Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LES HEUREUX


PRÉFACE

 

Jamais il n'y a eu sur la terre tant de larmes et tant de sang, jamais l'humanité n'a tant souffert, et ce qui est plus grave : par sa faute. Car elle moissonne la tempête après avoir semé le vent. Elle récolte de la chair la corruption après avoir semé pour la chair. Mais aussi jamais elle n'a tant prié, les hommes surtout, qui depuis longtemps ne priaient plus; ils étaient si forts, si sûrs d'eux-mêmes ! avaient-ils besoin de prier ? Beaucoup de ceux qui souffrent et dont le coeur est meurtri commencent à se tourner vers celui-là seul qui pourrait les consoler vraiment, Jésus de Nazareth, l'ami fidèle et tendre «qui ne brise pas le roseau froissé et n'éteint pas le lumignon qui fume encore ».
En étudiant les Béatitudes qu'il prononçait Jadis sur les bords du lac de Génézareth, nous avons été frappé de voir comme elles répondaient bien aux besoins de l'âme contemporaine : elles nous semblent dire exactement ce qu'il faut que cette âme entende et offrir après quoi elle soupire. De là l'idée de publier ces simples études sans aucune prétention littéraire, et qui expriment ce qu'éprouve un coeur aimant et ému pour ses contemporains. Si elles pouvaient apporter à ceux qui pleurent un peu de consolation en tournant leurs regards de côté de Celui qui leur parle aujourd'hui comme jadis, ce serait pour lui comme une consolation et la meilleure des récompenses.

Genève, mars 1916

F. THOMAS.


.

I

HEUREUX!

Heureux !
MATTHIEU V, 3.

En cette époque troublée, il est bon de se retirer à certains moments dans le calme et la tranquillité, notre âme en a un besoin impérieux et si ce besoin n'est pas satisfait, elle risque fort de s'user et de périr misérablement. Les jours que nous traversons sont si éprouvants, nos nerfs sont parfois si tendus, l'angoisse et la douleur étreignent tellement nos coeurs à certaines heures qu'il est nécessaire que nous sortions de temps à autre de la mêlée pour nous recueillir en présence de Dieu.

C'est ce que nous voulons faire en nous transportant par l'imagination sur cette montagne des béatitudes, au sud-ouest du lac de Génésareth, où fut prononcé, il y a bientôt deux mille ans, le sermon sur la montagne, que l'on a appelé la Charte du royaume de Dieu. C'est plus une colline qu'une montagne, qui monte en pente douce du paisible lac de Galilée jusque sur un plateau que domine un rocher assez élevé. La vue s'étend de là bien loin sur la vaste étendue de l'eau que troublent à peine quelques barques de pécheurs du genre de celle des premiers disciples. Ah ! que nous sommes loin, sur cette montagne, du fracas des champs de bataille et de l'agitation des grandes villes, et comme nous comprenons que Jésus ait choisi cet emplacement pour prononcer le plus important discours de l'histoire, celui dont ou peut dire qu'il est en même temps le plus révolutionnaire de tous sous son apparente douceur!

Les deux évangélistes Luc et Matthieu ne sont pas d'accord sur le moment où il fut prononcé, ni sur le contenu exact de ce discours : celui de Matthieu est beaucoup plus long que celui de Luc, et il renferme nombre de paroles qui, évidemment, n'ont pas dû être prononcées à cette occasion. Matthieu les a groupées pour en faire un tout, mais il est facile, à la lumière du récit de Luc, de distinguer le texte du sermon sur la montagne proprement dit, des autres paroles prononcées dans d'autres occasions.

En outre, tandis que Matthieu place le discours au début du ministère, immédiatement après la tentation de Jésus et l'appel des premiers disciples, Luc, lui, le met passablement plus tard, après un premier ministère à Capernaüm, où s'était passé la pêche miraculeuse, la guérison d'un lépreux et d'un paralytique, ainsi que l'épisode des épis de blé mangés un jour de sabbat et celui de la guérison de l'homme à la main sèche. Ces derniers faits avaient soulevé une grande opposition de la part des pharisiens. C'est alors, toujours d'après Luc, que Jésus se rendit sur la montagne pour prier, et que le lendemain, ayant appelé ses disciples, il en choisit douze auxquels il donna le nom d'apôtres, puis il descendit avec eux dans une plaine, à la rencontre de la multitude, pour prononcer le sermon sur la montagne. Tandis que Matthieu dit qu'il monta sur cette montagne (V, I), Luc dit qu'il en descendit (VI, 17). Avec F. Bovet nous pouvons expliquer cette contradiction apparente en disant qu'il était monté tout d'abord sur la plus haute partie de la montagne, sur le rocher pour prier et choisir ses apôtres, puis qu'il en descendit le lendemain jusque sur le plateau qui l'entoure pour prononcer le sermon sur la montagne.

