Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Un Gagneur d'Âmes:
CÉSAR MALAN

PREMIÈRE PARTIE: CÉSAR MALAN ET L'EGLISE DU TÉMOIGNAGE

CHAPITRE III
LE RÉVEIL ET LES LUTTES

 Un jeune homme aimable
L'on connaît le mot rude que Dorothée Trüdel opposa à celui qui lui amenait Arnold Bovet dans sa maison de guérison par la foi. Alors qu'on exaltait devant elle les qualités de « ce jeune homme si aimable », elle s'écria : « Ah ! l'enfer en est plein, de ces jeunes gens aimables ! » C'est que, dans le sanctuaire de Mânnedorf, on ne se payait pas de mots.

Essayons donc, nous aussi, de distinguer nettement ce que valait, pour l'exercice du ministère pastoral, le jeune homme si aimable dont nous avons déjà esquissé le portrait. Courons en hâte vers la personnalité religieuse et la foi de ce jeune pasteur, puisqu'au fond, c'est là ce qui prime le reste.

Nous avons déjà noté la forte empreinte que la piété maternelle avait mise sur son âme d'enfant. La vérité centrale de l'Évangile : la divinité éternelle de Jésus-Christ avait, certes, trouvé un abri dans cette âme confiante, mais l'abri froid d'un tombeau : quant aux études de théologie, elles avaient peut-être fait surgir, autour de ce tombeau, quelques fleurs ravissantes, mais elles n'avaient pu amener à la vie les germes enfouis d'une éducation pieuse.

mais ignorant de Christ
C'est en regardant à cette époque que Malan lui-même confessait : « Lorsque je fus consacré dans l'Eglise de Genève en 1810, j'étais dans la plus profonde ignorance de la vérité telle qu'elle est en Christ. Je demeurai dans ces ténèbres jusqu'en 1814, époque où je commençai à croire que le Seigneur Jésus est Dieu. » Dans les premières années de son ministère, se place en effet un incident comme il plaît souvent à Dieu d'en produire dans la vie de ses meilleurs serviteurs. Malan était allé prêcher dans un village du canton de Vaud « Au sortir de l'église, raconte Malan, le pasteur vint à moi d'un air triste et sévère, et ne me dit d'abord que ces mots : " Monsieur, il m'a paru que vous ne savez pas que, pour convertir autrui, il faut d'abord être converti soi-même. Votre sermon n'est pas chrétien, et j'espère que mes paroissiens ne l'auront pas compris!
Paroles salutaires ! Ce furent elles, et tout ce que ce fidèle serviteur de Christ y joignit ensuite, qui me firent comprendre ce qu'est, en effet, un chrétien. »

L'appel de Dieu
Aucun document ne rappelle le nom de ce pasteur : il est dans la manière de Dieu de laisser souvent dans l'anonymat les instruments dont il se sert pour promouvoir une forte personnalité chrétienne. L'Esprit de Dieu besogna dur dans l'âme du jeune pasteur : mais ce n'est guère qu'autour des années 1813 et 1814 qu'il constata que cette vérité devenait vivante pour son coeur.

« Je commençai aussi alors à discerner la grâce et la justification par la foi sans les oeuvres. Galland me parlait souvent, et je me voyais moi-même dans les méditations que je faisais aux « prières » de la semaine, arriver par degrés à cette vérité que l'homme n'est justifié que par la foi. »
Nous sommes en 1815 et déjà Malan recevait de quelques-uns de ses supérieurs, des avertissements et des reproches pour la diffusion qu'il faisait de ses propres découvertes ! On peut mesurer le chemin parcouru en relevant l'analyse de sermons prêchés par lui avant cette époque. En 1813, s'appuyant sur Philippiens 3 : 13-14, il proclamait « l'innocence naturelle de l'homme et la justification du pécheur par ses oeuvres et ses vertus », et concluait ainsi : « En voyant les vertus que vous aurez acquises vous ouvrir sans peine la route à de nouvelles vertus, vous goûterez des délices secrètes et qu'on ne saurait exprimer. Le sentiment de vos progrès remplira vos coeurs d'un doux espoir, et ce sera ainsi qu'en augmentant chaque jour votre précieux trésor, ce trésor épuré par le feu, avec lequel on achète l'immortalité, vous verrez arriver, pleins de célestes émotions, l'heure fortunée où vous remettrez au Créateur votre âme embellie de vertus. » Et ceci n'est qu'un exemple.
C'est par une exagération bien protestante de sens individuel qu'il pouvait dire d'une telle prédication : « C'est la Parole de Dieu même, que vous ne saurez mépriser sans crime ni rejeter sans danger. » On comprend que Malan ait pu prononcer, plus tard, ce verdict sur lui-même : « J'étais ministre depuis plusieurs années, que mon oeuvre était encore celle d'un jeune homme entièrement étranger à la doctrine évangélique du salut par grâce, et qui établissait les mérites de la justice de l'homme, flattait ses vertus et lui montrait le ciel comme la récompense infaillible de ses efforts.

Messager sans message
N'ayant pas même l'idée de cette justice de Dieu qui, par la foi en Jésus-Christ, s'étend à tous et sur tous ceux qui croient, je n'avais pas la pensée que je m'y opposasse. J'étais dans l'ignorance la plus calme, et sans la moindre inquiétude sur la nature de ma religion. Je parlais comme je sentais, comme j'avais été enseigné, et avec toute la ferveur et la vivacité de la jeunesse; prêchant un Dieu et un Sauveur inconnus, et ne produisant, au lieu du témoignage du Saint-Esprit, que la morale de la raison, que les mensonges d'un coeur incrédule. »

Le Dieu de la conscience
Pourtant, de cette période, ressortent deux traits importants pour la compréhension de l'attitude postérieure de Malan : d'une part, Dieu est, à cette époque, pour la foi de Malan, le Dieu vivant de la conscience, longtemps avant de devenir, pour son coeur de chrétien, le Dieu de l'amour souverain et du pardon gratuit.

Le besoin d'absolu
D'autre part, toute conviction religieuse revêt déjà chez lui un caractère d'autorité et une forme dogmatique. Ce qu'il croit est déjà pour lui « vérité de Dieu » qu'il doit proclamer et qu'on doit accepter comme telle. Il était une de ces grandes âmes religieuses pour lesquelles il semble que l'absolu soit un besoin, qui ne respirent à l'aise que dans cette atmosphère. Ce trait de caractère devait marquer toute sa vie religieuse, pensée et action, et en expliquer l'absolue indépendance.

