Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CE QUI BLESSE LA CONSCIENCE

suite

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II

LES RELIGIONS


Les plus profondes blessures qu'ait reçues la conscience lui ont été faites par la religion; j'oserais presque dire, par la religion chrétienne.
Ce qu'il y a de pis au monde, c'est la corruption de quelque chose de bon. Les religions païennes ont gâté la conscience le christianisme Corrompu a failli la tuer.
Lorsque le catholicisme, au nom de la religion chrétienne, étale pendant des siècles les scandales des couvents et du clergé; lorsqu'il justifie les tyrannies et les injustices, lorsqu'il exerce des persécutions violentes, lorsqu'il travestit là Révélation, lorsqu'il invente une série de dogmes qui nous ramènent en pleine idolâtrie, lorsqu'il fabrique des procédés de salut; lorsque le protestantisme, à son tour, devient une institution politique, une morte orthodoxie; lorsqu'il se fait intolérant, formaliste, appui du despotisme gouvernemental; la conscience se trouble et se pervertit.
- Dans quel état le long règne du catholicisme avait mis les consciences; il n'y a qu'à se reporter au XVIe siècle pour le savoir.

D'un côté, ce relâchement et ces moeurs dépravées qui n'étonnent plus personne; de l'autre, une Renaissance franchement païenne à laquelle se rattachent presque tous les hommes éclairés, à commencer par Léon X et bon nombre de ses cardinaux.
Mais, parmi les preuves de cet affaissement prodigieux des consciences, j'en connais peu de comparables aux trois ou quatre conversions successives de l'Angleterre, acceptant sans difficulté la religion prescrite par le souverain. régnant : papauté du monarque avec Henri VIII, protestantisme avec Édouard VI, catholicisme avec Marie, anglicanisme avec Élisabeth!

Lors de l'avènement de Marie, le parlement et le clergé fournirent à peine quelques opposants à la restauration catholique.
Ah! par exemple, ce parlement qui acceptait le catholicisme de prime-saut, n'aurait pas du tout accepté l'obligation de rendre les biens qu'il avait pris au clergé. On obtint des bulles. On rassura les nouveaux possesseurs contre un changement de propriétaires, avant de leur demander un changement de foi. Tous adhérèrent ! Leur religion, à la bonne heure. Leur argent, non.
Les pauvres gens furent, sous la Reine sanglante, les seuls martyrs ou peu s'en faut.
Et ce pays nous présente, aujourd'hui, un type achevé d'indépendance, de conviction, de self government!
Pourquoi? La véritable Réforme est venue, apportée par les dissidents, par les persécutés. Le catholicisme avait établi l'autorité romaine, celle qu'on accepte les yeux fermés. La Réforme a ramené. l'autorité biblique, celle qui veut, pour être reconnue, que la conscience ait les yeux ouverts.

De nos jours, le concile se charge de blesser la conscience, et de la blesser à mort.
Voici des hommes qui déclarent qu'un concile général présidé par le pape est l'organe infaillible du Saint-Esprit; et ces hommes intriguent pour déterminer l'action du Saint-Esprit, et ces hommes recherchent l'intervention des gouvernements pour déterminer la marche du Saint-Esprit, et ces hommes protesteront contre telle ou telle décision du Saint-Esprit, et ces hommes, le moment venu, interpréteront la décision du Saint-Esprit dans un sens absolument contraire à son vrai sens !
Les respects de l'incrédulité pratiquante, envers le christianisme, infligent à la conscience une blessure empoisonnée.
Je veux dire cette vieille hypocrisie en vertu de laquelle, les gens qui ne croient pas, font comme s'ils croyaient, saluent chapeau bas la religion qu'ils ont mise à la porte, et conservent soigneusement pour leurs femmes, pour leurs enfants, pour le peuple et pour la paix publique, les mensonges - il faut mettre le nom sur la chose - dont ils ne veulent pas pour eux.
Ceux-là communient à certaines époques, assistent parfois au culte, font baptiser leurs fils et leurs filles, se munissent des derniers sacrements à l'heure dernière; ceux-là se scandalisent très-fort, lorsqu'un douteur intègre, M. Sainte-Beuve, par exemple, refuse courageusement, honnêtement l'extrême-onction, ce passeport délivré par une religion dont il ne reconnaît plus l'autorité.