Nous assistons ainsi à une sorte de concentration de troupes, celles de l'ennemi dont les cadres sont les pharisiens, et celles du Seigneur qui ont pour cadres les apôtres. Maintenant que ces officiers sont autour de lui, il va pouvoir donner son ordre du jour à cette armée étrange, formée d'hommes pauvres pour la plupart, de péagers et de gens de mauvaise vie, armée qui ne possède aucun uniforme, aucun engin destructeur, et la préparer à entreprendre la plus formidable des guerres, une guerre qui durera des siècles et qui est loin, très loin d'être finie, contre les plus redoutables des ennemis, les uns visibles, les autres invisibles, autrement plus dangereux et plus nombreux encore, une guerre dans laquelle Dieu lui-même est engagé, puisque c'est pour lui et pour son royaume que l'on va se battre et qu'il s'agit de substituer au royaume des ténèbres et de la mort son royaume qui est celui de la lumière et de la vie. Quelle scène, quel drame ! et en même temps quel cadre infiniment paisible pour une scène aussi impressionnante et pour un drame aussi solennel ! Mais avec le Christ, rien ne nous étonne, lui qui nous a habitués à traiter dès ici-bas les questions les plus importantes, à nous occuper des choses de l'éternité dans la vie de tous les jours et dans les circonstances les plus ordinaires de cette vie. Là où les yeux de la chair ne distinguent rien que des tableaux insignifiants, les yeux de l'esprit découvrent des horizons grandioses, des virtualités gigantesques, des valeurs infiniment précieuses.

Le général en chef de l'armée de l'Éternel va prononcer son ordre du jour : beaucoup ont parlé avant lui, sages et philosophes, fondateurs de religions et docteurs de toute espèce, conquérants de tous pays, ils ont tous dit leur mot avant d'agir, puis de disparaître derrière le voile mystérieux de l'au delà. Au tour du Christ maintenant de dire son message, le message du ciel à la terre, du Dieu créateur, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, à cette humanité déchue, à la fois si grande et si petite, si belle et si laide, si divine et si diabolique. Que va-t-il dire ? Le silence se fait au milieu de cette foule qui compte tant de gens en deuil, tant d'affligés, tant de malades, tant de blessés, de désespérés de toutes sortes ; son premier mot, vous l'entendez, c'est : « Heureux ! Bienheureux ! » qu'il répète neuf fois de suite.

Jamais exorde de discours ne fut plus impressionnant, plus solennel, plus attrayant et plus saintement habile. Ce que l'on recommande aux futurs prédicateurs de l'Évangile, c'est de bien surveiller le début de leurs discours, on peut dire de lui qu'il en est comme la clé, qui sert à ouvrir, mais qui peut aussi fermer les coeurs des auditeurs. Je dirais volontiers qu'un orateur donne déjà sa mesure dans la façon dont il débute : l'auditoire est là, plus ou moins bien disposé, ordinairement distrait et absorbé par tout autre chose que par ce qui va lui être dit, surtout lorsqu'il s'agit de choses religieuses, son coeur, hélas ! est ailleurs, rempli par les soucis et les préoccupations de la vie matérielle. Il faut attirer, puis retenir son attention, le solliciter doucement à suivre celui qui va parler, l'entraîner, presque sans qu'il s'en doute, sur un certain terrain, il importe d'éveiller son intérêt pour la cause de Dieu et de s'assurer qu'il sera là présent tandis que nous parlerons.

Eh bien, ici encore, comme sur tous les autres points, Jésus-Christ est bien un Maître lorsqu'il commence par parler de bonheur à ces hommes de toutes conditions qui sont réunis devant lui.

