LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE VII
LA VIE PRIVÉE
LA FEMME.
(1)
La femme juive était très
respectée; sa condition était bien
supérieure à celle des autres femmes
de l'antiquité, du moins en Orient et en
Grèce. Et sur ce point, comme sur tant
d'autres, le christianisme n'a
fait, à bien des égards, que
répandre dans le monde entier, rendre
universel ce qui existait depuis des siècles
au sein de la nation juive, et, cependant, quelle
différence encore entre la femme juive et la
femme chrétienne ! Nous allons exposer les
faits, et la comparaison de la juive et de la
chrétienne se fera d'elle-même dans
l'esprit du lecteur.
Il n'y a bien entendu aucun
rapprochement à faire entre la femme arabe
de nos jours et la juive d'autrefois. Celle-ci
était aussi honorée et
respectée que celle-là est
abaissée et dégradée. La Juive
occupait dans sa maison et près de son mari
une place très supérieure même
à celle qu'occupait à la même
époque la matrone romaine
(2). Il n'y avait
surtout aucun rapport entre la femme orientale et
la femme israélite. La femme, en Orient, a
toujours été méprisée
et avilie; elle l'est encore odieusement.
Moïse, au contraire, lui a
immédiatement donné sa vraie place
dans son intérieur et au foyer domestique.
Il a protégé sa faiblesse et
sauvegardé ses droits. L'homme qui abuse de
sa force pour outrager une femme est
considéré comme un assassin dans la
Loi, le séducteur d'une jeune fille lui doit
une indemnité pécuniaire et le
mariage si elle l'exige. Nous voyons Marie, soeur
d'Aaron, danser et chanter avec les filles
d'Israël à la porte du tabernacle
(3). L'histoire
de Déborah nous montre l'influence que la
femme pouvait exercer
(4). Si elle
était mariée, elle jouissait
d'une grande liberté
(5). Le chapitre
du livre des Proverbes sur « la femme forte
(6) » ne
peut avoir été écrit que dans
un pays où l'on se faisait une haute
idée de la dignité de
l'épouse, de ses droits et de ses devoirs.
Un seul fait suffit à le prouver
: le peu de goût que les Juifs avaient pour
la polygamie. Il est étrange que Moïse
ne l'ait pas interdite ; mais il est d'autant plus
remarquable qu'elle ait été si rare
et ait fini par disparaître
entièrement. Le livre de la Genèse,
qui nous parle cependant de la polygamie des
patriarches, la réprouve
énergiquement dans son double récit
de la création
(7). Si David et
Salomon ont entretenu *des harems, ils agissaient
en opposition avec les moeurs de la nation
(8), et pour
quiconque observait rigoureusement la Loi, il
était presque impossible d'avoir plusieurs
femmes, car Moïse avait proclamé
égaux les droits des époux
(9) et proscrit
les eunuques
(10). Si la
bigamie était quelquefois pratiquée
par l'Hébreu, ce n'était que pour
s'assurer une postérité. Avoir
beaucoup d'enfants, perpétuer la race
Israélite, était une des principales
préoccupations du Juif fidèle. Le
peuple songeait toujours à son avenir sur la
terre.
Les Israélites croyaient qu'ils
deviendraient aussi nombreux que le sable qui
couvre la grève et leur premier soin devait
être de hâter la venue de cette
époque bienheureuse. Les femmes de mauvaise
vie étaient très mal vues; jamais
elles n'ont reçu chez les Juifs ces hommages
dont les célèbres courtisanes
grecques étaient entourées, et la
corruption effroyable, décrite par saint
Paul au premier chapitre de l'épître
aux Romains, n'a point pénétré
en Palestine
(11), les
enfants d'Israël n'ont
jamais éprouvé pour les
débauches païennes que le plus
insurmontable dégoût. Ainsi dans tout
l'Ancien Testament la dignité de la femme
nous apparaît égale à celle de
l'homme. Tous deux sont créés
à l'image de Dieu. Dans un passage de la Loi
il est dit : « Chacun respectera sa
mère et son père
(12) ». La
mère est nommée ici la
première; il n'y a donc aucune
différence dans le respect dû par les
enfants à leurs deux parents. Au premier
siècle, la monogamie était fermement
établie sinon par la Loi, du moins par les
moeurs, et, dans la Mischna, nous lisons de bien
belles paroles sur le respect dû à la
femme par son mari
(13). «
L'homme doit un grand respect à sa femme,
car ce n'est que par la femme que la
prospérité vient à l'homme
(14). »
« Il faut aimer sa femme comme soi-même
et la respecter plus que soi-même
(15) ».
