La conscience est le fond même de la
liberté. Au nom du devoir on
résiste.
Les seuls hommes libres, sont les hommes
du devoir.
Les seuls Peuples libres, sont les
peuples que l'Évangile instruit par la
conscience à pratiquer le devoir.
Tant qu'il y a des consciences,
c'est-à-dire des âmes qui se
gouvernent elles-mêmes, en présence de
Dieu, le despotisme est impossible.
La conscience est la base même de
l'égalité. Intelligence,
santé, richesse, figure, éducation,
milieu: autant d'inégalités.
Mais une conscience vaut une
conscience.
L'Évangile, en mettant les
consciences à l'air libre, -a fondé
la liberté et
l'égalité.
Et par de là les courts horizons
d'ici-bas, l'Évangile nous montre
l'égalité suprême, la grande
égalité des âmes toutes perdues
par un même péché, toutes
sauvées par un même sacrifice, toutes
appelées à la même
immortalité.
.NOTE B
On a trouvé des débris humains
dans les couches du terrain quaternaire, parmi des
ossements d'animaux qui appartiennent à une
époque antérieure, ou qui n'habitent
plus nos régions.
Qu'est-ce que cela prouve? Ces hommes
n'ont-ils pu vivre avant le déluge, au
milieu de conditions qui étaient celles de
l'Europe alors, qui ne le sont plus aujourd'hui? Et
le déluge, justement, n'a-t-il pas
été la conséquence d'un
changement géologique mettant fin à
l'ancien ordre de choses pour amener l'ordre
nouveau?
On découvrait naguère,
sous le sol de Marseille, des restes de vaisseaux
phocéens. À ne consulter que leur
situation en terre, à ne considérer
que l'épaisseur de la couche dont ils
étaient recouverts, on n'aurait pas eu de
peine à parler de dix ou de vingt mille
ans.
Or, la forme de ces vaisseaux fixant
à la fois leur origine et leur
époque, il a bien fallu se renfermer dans
les temps historiques, c'est-à-dire dans un
espace très-limité.
Combien de raisonnements sur
l'antiquité de l'homme, sur la position des
débris, n'ont pas de fond plus
solide!
On a établi la succession de
l'âge de la pierre, de, l'âge du bronze
et de l'âge du fer.
C'est très-bien; mais à
l'heure même où j'écris, des
peuplades considérables en sont encore
à l'âge de la pierre !
Ces âges successifs ont donc pu
vivre, ont vécu sur notre globe,
simultanément, tous à la
fois.
On a parlé d'interminables
évolutions graduelles, en géologie;
et l'on a décidé qu'il ne pouvait
exister, pour ces évolutions-là, ni
changements brusques ni rapides
changements.
On l'a décidé, mais on ne
l'a pas prouvé.
Il est difficile d'admettre, par
exemple, que les grandes formes des montagnes
plutoniennes aient surgi lentement, et que, dans
les couches neptuniennes, tant de créatures
vivantes aient été saisies par les
boues, sans qu'un tel envahissement
présentât rien de brusque ou
d'imprévu.
En tout cas, des modifications
considérables peuvent s'opérer,
tantôt avec une très-grande lenteur,
tantôt avec une excessive
rapidité.
Voyez les alluvions de l'embouchure d'un
fleuve! Certaines circonstances étant
données, elles s'accroîtront plus en
une année qu'en mille, qu'en dix mille ans,
dans les conditions ordinaires des
dépôts.
Les atterrissements dont on fait tant de
bruit, ont donc pu suivre autrefois une marche
infiniment accélérée, que rien
aujourd'hui ne saurait rappeler.
Quant à la durée des
époques géologiques, elle se
détermine au hasard. Lyell parle de cent
mille ans. Des savants danois parlent de quelques
milliers d'années.
Évidemment, la terre n'a pas dit
son dernier mot.
.NOTE C
Le rationalisme s'est indigné du vol
pratiqué par les Israélites aux
dépens des Égyptiens, lors de la
fuite au désert: du vol et du mensonge
ordonnés de Dieu.
Il n'y a pas plus là de tromperie
que de larcin.
