Marie Gaillard, Annette et Desmarie Roux, qui avaient été à son service.

« Je revois bien distinctement, dit-il, avec leurs attitudes, les cinq bonnes silhouettes rangées en demi-cercle et comme accroupies sur leurs chaises basses, sous le pâle rayonnement des tisons du foyer, épargnant l'éclat de la lumière aux yeux affaiblis par l'âge. Le nom de Jarousseau revenait souvent sur leurs lèvres, toujours suivi des mêmes témoignages de respect et de vénération. Chacun apportait alors sa note au concert d'éloges. Puis les voix se taisaient, les 'fronts s'inclinaient à l'unisson pendant que les visages semblaient se couvrir d'un religieux recueillement comme si, sous l'empire mystique des communs souvenirs, chacun rendait intérieurement son culte à la mémoire du mort... »

Mais M. Dusser ne s'est pas borné à rappeler ses souvenirs. Il s'est livré, en historien sincère, à une patiente recherche dans les archives, dans les bibliothèques, dans les papiers de famille, s'efforçant d'y retrouver les traces du héros modeste et effacé qui, sans son petit-fils, serait resté sans doute le « mort inconnu » .
C'est à ce manuscrit de M. Dusser que j'emprunte les renseignements de cet avant-propos,

II.
- Jean Jarousseau descendait d'une famille qui avait, de très longue date, embrassé la religion réformée. Le nom de Jarousseau ou de Jarousseau se retrouve, en effet, à dix reprises sur le registre baptismal de Saintes de 1572 à 1614

Lui-même naquit en 1730 à Mainxe, petit village de l'Angoumois, à la lisière de la Saintonge, et centre ardent de calvinisme. On était au lendemain de la fameuse ordonnance du 14 mai 1724, et c'est dans une atmosphère de persécutions et d'angoisses que grandit le futur pasteur du désert. La révolte intérieure, qu'il dût éprouver décida, sans doute de bonne heure, sa vocation.

Pour s'y préparer, il devint alors le compagnon du pasteur Louis Gibert, qui multipliait ses tournées dans la région. Il put ainsi mesurer les fatigues et les dangers auxquels elle l'exposerait.

Louis Gibert avait été l'objet en 1752 d'un ordre venu de Paris qui enjoignait d' « arrêter ce prédicant des assemblées nocturnes pour en faire un exemple », et cet ordre n'ayant pu être exécuté, il avait été,condamné à mort par contumace, par le Présidial de la Rochelle. C'est poursuivi et traqué sans cesse qu'il continuait à accomplir sa mission, obligé de se dissimuler comme un criminel, de se méfier de chacun, car la législation rendait passible des galères les hommes et de la détention perpétuelle les femmes qui ne dénonçaient pas les prédicants.

Jarousseau était aux côtés de Gibert lors de l'assemblée nocturne qui se tint en 1754 dans la forêt du Valeret, au lieu dit « La Combe à la Bataille », et qui fut surprise par les dragons. Des fidèles y furent blessés ou tués, un grand nombre arrêtés. Jarousseau eut peine à s'échapper.
Mais l'expérience qu'il avait ainsi faite de l'apostolat ne fit que le confirmer dans sa voie.

Il obtint d'être admis à faire ses études à Lausanne, dans le séminaire qu'y avait fondé Antoine Court, et qui était la pépinière des pasteurs français. Il y accomplit un stage de trois ans.

Muni de son titre il se rendit, traversant à pied les Cévennes, auprès d'un homme qui a jeté sur cette période du désert le rayonnement que l'on sait : le pasteur Paul Rabaud, qui, menant la vie anxieuse qui était celle de tous les pasteurs d'alors, n'ayant, aux dires de son historiographe, « pendant plus de trente ans habité que des grottes, des huttes et des cabanes où on allait le relancer comme une bête féroce », ne se départit jamais de sa sérénité, répétant : « Quoiqu'il m'arrive, je suis aux ordres de la Providence. » Au sortir de Lausanne, les jeunes proposants allaient volontiers puiser des exemples auprès de cette grande figure.

Il se lia entre Jarousseau et Paul Rabaud une amitié qui devait être aussi longue que leur vie. S'ils n'eurent plus l'occasion de se rencontrer en dehors des grandes assemblées synodales, ils restèrent en correspondance suivie.