Mépris pour l'âme humaine, mépris pour la vérité, chaque acte religieux pratiqué par l'incrédule signifie cela. La religion à laquelle on ne croit pas, et dont on fait un moyen de gouvernement, un moyen de répression, un suppléant à la gendarmerie; C'est tout simplement le mensonge utile remis en honneur. Je ne vois pas de quel droit ces gens-là font la guerre aux jésuites.
Le christianisme, libéral, proche parent de l'incrédulité respectueuse, ne ménage pas mieux la conscience.
Et d'abord, pourquoi libéral, en quoi libéral?
Il n'y a qu'une liberté, celle qui apporte la délivrance du mal. - «Où est l'Esprit du Christ, là est la liberté (1). » - La liberté, la voilà. Soumission à la vraie autorité, indépendance vis-à-vis des faux pouvoirs, ne la cherchez pas ailleurs.

Libres! - Nous qui reconnaissons l'autorité de la Révélation, nous qui voulons obéir à la Révélation, nous sommes plus libres, nous sommes plus libéraux que vous. Nul ne considère de plus haut que nous les directeurs, les traditions humaines, les croyances toutes faites, la commode acceptation des inertes orthodoxies, l'abdication de ces âmes paresseuses qui, renonçant a la fatigue suprême, la recherche du vrai, s'échouent pour en finir dans le scepticisme ou dans la foi.
Nous connaissons, nous pratiquons le rude métier d'hommes libres. Les hommes de la Bible, les peuples de la Bible savent ce que c'est; je crois que tous ont fourni leurs preuves en fait de liberté.
Que deviendrait la liberté livrée aux libéraux : la liberté sans l'autorité, la liberté sans la foi? l'avenir le dira.
En attendant, voyez un peu ces chrétiens - car ils tiennent au nom - qui rejettent tout ce qui constitue le christianisme.
Ils croient en Dieu! et nient le surnaturel; c'est-à-dire qu'ils détruisent Dieu.
Ils affectent d'admirer Jésus! et nient tout ce que Jésus a déclaré sur lui-même; c'est-à-dire qu'ils font de Jésus, ou un insensé, ou un blasphémateur.
Ils invoquent la Bible! et nient la vérité de son contenu, c'est-à-dire qu'ils font du livre divin un recueil d'absurdités.
Ils prononcent des prières! et nient l'intervention du Tout-Puissant dans les affaires d'ici-bas; c'est-à-dire qu'ils se moquent et d'eux-mêmes et du Tout-Puissant.
Ils se posent comme les hommes de la conscience, comme les hommes du devoir! et nient le péché, nient la conversion; c'est-à-dire les affirmations les plus éclatantes de la conscience, c'est-à-dire l'essence même du devoir.
Cela fait, les chrétiens libéraux prennent des attitudes mystiques, considèrent la larme à l'oeil ce pauvre Évangile qu'ils ont mis en lambeaux, et nous apprennent ceci : que l'Évangile na pas de réalité objective, mais qu'il répond à des besoins subjectifs! que l'aine humaine ne, saurait se passer de religion; qu'elle demande une certaine dose d'idéal; que c'est dans la proportion où un individu, où un peuple est religieux qu'il est libre, qu'il est moral; que, par conséquent, il faut lui donner du dogme, qu'il faut lui administrer de la révélation, suivant ses appétits! - Et voilà de nouveau le mensonge à la base de tout l'édifice moral, de tout l'édifice social.

Étonnez-vous après cela des ébranlements.
Étonnez-vous que les âmes indignées, épouvantées, se jettent en plein despotisme romain. Battus de la tempête, déchirés par les douleurs, hantés de ces pourquoi terribles que chaque tombe en se fermant déchaîne sur notre coeur; étonnez-vous que des hommes sérieux, que des hommes de devoir et jusqu'à un certain point de conscience, se précipitent vers une autorité quelconque, acceptent une religion inacceptable, croient, subissent, pratiquent la tête dans un sac, plutôt que de se résigner à cette Révélation qui n'en est pas une, à ce Sauveur qui n'en est pas un, à ces prières qui n'obtiennent rien, à ce Dieu qui dort on ne sait où !