Un craignant Dieu
Nous emprunterions volontiers au langage du XVI° siècle le qualificatif qui nous paraît le mieux convenir à cette personnalité : celui de « craignant Dieu »... La sainte et aimante « crainte de Dieu », qui fit les héros du XVI° siècle, qui les courbait comme des enfants et les redressait comme des soldats au port d'armes devant la volonté absolument libre et efficace du Dieu vivant et vrai, remplit de bonne heure l'âme de Malan et fut sous-jacente à toute sa vie religieuse. De là une fermeté, une clarté qui enlevait à sa conduite jusqu'à l'apparence de l'hésitation, et une fidélité du coeur qui, désormais, empêcha un seul doute d'obscurcir sa pensée religieuse. Cette marche simple, indépendante, assurée, supérieure explique l'opposition qu'il souleva dans ce monde religieux « ondoyant et divers » de la Genève de l'époque.

1816, l'Année de la Délivrance
En 1816 Dieu fit, au jeune prédicateur, l'immense grâce de ne plus prêcher « un Dieu et un Sauveur inconnus ». Cette date fut, selon ses propres termes, « l'année de la délivrance ». Au début de cette année, il se lia avec deux étrangers pieux, De Sack, de Berlin, et Wendt, pasteur luthérien, à Genève.
« - Un soir, écrit-il, la lecture du 5e chapitre des Romains, que faisait Ch. de Sack dans sa chambre, à la Grand'Rue, produisit sur moi une impression très vive, en particulier le verset 10 : « Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant déjà réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie. » De la même époque, cet autre témoignage : « Un jour que je lisais l'Évangile à mon pupitre, dans la classe, pendant que les écoliers faisaient un devoir, - c'était l'après-midi, - je lus le 2° chapitre des Ephésiens, et quand j'arrivai à cette parole : « Vous êtes sauvés par grâce, par la foi; cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu ! », le livre me sembla lumineux, et je fus si vivement ému, que je dus sortir dans la Cour du Collège, où je marchai en m'écriant : « Je suis sauvé ! Je suis sauvé ! »

«Je suis savé!»
Malan comparait sa conversion à ce qu'éprouve un enfant réveillé par un baiser de sa mère. En la rappelant bien des années près, il soulignait l'exactitude de l'image. « Je ne puis reporter ma pensée à ce temps béni de mon pèlerinage ici-bas, sans magnifier la tendre compassion du Seigneur qui m'a épargné les craintes, le trouble et les doutes pénibles par où passent tant d'âmes avant que de parvenir à la paix que donne la foi.

Aussi calme qu'elle fût en apparence, elle n'en marqua pas moins le départ d'une vie nouvelle. Certes, cette conversion n'apparut pas au dehors comme une de ces réformes éclatantes du caractère et des moeurs qui s'imposent aux indifférents eux-mêmes. Le message du « salut par grâce » rencontra dans Malan un jeune homme religieux, d'une moralité sévère, aux allures franches et aux actes tournés vers le bien. Le changement provoqué fut donc le passage d'une vie morale et ordinairement religieuse, à une vie de l'Esprit et nouvelle au sens propre de l'Évangile.

Le Dieu de la Grâce
Ce qui saisit Malan, ce fut cette proclamation d'un salut accompli en dehors de lui et pour lui : Dieu se présenta comme le Dieu de l'initiative souveraine, comme le Dieu « de la grâce », à une âme trop ornée de vertus et trop sûre de ses efforts pour aller, d'elle-même, à la recherche de cette grâce. Cette nouvelle naissance fut bien au pied de la lettre, une création nouvelle, un fait entièrement, essentiellement et absolument nouveau. Non le couronnement des actes religieux d'un homme s'élevant jusqu'à Dieu, mais le miracle et la folie d'un Amour divin qui s'abaisse jusqu'à l'homme détourné et déchu de ses célestes origines.

Le Don de Dieu
« Cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu » : cette parole de l'Écriture, messagère de la grâce, allait faire de Malan, né à la vie nouvelle de la foi, le champion de la libre et souveraine grâce de Dieu. Il faut noter attentivement ce fait si l'on veut comprendre toute l'attitude future de notre héros, toutes ses réactions en présence d'une opposition farouche et partiale, si l'on ne veut pas être injuste en examinant sa vie.

CERTIFICAT DE FILIATION DE CESAR MALAN

Le changement opéré entraîna, chez Malan, une rupture totale avec le passé. L'absolutisme dont il marqua désormais ses paroles et ses rapports avec autrui, il se l'imposa à lui-même dès le départ : dès les premiers pas où sa piété l'engage, il manifeste une décision sans compromis.

Pas de compromis
Aussitôt qu'il eut reçu, de la Parole de Dieu, les impressions décrites plus haut, non seulement il' n'hésita pas à détruire tous ses manuscrits, mais il mit au feu une collection d'auteurs classiques qu'il avait laborieusement formée, et qui avait été, jusque-là, son plus précieux trésor. Sans doute, le retrouvera-t-on plus tard mettant ces mêmes classiques entre les mains de ses fils : mais il n'en reprit jamais, pour lui-même, la lecture.
La Parole de Dieu n'était pour lui nulle part ailleurs que dans l'Écriture; le service de Dieu était essentiellement la prédication de cette Parole : à cela seul, il consacra sa vie tout entière.
Saisi par un tel message, Malan ne pouvait demeurer longtemps sans témoigner hautement et devant tous de sa foi. Déjà, le 15 décembre 1816 et le 19 janvier 1817, il prêcha à la campagne son fameux sermon : « L'homme ne peut être justifié que par la foi. »

Malan prédicateur de la Grâce
Il y avait cependant quelque hésitation dans sa foi : « J'étais dans la foi, écrit-il, mais je n'était pas « affranchi », et je reçus cette dernière bénédiction pendant que R. Haldane, que j'aime comme un père, m'enseignait plus exactement dans la voie de Dieu, ce qui eut lieu au commencement de 1817, époque à laquelle je fis aussi la connaissance du Dr Mason et du Révérend Bruen, de New-York, avec lesquels je lisais et méditais la Parole de Dieu. »