En effet, si c'est au bonheur que Jésus invite de la part de Dieu, c'est que Dieu veut notre bonheur, un sûr instinct nous pousse vers lui, il n'y a pas un homme, il n'y en a jamais eu un seul sur la terre qui n'ait cherché ou qui ne cherche le bonheur, tous, pauvres et riches, ignorants ou savants, doués ou peu doués, depuis les plus civilisés jusqu'aux plus sauvages, cherchent à l'envi le bonheur et le veulent à tout prix. C'est peut-être la marque la plus sûre de l'unité du genre humain, le point sur lequel tous sont d'accord, le lien qui les unit tous, le trait d'union qui les met tous en contact les uns avec les autres. J'irai jusqu'à dire qu'ils sont encore plus unis sur cette question que sur celle de la vie: si la plupart veulent vivre en vertu du puissant instinct qui les entraîne et qui les pousse à sauver et à défendre leur vie envers et contre tous, il y en a pourtant qui résistent à l'instinct et qui préfèrent la mort à la vie, le néant à l'existence. Mais sur la question du bonheur l'unanimité est complète, et ceux-là mêmes qui souhaitent de mourir prouvent par ce souhait qu'ils ont soif de bonheur, d'un certain bonheur, d'un bonheur très relatif, je le reconnais, le bonheur de ne plus être, de ne plus souffrir, celui du Nirvâna où la personnalité disparaît dans une inconscience plus ou moins totale, mais enfin c'est encore et toujours le bonheur, une espèce de bonheur que l'on recherche quand on souhaite la mort.

J'irai jusqu'à dire que l'homme ne peut pas vivre sans chercher le bonheur; il faudrait pour qu'il cessât de le chercher, précisément qu'il cessât de vivre, qu'il sortît en quelque sorte de lui-même, car il est organisé physiquement et psychiquement pour le bonheur, et par instinct tout, autant que par réflexion, il a toujours fui et il fuira jusqu'au bout la douleur quelle qu'elle soit. Son grand effort à travers les siècles a été de la fuir ou de la dompter, ou même de la diriger de telle façon, qu'elle aussi contribue à son bonheur: lorsqu'il voit qu'il ne peut plus lui échapper, il cherche à s'en faire une alliée dans sa recherche de bonheur et il y réussit, au point que la douleur même lui procure parfois des joies profondes, un bonheur supérieur. Cela est tellement vrai que dans les premiers siècles du christianisme, il fallait que les Pères de l'Église avertissent les fidèles assoiffés de martyre, de ne pas chercher leur bonheur dans les tortures et dans les supplices infligés aux chrétiens et de ne plus courir au devant de leurs bourreaux pour le plaisir de se faire supplicier : bonheur étrange tant que l'on voudra, mais qui prouve, à n'en pas douter, à quel point l'homme veut à tout prix être heureux.

J'ajoute que si l'unité entre tous les hommes est absolue quand il s'agit de la soif du bonheur, la variété commence, elle est même infinie quand il s'agit de satisfaire cette soif, c'est le cas de dire : Autant d'hommes, autant d'opinions, et cela ne nous étonne pas puisque les hommes sont tellement variés, et que leur milieu, leur éducation, leur époque, tout aussi bien que leur tempérament, les rendent si différents les uns des autres. Mais sous ces apparences multiples nous discernons partout, toujours et chez tous le même et irrésistible courant qui entraîne les hommes vers le bonheur, comme les fleuves vers la mer, et de même qu'il serait impossible de faire remonter ces fleuves vers leur source, de même il est difficile, il est impossible, d'empêcher l'homme de tendre au bonheur.

Entendons-nous bien cependant, on ne doit pas dire que le bonheur est le but de la vie, et que nous sommes appelés à vivre pour être heureux, je dirai plutôt que le bonheur est un moyen, mais pas un but, le but est plus haut, le but est plus saint et plus digne de la créature en même temps que du Créateur, c'est la volonté de Dieu, c'est le triomphe de sa gloire dans l'accomplissement de cette volonté, c'est l'obéissance à la loi divine qui est la loi d'amour et qui seule peut assurer aux individus, comme aux sociétés, leur plein épanouissement.

Voilà pourquoi celui qui veut vivre pour être heureux est sûr de manquer le bonheur, il le poursuivra, mais sans l'atteindre jamais, comme un mirage dans le désert, par la raison bien simple que chercher avant tout à être heureux, c'est se rechercher soi-même, c'est sortir de la loi d'amour, c'est hypertrophier son moi et faire triompher son égoïsme. Or l'égoïsme est le plus grand ennemi du bonheur, il le ruine, il l'empêche aussi sûrement que l'amour le prépare et l'assure, et c'est là le grand mensonge du péché que de nous faire croire qu'en vivant pour nous-mêmes nous arriverons à être heureux, tandis qu'en réalité se perdre de vue soi-même, s'oublier pour aimer, c'est marcher à coup sûr, parfois à travers la souffrance, je le veux bien, mais d'une façon certaine vers le bonheur véritable, vers celui qui ne peut pas passer. Jésus disait : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné pardessus » (Matthieu VI, 33). Ne pourrait-on pas dire aussi : « Cherchez premièrement à obéir à la loi divine de l'amour, et le bonheur vous sera donné par-dessus. » Pour être quelque chose qui s'ajoute, le bonheur n'en est que plus réel et plus certain en même temps.