Nul ne s'est un instant mépris,
en Égypte, sur les caractères du
départ d'Israël. Tous les
Égyptiens savaient, sans en excepter un
seul, qu'Israël émigrait,
qu'Israël ne reviendrait pas. Ce départ
était tellement définitif, qu'une
armée se mit à la poursuite du peuple
déserteur.
Après la mort des
premiers-nés, le joug était rompu, la
rupture accomplie. Les Égyptiens n'avaient
plus qu'une pensée: se débarrasser au
plus vite, à tout prix, de cet Israël
que Dieu retirait par sa main forte et par son bras
étendu. Et la rançon exigée ne
représente que faiblement, si l'on veut
compter, les travaux, les sueurs, les spoliations
du peuple juif, pressuré par les exacteurs
égyptiens.
Le rationalisme a voulu voir, dans
l'ordre d'immoler Isaac, l'introduction, bien plus,
la glorification du sacrifice, humain.
Pour comprendre, il n'y a qu'à
suivre simplement les détails du
récit.
Dieu demande un acte d'obéissance
absolue; Dieu met la foi d'Abraham au creuset.
C'est tout.
Abraham le prend ainsi. Dieu est
fidèle, Dieu n'a pas révoqué
sa promesse; il l'accomplira.
« - Où est la bête
pour l'holocauste? » demande Isaac.
« - Mon fils, Dieu se pourvoira
lui-même de bête pour l'holocauste
(1)
».
Ou Isaac ne mourra point, ou Isaac se
relèvera par une
résurrection.
Et Abraham poursuit sa route, affermit
son coeur, «ayant pensé, en
lui-même, dit l'Épître aux
Hébreux, que Dieu pouvait ressusciter Isaac
des morts! (2)
»
Il s'agit donc de traverser la fournaise
de l'obéissance; il s'agit de marcher par la
foi, en dépit de la vue.
Isaac, arrivé en Morija, le
comprend comme Abraham l'a compris. Isaac, un homme
fait, ne résiste pas un seul instant au
patriarche, un vieillard. Il n'élève
pas une réclamation, il se laisse docilement
lier.
Ah c'est que lui aussi connaissait la
promesse; lui aussi, il croyait; il savait qu'il
vivrait; il savait qu'un innombrable peuple
sortirait de lui; il se tenait prêt à
franchir l'obscur défilé
Nous connaissons Celui qui arrêta
l'épreuve.
Et nous savons quel Père a
sacrifié, réellement, son Fils.
.NOTE D
Les jargons, le sérieux gourmé des
paroles, les raideurs de la tenue, l'expression
composée de la physionomie, le calcul au
lieu de la spontanéité, le factice au
lieu du naturel, l'uniforme en un mot, tout cela
inquiète la conscience et lui
déplaît parfaitement.
Elle aspire à la droiture partout
: dans les actes, dans le langage, dans les
regards, dans le son de la voix, dans les gestes,
sur les visages, pour la forme et pour le fond.
Elle veut que nous soyons nous-mêmes, et non
pas une des mille photographies tirées
d'après le modèle convenu.
L'affectation n'est pas de l'hypocrisie
si vous voulez, elle n'est pas du mensonge non
plus, elle est encore moins la vérité
dans sa candeur.
Or, à la conscience, il faut la
vérité.
.NOTE E
Un fait prépare la crise. Le grand fait,
en vertu duquel les atteintes à la
conscience sont bien plus graves, bien plus
générales et plus dangereuses
qu'elles ne l'étaient autrefois : le fait du
nivellement.
Le nivellement démocratique qui
met toutes choses à la portée de
tous, qui place tous les esprits en face de toutes
les négations, de toutes les ambitions, de,
toutes les corruptions, a produit ce
résultat : que les
incrédulités, jadis le
privilège des classes
privilégiées, que les
appétits, que les vices renfermés
dans la haute région - plus
gâtée peut-être alors qu'elle ne
l'est aujourd'hui - se répandent maintenant
partout.
Il y a nivellement dans la conception et
dans la pratique du mal.
Il y a effondrement des vieilles
croyances héréditaires.
L'ébranlement est tel, qu'on
rencontrerait difficilement son pareil dans
l'histoire, depuis Jésus-Christ
jusqu'à nous.