« Prenez garde de contrarier voire femme, car
ses larmes sont toujours prêtes à
couler (16)
». Nous avons dans ces beaux préceptes
un écho lointain
(17) des
développements de saint Paul sur les devoirs
mutuels des époux. On disait encore : «
La mort d'une femme de bien est pour celui qui l'a
perdue un malheur égal à la ruine de
Jérusalem. »
Ces préceptes cependant ne nous
donnent pas toute la pensée des rabbins. Ils
étaient très convaincus qu'au point
de vue religieux, la femme était
inférieure à l'homme et ils
étaient loin de faire la part aussi belle
à celle-là qu'à celui-ci. Les
garçons étaient circoncis; à
la naissance des filles il n'y avait aucune
cérémonie religieuse. A douze ans,
les garçons étaient menés au
Temple. Aucun âge n'était
indiqué pour les filles; on les y conduisait
quand on le voulait. Dans l'intérieur du
sanctuaire, les femmes avaient leur cour
réservée derrière la
place où se tenaient les
hommes. L'éducation religieuse de la femme
était très négligée.
Certains rabbins parlaient même de ne lui en
donner aucune
(18). «
Quant à faire étudier la Loi à
la femme, autant vaudrait lui enseigner
l'impiété », disaient-ils
(19), et comme
il leur fallait un texte, ils citaient la parole :
« Vous enseignerez vos préceptes
à vos fils »; les filles ne sont pas
nommées; il n'y a donc pas à leur
enseigner les préceptes de la Loi.
Le Talmud de Babylone met sur le
même rang, parmi les fléaux du monde,
«la veuve bavarde et curieuse et la vierge qui
perd son temps en prières
(20) ». Le
Pirké Aboth recommande de ne pas entretenir
« de discours inutiles avec les femmes
(21) », et
Hillel avait prononcé cette dure parole :
« Les femmes conduisent aux
préjugés
(22).
»
Elles vivaient, du reste, assez
séparées des hommes. Ceux-ci avaient
la rue, la place publique, les discussions au
Temple. Les femmes restaient dans les maisons. Si
les fenêtres de leur appartement donnaient
sur la rue
(23), elles
étaient fermées par un grillage ou
une jalousie
(24). La femme
mariée ne sortait que la tête
entièrement voilée
(25). Il
n'était pas convenable de parler à
une femme en public.
On ne la saluait même pas. Le salut de
l'ange à Marie
(26) est tout
à fait contraire aux usages juifs
(27) . Rabbi
Samuel disait : « Il ne faut pas demander de
services aux femmes et il ne faut
pas les saluer », et nous
voyons dans l'Evangile
(28) les
disciples s'étonner de ce que Jésus
parle « à une femme » avant de
s'étonner de ce qu'il parle « à
une Samaritaine », ce qui aurait dû leur
sembler plus grave encore. « Il ne faut pas
parler aux femmes sur la place, surtout pas
à sa propre femme », lisons-nous encore
dans les Talmuds
(29) et le
Pirké Aboth recommande de ne pas «
multiplier les discours avec les femmes
».
Il est positif que la femme était
dispensée de tout devoir religieux revenant
à jour et à heure fixes; elle
n'était pas tenue d'avoir des
phylactères, de réciter le schema,
d'assister à la lecture de la Loi, de porter
des franges a son manteau, d'entendre le son du
Schoffar à la fête de Rosch Haschana
et d'habiter sous la tente à celle des
Tabernacles
(30). Ces
devoirs ne lui étaient pas interdits, mais
elle en était dispensée, et, dans les
synagogues, on voyait beaucoup plus d'hommes que de
femmes.
On ne peut nier non plus que, dans
certains cas, la femme fût presque
assimilée à l'esclave. Ainsi, elle ne
pouvait témoigner en justice
(31), sauf le
cas où elle attestait la mort de son mari.
Et en effet, sa sujétion légale
était absolue. Elle était la
propriété de son père avant
son mariage, de son époux après. Le
père pouvait marier sa fille à son
gré et même la « vendre »
c'est le terme de la Loi
(32) et les
Talmuds le répètent
(33). Cette loi
barbare était adoucie par quelques
dispositions complémentaires.