Influence de R. Haldane
Dans une lettre à un ami d'Écosse, il précisait : « Il plut à Dieu de rendre mon âme attentive aux pieux enseignements d'un Apollos venu de votre propre pays, et qui me montra, d'après les Écritures, toute la valeur de la perle de grand prix. J'en fus enrichi, et dès ce bienheureux moment, le monde et le ciel, cette vie et l'éternité, l'homme et son Dieu, se présentèrent à mon esprit sous des relations toutes nouvelles. Ce fut une résurrection de tout mon être intellectuel et moral. La Bible m'enseigna que la durée de ce monde est peu de chose auprès de l'éternité; et la vie de l'homme n'eut de réalité à mes yeux qu'autant que je la vis en Dieu, avec le Sauveur. Hors de Christ, tout me devint mort, et dès ce temps-là, je méprisai plusieurs branches de l'instruction ordinaire, parce qu'il me parut impossible de les rattacher à la vie véritable, à l'existence de l'âme dans ce royaume éternel que l'Évangile m'avait appris à connaître et à aimer comme une véritable patrie. »

C'est à la parole de cet homme apostolique que Malan dut, ainsi que Gaussen, l'affermissement de ce sentiment de vivante et joyeuse espérance à l'égard du salut, qui fut le caractère constant de sa piété.

15 mars 1817: un sermon explosif
Le biographe des frères Haldane s'exprime ainsi au sujet de Malan : « Ce fut le 15 mars 1817 que Dieu accorda à Malan la grâce d'être le premier à relever publiquement de la poussière l'étendard fané de l'Eglise de Genève, et de proclamer courageusement, du haut de la chaire de Calvin, sans réserve et sans compromis, cet Évangile dont les échos avaient, dès longtemps, cessé de s'y faire entendre dans les temples. »

C'est à l'occasion des fêtes de Pâques, en mars 1817, que Malan prononça, dans une chaire de Genève, le sermon sur « la justification par la foi » qu'il avait déjà donné dans quelques paroisses de campagne. Cette prédication fut un événement dans l'histoire religieuse de Genève. « Je prêchai, raconte Malan, dans un grand temple (le temple de la Madeleine), qui était cependant trop petit pour l'auditoire qui s'y pressait. C'était vers le soir, et l'obscurité du lieu ajoutait à la solennité de l'appel que, pour la première fois, j'adressai à la conscience des incrédules et des Pharisiens. On m'écouta d'abord dans le plus profond silence, niais ce calme était celui de la surprise et du déplaisir. Des signes de mécontentement se montrèrent ici et là à mesure que je manifestais la fausseté de la justice de l'homme et que j'exaltais celle de Dieu, par la seule foi en Jésus. On en vint jusqu'à murmurer; on s'agitait; et, lorsque, montrant de la main la muraille qui était à droite de la chaire, je dis avec fermeté : « Si, dans ce moment, la main mystérieuse qui jadis, à Babylone, au milieu de la licence d'un festin impie, écrivait en silence sur la muraille l'arrêt de mort d'un roi vicieux; si cette main s'avançait et qu'elle traçât sur cette paroi l'histoire de votre vie depuis que vous avez juré de la rendre pure; si ces lignes véridiques révélaient ici ce que vous avez fait et pensé loin des regards des hommes et dans le secret de votre coeur, dites !... quel est celui de vous qui osât même y porter les yeux ?... Cette supposition seule ne vous fait-elle pas frémir ? »... En ce moment-là, plusieurs des auditeurs regardèrent comme à la dérobée vers la muraille, d'autres levèrent les épaules. L'impatience éclata tout à fait lorsque, quelques moments après, m'adressant au pêcheur qui prétendait mériter le salut par ses vertus, je m'écriai : « Cherche donc encore, pécheur qui t'éloignes de Christ !... Cherche autour de toi, cherche en toi-même... Fouille et refouille tout ton être !... Qu'y trouves-tu ? dis ! qu'as-tu qui puisse être offert à Dieu... » A ces appels, répondit un mouvement de dépit dans l'assemblée. Quand le prédicateur descendit de la chaire, il traversa la foule de ses concitoyens « comme un soldat qui est passé par les baguettes, ou comme un malfaiteur portant une torche d'infamie. »

Cette exposition éloquente et claire de l'Évangile de la grâce détourna de Malan ses propres parents. Sa femme elle-même fut profondément affligée : leur riant avenir lui parut faire naufrage. Malan rentra donc chez lui, couvert de mépris, accablé. Mais, sur le seuil de sa porte, il rencontra Robert Haldane, qui lui dit, en lui serrant la main avec infiniment de bienveillance : « Béni soit Dieu ! l'Évangile est de nouveau prêché dans Genève ! »

L'opposition
L'opposition ne tarda pas à se manifester violemment. Dès le lendemain, le pasteur Chenevière, délégué par la Compagnie des Pasteurs, vint prier le jeune ministre « de changer sa doctrine, vu le danger qu'il y avait à prêcher que les bonnes oeuvres ne sont pas nécessaires à l'acquisition du salut »... Il répondit que telle était sa foi. Dés lors, la chaire lui fut refusée par les pasteurs de la ville et par la plupart de ceux de la campagne.

Cette opposition ne pouvait tarir le désir ardent qu'il avait de proclamer à ses concitoyens les vérités de la Grâce, « J'étais persuadé que l'allégresse qui remplissait mon âme à la vue de la grâce de Dieu en Jésus, serait partagée par tous ceux qui l'entendraient et que tous, ravis de la bonne nouvelle du salut, s'empresseraient de renoncer à leurs erreurs et à leur vaine justice. » D'autre part, la pensée d'une séparation d'avec l'Eglise officielle n'effleurait même pas son esprit. En juillet de la même année, des offres brillantes lui furent faites de « former une Église à Genève en se déclarant pasteur des frères qui se réunissaient alors en dehors de l'Église officielle. » Il les refusa. « Dans ces petites assemblées, écrit-il, je crus trouver plus de sensation que de vérité; aussi détournai-je ceux de ma famille qui m'en parlèrent, et leur déclarai-je que je n'approuvais pas la doctrine que j'y avais entendue et encore moins les cantiques qu'on y avait chantés. »

Le règlement du 3 mai 1817
En raison de ces incidents, la Compagnie des pasteurs de Genève crut devoir promulguer, le 3 mai 1817, le règlement suivant, qui laissera rêveur tout lecteur consciencieux et quelque peu instruit des principes fondamentaux de l'Eglise Réformée.