La Réforme, quoi qu'on en ait dit, n'a rien à faire avec le christianisme libéral. Le libéralisme - pris dans le sens théologique, actuel et faux du mot - n'est pas la conséquence du principe réformé; il en est la négation. La Réforme a ramené les âmes à, la foi, à la grâce, à la Bible, trois choses absolument antipathiques aux libéraux.
En fait d'autorité le monstre par excellence, pour tout - libéral - montrez-m'en une comparable à celle que la Réforme a retrouvée et remise en vigueur - l'autorité du livre qu'aucune tradition, qu'aucune interprétation ne modifiera jamais! Montrez-moi, ici-bas, un pouvoir plus absolu, un maître plus exigeant! Et découvrez, si vous le pouvez, des soumissions, des renoncements pareils à ceux des vrais hommes libres, des enfants de la Bible et de Dieu!
Ne laissons donc mettre au compte de la Réforme, ni les négations audacieuses, ni les négations doucereuses, ni pas une des énormités qu'elle rejette avec horreur et qu'on cherche à lui endosser.
Les Églises nationales - il faut rendre à César ce qui appartient à César - ont, avec l'Église catholique, préparé ce perpétuel divorce entre les actes et la foi, qu'on appelle libéralisme, et par où la conscience est si grièvement blessée. Leur principe et leurs coutumes, qui supposent une conviction universelle, ont universellement accoutumé les hommes à trahir leur conviction.

Le vieux mensonge païen, celui qui avait porté tant de coups à 14 consciences antique, s'est par là continué, sous la forme chrétienne.
L'Évangile et la conscience affirment que la croyance est un fait personnel, que la conversion est un fait individuel; le paganisme et les Églises de multitude proclament une foi collective, attribut de tout citoyen. Ces dernières lèvent leurs catéchumènes aussi régulièrement que l'État lève ses conscrits. Quels que soient les doutes, ou l'indifférence, ou la conduite, à seize ou dix-sept ans - à sept dans l'Église romaine le fossé est sauté.
Ainsi des générations successives sont appelées à se déclarer convaincues sans l'être; ainsi la première communion sans la conversion - et nous savons si celles-là l'emportent sur les autres - ouvre la porte à toutes les méprises de l'âme, pour ne pas dire à toutes ses duplicités; ainsi l'homme qui n'est pas chrétien se fait marier en chrétien., fait en chrétien baptiser ses enfants, reçoit la cène en chrétien, pratique tout, ne croit à. rien, prend Dieu à témoin de ses hypocrisies, s'y établit. en paix, y vit, y dort, y meurt; et ne se doute pas qu'en agissant de la sorte, il devient un des plus terribles agents de cette perversion morale sous l'incessant travail de laquelle notre société pourrit et périt.
À mesure que s'éclairent les consciences, elles voient là ce qu'il y a: un scandale; et, par ce qui leur reste de religion, elles rejettent la religion;
Mais, grâce à Dieu, les Églises nationales ne sont pas les vraies Églises de la Réforme.

La Réforme, dans tous les temps et dans tous les pays a produit ses témoins, a fourni ses représentants. Ceux-là, partout et toujours, sont retournés au modèle apostolique; ceux-là, partout et toujours, ont pris la Parole de Dieu pour unique règle de leur vie et de leur foi; ils ont rejeté la tradition, ils ont retrouvé l'Église. Par la profession individuelle, par la séparation de l'Église et du monde, par la séparation de l'Église et de l'État, ils ont rétabli la vérité.

Catholicisme, luthéranisme, anglicanisme, calvinisme sont à l'heure qu'il est battus en brèche et vont se démolissant. Une seule foi reste debout. La vieille foi des vieux réformateurs. Solidement appuyée d'un côté sur la Bible, de l'autre sur l'Église, elle se sait immortelle, et le prouve en vivant.
L'Église d'État, cette monstruosité, blesse plus à fond la conscience.
L'Église d'État demande l'appui du magistrat, le secours de l'épée. Quand elle ose et que l'heure est aux violences, elle demande la persécution. Par compensation, elle laisse l'État s'immiscer dans ses affaires; et par calcul, elle protège à son tour l'État. Cet échange de bons services entre les despotismes et les clergés, mène droit les âmes en pleine incrédulité religieuse ; c'est bien le moins.
Des lois qui attachent certains privilèges à certaines croyances, des statuts qui frappent de défaveur certaines convictions, des mesures de répression qui vont gêner l'exercice d'une foi quelconque, des mesures de rigueur qui vont en châtier l'expression; des politiques de sacristie qui, au dehors et au dedans, poursuivent un but absolument étranger à l'intérêt loyal, honnête, avoué du pays; des magistrats ci-vils qui mènent ou malmènent les questions religieuses, qui autorisent la fixation d'un dogme ou s'y opposent, qui tantôt protègent, tantôt régentent - et souvent tous les deux à la fois - l'Église qu'on appelle Église de Dieu; des czars, des reines qui sont les chefs nés de la religion; un empereur qui, par ses ministres, intervient dans les décisions de Rome, c'est-à-dire - pour les catholiques dans les décisions du Saint-Esprit; voilà de quoi ruiner, et à fond, toute notion de vérité chez tout peuple consciencieux.


