LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
LIVRE SECOND - LA VIE
RELIGIEUSE
CHAPITRE
VI
JÉSUS ET LA PRÉDICATION DE
L'ÉVANGILE
L'enseignement de Jésus
nous a été conservé.
- Il ressemble à celui de ses
contemporains. - Deux idées
nouvelles. - Jésus-Christ et la
Loi. - Le salut par la foi. - Le Royaume
de Dieu. - Jésus et les
idées messianiques de son temps. -
Le Messie souffrant et mourant
crucifié. - Les affirmations de
Jésus sur lui-même. - La
tentation. - Une parole à Simon
Pierre. - Gethsémané. -
Jésus n'a pu être un
illuminé. - Sa prédication
fut une réaction, - Quelles
influences il a subies. - Jésus ne
sera pas dépassé.
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« Il est monté comme une plante qui
sort d'une terre desséchée, »
dit. Esaïe
(1) en parlant du
serviteur de l'Eternel, et cette parole,
appliquée à Jésus, s'impose
à nous au moment où nous terminons
cet ouvrage. La terre de la Palestine était
desséchée au premier siècle;
il soufflait un vent mortel qui passait sur elle et
la stérilisait. Mais voici, sur ce sol
durci, une plante nouvelle parait et deviendra
l'arbre gigantesque et magnifique qui s'appelle le
Christianisme. Jésus parle, il annonce
l'Evangile dans ce monde des Scribes et des
Docteurs de la Loi qui prêchent le salut par
les oeuvres et l'avènement prochain d'une
ère messianique glorieuse.
Quels étaient les traits
caractéristiques de la prédication du
Christ? Nous voudrions essayer de le montrer dans
ce dernier chapitre.
Et d'abord, cette prédication,
nous l'avons ; on voudrait nous interdire, au nom
de la critique, de rien affirmer de positif sur
Jésus (2).
Nous répondrons, également au nom de
la critique, que de l'étude des Synoptiques,
pour ne parler que d'eux se
dégage un ensemble de préceptes, de
paroles, d'affirmations de Jésus, dont
l'authenticité ne peut plus être mise
en doute que par le parti pris, et une
inqualifiable partialité. On voudrait nous
ramener aux idées émises par Strauss
dans sa première « Vie de Jésus
(3) ». C'est
méconnaître les remarquables travaux
critiques dont les trois premiers Évangiles
ont été l'objet en Allemagne depuis
quarante ans, et c'est oublier que Strauss
lui-même, dans sa « Nouvelle vie de
Jésus », en a reconnu la
légitimité.
Que s'est-il passé dans ce monde
juif que nous avons essayé de
décrire? Une religion universelle s'y est
fondée et a commencé à se
substituer au judaïsme d'abord et quelques
années plus lard aux autres religions
nationales du monde civilisé. C'est une
grande loi de l'histoire qui s'est accomplie.. Le
christianisme avait sans doute son fondement dans
le passé ; l'histoire de la formation des
dogmes chrétiens a été longue,
elle a commencé avant Jésus et elle
s'est continuée après lui.
Mais Jésus a donné au
mouvement religieux qui était alors en
formation une impulsion nécessaire; il a
vraiment créé l'ordre de choses
nouveau ; il a été, en un mot le
fondateur du christianisme ; et ce titre que l'on
essaie de lui contester ne peut
décidément pas lui être
ravi.
Reconnaissons d'abord (et le lecteur de
ce livre l'a certainement déjà
reconnu) que, sur une quantité de questions
importantes, Jésus a partagé les
idées de ses contemporains. Il ne nous
semble pas possible de le rattacher à aucune
des écoles de son temps, mais on petit dire
qu'il leur a fait à toutes des emprunts. Il
a dû beaucoup aux Pharisiens; il a
adopté leur doctrine de la Providence et
celle de la résurrection des corps. Il les
connaissait trop bien pour ne pas avoir
étudié à fond leur tendance et
leur avoir emprunté ce qu'il pouvait y avoir
de généreux et d'élevé
chez les plus larges et les plus tolérants
d'entre eux. Mais nous n'irons pas jusqu'à
dire avec Kem qu'il dut,
à un certain moment de son
développement religieux. dans sa jeunesse,
être décidément pharisien, puis
abandonner plus tard ce parti. Cette
hypothèse est gratuite et inutile.