« La Compagnie de l'Eglise de Genève, pénétrée d'un esprit d'humilité, de paix et de charité chrétienne, et convaincue que les circonstances où se trouve l'Église confiée à ses soins exigent de sa part des mesures de sagesse et de prudence, arrête, sans prétendre porter aucun jugement sur le fond des questions suivantes, et sans gêner en aucune manière la liberté des opinions, de faire prendre, soit aux proposants qui demanderont à être consacrés au saint ministère, soit aux ministres qui aspireront à exercer dans l'Eglise de Genève, les fonctions pastorales, l'engagement dont voici la teneur :

Nous promettons de nous abstenir, tant que nous résiderons et que nous prêcherons dans les Églises du canton de Genève, d'établir, soit par un discours entier, soit par une partie de discours dirigé vers ce but, notre opinion :

1° sur la manière dont la nature divine est unie à la personne de Jésus-Christ;
2° sur le péché originel;
3° sur la manière dont la grâce opère, ou sur la grâce efficiente ;
4° sur la prédestination. Nous promettons aussi de ne point combattre, dans des discours publics, l'opinion de quelque pasteur ou ministre sur ces matières.

Enfin, nous nous engageons, si nous sommes conduits à émettre notre pensée sur l'un de ces sujets, à le faire sans abonder dans notre sens, en évitant les expressions étrangères aux Saintes Écritures, et nous servant, autant que possible, des termes qu'elles emploient. »
On commença par tenir cet arrêté secret, auquel trois pasteurs de la Compagnie avaient d'ailleurs refusé leur assentiment. Quant à Malan, que sa qualité de simple ministre écartait de la Compagnie, il n'en eut connaissance que par un tiers, mais se promit bien de protester à la première occasion. Les conseils du vénéré pasteur Cellérier, de Satigny, contribuèrent à tempérer l'expression de ses sentiments à ce sujet, sans cependant en changer le fond.

Tenir
Le 23 mai arriva, jour de la censure annuelle des ministres, où l'on lut et présenta le Règlement à l'acceptation des ministres, Malan était si ému que sa femme, désormais gagnée à ses sentiments, lui fit parvenir un billet portant ces mots : « Aujourd'hui est le point où tu dois donner gloire au Seigneur; tiens donc ce que tu lui as promis, et ne crains rien ! »
Malan reçut, à cette séance, les félicitations de la Compagnie pour son enseignement au Collège ; mais quand voulut prendre la parole sur le Projet de règlement, on la lui refusa de la façon la plus péremptoire. Il ne put qu'annoncer « qu'il ne se soumettrait en aucune manière à ce règlement ».

La chaire refusée
Huit jours après, il écrivait à la Compagnie « qu'il n'en demeurait pas moins prêt à déférer à toutes ses décisions, pour tout ce qui concernait la conduite extérieure de l'Eglise » et demandait la chaire pour le 8 juin. Le Modérateur de la Compagnie lui fit connaître que le Corps qu'il présidait « refusait de recevoir sa protestation ;... que la chaire lui était également refusée, à moins qu'il ne se soumît au Règlement.., que la Compagnie regarderait une demande de la chaire de sa part comme une soumission... »

« Ce fut alors, écrit C. Malan, que je commençai à regarder, non plus uniquement à la Bible et à la sainte volonté du Seigneur, mais aussi à mes amis et à leur chagrin. En conséquence, d'après leur conseil, je consentis à demander la chaire, en assurant M. le Modérateur que le sermon que je voulais prêcher n'aurait rien qui ne fût selon l'esprit du règlement. » Cette requête ne fut pas accueillie. Et même une nouvelle lettre du 1° août, par laquelle Malan retira cette requête en protestant toutefois contre les accusations légères de « dissidence » qu'on lançait contre lui, ne fut pas même lue en Compagnie. Cette situation tendue, entre lui et la Compagnie, se maintint pendant plus d'une année.

Prédication à Ferney. Eclole du dimanche à Genève
Malan, ne trouvant plus de chaire ouverte dans Genève et plus que jamais pressé du besoin de répandre autour de lui la foi qui l'animait, commença à prêcher à Ferney-Voltaire, sur la frontière française: Il établit aussi une école du dimanche dans le local de sa classe au Collège. Cette école compta bientôt 250 jeunes gens. Cinq mois après, la Compagnie lui interdit l'usage de ce local; et même quand Malan, après une interruption d'un an, rouvrit son école en novembre 1818 dans sa Maison du Pré-l'Évêque, la Compagnie enjoignit aux pasteurs d'user de toute leur influence pour détourner de cette école leurs jeunes paroissiens, Malgré cela, l'école compta bientôt deux classes, une pour les filles et l'autre pour les garçons, chacune de plus de 60 enfants. C'est pour ces classes qu'il publia, en 1818, un petit Catéchisme en 71 demandes et réponses, intitulé : « Le Petit garçon chrétien »; « la Petite fille chrétienne ».

Les événements d'alors obligèrent Malan à un sacrifice qui dut lui coûter beaucoup. En 1816, il avait, en effet, fondé, dans l'étage supérieur de son logement de régent, un Asile ou oeuvre des filles du repentir pour la direction duquel il s'était associé Mesdames Pictet-de-Rochemont et Lullin et que, de concert avec elles, il entretenait à l'aide de fonds collectés par lui, soit dans Genève, soit à l'étranger. Malan prêchait là chaque dimanche ; deux ans plus tard, quand il fut renvoyé de sa place de régent, il dut abandonner 1'oeuvre qui lui était si chère et où son ministère avait déjà été abondamment béni.

Ainsi dépouillé d'activités bien chères à son coeur ardent, Malan se replia sur une étude approfondie de l'Évangile; mais il sentait toujours très péniblement son exclusion des chaires. De plusieurs côtés, on le pressait de se soumettre au règlement et de dissocier cette soumission d'avec les scrupules de sa conscience religieuse.