Aux heures les plus sombres du moyen
âge, aux jours de triomphe les plus
subversifs de la Renaissance, au moment ou
s'épanouissait le plus insolemment cet
athéisme du XVIIIe siècle qui
n'atteignait guère que les sphères
lettrées, on comptait encore un
très-grand nombre d'hommes croyant. Le gros
de la nation n'était pas empoisonné;
une sorte de foi traditionnelle, un reste de
christianisme soutenait et vivifiait les
consciences. Aujourd'hui, nous assistons à
une débâcle.
Débâcle prodigieuse dans
les pays catholiques et latins.
Ceci est un événement
gigantesque. Des couches entières de la
société, des nations entières
se détachent du catholicisme qui
s'écroule - moralement, entendons-nous - et
l'écroulement du catholicisme entraîne
avec lui la ruine de toute religion dans les pays
latins
(3).
De là, pour les consciences, un
danger inouï. Dégoûtées de
la tradition romaine, les consciences ont beaucoup
de peine à en séparer
l'Évangile, que la tradition romaine a
défiguré. Il leur faudrait un viril
effort, il faudrait un réveil puissant des
âmes pour retrouver le vrai christianisme au
milieu des ruines, pour le dégager et pour
le ressaisir. Or, la conscience individuelle, que
le catholicisme a paralysée, ne se
retrempera pas dans
l'incrédulité.
Et voilà pourquoi le
catholicisme, qui fatalement, inexorablement,
à mesure que se développent les
intelligences et que s'éclairent les
esprits, mène au doute, mène à
la négation; voilà pourquoi le
catholicisme, ce soi-disant gendarme des
sociétés, en est le
révolutionnaire, ce conservateur de la foi
en est le destructeur!
S'il s'agit de politique, nous assistons
à une démoralisation non moins
générale.
La corruption des consciences
était poussée très-loin
autrefois. Je ne le nie pas.
L'Angleterre de Walpole, la France du
Régent, la Russie de Catherine II,
l'Allemagne des petits princes qui copiaient les
vices de Versailles, l'Espagne d'Albéroni et
de la princesse des Ursins, nous offrent le
spectacle parfaitement répugnant de la haute
pourriture des hautes classes au pouvoir,
Mais, dans ce moment-ci, le nivellement
des droits politiques opère le nivellement
des corruptions politiques. Tous étant
mêlés aux affaires de l'État,
tous rencontrent les tentations qui s'y rattachent,
et tous y cèdent, du plus au moins.
S'agit-il d'opérations
financières? Les vieilles barrières
qui en séparaient le gros de la nation sont
tombées de nos jours. Tout le monde
spécule. La modestie de certaines
existences, de certaines professions, la
sobriété, l'honnêteté,
compromises par la soif des gains rapides, ont
disparu, ou peu s'en faut.
Il y avait jadis des classes
entières de la société, celle
des notaires par exemple, dont la probité
passait, à juste titre, pour un axiome
proverbial.
Il y avait des maisons de commerce
où se maintenaient les traditions d'exquise
délicatesse, gardées et
choyées avec un soin jaloux, comme la gloire
même de la famille.
Il y avait des carrières
bourgeoises, des carrières d'artisans,
où l'on se contentait de minces profits,
mais où la bonne, et sévère
conscience, de père en fils, conservait,
sain et sauf, l'honneur du métier.
Il y avait des pays - la Suisse,
l'Angleterre, la Hollande - où les moeurs
nationales présentaient, en matière
d'argent, des garanties appréciées de
chacun.
Nous n'en sommes plus là.
Tous les gains s'offrant à tous,
l'avidité a pris le pas sur
l'honnêteté.
Nul ne, se tient pour content. Vous ne
trouveriez guère, pas plus au village
qu'à la ville, des gens satisfaits de leur
position, et des médiocrités
simplement acceptées. La Bourse a des
aboutissants jusque dans nos moindres bourgades,
les placements hasardeux y sont connus et
poursuivis.
Quand je pense à ce que
deviennent, sous l'influence de ces
facilités de spéculation et de cette
ardeur aux coups de fortune, la plupart de nos
populations rurales, en France, je. ne trouve qu'un
mot : matérialisme ! pour exprimer leur
désastre moral.