III.
- Jarousseau fut peu après agréé comme prédicant par le colloque de Saintonge. Mais ce ne fut que le 2 juin 1761 que le synode de Saintonge, Angoumois, Périgord et Bordeaux, réuni au Désert, et ayant pour modérateur le pasteur Dugas, le consacra solennellement au Saint Ministère.

Les pasteurs étaient encore peu nombreux en Saintonge et, pour satisfaire aux besoins des Églises disséminées, ils devaient sans cesse circuler d'une paroisse à l'autre. C'est ce rôle de « coureur ou d'intinérant » qui fut pendant quelques mois dévolu à Jarousseau.

Mais le 16 septembre 1761 le colloque décida de limiter le champ d'évangélisation des prédicants, sauf une exception pour Louis Gibert, toujours sous le coup de sa condamnation. Il divisa le territoire de la généralité en « quartiers », ainsi dénommés parce que chacun comprenait quatre Églises.

Jarousseau, sans doute en sa qualité de plus jeune, se vit attribuer deux quartiers. Il fut chargé de desservir les Églises de Cozes, Royan, Saint-Georges-de-Didonne, Meschers, Mortagne, Saint-Fort, Gernozac et Pons : circonscription fort étendue puisque les deux extrémités en étaient séparées par plus de quarante kilomètres. Les synodes la modifièrent quelque eu parla suite. Mais ce ne fut que beaucoup plus tard, quand le pasteur eut vieilli et se trouva fatigué, qu'elle se trouva diminuée.

Pour se rendre compte combien pénible devait être alors la vie des pasteurs, il faut imaginer Jarousseau, sellant sa jument Misère et se mettant en route sous le soleil ou sous la pluie, par tous les temps, chaque fois qu'il était fait appel à son assistance spirituelle sur l'un des points de son double quartier. Les chemins étaient rares et mal entretenus. Il y avait lieu de redouter les loups, qui pullulèrent en Saintonge jusqu'à la fin de la Restauration, et aussi les malandrins qui multipliaient leurs exploits dans la contrée.

On doit cependant à la vérité historique de reconnaître que lorsque Jarousseau entra en fonctions, la période héroïque du pastorat du Désert, celle que lui-même avait vécue aux côtés de Gibert et de Rabaud, était passée. Sans doute rien n'avait-il été abrégé de l'ancienne législation concernant les protestants, mais sous la pression 'de l'opinion publique, elle n'était plus appliquée, au moins en Saintonge, avec l'ancienne rigueur. Si bien qu'Étienne Gibert pouvait écrire dès 1763 à Paul Rabaud : « Les protestants de Saintonge jouissent maintenant d'une souveraine tranquillité. »

Un homme, auquel il faut rendre hommage, avait été l'artisan de cette politique nouvelle. C'était le marquis de Senneterre, qui' depuis 1755, exerçait le commandement en chef des pays d'Aunis et de Saintonge, et celui des côtes du Poitou. Il avait pu apprécier, lorsqu'il assura pendant la Guerre de Sept ans la défense du littoral de ces trois provinces, le patriotisme des miliciens gardes-côtes dont la plupart étaient protestants; sa bienveillance s'exerça depuis lors en faveur des réformés, et on en trouve la preuve dans les procès-verbaux des délibérations des synodes qui avaient ordonné d'ajouter à la liturgie dominicale la prière suivante : « Seigneur, bous t'invoquons particulièrement pour M. le Maréchal de Senneterre. Bénis ce respectable vieillard que l'amour de la paix et de l'ordre, ainsi que l'esprit de tolérance, rendent si chers à tous ceux qui vivent sous son gouvernement. Soutiens sa santé et fais-le parvenir jusqu'aux limites les plus reculées de la vie humaine. »

Le maréchal, qui avait son château à Didonne et habitait, eut en raison de cette circonstance l'occasion de voir souvent le pasteur Jarousseau, d'apprécier la droiture et l'élévation de son caractère. Il le prit sous sa protection particulière.

Il est vrai que parallèlement, à l'autorité du maréchal, qui était en principe purement militaire, s'exerçait l'autorité administrative des intendants, qui était moins paternelle. Jarousseau, qui restait hors la loi, fut donc contraint de prendre certaines précautions. Mais sa cachette, dont on montre aujourd'hui encore l'emplacement dans la maison familiale, ne dut lui servir que lors de la visite des détachements de la maréchaussée, visite qui avait lieu « au son du tambour », comme pour avertir les habitants de se tenir sur leurs gardes.