Nous avons montré plus haut
(4) tout ce que
Jésus a emprunté aux Esséniens
; nous n'y reviendrons pas ici. Remarquons encore
que l'exégèse de Jésus est
parfois la même que celle de ses
contemporains, par exemple, lorsqu'il veut prouver
que la résurrection des morts est dans le
Pentateuque (5).
Il a certainement partagé sur les
démons et les mauvais esprits les
idées de son peuple. Pour quiconque lit les
Évangiles sans parti pris c'est une question
de bonne foi. Enfin, il est resté Juif toute
sa vie ; il ne nous est pas dit qu'il ait jamais
renoncé au culte de la synagogue, et la
veille de sa mort il célébrait encore
la Pâque avec ses disciples.
Cependant il y eut dans l'enseignement
de Jésus deux idées
entièrement nouvelles et, à nos yeux,
d'une incontestable originalité.
L'enseignement rabbinique de ses contemporains, tel
que nous l'avons exposé dans les chapitres
qui précèdent, se résumait,
nous venons de le rappeler, en ces deux mots :
Pratiquez toute la Loi et attendez le Messie, roi
de la terre. Jésus a répondu : Vous
serez sauvés par la foi et je suis le Messie
qui doit mourir crucifié. Il a rejeté
la pratique des oeuvres qui justifient et l'attente
d'un messianisme terrestre et les a
remplacées par la prédication de la
justification par la foi et par celle d'un
messianisme purement spirituel dont il est, lui, le
héros. Ces deux doctrines résument,
nous le croyons, tout l'Evangile.
La première est celle de la foi.
A quelles conditions entre-t-on dans le Royaume de
Dieu? se demandaient ses contemporains. Ils
répondaient : en pratiquant la Loi et nous
avons montre comment ils réglementaient leur
vie et entouraient le code sacré d'une haie
de préceptes. Ce qui
disparaissaît ici
c'était le sentiment religieux et le
sentiment moral.
On ne se demandait plus : ceci est-il
bien ? ceci est-il mal? mais : ceci est-il permis?
ceci est-il défendu? La religion
était devenue une science, une . Quand on lit les écrits des
Israélites de nos jours sur les Juifs du
temps de Jésus-Christ, on reste confondu de
la sérénité avec laquelle ces
savants parlent de ces déplorables
doctrines. Ils n'élèvent pas une
critique, ils ne prononcent pas un mot de
blâme Ils ne semblent pas se douter qu'elles
anéantissaient la vie religieuse
elle-même. Dieu n'était plus qu'un
créancier avec lequel on calculait. L'acte
accompli justifiait devant lui, et cet acte
était une prière
récitée, une purification accomplie,
une aumône sacrifiée. Or, Jésus
a dit exactement le contraire de ses contemporains;
il a rejeté toute la casuistique pharisienne
; il a montré que la dette contractée
envers Dieu est inexorable et qu'il n'y a d'espoir
possible que si Dieu remet toute cette dette et
sans condition aucune. Or, il la remet, car il est
« le Père ». Ce nom de Père
donné à Dieu n'était
certainement pas inconnu des contemporains de
Jésus, mais lui seul en comprenait le sens
véritable et profond. Dieu est le
Père; il n'est donc pas un créancier
sans entrailles, il remet les dettes, il pardonne
les fautes de ses enfants. Ce n'est pas que
Jésus abolisse la Loi.
Il n'abolit pas même celle qui
ordonne, de payer la dîme de la menthe, de
l'anet et du cumin
(6). « Il ne
faut pas, dit-il, négliger ces
choses-là, » mais il repousse toutes
les traditions qui, loin d'aider à accomplir
la Loi, deviennent des obstacles à son
accomplissement. La haie protectrice est devenue
une barrière infranchissable. Il ne veut pas
qu'on attache d'importance à ce qui est
secondaire : se laver les mains avant de se mettre
à table, ne pas froisser d'épis entre
ses doigts le jour du Sabbat, ne pas s'asseoir
à une table sans savoir si tout a
été préparé suivant les
rites et si les dîmes ont été
payées. « Dans une « maison,
dit-il, mangez de tout ce qu'on vous
présentera
(7).»