Remarquez-le bien, je ne veux pas dire par là que le bonheur soit en quelque sorte du superflu et que l'homme puisse s'en passer, du moins d'une façon définitive, Je crois bien plutôt qu'il rentre dans le programme de Dieu et qu'un homme malheureux n'est pas dans l'état normal ni dans le plan divin ; il peut l'être momentanément, étant donné l'état anormal où nous nous trouvons ici-bas, il ne l'est pas, il ne peut pas l'être définitivement, et si la terre est trop souvent une vallée de larmes, c'est qu'elle n'est pas notre séjour éternel, elle n'est qu'un court passage, un temps d'apprentissage, une école qui sera suivie d'une éternité bienheureuse.

Il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à se rappeler les promesses de l'Écriture, des déclarations comme celles-ci par exemple : « Plusieurs disent: Qui nous fera voir le bonheur ? Fais lever sur nous la lumière de ta face, ô Éternel! Tu mets dans mon coeur plus de joie qu'ils n'en ont quand abondent leur froment et leur moût (Psaume IV, 7 et 8). Il y a des rassasiements de joie devant ta face (XVI, 11) Heureux celui à qui la transgression est remise, à qui le péché est pardonné! Heureux l'homme à qui l'Éternel n'impute pas l'iniquité et dans l'esprit duquel il n'y a point de fraude! Beaucoup de douleurs sont la part du méchant, mais celui qui se confie en l'Éternel est environné de sa grâce! Justes, réjouissez-vous dans l'Éternel et soyez dans l'allégresse ! Poussez des cris de joie, vous tous qui êtes droits de coeur! (XXXII, 1 et 2, 10 et 11)» Nous n'en finirions pas si nous voulions citer tous les passages qui parlent de bonheur, de joie profonde et même complète. Même Jésus, à la veille de sa mort, parle de joie parfaite, et cette joie qui est la sienne, il veut la communiquer à ses disciples : « Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jean XV, 11). Et Jacques, dans son épître, va jusqu'à dire : « Mes frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que l'épreuve de votre foi produit la persévérance » (I, 2 et 3).

Nous protestons par conséquent de toutes nos forces contre ceux qui croient et qui affirment que l'homme est fait pour souffrir, comme le dit une inscription à l'entrée d'un vieux château: Nasci, pati, mori : Naître, souffrir, mourir. Nous protestons énergiquement au nom de notre foi contre tous les pessimismes théoriques ou pratiques, actuels ou anciens, dont on essaie d'empoisonner l'âme humaine, et si nous avions encore des doutes à cet égard, il nous suffirait de nous replacer en face du sermon sur la montagne et de celui qui l'a prononcé, et de relire en particulier les béatitudes et leur promesse de bonheur.

Mais pour ne pas aller au devant d'amères déceptions, de déceptions qui seraient d'autant plus profondes et plus cuisantes que nos espérances auraient été plus ardentes et plus vives, il faut à tout prix avoir confiance dans le Dieu qui veut notre bonheur et dans les conditions qu'il a mises à ce bonheur. Dieu, en effet, étant la suprême réalité, ne peut pas vouloir l'apparence, il ne veut pas pour ses enfants une joie factice, un bonheur superficiel, il veut que leur bonheur, pour être durable, soit aussi profond que possible, et c'est la raison pour laquelle il est obligé, étant donné notre déchéance et la légèreté de nos coeurs déchus, d'approfondir nos âmes, ou plus exactement, de nous faire rentrer en nous-mêmes, jusqu'à ce que nous arrivions au véritable fond de notre être. En bon architecte qu'il est, il ne veut pas bâtir sur le sable, il va jusqu'au rocher. En bon médecin, il opère jusqu'à ce qu'il ait enlevé la racine profonde du mal. Et c'est la raison pour laquelle il nous a mis ici-bas à l'école de la douleur, cette grande éducatrice, ce creuset nécessaire, cet apprentissage indispensable qui doit nous préparer au bonheur, lui qui nous connaît mieux que nous et qui sait quelles sont les profondeurs insondables de l'âme humaine.