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III

QUELQUES FAITS NATIONAUX


La conscience est blessée par tels ou tels procédés nationaux absolument contraires au sens moral.
Conversion sommaire des peuples barbares, à dater de Constantin; armées de moines lâchées sur les païens dont elles saccageaient les temples et violentaient les habitants; missions à coups de massue exercées en Phénicie sous les auspices de saint Chrysostôme, missions à coups de hache exercées parmi les Saxons sous la paternité de Charlemagne, missions à coups de sabre exercées en Livonie et en Prusse par les chevaliers Porte-glaive; croisades contre les musulmans, qui, le plus souvent, aboutissaient au pillage des chrétiens et au massacre des juifs; croisades contre les Albigeois et les Vaudois, rondement menées à grand renfort de bûchers: autant de procédés qui sont de l'histoire, qui ont été des faits, et qui, de près ou de loin, attaquent la conscience, car ils sous-entendent le mépris de la vérité.

Même sous-entendu, moins sanguinaire, aussi funeste à l'âme, lorsque, de nos jours, les princesses allemandes qui prétendent à l'honneur d'entrer dans la famille impériale de Russie, se tiennent prêtes - retardant exprès leur première communion - soit à rester catholiques, soit a demeurer protestantes, soit à se faire grecques si quelque Grand-duc sollicite la faveur de leur main.
Même scandale quand les Bernadotte se font protestants en Suède, quand les fils d'un roi protestant ou catholique se font grecs à Athènes, quand la religion se fait partout la servante de l'ambition.
Et vous vous étonnez que les peuples ne croient plus à rien (2) !
La cruauté, cette école impie, ouverte ou maintenue tout au moins par les gouvernements du bon temps jadis, blesse au vif la conscience.
Qu'un arsenal, qu'un musée nous livre les secrets de la torture; en présence de ces raffinements sans nom, pratiqués à froid, savourés à loisir, tout notre être s'exaspère et proteste.

Au temps dont je parle on ne s'exaspérait point, on ne s'indignait même pas; on allait voir écarteler comme on va voir courir, et l'on s'en revenait au petit pas de sa mule, content du bourreau, de ses valets et de soi.
Ces choses se passaient hier. Souvenez-vous de Damiens! Souvenez-vous des belles dames suspendues à ces agonies dont nous ne parvenons pas à supporter le récit!
Sans parler de la dépravation profonde opérée par de tels enseignements ; chevalets, tenailles, poires d'angoisse et le reste proclamaient, ceci: qu'il n'y a ni juste ni injuste, car chacun le sent d'instinct, dès que la torture s'en mêle, le résultat ne peut plus être la découverte de la vérité; ils proclamaient ceci: l'absolu dédain de l'âme humaine, car, au nom de la moralité, ils lui arrachaient le sens moral.

Notre temps n'a-t-il rien à se reprocher? Les exécutions publiques ne pervertissent-elles pas la conscience publique? Ne sait-on point quels propos s'échangent en face du couperet? Être libre, se sentir l'esprit allègre, le corps dispos, et se tenir là, les mains dans les poches, pour voir agoniser; cela fait-il des braves ou cela fait-il des lâches? Est-ce de l'humanité, ou de la bestialité?
Les combats de taureaux, cette sauvagerie féroce dont se repaît l'Espagne et que maintient son gouvernement, est-elle à la gloire de notre siècle? Favorise-t-elle l'éclosion des générosités, le développement du sens moral; ou réveille-t-elle les mauvaises voluptés, allume-t-elle la soif du sang, va-t-elle déchaîner cette brute, cette fauve que chacun de nous sent rugir et gronder au fond de son coeur?
L'enseignement se retrouve, soyez-en surs.

