À l'Image de Christ
VI
Christ et la prière.
Matthieu XI, 25, 26; XIV, 19; XIX, 13; XXI, 12-13; XXVI, 53.
Luc IX, 18; XI, 1-14. Jean VI, 23; XIV, 13-14; XVII. Matthieu XIV, 23; Marc 1, 35; XIV, 22-23. Luc V, 16.
Matthieu XXVI, 36-44; Luc VI, 12-13.
Luc III, 21-22; IX, 28-29; Jean XI, 41-42.
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I
Certainement, les prières de Jésus
renferment pour nous un grand mystère. Si
nous croyons à sa divinité, quel
désir non satisfait pouvait-il exister en
lui et comment donc un Dieu pouvait-il prier Dieu
?
Une première réponse
à cette question est que la prière ne
consiste pas uniquement en demandes provenant d'un
besoin matériel ou spirituel. En effet, les
personnes qui cherchent à ridiculiser cet
acte, ont coutume de le représenter comme
une série de demandes adressées
à Dieu, - pour nous accorder le beau temps,
guérir une maladie ou
conformer les circonstances extérieures
à notre volonté. Mais ceux qui
parlent ainsi ne savent de quoi ils parlent. Chez
les hommes de prière, les demandes
proprement dites n'occupent que peu de place; leurs
prières expriment la plénitude de
l'âme, c'est la coupe qui déborde.
Elles sont, si nous pouvons nous exprimer ainsi,
une conversation avec Dieu, la confidence d'un
enfant à son père. Les Confessions de
saint Augustin nous en offrent un exemple frappant;
ce livre est une prière du commencement
à la fin et cependant, c'est le récit
de la vie de l'auteur, dans lequel il expose les
plus importantes de ses doctrines.
Évidemment, saint Augustin avait pris
l'habitude de donner à ses
méditations la forme d'une conversation avec
Dieu.
Si c'est bien là la
définition de la prière, il n'est
plus difficile de comprendre comment le Fils a
dû vivre en communion constante avec son
Père.
Mais cette explication ne jette
qu'une lumière incomplète sur le
mystère des prières de Jésus,
car beaucoup d'entre elles sont réellement
l'expression d'un besoin: «
Dans les jours de sa chair, dit l'apôtre
Paul, Il présenta avec de grands cris et
avec larmes des prières et des supplications
à Celui qui pouvait le sauver, et il fut
exaucé à cause de sa
piété. »
(Hébr. V, 7.)
Cet aspect de sa vie ne nous sera
compréhensible que si nous acceptons dans
son sens littéral le dogme de son
humanité. Christ n'a pas été
à demi homme et à demi Dieu, mais
homme parfait et Dieu parfait. Justice ne peut
être rendue à certains faits et
à certaines affirmations de lui-même,
si nous ne l'appelons franchement Dieu. Nous
hésiterons peut-être à faire
cette confession, mais la force des choses nous y
contraindra.
D'autres traits de sa vie nous
obligeront, au contraire, à l'appeler homme
dans toute l'étendue du terme et, si nous
n'acceptons pas cette vérité dans
toutes ses conséquences, nous diminuons son
caractère.
Il pria, parce qu'il fut un
homme.
L'humanité la plus haute est
chose faible et dépendante, elle ne peut se
suffire à elle-même. Lui comme nous,
fut dépendant de Dieu jour
après jour et il exprima
ce sentiment par la prière. Ceci ne le
rapproche-t-il pas de nous ? N'est-il pas ainsi
notre frère?
Mais une plus grave leçon est
contenue dans ce fait: Jésus fut un homme
sans péché; à chaque phase de
son développement, il fut parfait. Aucune
faute antérieure ne venait affaiblir en lui
l'énergie de l'effort et cependant, il eut
besoin de la prière et y recourut
constamment. Quel commentaire de notre
indifférence ! S'il devait prier,
étant ce qu'il était, combien cela
nous est-il indispensable, étant ce que nous
sommes!
II
La vie de la prière est une vie
cachée; chaque homme a ses habitudes,
connues de lui seul.
Celles de Jésus ont
échappé souvent à
l'observation de ses disciples et par
conséquent, ne sont pas rapportées
dans l'Évangile, mais quelques traits nous
en ont été conservés et ils
sont extrêmement instructifs et
intéressants.