« Dieu seul connaît dans quels combats je me trouvais, moi, jeune ministre encore, si mal affermi dans la connaissance des Saintes Lettres; - et sollicité si fortement à céder aux démonstrations de zèle et d'amour dont on m'entourait. » À l'un des plus pressants solliciteurs, Malan répondit : « J'agis d'après ma foi, sans juger ni anathématiser aucun individu, mais en croyant que c'est la vérité. Mon premier besoin, comme ministre de Dieu, est de prêcher les vérités en question. »

Une lettre prématurée
Cependant, ces démarches instantes d'un aîné auprès d'un jeune, jointes à des interprétations un peu précipitées des sentiments de la Compagnie des pasteurs, arrachèrent au jeune pasteur la lettre du 6 mai 1818 où son caractère généreux et trop confiant l'amena à déclarer : « J'ai péché contre vous, mes Frères, par un déplorable esprit d'exclusion qui n'était point la sagesse qui vient d'En-Haut... Si je ne puis approuver un règlement qui n'est pas selon mes principes, je veux m'y soumettre, afin que la paix ne soit plus troublée. Oui, mes Frères, la charité mutuelle vaut mieux que le triomphe des. opinions, même les plus légitimes; je l'ai senti, je vous le prouverai. » De cette lettre, Malan dira lui-même plus tard qu'elle provenait plutôt « du coeur du jeune disciple, et en quelque sorte, de l'enfant des pasteurs, que de l'esprit calme et prudent du ministre de Dieu ». Son ami, J.-A. Bost, la considéra comme la marque d'une vacillation de principes, même d'une chute !...

Malan ne tarda pas à s'apercevoir que sa confiance « avait alors été surprise ». Cette lettre lui rendit l'usage de la chaire : il prêcha deux fois en mai et août sur Matthieu 26: 40 et Jacques 2: 14, et ces deux prédications eurent un retentissement extraordinaire. Mais il fut accusé du « parti pris de dogmatiser», de porter en chaire des « subtilités théologiques ». « Après cette prédication, dit Malan, au lieu de cet intérêt et de cette tendresse qui m'avaient entouré de la part de beaucoup de pasteurs, je n'éprouvai, de leur part, que de l'éloignement, des reproches et des accusations. »

Interdiction totale des chaires
La Compagnie, en effet, décréta que les chaires seraient définitivement interdites à Malan, soit dans la ville, soit à la campagne. Décidée à ne plus le ménager, elle se refusa absolument à l'entendre, ou mieux, comme il le lui offrait, à prendre connaissance de ses sermons avant qu'il les prononçât. Malan protesta, mais en vain, contre l'interdiction dont il était ainsi frappé.

Opposition au Collège
Mais l'opposition se manifesta aussi sur un autre terrain. Malan occupait un poste de régent au Collège. La Compagnie académique, alors dépendance immédiate de la Compagnie des pasteurs, se mit à lui faire des représentations toujours plus menaçantes au sujet de son enseignement.

Le 24 août (15 jours après l'arrêté lui fermant toutes les chaires), Malan fut mandé devant le Modérateur et le Recteur et, au mois de septembre, pressentant les décisions prochaines, il leur écrivit « qu'il s'en remettait au Seigneur Jésus, qui prendrait soin du père de famille destitué de son emploi». (Il avait alors cinq enfants).

Malan éducateur
Il convient ici d'aborder Malan éducateur. Nous trouvons ses directives nettement exposées dans une lettre à J. Campbell : après avoir indiqué qu'au temps où il était chrétien comme on l'est dans le monde, l'éducation n'avait d'autre sens pour lui que de former les citoyens les plus utiles ou les caractères les plus distingués, il poursuit : « Quel homme craignant Dieu, comme l'Évangile enseigne à le craindre, ne frémirait à la vue de ces vastes manufactures d'éducation terrestre, de ces ateliers de raison et de vertu, où l'intelligence n'est rendue capable que d'elle-même, où le coeur n'est tourné que vers la création !... C'était cependant de la sorte que je conduisais mon école. L'émulation, c'est-à-dire l'orgueil dans toute sa puissance, en était le mobile. La honte et les châtiments pour les lâches, les éloges et les récompenses pour les plus ardents... Et c'était alors, mon ami, qu'on me louait comme un maître intelligent, et que les parents de mes écoliers s'unissaient à mes supérieurs pour encenser mes rares talents dans la conduite de mes disciples.

« Dans ce temps-là, il plut à Dieu d'éclairer mon âme. Les enfants revêtirent aussitôt à mes yeux un tout autre caractère. Jusqu'alors, je n'avais vu chez eux que des membres de la société de ce monde, que des hommes encore faibles. Ce fut, dès lors, comme des êtres immortels que je les considérai, et, par conséquent, comme devant être ou citoyens des cieux, ou héritiers de la colère; et cette solennelle pensée donna à mes principes et à mes instructions une direction totalement opposée à celle que j'avais précédemment suivie... La droiture naturelle de l'homme; son égale aptitude au bien et au mal; la certitude de son intelligence dans la recherche et la découverte de la Vérité; sa perfectibilité à l'infini... tout cela se montra à moi sous son vrai jour. Je vis dans la Bible que Dieu, qui sait ce qui en est, nomme cette sagesse : folie !

Un pédagogue chrétien
« Vous pouvez comprendre, mon bien honorable ami, que cette révolution totale opérée dans mes vues dut en produire une tout aussi grande dans la direction de mes élèves. J'estimai que je leur devais la Vérité telle que Dieu l'a donnée à l'homme par Son Fils, et je la leur mis entre les mains. La Sainte Bible fut introduite dans mon école. Chaque enfant eut la sienne; la mienne était toujours sur ma table; et ce Livre de sagesse et de bénédiction éternelle devint pour nous tous ensemble le trésor chaque jour ouvert où nous puisions la solide science.

« Et quel changement s'opéra, même en peu de temps, dans toute l'habitude de l'école ! Quelques principes vrais, inculqués à l'enfant comme axiomes de sa conduite, avaient suffi, dans la force de Dieu, pour l'opérer. Je m'étais attaché surtout à pénétrer les enfants de la nécessité où ils étaient d'être renouvelés, dans leur coeur et dans leur entendement, par l'efficace de l'Esprit de Dieu, avant qu'ils pussent comprendre et acquérir aucune véritable et solide vertu, c'est-à-dire aucune sainteté, Il exista bientôt, entre mes élèves et moi, une telle communion d'esprit, une telle ouverture de coeur, qu'on eût dit que nous étions plutôt des amis et des parents que des écoliers et un maître. Je les avertissais de leurs défauts, mais je ne m'excusais pas des miens, et j'accordais à mes jeunes amis le droit de m'avertir en toute confiance... Je les rappelai continuellement à l'amour pour notre Dieu et Sauveur. Je priais souvent avec eux, et je ne les condamnais ni ne les humiliais jamais. En général, je laissais paraître aussi peu que possible mon autorité, afin d'accorder toute primauté de puissance à celle de Dieu et de Sa Parole. Mon école était une théocratie évangélique. »... « Durant les deux ou trois années que j'ai conduit ainsi mes élèves au Collège, je me suis toujours plus assuré qu'un enfant, quand le Seigneur l'éclaire, a, pour l'éternelle vérité de la Parole de vie, une intelligence tout aussi puissante que pour quelque autre science ; et que son esprit peut recevoir, de cette Parole elle-même, une élévation, une force, une énergie, tout autrement développées et soutenues que si elles provenaient de tout autre motif humain. »