Nous ayant créés à son image, ayant mis du divin dans chacune de nos âmes, il sait avant nous et bien mieux que nous que ce qui nous manque pour être heureux, c'est Dieu lui-même. Le péché nous a enlevé Dieu, a vidé nos coeurs de Dieu, et nous ne pourrons être heureux que lorsqu'ils seront de nouveau remplis de lui, Notre erreur, en même temps que notre faute, elle est exprimée par cette parole du prophète Jérémie: « Mon peuple a commis un double péché : ils m'ont abandonné, moi qui suis une source d'eau vive, pour se creuser des citernes crevassées, qui ne retiennent pas l'eau » (II, 13). Il faut à tout prix que Dieu nous détourne de ces citernes crevassées, afin de nous devenir, ou plutôt de nous redevenir nécessaire, même indispensable.
De là le paradoxe des béatitudes : Heureux les malheureux, non pas parce qu'ils sont malheureux, mais parce que, étant malheureux, ils vont chercher ailleurs, ils vont chercher en Dieu ce qu'ils n'ont pas trouvé dans les biens et les joies de cette terre.

C'est là le sens merveilleux et profond en même temps des béatitudes : quand on les lit, on est souvent quelque peu déçu d'abord, il semble vraiment que le Christ se moque de nous et qu'il emploie en parlant ainsi l'arme terrible de l'ironie. Rien de plus faux, en réalité c'est son amour et lui seul qui le fait parler ainsi, c'est parce qu'il nous connaît mieux que nous-mêmes, parce qu'il a sondé les profondeurs insondables de notre coeur qu'il ose parler ainsi, il n'y a que les esprits superficiels ou désespérément légers, ou peu honnêtes, qui après avoir entendu Jésus parler ainsi s'éloignent scandalisés.

Il n'en sera pas ainsi de vous, lecteurs bien-aimés, vous allez au contraire prouver que vous n'êtes pas des auditeurs distraits ou déshonnêtes, en vous laissant attirer précisément par ce qu'il y a de paradoxal dans la parole du Maître, votre attention sera retenue, puis fixée sur celui qui ose parler ainsi, car il a ses raisons de le faire et vous ne tarderez pas à reconnaître qu'il a bien fait de proclamer heureux les malheureux, heureux ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif de justice ou qui sont persécutés, parce qu'il est là capable, lui, de répondre à leurs besoins et tout disposé à le faire en se communiquant à eux. Pour recevoir le Christ il faut un certain état d'âme, l'état d'une âme qui se sent vide et malheureuse ; dès que l'âme en fait l'expérience, elle devient capable de saisir le Christ dans son infinie beauté et son amour plus infini encore. Il faut pour que la semence soit reçue dans la terre que la charrue ait creusé de profonds sillons : il en est de même de l'âme humaine qui, pour recevoir le grain de blé tombé en terre, le germe nouveau mis par Dieu dans le monde, doit tout d'abord être labourée par la charrue de l'épreuve.

Il est peu de scènes plus saisissantes et plus poignantes en même temps que celle du sermon sur la montagne, puisqu'au moment où Jésus-Christ l'a prononcé, il était là tout disposé à répondre aux soupirs des âmes qui l'entouraient, il ne se contentait pas de parler, il était prêt à se donner, il ne proposait pas seulement un merveilleux programme de bonheur, il s'offrait lui-même à le remplir. Il continue depuis cette heure solennelle à le faire pour tous ceux qui le lui demandent, pour toi, mon frère, pour toi, ma soeur, qui peut-être dans ce moment même te sens triste, découragé, vide, presque désespéré ; lève donc les yeux et contemple-le, celui qui te regarde avec amour, fais silence, écoute les paroles qui sortent de sa bouche, il te déclare heureux puisque tu es malheureux, mais à la condition expresse que ce soit en lui désormais, et, par lui, en Dieu, ton Père et ton Créateur, que tu cherches le bonheur, aujourd'hui, tous les jours et jusque dans l'éternité.

La voix de tes sentinelles,
Au loin déjà retentit ;
Sur les cimes éternelles
L'aube du matin reluit.
 
Ceux dont l'âme est languissante
Ceux dont le coeur est troublé,
Entendront sa voix puissante
Qui nous dit : «Je t'ai sauvé ».
 
Avec des chants d'allégresse,
Les délivrés marcheront
Vers Sion ; plus de tristesse,
Mais le bonheur sur leur front.
 
Ses promesses sont certaines,
Jésus a tout accompli ;
Venez aux vives fontaines,
D'où le salut a jailli !
 
Oh ! plénitude ineffable,
Transformés de jour en jour
Par ton Esprit adorable,
Nous vivons dans ton amour

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