1° Le maître qui achetait
la jeune fille devait soit l'épouser, soit
la donner à son fils ;
2° Elle était libre au bout
de six ans ;
3°Son maître ne pouvait la
revendre ;
4° Si ni lui ni son fils ne
l'épousait, il devait faciliter son
affranchissement
(34).
Telles étaient les ordonnances de
Moïse et on les suivait encore au
premier siècle. Si le
père avait marié sa fille lorsqu'elle
était encore une enfant, elle pouvait, une
fois majeure, faire casser son mariage. Il lui
suffisait pour cela de déclarer devant
témoins qu'elle refusait le mari qu'on lui
avait donné
(35).
Le mari pouvait imposer à la
femme un travail manuel rémunérateur.
Si elle était riche, elle devait au moins
filer de la laine, et son mari ne devait pas la
considérer comme remplissant ses devoirs si
elle se bornait aux soins du ménage
(36).
Ces dispositions, si odieuses qu'elles
nous paraissent, ne sont rien encore,
comparées à celles qui autorisaient
le divorce. Il était devenu d'une
facilité et d'une fréquence
révoltantes.
La loi du divorce avait
été, promulguée par Moïse
(37). Elle
avait donné lieu à des abus tels que,
pendant les derniers siècles avant
Jésus-Christ, quelques adoucissements
à cette loi avaient été
proposés. Siméon ben Schetach, dont
nous avons dit qu'il fonda une école
d'enfants à Jérusalem, avait
cherché sous le règne de
Salomé, sa soeur, à rendre le divorce
plus difficile. Ce fut à son époque
que l'on établit l'usage du contrat de
mariage qui assurait les droits de la femme et une
indemnité pécuniaire en cas de
divorce (38).
Il fit école sur cette question, et, au
premier siècle, nous distinguons deux
courants, celui des partisans du divorce et celui
des adversaires de la -vieille loi mosaïque.
Il ne s'agissait certes pas de l'abroger, Nous
l'avons déjà dit: l'idée de
changer un iota, un trait de lettre à une
seule des lois mosaïques, ne pouvait venir
à personne à cette époque. Il
s'agissait seulement de l'adoucir et de
l'améliorer. Hillel et Schammaï
différèrent d'opinion sur cette
question comme sur beaucoup d'autres. Moïse
s'était servi de termes très vagues
en permettant le divorce à celui qui
trouvait dans sa femme « quelque chose de
répréhensible ». Schammaï
entendait par là l'adultère et rien
d'autre, et il n'autorisait le divorce que dans
ce cas spécial
(39). Quelques
années plus tard, Jésus-Christ
interprétera la loi mosaïque de la
même manière. Hillel, sur le
prétendu libéralisme duquel on s'est
trompé, prenait cette expression «
quelque chose de répréhensible »
dans le sens le plus étendu. « Si
quelqu'un hait sa femme qu'il la répudie
», disait-il. Il faisait plus, il
précisait les motifs de divorce et
choisissait de préférence les plus
futiles. « On peut la répudier si elle
a mal préparé un plat » ; «
si elle commet une maladresse » ; « si
elle laisse brûler le rôti
(40) »,
Ses disciples, qui lui attribuent ces paroles,
prévoient aussi certains cas qui pouvaient
entraîner le divorce. « Si la femme sort
la tête non voilée »; « si
elle adresse la parole au premier venu » ;
« si elle divulgue les secrets de famille
(41). »
Rabbi Aquiba, le grave et célèbre
Aquiba, va jusqu'au bout de celte singulière
espèce de largeur et il dira tout
crûment : « Si quelqu'un voit une femme
plus belle que la sienne qu'il répudie la
sienne ». et il ajoutait, osant citer un texte
à l'appui, « car il est écrit :
« Si elle n'a pas trouvé grâce
« à tes yeux
(42) ».
Josèphe fut sur ce point de l'école
de Hillel (43).
Cependant il faut dire, à l'honneur du
judaïsme, que les, moeurs valaient mieux que
de pareils préceptes ; disons aussi,
à l'honneur du pharisaïsme, que
l'école de Hillel ne fut pas tout
entière de l'avis de son chef. Plusieurs
Pharisiens célèbres, R Jochanan, R.
Elieser, etc., se rangèrent du
côté de Schammaï et dirent comme
Jésus: « Que personne ne répudie
sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère
(44) ».
« L'autel lui-même pleure. disaient
encore certains Pharisiens, sur celui qui
répudie sa femme
(45)
».