Un trait entre mille autres révélera l'esprit des rapports qui unissaient les élèves à ce maître. « En ce temps-là, raconte Malan, j'avais la coupable habitude de dire : « Mon Dieu oui ! mon Dieu non ! » Mes élèves commettaient la même faute. Je leur dis donc un jour : Faisons un accord ! Je vous reprendrai lorsque vous commettrez ce péché; mais vous aussi, vous me reprendrez si je le fais. L'accord fut conclu; et pour moi, je veillais attentivement sur mes paroles, soit pour ne plus commettre ce péché, soit aussi, je l'avoue, pour ne pas être repris par mes écoliers. Mais un jour que je parlais avec vivacité à l'un d'eux, tout à coup, la classe entière se leva et demeura debout en silence. - Qu'y a-t-il donc, mes enfants ? demandai-je. - Monsieur, me dit, avec beaucoup de respect, le premier de la classe, vous venez de dire : mon Dieu oui ! » Malan remercia ses élèves, pria Dieu avec eux « pour qu'il ôte ce péché de ses lèvres et des leurs ».

C'est « à la diligence » et non à l'émulation qu'il excitait ses élèves : ainsi l'expliquent ces paroles de l'Écriture qu'il avait écrites en gros caractères sur les murs de sa classe : « Plus il vous aura été confié, plus il vous sera redemandé. » Formés à cette sévérité envers soi-même et à la bonté envers les faibles, les élèves abandonnaient peu à peu l'esprit de rivalité, de jalousie, en épargnant aux moins doués les dangers du découragement. C'est ainsi que la classe tout entière vint un jour, sans qu'il ait fait pour cela aucun appel, déposer entre ses mains des médailles d'argent autrefois attribuées aux meilleurs élèves, pour qu'il les vendît au profit d'une oeuvre.

Les innovations de Malan
Mais les succès de cette pédagogie chrétienne, l'attachement dont l'entouraient ses élèves et leurs familles, ne mirent pas Malan à l'abri des attaques. On l'accusa bientôt d'introduire dans le Collège « des innovations ».
Innovation, excès de zèle, cet enseignement religieux ? Non, car cet enseignement faisait alors partie des devoirs imposés à chaque maître. Sa méthode ne différait guère de celle qu'il avait suivie jusque-là, que par l'introduction dans sa classe de l'usage habituel de la Sainte Écriture. Et encore, ne l'avait-il fait qu'avec l'assentiment du Principal du Collège.

La pédagogie réformée
Et les principes de ce pédagogue du XIXe siècle n'étaient-ils pas tout proches de ceux que Théodore de Bèze rappelait aux Collégiens de son temps, dans une « Parole »célèbre (1) : après avoir fait appel « à leur diligence », il les exhortait en ces mots : « Vous étant réunis dans ce lieu, vous n'êtes point venus, comme la plupart des Grecs d'autrefois, regarder les jeux gymniques et contempler de vains exploits, mais vous êtes venus, instruits dans la vraie religion et la connaissance des bonnes lettres, afin de pouvoir travailler à la gloire de Dieu, de devenir un jour l'ornement de votre patrie et le soutien de vos proches. Rappelez-vous toujours que vous êtes des soldats et que vous aurez à rendre compte au Chef suprême de cette sainte mission. »

Que pouvait-on reprocher à un maître dont la classe était l'objet constant « de sa prière secrète » et qui pouvait dire « ne pas s'y être rendu une seule fois sans s'être dit sérieusement : Aujourd'hui, maître d'école, sois surtout missionnaire ! » On lui reprochait surtout d'avoir introduit l'Écriture comme livre de classe et de ne pas vouloir s'engager à s'en tenir « dans les explications de la leçon de religion, aux seuls termes du manuel ».

Malan destitué de son poste de Régent au Collège
Après de longs débats où Malan fit preuve d'une modération et d'une loyauté absolues, la « Vénérable Compagnie Académique », insensible aux nombreuses manifestations favorables à ce maître si apprécié, ôta à Malan la place qu'il occupait depuis près de neuf ans. Le verdict de la Compagnie devait être sanctionné par le Conseil d'État. Malan lui présenta une requête où il exposa, d'une part, l'illégalité de cet ordre et, d'autre part, la fidélité de ses enseignements à la Confession de foi des Églises helvétiques « admise et jurée dans les cantons protestants et à laquelle, dans des temps meilleurs, Genève avait souscrit ! »

Cette requête, d'ailleurs, n'était pas, à ses yeux, une défense de son droit, mais plutôt des principes et de la doctrine qui étaient le fond même du débat. «Or ceci, écrivait-il, ce n'est plus moi que cela concerne, ce n'est pas à moi qu'il' appartient de le faire céder en quoi que ce soit. Que demande-t-on d'un dispensateur, sinon qu'il soit trouvé fidèle ? Et que suis-je, en ma qualité de maître chrétien, sinon le dispensateur de la vérité qui a été mise en moi ? »

Il ne nourrissait d'ailleurs guère d'illusions sur l'issue du débat. Ainsi en témoigne une lettre qu'il adressait à la même époque au Recteur de l'Académie: « Que la Vénérable Compagnie académique agisse dans sa prudence et sa sagesse. Si elle juge que je doive être privé de la place qui me fut confiée par un autre pouvoir que le sien, et dans laquelle elle m'avait confirmé, je regarderai sa décision comme l'expression de la Volonté souveraine et toute adorable de Celui qui dirige tous les événements de ce monde. Je serai par elle destitué d'un emploi qui fait l'unique subsistance de ma famille; je me verrai sans aucune ressource apparente, mais plein de confiance, par sa grâce, en Christ entre les mains duquel toutes choses ont été mises, je me soumettrai avec adoration à tout ce qu'Il ordonnera de moi, »

Le 4 novembre, quinze jours après la présentation de la dite requête, le Conseil sanctionna le préavis de la Compagnie Académique. La décision fut communiquée à Malan le 6 du même mois, sans aucun ménagement. C'est le vendredi soir qu'il fut averti que sa classe serait en d'autres mains le lundi suivant. Il prit alors congé de ses élèves en leur dictant des « Directions pour la conduite d'un enfant chrétien », puis il se retira dans une maison située au faubourg du Pré-l'Évêque.