Il aimait à s'échapper
de la maison et de la ville et à se retirer
dans la solitude. Nous lisons: « Il sortit et
s'en alla dans un lieu solitaire pour prier »,
et ailleurs: « Il se retira dans le
désert pour prier ».
Il semble avoir aimé tout
particulièrement les montagnes. La Palestine
est très accidentée; à un
kilomètre ou deux de chaque ville ou
bourgade, s'élève une colline plus ou
moins haute. À peine le voyageur a-t-il
quitté les rues, traversé quelques
acres de terrain cultivé que
déjà ses pieds foulent l'herbe des
pâturages solitaires. Quand Jésus
arrivait dans une ville, sa première
pensée était de chercher le chemin de
la montagne, - tout comme les touristes modernes
s'informent des points de vue les plus remarquables
et du meilleur hôtel.
Il y a une solitude de temps aussi
bien qu'une solitude d'espace. Ce que les montagnes
et les déserts sont aux villes et aux
cités, la nuit et l'aube le sont au jour et
à la soirée. Jésus aimait
cette solitude pour la prière. Il est dit
« qu'il passa la nuit à prier Dieu
» ou « qu'il se leva longtemps avant le
jour et s'en alla dans un lieu
solitaire pour prier. » Peut-être
Jésus a-t-il cultivé cette habitude
parce que sa pauvreté ne lui permettait pas
d'être facilement seul dans les maisons
où il logeait, et cet exemple est d'un
intérêt spécial pour ceux que
les circonstances exposent aux mêmes
difficultés. Mais il peut servir à
chacun de nous, si nous réalisons combien il
est facile de trouver des solitudes naturelles. Il
est peu de villes aux abords desquelles ne se
trouve une plage, une colline, une prairie ou un
bois. La ville est proche et la rumeur de ses
multitudes tournant la meule du labeur ou du
plaisir parvient encore jusque là, mais le
promeneur se sent loin des regards et seul avec
Dieu!
Dans cette situation, quelque chose
de plus que la simple solitude aide à la
prière: la nature calme l'esprit et la
dispose aux impressions religieuses
(1).
Cependant, il ne recherchait pas
toujours la solitude et nous le
voyons plus d'une fois prendre avec lui deux ou
trois de ses disciples et souvent prier avec eux
tous. Les douze étaient pour lui comme une
famille avec laquelle il célébrait
assidûment le culte domestique. Il fit
ressortir la valeur des réunions de
prières: « En vérité, en
vérité, je vous le dis, si deux
d'entre vous s'unissent sur la terre pour demander
quelque chose, mon Père qui est dans le ciel
le leur accordera. »
La prière en commun agit sur
l'âme de la même manière que la
conversation sur l'esprit. Plus d'une intelligence,
livrée à elle-même, est lente
dans ses mouvements et ne produit qu'une maigre
moisson d'idées. Mais au contact d'une autre
intelligence, elle se transforme: elle devient vive
et audacieuse, elle brille d'un éclat
nouveau et, de cette rencontre, jaillissent des
idées qui sont une surprise pour
elle-même.
Ainsi, quand deux ou trois sont
réunis, la prière de l'un enflamme
l'âme d'un autre, celui-ci à son tour
s'élève à de plus pures
hauteurs et voici, tandis que leur joie s'accentue,
quelqu'un est au milieu d'eux et tous reconnaissent
et saluent sa présence. Il était
là auparavant, mais ils ne l'ont connu que
lorsque « leur coeur a brûlé au
dedans d'eux » ; c'est dans le vrai sens du
mot que l'on peut dire qu'ils l'ont attiré
là: « Quand deux ou trois sont
réunis en mon nom, voici je suis au milieu
d'eux. »
III
Les occasions de prière sont innombrables
et il serait inutile d'essayer de les
énumérer. Comme nous, Jésus en
avait sans doute chaque jour de nouvelles, mais
quelques-unes sont plus spécialement propres
à nous servir d'exemple.
1° Nous le trouvons en
prière avant chaque décision grave de
sa vie. Une des plus importantes qu'il ait jamais
prises, fut le choix des douze apôtres parmi
ses nombreux disciples.
De cet acte dépendait
l'avenir du christianisme. Que fit-il avant de s'y
décider?
« En ce temps-là,
Jésus se rendit sur la montagne pour prier
et il passa toute la nuit à prier Dieu.
Quand le jour parut, il appela ses disciples et il
en choisit douze auxquels il donna le nom
d'apôtres. »
(Luc VI, 12-13.)