Que faut-il donc faire d'après
lui pour se justifier. devant Dieu ?
Reconnaître d'abord que le siège du
mal c'est le coeur, que l'adultère est dans
le coeur, que le meurtre est dans le coeur
(8), et se
repentir. L'appel à la repentance est
adressé par lui à tout homme, car le
prochain c'est tout homme, même le
Samaritain, affirmation inouïe pour son
époque. Tous sont appelés, tous
peuvent se repentir. Sur ce point il n'a fait que
suivre la tradition de Jean-Baptiste et continuer
ses appels, mais il le dépasse quand il dit
que la repentance est un changement du coeur et une
condition de pardon, quand il montre ce pardon
accordé par Dieu à quiconque le
demande avec contrition, quand il déclare
que si Dieu fait miséricorde, c'est un acte
gratuit de sa part, car il ne nous doit rien.
L'homme n'a aucun mérite à accomplir
son devoir : « Quand vous aurez fait tout ce
qui vous a été commandé, dites
encore : nous sommes des serviteurs inutiles
(9)
».
La foi qui est quelquefois pour lui la
simple croyance à un fait religieux, aux
prophéties par exemple
(10), est
surtout, dans sa prédication, un acte, et un
acte de confiance. Elle est inséparable d'un
changement de vie
(11).
Quant au Royaume de Dieu lui-même,
il le spiritualise, il le place dans le coeur de
ses disciples. Ils y entrent par la foi, par la
confiance. Il est aux enfants, il est à ceux
qui ne raisonnent pas, mais qui font la
volonté du Père céleste et ne
reculent devant aucun sacrifice. Il faut être
prêt à vendre ses biens, à
rompre les liens de famille. les plus
étroits, à renoncer au mariage,
à donner sa vie, mais ce ne sont pas des
devoirs à apprendre ; ce ne sont pas des
rites à accomplir : Pour quiconque est
pénétré de l'esprit de
l'Evangile, les devoirs viennent d'eux-mêmes
; ils sont remplis par besoin du coeur, par amour.
Nous venons d'écrire le mot
Evangile ; Jésus a suffisamment
indiqué par ce mot qu'il prétendait
fonder un ordre de choses nouveau. Cette «
bonne nouvelle » n'est pas un simple triage
des préceptes mosaïques comme Hillel
pouvait en faire, mais l'accomplissement de ces
préceptes obtenu par un changement du coeur,
par un sentiment tout moral. « On ne met pas
le vin nouveau dans de vieilles outres, on ne coud
pas le drap neuf sur du drap usé
(12) ». Il
faut renoncer aux outres vieillies et au drap
usé; la forme comme le fond doit être
changée. C'est ainsi que Jésus
réagit contre la première des erreurs
de son temps, la croyance que la stricte
observation de la Loi met l'homme en règle
avec Dieu.
La seconde erreur des contemporains de
Jésus était une attente messianique
ardente, passionnée, fiévreuse,
politique à la fois et religieuse et la
seconde idée entièrement nouvelle et
originale de son enseignement fut sa conception du
Messie. Nous y attachons une importance capitale ;
elle nous donne la clef de tout son
ministère et de toute son oeuvre.
L'idée messianique s'est offerte
à lui telle que l'avaient rêvée
ses compatriotes . Il la rencontra dès le
début de son ministère et s'en
défia immédiatement; elle lui sembla
fausse, antiscripturaire, inadmissible, et il lutta
contre elle. Il se déclara lui-même le
Messie et il conçut cette idée
inconnue et étrange, scandaleuse,
insensée pour un Juif, d'un Sauveur humble,
souffrant, crucifié par dévouement
pour ses frères et par obéissance
à son Dieu.
Ce n'est pas du jour au lendemain qu'il
s'éleva à une si étonnante
doctrine messianique. Les croyants se
représentent d'ordinaire Jésus comme
sachant parfaitement dès le début de
son ministère ce qu'il était et ce
qu'il venait faire au monde. Son plan aurait
été arrêté d'avance et
il l'aurait exécuté lentement; il
aurait su dès le premier jour qu'il mourrait
crucifié et s'il n'a pas
fait, avant la dernière année, la
moindre allusion à la croix, son silence
était voulu, calculé, intentionnel.