Le culte, à cette époque, put se célébrer dans des « maisons d'oraison », dont un procès-verbal, conservé aux archives de la Charente-Inférieure, donne la liste et la description. C'est ainsi qu'à Didonne, par exemple, le pasteur officiait dans l'ancienne grange à boeufs de la Frenière, « longue de 30 pieds et large de 25 ». « Ceux de Royan et des environs, écrivait en 1772 l'intendant de la Rochelle, n'ont point tendu devant leurs portes le jour de la procession du Saint-Sacrement. Ils ont des ministres, un temple où ils font leurs exercices, baptisent et marient, ainsi qu'un cimetière où ils enterrent leurs morts. »

Certaines de ces maisons d'oraison furent fermées administrativement pendant le pastorat de Jarousseau, -,par exemple celle de Gemozac (1763) Ou celle de Royan (1773). En 177 6, à la veille de la Révolution, M. Gautriaud, subdélégué de l'intendant de Saintes, visita le temple de Didonne en même temps que ceux de la région et notifia aux fidèles qu'ils eussent à les détruire ou à les affecter à un autre usage, ordre qui ne paraît pas d'ailleurs avoir été exécuté. Mais c'étaient là les dernières étincelles de la persécution.

Il est donc peu vraisemblable qu'il y ait eu pendant cette période des assemblées au désert dans les dunes de Saint-Georges, non plus que des prêches en mer, et que Jarousseau ait eu à connaître à nouveau les émotions qu'il avait éprouvées dans la forêt du Valeret, du temps qu'il était le second de Louis Gibert.

Le pasteur eut donc une vie relativement paisible, que ses devanciers avaient ignoré.
Il avait épousé le 4 janvier 1767 Anne Lavocat, veuve d'un « officier sur les navires marchands », et cette union avait été bénie par le pasteur Dugas, au temple de Didonne, ainsi qu'il appert de l'acte de mariage conservé aux archives de la mairie de Saint-Georges. Elle lui avait apporté une modeste aisance, et notamment une métairie à Chenaumoine, ainsi que la petite maison que décrit Eugène Pelletan. Jarousseau put y résider et y fonder une famille, sans être contraint à la vie errante et traquée qui avait été celle des Gibert et des Rabaud, et que lui-même avait menée dans sa jeunesse.

Son nom revient fréquemment dans les procès-verbaux des délibérations des colloques et des synodes et où il fut assidu. On l'y voir figurer tour à tour comme modérateur, morateur adjudant, secrétaire, ou simple membre.
Fit-il un voyage à Paris, au cours duquel il put obtenir une audience du roi, et rencontrer Franklin et Parmentier? La tradition familiale, recueillie par M. Dusser, l'affirme. En tous cas il fut certainement l'introducteur à Saint-Georges et peut-être même dans la région, de la parmentière. Il cultivait dans son jardin la variété dite « violette marbrée ».

Il assista à la Révolution française et eut, détail curieux, l'occasion, en 179 3, de sauver, en lui offrant un refuge dans sa cachette, le curé de Saint-Georges, poursuivi par les Jacobins du village. Il avait trop souffert de la persécution pour ne point en protéger même celui qui avait été son adversaire.
Il ne mourut que le 18 juin 1819 à Chenaumoine.

IV.
- Le livre d'Eugène Pelletan, qui d'ailleurs affecte à dessein la forme du roman et se garde de prendre les allures d'un compte-rendu, peut être controuvé dans certains détails.

La peinture qu'il trace de son héros, qui fut un homme digne et simple, loyal dans sa foi et d'une inaltérable bonté, reste cependant véridique.

Les événements du récit ont pu ne pas se passer exactement au lieu ou à l'époque où l'auteur les a situés, mais ils ont, pour la plupart, une base dans là réalité. Dans la mesure où ils ont pu être enjolivés, c'est sans s'écarter de la vraisemblance historique.
L'ouvrage mérite donc d'être considéré comme une peinture fidèle dans son ensemble, et dont en tous cas aucune partialité n'a forcé les couleurs, de ce qu'a pu être la vie d'un pasteur du désert, en Saintonge, à l'époque où l'Église était sous la croix.

J.-P. COULON.


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