De cette période, Malan écrivait : « Le Livre du Ciel ne vient pas sans bruit s'établir au milieu des livres du monde. » L'Arrêt injuste, qui brisait cette carrière de vrai pédagogue chrétien, en est la plus douloureuse preuve.

Dès lors, Malan fit face, avec l'énergie et la confiance inébranlable de sa foi, aux difficultés extrêmes de sa position. Il n'était pas seul : Dieu était avec Lui. « En ce moment si critique pour lui, raconte Dr Pye Smith, se présentèrent quelques amis, la plupart anglais et wurtembergeois, et, soit par un prêt d'argent, soit par un don respectueusement offert, dans lequel les donateurs sentirent que l'obligation était surtout de leur côté, on empêcha que ce serviteur de Christ, fidèle et opprimé, fût réduit à l'extrémité. »

Malan et sa nombreuse famille
Installé dans une maison acquise de son père au Pré-l'Évêque, et pour le paiement de laquelle Dieu manifesta sa merveilleuse intervention, Malan soutint sa nombreuse famille en recevant chez lui des élèves. (Il eut jusqu'à quatorze pensionnaires à la fois). Avec le produit de quelques-uns de ses ouvrages, ce fut la principale ressource de ce serviteur de Dieu injustement traité et qui ne reçut jamais de paie ou de secours régulier de qui que ce soit, contrairement aux dires de ses ennemis.

ACTE DE MARIAGE DES PARENTS DE CESAR MALAN

Malan n'avait plus désormais qu'un seul lien officiel avec son pays; c'était le caractère public de « ministre du Saint Évangile dans l'Eglise de Genève » dont on l'empêchait de remplir les fonctions. Pressé par des amis de quitter une ville où sa tâche paraissait terminée, il ne s'y décida point. Gardait-il l'espoir que les mesures illégales qui le frappaient ne seraient que temporaires? Une raison plus haute, plus désintéressée, explique seule sa persistance à braver l'opposition systématique du clergé officiel comme les excès d'une populace qui viendra bientôt bafouer impunément un homme respectable, en épousant les erreurs d'un clergé !...

Il y a un peuple de Dieu à Genève
Dans une lettre du 22 avril 1819 au Dr Mason, Malan révèle les sentiments qui l'animaient alors : « Mon bon et honoré ami ! Quels événements à Genève depuis voire départ ! Avec quelle puissance le Seigneur agit ! Quel combat vigoureux et soutenu ! L'hérésie ne peut que trembler ! L'idole a des pieds d'argile; nous les frapperons, et elle s'écroulera, à la honte de ceux qui l'adorent. Déjà, elle a reçu un coup mortel... Il y a un peuple de Dieu à Genève !... Nous n'avons que peu de force, mais Il nous a accordé de confesser son, Nom... Oh ! combien c'est une chose excellente, douce et chère à mon coeur que cet opprobre de Christ dont j'ai été couvert !... La vie est si courte, c'est si peu de chose, ce sera si tôt fini ! Et alors nous verrons Christ !... Quel serviteur serait assez indigne, assez dur, pour hésiter et réfléchir encore ?... »

Porter l'opprobre de Christ
Confesser Son nom, même au prix de l'opprobre; garder la vision d'un peuple de Dieu à Genève; annoncer la Parole du Salut, évangéliser son peuple, tels sont les désirs qui fixent inébranlablement Malan au sol de sa patrie, contre tous vents et marées !...

Mômier
Il continua donc de prêcher aussi souvent que possible à Ferney où lui fut appliquée, à lui tout premier, l'épithète grossière de « mômier », qui est devenue depuis l'insulte facile du vulgaire ou du superficiel à quiconque le gêne ou le reprend en silence par sa piété ou seulement sa valeur morale.

Dès septembre, il tenait aussi des réunions de culte et d'édification dans sa maison, en même temps qu'il y rouvrait son école du dimanche. Bientôt, il dut transférer ses assemblées dans une petite salle qu'il avait disposée à cet effet dans son jardin. « Rien de plus au début qu'un culte de pensionnat ou de famille nombreuse. » Peu à peu, Malan fut amené à l'assurer tout seul.

Des cultes du soir
On se réunissait plusieurs fois dans la semaine, le matin et le soir, et le dimanche à une heure qui permettait à chacun de se rendre au culte des Églises de la ville. On comptait 150 présences le soir, 50 le matin. C'était chose toute nouvelle dans Genève que ces réunions du soir sur lesquelles circulèrent bientôt de nombreuses absurdités. Malan dut publier un petit écrit : « Venez et voyez » pour éclairer la population surexcitée. Il y protestait de son attachement à l'Eglise nationale que confirmait sa participation régulière, avec sa famille, aux services de Sainte-Cène dans les temples.

Mais en 1819, le nombre de ses auditeurs s'était fortement accru et les plus fidèles considérèrent bientôt Malan comme leur guide spirituel, leur « pasteur ». C'est alors qu'il adressa une requête au Conseil d'État pour lui demander l'usage d'un des temples de la ville. Il souligne que, bien que le Réveil religieux ait amené des chrétiens à chercher le repos et la liberté hors de l'Eglise de Genève, « lui et d'autres ont estimé devoir rester attachés à l'Eglise, et protester, du milieu d'elle, contre ses erreurs ! » Il n'y a chez eux ni exagération, ni fanatisme, ni ambition, mais simple fidélité aux doctrines professées par les pères et les Églises de la Réformation. « Ainsi donc, nous nous regardons, nous, calvinistes genevois, comme étant l'Eglise de Genève, persécutée, il est vrai, mais néanmoins fidèle ; méprisés du peuple, mais honorés de la gloire de Dieu ! » C'est au nom de leurs « droits et privilèges de citoyens » qu'ils demandent « un temple dans la ville » pour y exercer librement un culte fidèle.