Il faisait partie de son plan. Eh bien ! nous ne
pouvons le croire. Ce Jésus qui calcule, qui
ne dit pas tout ce qu'il sait, ne nous semble
conforme ni à la vérité morale
ni à la vérité historique.
Nous prenons au sérieux l'humanité du
Christ et nous pensons que Jésus s'est
développé comme le plus humble des
hommes ; la volonté de son Père ne
lui est apparue que peu à peu et s'il n'a
point parlé, dès le début, de
sa mort sanglante, c'est parce qu'il l'ignorait
encore. Son idée messianique purement
spirituelle, si originale, si étrange, a
grandi en lui peu à peu,, lentement. Il ne
l'a certainement pas conquise immédiatement
tout entière. La lutte fut longue au
contraire et douloureuse.
Tandis qu'il avait acquis sans effort sa
foi au Père céleste dans la solitude
paisible du recueillement et de la prière et
simplement en regardant en lui-même et en
sondant sa conscience, ici il dut combattre, il dut
lutter contre des tentations terribles. Ces
épreuves venaient de ce qu'il était
Juif et par conséquent fort innocemment imbu
depuis son enfance des idées de son peuple
sur le Messie. Ce n'avait pas été
sans un combat intérieur qu'il avait
prêché la repentance et le salut par
la foi tels que nous les avons exposés fout
à l'heure; il dut renoncer sans doute
à des croyances auxquelles il avait
été longtemps attaché pour
arriver à cette conception si pure, si
élevée, si religieuse des seules
vraies conditions d'entrée dans le Royaume
de Dieu. Mais autrement terrible, autrement
douloureux, fut le combat qu'il dut soutenir contre
les croyances messianiques de son temps,
chères à tout enfant d'Israël
qui aimait sa religion et qui aimait sa
patrie.
Les personnes qui ont lu les
détails que nous donnons plus haut
(13) sur les
croyances messianiques au premier siècle ont
compris que Jésus a connu
toute cette théologie. Il en a même
adopté certaines parties, mais avec cette
différence immense, capitale, avec cette
opposition tranchée que le Messie sera.
humble, souffrira et mourra
crucifié.
C'est à répandre cette
doctrine nouvelle, en opposition avec les croyances
messianiques de son temps, qu'il a consacré
la plus grande partie de son ministère.
parce que ces fausses croyances étaient la
préoccupation dominante de son
peuple.
Si les Talmuds parlent çà
et là des souffrances du Messie, ses
rédacteurs ont subi l'influence du
christianisme. Jamais le Judaïsme authentique
n'a été favorable à cette
idée. Elle était « scandaleuse
» à ses yeux, dit saint Paul
(14). Les
passages des Prophètes, le chapitre LIII
d'Esaïe, par exemple, où il est
parlé des souffrances du serviteur de
l'Eternel, n'étaient pas alors
appliqués au Messie
(15). Lorsque
Jésus l'a prêchée elle
était nouvelle; il ne la tenait même
pas de Jean-Baptiste qui en est toujours
resté à sa conception purement juive
d'un Messie vengeur et juge du monde. C'est
même pour cela que Jésus s'est
séparé de lui et a
déclaré le plus petit dans son
Royaume plus grand que lui.
Nous avons affirmé que
Jésus s'est dit le Messie, et a
prêché la foi en lui. Nous n'insistons
pas sur ce fait; il n'a rien de très
surprenant pour l'époque où il
vivait; il n'a pas manqué d'hommes qui se
sont crus alors des Messies et ils n'étaient
certainement pas tous des imposteurs; quelques-uns
devaient être sincères. Nous ne dirons
donc pas que les prétentions de Jésus
sur lui-même fussent extraordinaires et
nouvelles. Il a dit qu'il fallait s'abandonner
à lui, que celui qui le confesserait devant
les hommes serait confessé par lui devant
Dieu; il a dit : « Venez à moi »;
il a. déclaré que les devoirs les
plus sacrés de la vie de famille venaient
après ce qu'on lui devait à
lui-même. Or on pouvait dans ce milieu du
premier siècle se croire
le Messie, en pouvait s'exalter `,jusque-là;
la fièvre pouvait s'emparer de vous, quand
on respirait l'atmosphère brûlante de
ce monde agité; et on pourrait expliquer par
l'entraînement, l'exaltation, la folie ces
paroles de Jésus sur lui-même.