Attraper en l'air des écus,
acheter de la terre, augmenter son bien,
voilà, du premier au dernier jour de
l'année, le cercle dans lequel on vit.
L'idée de Dieu s'en est
retirée.
L'âme ne bat plus même de
l'aile. Quant à la conscience, à,
mesure que s'ajoutent les champs, elle perd du
terrain. Dans les villes, ces désastres de
la conscience prennent de plus vastes proportions,
ils font plus de bruit, les grands éclats
des grands scandales nous effrayent davantage; mais
soyez-en certains, le travail latent, secret,
discret du matérialisme au milieu de nos
campagnes, ce travail qui mine le sol en dessous
nous prépare, si l'Évangile ne vient
relever l'homme, des éboulements et des
ruines sans nom.
Au surplus, le nivellement qui nous
mène -'dans les pays catholiques surtout -
droit aux abîmes, crée moins le
péril qu'il ne l'a manifesté.
Notre siècle, de, progrès
hérite des siècles d'ignorance et
d'oppression.
Le nivellement lui-même
procède en droite ligne du despotisme:
despotisme exercé sur les âmes, par le
catholicisme romain; despotisme exercé sur
les vies, par la tyrannie latine. Si
l'affranchissement entraîne une
épouvantable secousse, c'est que
l'asservissement l'a
préparée.
Élevez une plante en serre
chaude, le jour où vous l'exposerez au plein
air, elle courra risque de mort. Il n'est que les
libres végétations pour
résister à tout vent.
La crise actuelle des croyances et des
consciences, l'écroulement qui menace notre
vieux monde latin sont bien moins imputables au
régime nouveau de liberté et
d'égalité, qu'au régime ancien
qui nous enfermait sous couche. Ni les individus ni
les nations catholiques n'ont été
préparées pour l'air tel quel, avec
ses orages et ses soleils. Ce qui se tenait debout,
quand aucun accident n'ébranlait
l'atmosphère. les croyances impersonnelles,
les pratiques extérieures, même de
certaines honnêtetés qu'on gardait
plus par habitude que par conscience, même de
certaines modesties d'existence qu'on maintenait
plus, faute de pouvoir enjamber les
barrières, que par sobriété;
ces vertus et ces croyances qui valaient mieux que
rien - et qu'on va regretter partout - au fond ne
valaient pas grand'chose, elles l'ont bien
montré, puisqu'au premier choc de
liberté et d'égalité, elles
ont disparu.
Sous le régime du sacerdoce
romain, les hommes dont rien appris de ce qu'on
doit savoir pour se gouverner
soi-même.
Dirigés à outrance,
privés de la Bible,
débarrassés de la
responsabilité, menés aux
lisières, sans relations directes avec Dieu,
asservis au prêtre, inhabiles aux
résistances comme aux décisions; le
jour où ils sont appelés a se mettre
sur leurs pieds, à ouvrir les yeux, à
marcher, le vertige les prend : ou bien ils se
laissent choir, inertes, incapables; ou bien
enfiévrés, hors d'eux-mêmes,
ils vont en insensés, saccageant tout au
gré de leur folie.
Ah certes, si l'égalité,
si la liberté nous amènent des
périls, l'inégalité,
l'asservissement en créent de bien plus
graves. Mais dussent-ils, conjurant pour quelques
heures le danger actuel, nous laisser dormir en
paix, je les attaquerai pour ma part où que
je les rencontre, car ma conscience les a
condamnés.
Et toujours, et jusqu'au bout, je me
réjouirai du, nivellement dans les
lumières, dans le bien, dans les routes
ouvertes pour tous!
.NOTE F
Sous ce titre : UNE LEÇON
D'INCRÉDULITÉ DONNÉE D'EN
HAUT, Fauteur envoyait en janvier 1852, à un
journal religieux, les lignes que voici :
On écrit de Berlin : «Le
prince Adalbert de Bavière va se fiancer
avec la princesse Louise de Prusse. Toutefois, les
deux fiancés se convertiront d'abord
à la religion grecque, à raison de la
succession au trône de Grèce, qui est
réservée au prince Adalbert.