Gamaliel l'ancien, le "maître" de
saint Paul, et le petit-fils de
Hillel, n'adopta pas non plus
l'opinion de son aïeul. Il fit prendre
diverses mesures favorables à la femme et
entoura le divorce de nouvelles difficultés
. Il n'empêchait pas là femme
répudiée de se remarier
(Schammaï et Jésus le faisaient), mais
il voulait que le premier mariage fut
légalement dissous avant qu'un second
mariage pût être contracté. Ce
fut certainement à cette époque que
dut être prise la décision si sage de
la Mischna permettant à la femme aussi de
demander le divorce si elle avait à se
plaindre de son mari
(46). La loi de
Moïse n'avait donné qu'au mari le droit
de divorcer
(47).
Lorsqu'on répudiait sa femme, on
lui donnait « la lettre de divorce ». Le
modèle nous en a été
conservé dans les Talmuds
(48).
En voici la traduction :
Au jour *** de la semaine` du mois
de***, an du monde*** selon la supputation en usage
dans la ville de***, située auprès du
fleuve***, (ou de la source***), moi les noms,
prénoms et surnoms du mari) fils de*** et de
quelque nom que je sois appelé,
présent aujourd'hui (suit la date
répétée comme ci-dessus),
originaire de la ville de*** agissant en pleine
liberté d'esprit et sans subir aucune
pression, j'ai répudié,
renvoyé et expulsé toi (suivent les
noms de la femme). fille de*** et de quelque nom
que tu sois appelée, de la ville de*** et
qui as été jusqu'à
présent ma femme. Je te renvoie maintenant
toi (suivent encore une fois les noms de la femme)
fille de***. De la sorte tu es libre et tu peux, de
ton plein droit, te marier avec qui tu voudras et
que personne ne t'en empêche. Tu es donc
libre envers un homme quelconque ; ceci est ta
lettre de divorce, l'acte de répudiation, le
billet d'expulsion, selon la Loi de Moïse et
Israël (suivaient les signatures des
témoins).
La lettre de divorce que cite le passage des
Talmuds dont nous venons de donner la traduction
est ainsi signée :
RUBEN, fils de Jacob, témoin.
ELIÉZER, fils de Gilead,
témoin.
Une fois l'acte rédigé par un
scribe, signé par les témoins et
remis à la femme ou à son
fondé de pouvoir, le divorce était un
fait accompli. Elle devait quitter la place et
choisir un nouveau domicile. La femme pouvait, si
elle le désirait, faire enregistrer sa
lettre de divorce aux archives du Sanhédrin.
Elle était libre de se remarier si toutefois
le mari n'avait pas inséré dans la
lettre une clause spéciale qui l'en
empêchait. Les enfants en bas âge
étaient laissés à la femme
(49) mais le
père devait subvenir à leurs besoins.
A l'âge de six ans, le garçon
était remis à son père. La
fille restait avec sa mère, et son
père continuait à pour voir à
son entretien.
Telle était la
législation, en usage au premier
siècle. Jésus y a mis fin par ses
admirables paroles sur le divorce et on
n'exagérera jamais la grandeur du bienfait
rendu ici par le christianisme à
l'humanité. La facilité du divorce
était dans l'antiquité tout
entière, une cause permanente de
désordre. En Palestine, les adultères
étaient si fréquents que le
Sanhédrin avait été
obligé de supprimer l'enquête «
par les eaux amères
(50)
».
Jésus, il est vrai, autorise le
divorce, mais seulement pour cause
d'adultère et, même dans ce cas, il ne
l'impose pas, il se borne à le permettre. Il
n'est donc pas exact de dire que Jésus l'a
absolument interdit et qui osera prétendre,
étant données certaines situations,
que les liens du mariage doivent toujours
être indissolubles? mais, en même
temps, quelle réserve admirable! «
Celui qui répudie sa femme l'expose à
devenir adultère. » Du reste,
Jésus défend d'épouser une
femme divorcée, et il ne permet en
réalité que la séparation.