Aux jours de révolution, aux jours de commune, il montre les élèves qu'il a faits. Alors on voit des assassinats atroces longuement accomplis par tout un peuple, alors on voit des femmes acharnées au sang, alors on voit des enfants, tuer pour se divertir, alors on voit que la conscience n'est pas impunément pervertie par les leçons que lui donne l'autorité (3).
Et croyez-vous que la guerre légèrement déclarée, croyez-vous que ce dédain pour la chair humaine qui implique la plus parfaite indifférence aux douleurs de l'âme, qui sous entend le plus complet oubli de l'Éternité, croyez-vous que de tels attentats ne démoralisent pas à fond?

Et les procédés que la guerre entraîne tueries d'ennemis sans défense, coups de fusils tirés par derrière; et les Arabes enfumés; et les boulets qui enfoncent la glace après Austerlitz! cela fait-il vivre ou cela fait-il mourir la conscience d'un peuple?

Il n'y a pas trois jours, nous pratiquions la traite. S'inquiéter des massacres qui l'entretiennent en Afrique, s'inquiéter du désespoir de ces désemparés, de ces déchirés; s'inquiéter des tourments de cette marchandise noire, pantelante, étouffée, pourrie à fond de cale, jetée par-dessus bord dès qu'elle s'avariait ou qu'un surveillant de la mer paraissait à l'horizon; demander un réveil de la pitié, un effort, un mot, un vote: n'était-ce point passer pour un esprit chimérique, pour un pourfendeur de moulins à vent?

Rien ne se perd dans le monde moral, pas plus que dans le monde physique. Les exemples ne meurent pas plus que les idées.
Le sang inutilement versé par le pouvoir a disparu, vous le croyez! nos places publiques l'ont bu, nos pavés l'ont recouvert, nos magistrats s'en sont lavé les mains, tout est dit! Non, tout n'est pas dit, et une heure vient, toujours, où ce sang ressort, où ce sang bouillonne, où ce sang appelle un autre sang; et c'est le peuple, l'élève attentif de la grande école du pouvoir, qui, de son talon, le fait jaillir du sol.
Toutes les fois que le représentant de la justice : le gouvernement, vole, ment, corrompt, oppresse, il assassine la conscience.

L'altération des monnaies jadis, I'État retranchant un quartier dans les temps plus modernes, la banqueroute totale ou partielle; autant d'actes, qui d'un homme feraient un coquin. Que font-ils de cette collection d'hommes qu'on appelle gouvernement? que mettent-ils devant l'âme ? qu'enseignent-ils au pays? Les révolutions et les révolutionnaires pourront vous le dire au besoin.
Ils vous diront que les moyens infâmes employés en haut lieu, les lettres de cachet au siècle dernier, les embastillements sans procès et sans terme; de nos jours l'immorale action d'une politique sans scrupules; les faveurs scandaleuses, les violations du droit, le mensonge prenant partout ses entrées sous le nom d'habileté, la corruption électorale établissant rachat, par conséquent la vente des consciences; ils vous diront que la police secrète, ce long crime destiné à prévenir les crimes, ces agents provocateurs qui ont intérêt à faire éclore le mal, ces camarades placés en prison auprès des accusés afin de les espionner, de les tromper, de les perdre; et, si l'on remonte quelques degrés sur cette sale échelle : les abus de confiance, les serviteurs déloyaux entretenus auprès des ministres, auprès des ambassadeurs; les lettres décachetées, copiées, recachetées; les existences louches et dégradées sous l'apparence de l'intégrité, de la sincérité; toute cette infernale boutique en un. mot, foyer permanent de corruption, gâte le pays, crée un danger perpétuel, proclame à grande voix qu'il n'y a ni bien ni mal, ni vrai ni, faux, ni sainteté ni perversion; qu'il y a quelque chose qui se nomme le pouvoir, et que, lorsqu'on le tient, tous les moyens sont bons pour le garder.