C'est à la suite de cette
longue veille qu'il procéda au choix qui
devait être pour lui, pour eux et pour le
monde entier d'une si grande importance. Une fois
encore, il nous est dit qu'il fit une
préparation semblable; c'est à la
veille du jour où il informa ses disciples
qu'il devait souffrir et mourir.
Il est donc évident que
lorsque Jésus avait devant lui un devoir
difficile à remplir ou une lutte morale
à soutenir, il se consacrait
entièrement à la prière. Nos
difficultés ne seraient-elles pas
simplifiées si nous les attaquions de la
même manière? Nous augmenterions
infiniment la force intellectuelle qui nous permet
de pénétrer un problème, ainsi
que notre puissance à accomplir une oeuvre.
Les rouages de l'existence glisseraient plus
aisément, nos désirs
arriveraient plus sûrement
au but, si nous faisions chaque matin avec Dieu la
revue des devoirs de la journée.
2° Jésus semble
s'être voué d'autant plus à la
prière dans les moments où sa vie
était absorbée par une excitation et
un travail inaccoutumés. En tout temps, sa
vie fut active et il était presque
constamment entouré d'une foule qui
s'attachait à lui, si bien qu'il avait
parfois à peine le temps de songer à
ses besoins matériels. Même alors il
priait et ses prières semblent se prolonger
davantage ces jours-là.
De nos jours, nous connaissons ce
surmenage; beaucoup d'entre nous sont
entraînés par des engagements qui ne
leur laissent aucun loisir. Nous en faisons une
excuse pour négliger la prière.
Jésus, lui, en faisait une raison pour prier
davantage. Y a-t-il quelque doute quant au meilleur
parti à prendre ? Parmi les plus grands
hommes, beaucoup ont imité Jésus en
cela. Quand Luther avait devant lui une
journée difficile, il consacrait plus de
temps que de coutume au recueillement avec
Dieu.
Un sage a dit un jour qu'il
était trop occupé
pour être jamais
pressé: il voulait dire par là que,
s'il se laissait aller à la
précipitation, il ne pourrait arriver
à la fin de sa tâche; il n'est rien de
tel que la prière pour produire cette calme
possession de soi-même. - Quand la
poussière de vos occupations remplit la
chambre au point de vous étouffer, aspergez
le sol de l'eau de la prière et vous pourrez
balayer facilement! -
3° Nous trouvons Jésus
en prière à l'heure de la tentation.
La scène la plus solennelle de sa vie se
passa incontestablement à
Géthsémané. En entrant avec
lui dans ce jardin, un sentiment de crainte nous
saisit devant cette agonie, tant elle est
surhumaine et dépasse notre entendement;
nous tremblons en écoutant les
prières qui s'élèvent du sol
où il est prosterné. Jamais on n'en
entendit de pareilles et nous ne pourrions en
sonder la profondeur! - Une grande leçon en
ressort et doit nous suffire ici: Il pria en cette
occasion avant de rencontrer la tentation car,
à la porte du jardin, il dit: « Voici
l'heure de la puissance des ténèbres!
» C'était le début de sa lutte
finale avec le Mal. Mais le Christ s'était
armé par la prière et il fut rendu
capable de traverser tout ce qui
suivit, avec une calme dignité et une force
d'âme invincible.
Quel contraste nous est offert dans
cette même occasion par la faiblesse des
disciples! Pour eux aussi, l'heure de la puissance
des ténèbres avait commencé
à Géthsémané, mais ce
fut une heure de dispersion et de défaite
honteuse, par la seule raison qu'ils avaient dormi
là où ils auraient dû prier:
« Veillez et priez, - avait dit le
Maître, - de peur que vous n'entriez en
tentation. » Mais ils n'y prirent pas garde et
quand l'heure fut venue, ils succombèrent.
Hélas ! leur expérience a
été souvent la nôtre! La seule
armure sous laquelle nous puissions rencontrer
victorieusement la tentation est la prière
et, si l'ennemi tombe sur nous avant que nous
l'ayons revêtue, nous n'avons aucune chance
de rester debout.
4° S'il est une scène de
prière dans la vie de notre Seigneur qui
soit digne du même intérêt que
celle-ci, c'est assurément la
dernière. Jésus mourut en priant;
l'habitude de toute sa vie fut forte dans la mort.