L'ESCLAVAGE
La législation de Moïse est
certainement de toutes les législations
antiques sur l'esclavage la plus bienveillante, la
plus libérale, la plus
éclairée. Au temps de
Jésus-Christ, l'esclavage existait en
Palestine, il y était pratiqué depuis
des siècles ; nul ne songeait à
l'abolir et Jésus, qui a été
en contact avec des esclaves, qui a guéri,
par exemple, l'esclave malade d'un centenier
(51), n'a
jamais parlé de l'abolition possible de
cette effroyable plaie sociale. Il ne faut pas en
être surpris. La condamnation de l'esclavage
est implicitement contenue dans plusieurs de ses
paroles, mais, ici comme partout, Jésus ne
voyait qu'une conséquence de la pratique de
l'Evangile, et non un but à atteindre de
prime abord par la révolte et la violence.
Toutes les conquêtes du monde moderne sont en
germe dans l'enseignement du Christ, mais elles ne
devaient se faire que peu à peu ;
Jésus jetait la semence, ou, pour employer
le mot de l'apôtre, il mettait le levain la
pâle lèverait certainement, mais plus
tard.
L'esclave en Palestine, au premier
siècle, pouvait être horriblement
malheureux. Voici comment s'exprimait, peu de temps
avant l'ère chrétienne, l'auteur de
l'Ecclésiastique
(52) : «
Le fourrage, le bâton et le fardeau sont pour
l'âne ; la nourriture, la correction et le
travail sont pour l'esclave. Mets ton serviteur en
oeuvre et tu trouveras du repos : lâche lui
les mains et il demandera d'être affranchi.
Le joug et le licol font courber (le cou du boeuf),
il en est ainsi du fouet et de la torture à
l'égard de l'esclave malicieux. Envoie-le au
travail, afin qu'il ne soit point oisif; car
l'oisiveté enseigne beaucoup de malice.
Emploie-le aux ouvrages qui lui sont convenables et
s'il n'obéit pas, donne-lui des fers plus
pesants. »
Après ces dures. paroles,
Jésus ben Sirach change de langage et
écrit : « Toutefois, ne commets pas
d'excès (à l'égard de qui que
ce soit) et ne fais rien sans jugement. Si tut as
un esclave entretiens-le comme ton âme; car,
le possédant, il est comme le sang qui te
fait vivre. Si tu as un esclave, traite-le comme
ton frère, car tu en as à faire comme
de toi-même , que si tu le maltraites
à tort et qu'il s'enfuit, par quel chemin le
chercheras-tu ? »
Ce mélange de cruauté et
de douceur nous apparaît encore dans les
Talmuds : « Quand la femme esclave de R.
Eliézer mourut, on voulait le consoler, et
il répondit : Dites simplement, comme pour
la mort des animaux domestiques : Puisse Dieu te
restituer cette perte. » Les quarante coups de
la bastonnade pouvaient être
dépassés avec l'esclave. Cependant on
ajoutait : « Il est permis d'être
sévères avec l'esclave, mais
quoiqu'on en ait le droit, la règle de
miséricorde et la règle de sagesse
sont que l'homme soit clément et respecte la
justice, qu'il n'alourdisse pas le joug de son
esclave et ne le maltraite pas
(53). »
« Les sages d'autrefois donnaient à
leurs esclaves de tous leurs mets et de ce dont ils
mangeaient eux-mêmes et ils nourrissaient
leurs bêtes de somme et leurs esclaves avant
eux-mêmes
(54). »
Voici enfin une belle parole de Gamaliel l'ancien.,
qui date, par conséquent, du milieu du
premier siècle. Il avait un esclave
appelé Tobie et qui lui était fort
cher. Les Talmuds en parlent souvent
(55). Ce Tobie
mourut, et comme Gamaliel acceptait les
condoléances de ses amis : « Ne nous
as-tu pas appris, lui disaient ses disciples, qu'on
ne reçoit pas de consolation pour la mort
des esclaves? - Mon serviteur Tobie,
répondit Gamaliel, ne ressemblait pas aux
autres esclaves, car il était honnête
et pieux. » Il serait facile sans doute de
trouver chez les philosophes païens des
paroles semblables et l'effroyable cruauté,
bien connue, de la législation romaine sur
les esclaves ne saurait nous
donner une juste idée de la manière
dont ces malheureux étaient traités
à Rome et dans l'empire au premier
siècle. Chez les Romains, les moeurs
valaient presque toujours mieux que les lois
(56). Si nous
comparons les moeurs romaines aux moeurs juives
envers les esclaves, nous trouvons qu'elles se
valent ou à peu près ; mais si nous
comparons la législation païenne
à la législation israélite, il
est certain que les lois de Moïse sur les
esclaves étaient très
supérieures à celles de Rome ou de la
Grèce.
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