Mais ce qui est surprenant, ce qui nous
empêche de prononcer ces mots
d'entraînement, d'exaltation, de folie, c'est
que Jésus, en prêchant la foi en lui,
a dit qu'il mourrait crucifié et qu'il
n'était pas le Roi attendu qui serait
vainqueur de l'étranger. Ce simple fait
suffit à écarter l'explication
moderne d'un Christ illuminé, exalté,
inspiré. Ce qui nous frappe au contraire en
Jésus quand il parle de lui, c'est sa
possession de lui-même, sa clairvoyance,
l'absence complète d'illusion.
Il y eut dans son ministère trois
moments où nous apparaît surtout la
lutte dont nous venons de parler, le combat qui fut
le grand combat de sa vie, sa véritable
Passion. Ces trois moments solennels se placent le
premier au début, le second au milieu, le
troisième à la fin de sa vie
publique. La lutte du début nous est
révélée par le récit
mystérieux de la tentation au désert
(16). Nous
l'expliquerons d'un mot : la défiance
à l'égard des idées
messianiques de son temps. Il s'est
défié tout de suite de ce que
pensaient ses contemporains. Il s'est douté
qu'il y avait là une formidable erreur et
que la théologie juive faisait fausse route,
que la doctrine d'un Messie cherchant sa propre
gloire en changeant des pierres en pain, d'un
thaumaturge se jetant du haut du Temple pour
étonner le monde par ses prodiges, d'un Roi
maître de toutes les nations de la terre,
devait être une suggestion de l'Esprit des
ténèbres et non pas l'idée
messianique conforme à la volonté de
Dieu. Pendant quarante jours, il lutte, il combat
et il sort enfin vainqueur de cette première
et dure épreuve.
Au milieu de son ministère, un an
avant sa mort et au moment même où
l'inévitable nécessité de
cette crucifixion sanglante lui apparaît, la
tentation revient. Elle se représente
à lui quand Pierre s'écrie : « A
Dieu ne plaise, ce que tu dis ne t'arrivera point.
(17) » Il
lui semble que c'est Satan lui-même qui se
montre à lui de nouveau sous les traits de
son apôtre, et, ne se laissant pas gagner, ne
voulant pas recommencer la lutte qu'il a
déjà livrée, il s'écrie
: « Arrière de moi, Satan, tu m'es en
scandale, tu veux me faire tomber. » La
volonté du 'Père est qu'il souffre et
qu'il meure; là est la victoire, là
est le salut.
Ce n'est pas tout, et ce qu'il dût
souffrir pour anéantir en lui l'idée
juive et créer l'idée messianique
nouvelle nous est aussi révélé
par le troisième et dernier combat, celui du
jardin des Oliviers. Il était temps encore
d'échapper à la mort; mais ce serait
sa volonté et non la volonté du
Père; il boira la coupe que le Père
lui a donnée à boire ; il vaincra
définitivement; il mourra pour son
idée; elle doit sauver le monde et elle ne
le sauvera que si celui qui l'a conçue la
réalise dans sa vie et dans sa mort. Et on
nous dit que Jésus s'est fait illusion; et
on nous le montre subissant les croyances de son
peuple; on nous le montre enivré par son
succès, exalté par l'enthousiasme de
ses disciples; on en fait un illuminé. Ici
nous protestons au nom de, l'histoire, au nom des
faits les plus avérés de la vie de
Jésus. Ce qui nous frappe au contraire en
lui, répétons-le, c'est la
clairvoyance, le calme, la sûreté du
coup d'oeil, l'observation réfléchie,
la parfaite possession de lui-même qui ne
l'abandonne pas un instant. On comprend qu'il y ait
eu à cette époque des cas de folie.
On comprend qu'il y ait eu des Juifs s'exaltant et
se croyant le Messie. Cela est arrivé, en
effet, à quelques-uns d'entre eux; mais il y
en eut un qui ne fut certainement pas un de ces
exaltés, un chez lequel il est impossible de
surprendre autre chose que le
contraire même de l'exaltation,
c'est-à-dire la crainte de se laisser
entraîner, la sainte défiance en face
des «exagérations de son peuple; cet
homme, c'est Jésus.