Ce n'est pas impunément non plus, croyez-moi, que la conscience voit les gouvernements fonder une partie de leurs revenus, les uns sur la loterie: l'Espagne, l'Autriche et l'Italie (4) ; les autres sur les maisons de jeu: le grand-duché de Bade, le canton du Valais, Monaco; ceux-ci sur la vente des eaux-de-vie : la Russie chez elle, la France à Taïti; ceux-là sur le débit de l'opium: l'Angleterre aux Indes, l'Angleterre en Chine (5) !
Ne l'oubliez pas davantage, les gouvernements vont puiser leurs ressources en de pires égouts.
Que devient la conscience publique, que devient la pudeur publique, que devient l'honnêteté, lorsque des établissements innommables reçoivent un caractère officiel du gouvernement qui les impose, qui les autorise., qui les protège, qui les sanctionne, et qui encaisse sans rougeur ces écus chargés de boue et tachés de sang!
Soyez-en certains, sur cet argent-là, sur ces gouvernements-là, il y a de la malédiction (6).
Vous qui tolérez de tels marchés, vous qui autorisez ces ventes et ces achats de chair humaine, faites attention à ce que je vous dis!
Vous qui légalisez ce vaste assassinat des âmes, vous qui le supportez; au jour du jugement, vous répondrez des âmes assassinées. Prenez garde au jour du jugement (7).

1. II, Corinthiens, III, 17
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2. Voir note F à la fin du volume
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3. Supprimez dans nos villes les boucheries et le transport public des chairs sanglantes; ayez des marchés spéciaux. Qu'on n'égorge plus dans les rues de nos villages, sous les yeux de nos enfants rassemblés. Vous ouvrez là des écoles de méchanceté, qui gangrènent la conscience. L'homme indifférent aux souffrances de l'animal, l'homme assez dépravé pour s'en repaître, l'homme assez perverti pour torturer lui-même, vaut un assassin; fournissez-lui l'occasion, il le deviendra tout à fait. - Quant aux façons cruelles de tuer, il est grand temps d'y mettre un terme. Que la conscience publique s'émeuve et qu'elle en ait raison. 
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4. Non seulement la loterie publique est autorisée en Italie, non seulement le gouvernement perçoit un droit sur ce genre d'entreprise, mais monopole lui en est exclusivement réservé, et c'est par quatre-vingt millions que l'on compte le bénéfice annuel que verseau trésor cette institution immorale, la ruine du pays. 
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5. Voir note F à la fin du volume
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6. En face de pareilles turpitudes, il fait bon se souvenir de cette parole d'un ministre d'État qu'on félicitait sur son avènement au pouvoir:
« je ne suis pas au pouvoir, je suis au devoir! »
Je préfère ce viril accent à nos banalités sur le : banc de douleur. 
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7. Tout ce, qu'on a dit de l'attentat que je signale, on l'a dit des maisons de jeu.
On a dit des maisons de jeu qu'elles étaient un mal nécessaire. - Or le mal n'était pas nécessaire, puisqu'il a disparu et qu'on s'en est passé.
On a dit des maisons de jeu : que, si la loi les prohibait, des tripots occultes, échappant à toute surveillance, viendraient les remplacer, et que, loin de guérir, la plaie grandirait. - Or la police, qui n'a le droit d'exister que pour découvrir les contraventions à la loi et pour les empêcher de nuire, met parfaitement la main sur les tripots, sur les tripoteurs, coffrant ceux-ci, fermant ceux-là.
On a dit : que, privée d'une satisfaction en quelque sorte normale et légitime, la passion du jeu s'exaspérerait, qu'elle prendrait des proportions effrayantes, que le nombre des joueurs, des dupeurs et des dupés décuplerait, que le jeu supprimé ferait plus de victimes qu'il n'en a fait, toléré! - Or, il s'est trouvé, qu'affranchie d'une provocation continuelle, d'un incessant appel qui la créait lorsqu'elle n'existait pas, qui la réveillait lorsqu'elle était engourdie, qui, lorsqu'elle vivait et brûlait en surexcitait les ardeurs, la passion du jeu, si elle ne s'est point évanouie, ne s'est point accrue, que le nombre des joueurs et des victimes n'a point augmenté, et que l'occasion, ce diable toujours aux aguets une fois délogé, les allants et les venants, les indifférents, les passants qui tombaient dans ses pièges - tout au moins, ceux-là - lui ont échappé.
Examinez, en conscience, et tirez les conclusions. 
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