Les rois sont des individus, admirablement
placés, convenons-en, pour sauvegarder ou
blesser la conscience.
Quand les Valois, quand un Louis XIV
étalent leurs adultères au plein
éclat du jour; lorsqu'ils entourent cette
fange de la considération publique; lorsque
la position de maîtresse en titre, de fils
adultérin devient un état, j'allais
dire une vocation reconnue, brillante, rayonnante,
proclamée, respectée; lorsque, sans
scrupule et sans vergogne, avec une impudence qui
n'a d'égale que l'orgueil, l'individu roi
légitime son vice et le déploye en
haut; l'individu peuple profite de la leçon,
et la répète en bas. Lisez
l'histoire!
Tout écrivain est un professeur,
tout artiste est, a sa manière, un
créateur.
Quand le théâtre et les
livres prennent à tâche de remuer les
lies du coeur; quand l'impureté, sous tous
ses aspects, en fait l'éternel fond; quand
le vice, à toutes les sauces: tantôt
frivole et grotesque, tantôt sérieux
et gourmé, forme l'unique plat du menu;
lorsque les expositions de peinture, sous
prétexte de retour au vrai, lorsque les
expositions de sculpture, sous prétexte de
retour à l'antique, placent devant nos
regards, c'est-à-dire devant nos âmes,
des images vicieuses, provocatrices au mal; quand
la musique se fait ignoble, quand ses phrases
moqueuses, triviales et débauchées,
je n'ai pas d'autre mot, vont rabattant l'esprit au
lieu de l'élever; pensez- vous, dites-le
moi, que ces discours-là restent sans action
sur un peuple? Ne voyez-vous pas que chacun entend,
que chacun comprend et que la vie nationale en est
empoisonnée parce que le sens national en
est perverti (1)?
L'industrie et les industriels ont
blessé la conscience.
Ces fortunes immodérées,
bâclées. en un tour de main sous
l'étouffante, sous l'impure
atmosphère des manufactures n'étalent
point leur luxe, sans que, par un juste retour, le
spectacle des misères qui en ont
favorisé la monstrueuse rapidité :
travail forcé des enfants (2),
travail
forcé des femmes, destruction de la famille,
dépravation de l'âme et
délabrement du corps, ne sautent aux
yeux.
Plus de foyer, plus d'éducation,
plus de saines tendresses! L'enfant, ce libre
oiseau, encagé au sortir de l'oeuf, loin du
soleil, du grand air, des buissons et de la
liberté, s'atrophie et se corrompt. La femme
séparée du mari, la fille de la
mère; le logis froid, désert,
répugnant; l'homme au cabaret, parce qu'il
n'a plus d'intérieur; des rapprochements
longs et fâcheux imposés par les
exigences d'un même labeur, tandis que la
différence des aptitudes et des branches
opère la division entre les membres d'une
même famille. tout cela constitue un
état de choses vicieux; et l'argent qui en
sort, les grosses prospérités
bruyantes qui émergent tout à coup de
ces marais, ne contribuent pas, tenez-vous en pour
certains, à rassainir la conscience
publique.
Dieu merci, toutes les fabriques et tous
les fabricants n'en sont pas là. On
rencontre des industriels préoccupés
du bien-être, de la moralité, de
l'avenir de leurs ouvriers. Ceux-là, parce
qu'ils respectent la conscience, respectent
l'homme; ceux-là, plus pères que
maîtres, protègent les familles; ils
instruisent les enfants, ils organisent des
intérieurs gracieux, ils ménagent au
travailleur des moments où il est roi chez
lui. Mais on les compte; et le sens moral ne vit
pas d'exceptions.
L'argent - il faut, hélas ! y
revenir sans cesse aujourd'hui - l'argent, par ses
origines, attaque la conscience et la laisse
blessée.
Nous assistons à des tripotages
honteux. Nous voyons des spéculations
véreuses enrichir ceux qui les ont
lancées et d'effrénés jeux de
Bourse réussir. Tout à
côté de ces fortunes scandaleuses,
nous voyons des banqueroutes scandaleuses aussi,
qui n'empêchent ni les jouissances ni la vie
à fracas. On a trompé, on a
infligé des pertes, on a jeté nombre
de familles dans le désespoir; et l'on va
grandes guides, sans tomber sous les coups de la
justice - qui s'abattent dru comme grêle sur
le voleur d'un pain - on va grandes guides, menant
la grande existence des grands faiseurs!
Et la société accepte
cela, et l'opinion ne se formalise point, et, une
fois que le tour est fait, bien fait - n'oublions
pas ce détail - le monde passe condamnation;
tout sourit à ces gens-là!
Croyez-vous l'enseignement bon? Votre
moralité, pour le recevoir chaque jour, s'en
porte-t-elle mieux? Et, sans parler du socialisme,
qui profite de la leçon, sans parler du
discrédit que jettent de pareils hasards sur
la propriété; un trouble profond ne
va-t-il point saisir au plus secret de nos
consciences, ces fermes notions du bien et du mal
que rien ne semblait pouvoir ébranler?