Une chapelle dans son jardin
La pétition fut lue en Conseil, le 29 décembre 1819, qui décida « qu'il n'y avait pas lieu à délibération ».
Malan se décida alors à bâtir une chapelle dans son jardin : ce qu'il fit dans l'année 1820, affirmant ainsi, d'une façon définitive, son ministère de prédicateur en dehors de l'Eglise établie.

Un pastorat sans sacrements
Au départ, cette chapelle ne devait être qu'une « Maison de prières » dans laquelle Malan pourrait librement prêcher l'Évangile à ses concitoyens. Mais son influence grandissante le faisait passer du plan de la prédication à celui d'un pastorat dont n'était absente que l'administration des sacrements. Ce ministère étendu apparaissait aux officiels de l'Eglise de Genève comme un mépris délibéré de leurs droits et de leur autorité. D'autre part, pour Malan, il n'était que la continuation d'un office que sa consécration dans l'Eglise de Genève avait pu lui reconnaître, mais non lui conférer. Il le tenait de Dieu même.

Oubliant cette distinction adhérente à la constitution même de l'Eglise Réformée, et usurpant son autorité officielle purement administrative, la Compagnie mit le comble à la mesure en décrétant que « Malan serait suspendu de ses fonctions ecclésiastiques ». En avril 1823, le Consistoire proposa donc au Conseil d'État un décret dans ce sens.
Malan, tout entier à sa tâche d'évangélisation et de mission intérieure, fut « extrêmement étonné » de se voir tout à coup appelé à comparaître devant le Consistoire.

Il s'efforça de montrer comment l'opposition, puis le silence répété et méprisant de la Compagnie et des Magistrats l'avaient peu à peu amené à sa position du moment. « Je n'ai point été sectaire, protestait-il, Dieu le sait ! et nous le verrons tous au jour où les choses secrètes et les intentions des coeurs seront manifestées. Je n'ai pas été schismatique ! Un schismatique ne demande pas à récidive qu'on l'entende, qu'on le juge, qu'on le reprenne. J'ai dû garder la foi et le dépôt des Écritures tel que je l'ai reçu, et j'ai désiré le faire selon la force que le Seigneur daignait m'accorder. »

Le Consistoire n'admet pas de réserves
Le Consistoire, gêné par tout cet exposé, se borna à demander à Malan de manifester, par une simple affirmation, sa soumission future aux clauses qu'on lui proposait concernant la discipline ecclésiastique et ses règlements. Malan ne voulut prendre cet engagement qu'en y ajoutant ces mots : « Selon le Seigneur ». Le Consistoire interpréta cette réserve comme un refus tacite et, en conséquence, décréta, de nouveau, le 14 août, que Malan serait suspendu de ses fonctions de ministre. Il dut comparaître pour recevoir signification du décret et de l'arrêté du Conseil d'État statuant que, « vu ses nombreuses insubordinations, Malan avait été suspendu de ses fonctions ecclésiastiques dans le canton de Genève ».
Lorsque le Modérateur eut fini de parler, Malan se leva, salua l'Assemblée et quitta, sans dire un seul mot, cette salle où il ne devait jamais rentrer.

Un regard du digne Gaussen
Ce serait un romantisme facile et déplacé que de tenter maintenant un tableau pathétique de ce jeune pasteur, chassé du corps pastoral comme une brebis galeuse !... On pourrait brosser avec de vives couleurs un « intérieur » saisissant : l'âme d'un serviteur du Christ payant la rançon de la fidélité. Certes, il partait avec la joie d'avoir servi la vérité jusqu'au bout; mais à l'égard des hommes, quelle déception et quelle tristesse ! La rupture allait être sans appel. Pourtant, des hommes, lui vint un témoignage inoubliable. « Comme je me retirais et que j'étais vers la porte, un pasteur quitta sa place et vint à moi devant toute l'assemblée : c'était le digne Gaussen. Il me saisit la main et me regarda longuement avec amour et attendrissement en présence de tous. Que le Seigneur se souvienne de ce frère au jour de sa détresse ! » Cette prière devait, huit ans après, être exaucée quand Gaussen traversa des circonstances analogues.

« Maintenant, déclarait Malan, j'ai fini cette oeuvre que le Seigneur m'a donnée. Lui seul connaît Ses desseins et Il est admirable dans Son Eglise. »

Le 14 août, il accusa réception au Conseil d'État de l'arrêté qui le frappait, mais annonça que, pour conserver son caractère de ministre et pour pouvoir en continuer les fonctions, il se voyait forcé, malgré lui, de quitter l'Eglise où il était né. Le Conseil d'État y répondit en promettant la protection demandée « pour aussi longtemps du moins que cela serait compatible avec l'ordre public ».

«Déchu du ministère ecclésisastique
Mais ce que les magistrats accordaient, le pouvoir ecclésiastique voulut l'arracher à Malan et, dans sa séance du 18 septembre 1823, la Compagnie des pasteurs le déclara, non pas rayé des rôles du clergé de l'Eglise de Genève, mais « déchu du ministère ecclésiastique ». Déclaration que Malan n'accepta jamais et contre laquelle il ne cessa de protester. Il arguait, à juste titre, du droit personnel que sa consécration lui avait reconnu et qu'il ne pouvait perdre que par démission volontaire ou condamnation motivée pour cause d'immoralité ou d'hérésie constatée, et au terme d'un procès régulier, Les Magistrats, cependant, sanctionnèrent les actes du clergé dont les conséquences devinrent définitives pour toute la vie de Malan et de sa famille. De tous les coups qui l'atteignirent, ce fut, certes, le plus sensible.

Tous ceux qui veulent la gloire de Dieu, qui luttent ou souffrent pour la cause du Dieu vivant, du Dieu qui, par Sa Parole, parle à la conscience individuelle, et se révèle au pécheur pour le sauver en Jésus-Christ, tous ceux-là sympathiseront profondément avec Malan mis ainsi au ban de son Eglise et de sa patrie pour cause de fidélité à son Dieu et aux droits de la foi.

Du Corps officiel, qui manifesta son insuffisance spirituelle par les actes d'une autorité usurpatrice, regrettons seulement que, dans son opposition au mouvement du Réveil, il se trouve, à cette époque, « avoir fait la guerre à Dieu ». C'est le plus triste des verdicts de l'histoire.


Table des matières

.
(1) Le Livre du Collège de Genève (1909)

 

- haut de page -