Ce jour aussi viendra pour nous, bien qu'il puisse
nous paraître éloigné. Que
seront nos dernières
paroles? Qui peut le dire ? Ne serait-ce pas beau
si notre esprit était si
imprégné de l'habitude de la
prière qu'elle vint tout naturellement sur
nos lèvres? Beaucoup de chrétiens
sont morts en répétant les
dernières paroles du Christ: «
Père, je remets mon esprit entre tes mains!
» Qui n'ambitionnerait cette fin ?
IV
Si l'on cherchait à travers la vie du
Christ les réponses qu'il obtint à
ses prières, il serait facile d'en trouver
un grand nombre. Mais pour le moment, nous n'en
relèverons que deux, accentuées par
l'Évangile lui-même et qui sont
particulièrement instructives.
La Transfiguration est notre premier
exemple. Voici comment elle est racontée
dans l'Évangile de Saint-Luc : «
Environ huit jours après qu'il eut dit ces
paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques
et Jean et il monta sur la montagne pour prier.
Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage
changea et son vêtement devint d'une
éclatante blancheur. Et
voici, deux hommes s'entretenaient avec lui:
c'étaient Moïse et Elie qui,
apparaissant dans la gloire, parlaient de son
départ qu'il allait accomplir à
Jérusalem. »
Nous ne voulons pas dire qu'il
priait pour obtenir cette altération de son
visage et de sa personne, ou même pour le
privilège de s'entretenir avec ces esprits
sympathiques de l'oeuvre qu'il était
près d'accomplir, mais bien que tout cela
arriva en réponse à la prière
qu'il prononçait en ce moment.
Quelques personnes qui ne croient
pas à la vertu directe de la prière,
croient à ce qu'elles appellent son
influence réflexe; elles conviennent qu'elle
peut faire du bien, même si elle reste sans
réponse et même s'il n'y a pas de Dieu
pour l'entendre. Considérée comme une
théorie complète de la prière,
cette opinion serait une ironie, mais il faut
reconnaître qu'il y a dans cet acte une
influence réflexe bénie. Il est
impossible de demander à Dieu la
pureté et l'amélioration du coeur
sans recevoir en quelque mesure ces
biens-là, au moment même où la
requête est prononcée. L'âme se
calme et s'ennoblit en
s'élevant vers Dieu. Ce fut ce
phénomène intérieur qui se
manifesta dans la transfiguration du Christ; la
concentration de son esprit et la joie de la
communion avec son Père embellit et glorifia
son visage et par là, son âme divine
se révéla. Bien des siècles
auparavant, Moïse, après avoir
été quarante jours sur la montagne
avec Dieu, resplendissait de cette lumière
qui enveloppa le Fils de l'homme aux yeux de ses
disciples. Il est accordé plus ou moins
à tous les hommes de prière une
beauté spirituelle de la même nature,
qui est la plus précieuse des
réponses à leur adoration. Le
caractère se forme à la source
profonde de la prière.
C'est au jour de son baptême
que fut accordée à Jésus une
autre réponse très
directe.
Voici le récit de saint Luc
(III, 12): « Tout le peuple se
faisant baptiser, Jésus fut aussi
baptisé; et pendant qu'il priait, le ciel
s'ouvrit et le Saint-Esprit descendit sur lui sous
une forme corporelle, comme une colombe.
»
C'est pendant qu'il priait que
l'Esprit lui fut envoyé et selon toute
probabilité, c'est ce qu'il
demandait à cette heure.
Il venait de quitter Nazareth pour commencer son
oeuvre et le Saint-Esprit lui était
immédiatement nécessaire pour
l'entreprendre. C'est une vérité
oubliée que Jésus était rempli
du Saint-Esprit, mais elle est clairement
révélée dans
l'Évangile. La nature humaine de
Jésus fut du commencement à la fin
dépendante du Saint-Esprit, étant par
là rendue digne de sa nature divine; et
c'est par la force de cette inspiration que toute
son oeuvre de prédication, de miracles et
d'expiation fut accomplie.
Si notre vie doit être en
quelque mesure une reproduction de sa vie, si nous
devons concourir à répandre son
oeuvre dans le monde ou achever ce qui «
manque à ses souffrances », nous devons
dépendre de la même influence. Il nous
a dit lui-même comment nous pouvions
l'obtenir: « Si vous qui êtes
méchants, savez donner de bonnes choses
à vos enfants, combien plus votre
Père céleste donnera-t-il le
Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent.
»
La puissance, comme le
caractère, découle de la source de la
prière!
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