Lorsqu'on voit tout ce qui fait la guerre
à la conscience : philosophies, religions,
gouvernements, justices pénales, conflits
entre nations, scandales donnés par les
rois, vices pratiqués par les peuples,
corruption dans les lettres, dans les arts, dans
les moeurs; une pensée vient à
l'esprit ; il faut que la conscience soit bien
fortement constituée, bien indestructible,
bien divine, il faut qu' elle ait la vie bien dure
pour subsister encore, en dépit de tant
d'ennemis!
Et souvent même, elle dicte
à ceux qui la blessent des actes par
lesquels elle prouve son impérissable
autorité.
Ces pasteurs libéraux qui donnent
leur démission parce qu'ils ne croient plus,
ces laïques douteurs qui cessent de s'associer
au culte parée qu'ils n'ont plus de
convictions, ce pape et ces ultramontains qui vont
droit devant eux, en plein abîme
d'obscurité, mal-. gré-les
avertissements des habiles; cette-Église
libérale, à Londres, l'Église
du Progrès, qui, n'admettant plus la Bible,
ne la lit pas; qui, ne croyant plus en
Jésus-Christ, ne célèbre ni le
baptême ni la cène; qui', n'ayant plus
foi dans l'intervention surnaturelle de Dieu, ne
prie pas; remplaçant des dévotions
menteuses par -quelques discours politiques ou
sociaux entremêlés de concerts; tous
ces actes, tous ces hommes obéissent
à la conscience, car ils -obéissent
à la vérité.
Déplorons les tendances, je le
veux; honorons l'intégrité,
suprême triomphe du sens moral.
Par là, par ce retour au vrai,
notre siècle se montre supérieur aux
siècles précédents.
Chaque chose, aujourd'hui, prend sa
forme et sa couleur. Les positions se font
tranchées; le catholicisme rompt nettement
avec la lumière; le scepticisme se
déclare franchement irréligieux; on
voit des gens qui, ayant perdu la foi, ne font pas
à Dieu l'injure de conserver
l'adoration.
Le réveil du christianisme a
produit ce réveil de la conscience.
Avant l'Évangile, tous les genoux
fléchissaient, sans exception, devant les
dieux du pays. Les plus incrédules, parmi
les Romains et les Grecs, exerçaient sans
scrupule les fonctions du sacerdoce. Il y avait au
fond de l'âme humaine un mensonge permanent,
un mépris, universel à l'endroit de
la religion. C'était le principe, païen (3).
L'Évangile,
révélation du Dieu de
vérité, nous ramène
forcément au vrai. Nous sommes, dans la
proportion où nous croyons à
l'Évangile, des hommes de
vérité. Les nations, dans la mesure
où elles acceptent l'Évangile, sont
des peuples de vérité;
c'est-à-dire de lumière,
c'est-à-dire dé
liberté.
Chez celles-là, non chez
d'autres, naissent les progrès; chez
celles-la, non chez d'autres, s'accomplissent des
réformes qui ne sont pas. des
révolutions; chez celles-là, non chez
d'autres, l'esprit de famille s'est
développé, la littérature n'a
pas sombré dans la boue, les arts ne se sont
pas avilis; Celles-là, non d'autres, ont
retrouvé le principe chrétien par
excellence : l'Église indépendante,
l'Église séparée de
l'État et du monde; ce sel de
l'Évangile, ce puissant, ce magnifique
triomphe de sincérité qui nous
restitue la croyance individuelle, qui nous rend
l'accord entre les actes et les convictions; qui
est, à lui seul, une résurrection de
la conscience!
La conscience, relevée,
délivrée par l'Église libre, a
librement déployé sa force. Missions,
évangélisation, écoles du
dimanche, écoles des
déguenillés; guerre aux infamies
sociales, guerre aux oppresseurs, charité
collective, charité privée, tout a
pris l'essor!
On nous déclare que le
christianisme va mourir, qu'il est mort, que
l'impiété a gagné la
bataille., que les revues et les journaux
démolissent à qui mieux mieux
l'Évangile, que les savants lui ont dit son
fait, qu'il n'y a plus qu'à
l'enterrer!
J'aurais envie de répondre
:
Les gens que vous tuez se portent
à merveille!
Mais non; je renvoie juges et sentences
au XVIIIe siècle, à l'Angleterre et
à Montesquieu.
La foi semblait si parfaitement
détruite alors, qu'un observateur tel que
Montesquieu pouvait s'écrier: En Angleterre,
il n'y a point de religion!
Et c'était le moment où
Wesley, où Withefield, saisissant la Bible,
donnaient le signal du réveil qui a
secoué le monde protestant, galvanisé
la monde catholique, produit l'élan vers
toutes les libertés. C'était l'heure
du réveil qui a créé toutes
les oeuvres, du réveil qui va partout briser
la monstrueuse union du spirituel et du temporel,
partout régénérer l'individu,
transformer partout les sociétés
!
« Je suis vivant. J'ai
été mort. Mais voici, je suis vivant
au siècle des siècles (4)!
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