Quelle prudence d'abord et quelle
réserve ! Et puis, le jour venu, quelle
lutte, quel combat ! Il est si peu
entraîné par les croyances
messianiques de son temps que ces croyances sont
par lui repoussées, vaincues et
transformées. On peut dire qu'il a
protesté contre elles jusqu'à la mort
et jusqu'à la mort de la croix.
Un mot résume notre pensée
sur l'enseignement de Jésus : Il a
été une réaction, une
réaction spiritualiste et universaliste
contre le formalisme et le particularisme du peuple
juif.
Poussés à leurs
extrêmes conséquences, ils ont
provoqué chez un des enfants de ce peuple
cette sublime protestation qui s'appelle
l'Evangile.
Personne n'a été moins de
son temps que Jésus; personne n'a moins subi
l'influence de son milieu; personne n'a
été plus affranchi de
préjugés, et plus indépendant
que lui.
Où donc a-t-il puisé le
principe de cette réaction spiritualiste et
universaliste? Avant tout auprès de
Jean-Baptiste, auquel d'ordinaire on ne rend pas
assez justice. Son oeuvre de précurseur a
été immense, et nul ne saura jamais
quelle influence il exerça sur Jésus
; les documents nous font entièrement
défaut. La lecture de l'Ancien Testament dut
aussi révéler Jésus à
lui-même; il semble y avoir
étudié de préférence
les Psaumes, ainsi que les prophètes
Esaïe et Jérémie; il
découvrit sans doute la notion du Messie
souffrant dans le chapitre LIII d'Esaïe, mieux
compris par lui que par ses contemporains. Mais
surtout il puisa ses idées nouvelles dans sa
conscience, et il les trouva dans ses longues
heures de communion avec son Père; il y eut
chez lui inspiration. Jésus a
été, dans ce sens, un inspiré,
et nous sommes logiquement a mené à
dire que la véritable nouveauté au
premier siècle ne fut pas tant la parole de
Jésus que Jésus lui-même
(18).
L'apparition de cet homme, son
enseignement, ses actes. Sa vie entière est
un miracle. Si cette vie n'est pas un « signe
», pour employer le mot de l'Evangile (1), le
signe auquel on peut reconnaître une
révélation de Dieu, une communication
de Dieu aux hommes, alors nous n'avons aucun moyen
de reconnaître de telles
communications.
Le problème des origines du
christianisme n'est donc pas insoluble; Dieu nous a
donné assez de lumière pour le
résoudre. Notre raison est vaincue et
convaincue. et nous nous sentons monter au coeur un
amour profond pour celui qui a ainsi vécu et
ainsi souffert, pour cet homme dont
l'héroïsme moral se résume d'un
mot, : « Ne boirai-je pas la coupe que le
Père m'a donné à boire?
», pour cet ouvrier. ce charpentier qui a
conçu seul, au milieu d'un monde hostile,
l'idée d'un salut universel accompli par une
oeuvre purement spirituelle; certain d'avance de
succomber dans la lutte, de mourir pour sa foi et
qui n'était pas même soutenu dans sa
tâche par l'approbation de ses disciples,
puisqu'ils ne le comprenaient pas., mais seulement,
par l'approbation de sa conscience et par celle de
son Dieu. C'est ainsi que Jésus a
sauvé l'avenir religieux de
l'humanité. M. Renan a terminé, sa
« Vie de Jésus » en disant :
« Il ne sera pas surpassé ; entre les
fils des hommes, il n'en est pas né de plus
grand que Jésus. » Cette
parole-là est une des plus
chrétiennes qui aient jamais
été écrites au monde. Pour en
finir avec le christianisme, pour que cette
religion eût fait son temps, il faudrait
précisément que Jésus
fût dépassé. il faudrait qu'il
naquit un homme plus grand que lui. Or, cela
n'arrivera jamais. Voilà pourquoi nous
affirmons, nous chrétiens, que le
christianisme est éternel, que le
christianisme est la vérité.
FIN.
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