»
Depuis que Henry IV a dit : Paris vaut
bien une messe! les imitateurs n'ont pas
manqué. Pour gouverner un peuple, on s'est
cru autorisé à adopter sa religion
nationale comme on aurait adopté son
costume: - Que vous faut-il? un catholique, un
protestant ou un grec? Nous sommes prêts,
nous nous mettrons à la mode du
pays.
Si je rappelle l'universalité de
l'usage, c'est afin de prouver que mes observations
s'appliquent au principe et non aux personnes.
Hélas! le jeune prince et la jeune princesse
dont on annonce - puisse-t-on l'avoir fait à
tort - la conversion politique, ne se rendent
certainement pas compte de,
l'énormité morale d'un tel acte. Leur
conduite ne s'explique, je dirai presque ne
s'excuse que trop par la fréquence des
exemples qu'ils ont sous les yeux. Il y a force de
chose jugée.
Laissant donc les individus, pour
lesquels je me sens plein de respect, je vais droit
au fait. Or, le fait est odieux. Jamais on ne
l'aura trop flétri.
Vous, gouvernements, vous vous plaignez
de l'incrédulité du peuple, et vous
prenez soin de donner vous-mêmes, au peuple,
de pareilles leçons
d'incrédulité! Vous vous indignez en
haut lieu - et certes avec raison - contre
Voltaire, contre Strauss, contre Feuerbach; mais
Voltaire, mais Feuerbach, mais Strauss dont pas
tant fait pour tuer la foi religieuse, que, ne fait
votre enseignement pratique des abjurations
officielles, à cette fin de
régner!
Les masses comprennent, croyez-le bien.
Toute conscience d'homme est atteinte dans ce
qu'elle a de plus intime. Et chacun tire les deux
conclusions que voici:
Faisons du mal afin qu'il arrive du
bien! - car on se propose toujours le bien du
peuple qu'on veut gouverner.
En matière religieuse, il n'y a
ni vrai ni faux! Rien de vrai, et rien de faux!
Écoutez ces voix qui
s'élèvent, presque du trône
même. L'une dit: Jusqu'à
présent j'avais cru, avec l'Église
protestante, que la Bible était la seule
règle de foi; j'avais rejeté les
livres apocryphes, la messe, les images, le culte
des saints, l'absolution, les reliques; mais,
voulant penser ce que pense mon peuple, je
n'hésite pas à professer
l'adhésion aux apocryphes, à la
messe, aux images, aux saints, aux reliques,
à l'absolution, et je crois qu'on fait bien
d'ôter la Bible au peuple!
L'autre dit: J'avais repoussé
jusqu'à présent avec l'Église
grecque, la papauté et une foule de
conciles; mais, voulant penser ce que pense mon
peuple, je n'hésite pas à professer
la foi aux conciles et aux papes.
Une troisième dit: J'avais
repoussé jusqu'à présent, avec
l'Église romaine, la Réforme du
seizième siècle comme une
épouvantable révolte; mais, voulant
penser ce que pense mon peuple, je n'hésite
pas à déserter l'Église
infaillible pour l'Église qui a failli,
l'invariable vérité pour le schisme
menteur.
En résumé, toutes ces voix
s'unissent, criant dans les places publiques et
dans les carrefours : Ne croyez pas ceux qui
soutiennent les dogmes protestants; ne croyez pas
ceux qui soutiennent les dogmes grecs; ne croyez
pas ceux qui soutiennent les dogmes romains. Ces
dogmes ne se ressemblent pas plus que le jour et la
nuit, mais ils se valent. Quiconque attache de
l'importance à ces contradictions est un
imbécile ou un tartuffe.
Voila quelle théorie on proclame
en haut.
Voici quelle conséquence on tire
en bas.
Si les dogmes spéciaux des trois
communions n'ont aucune importance, les dogmes
communs aux trois communions n'en ont pas plus. Si
l'on s'est si complètement trompé sur
les dogmes spéciaux, on a pu se tromper
aussi sur les dogmes communs. Si les dogmes
spéciaux n'ont pour eux que les
imbéciles et les tartuffes, les dogmes
communs peuvent aussi ne reposer que sur
l'ignorance et l'hypocrisie,
On aura beau faire: du système
qui admet toutes les religions à celui qui
les nie toutes, la chute sera toujours
inévitable et rapide; l'indifférence
mystique en matière de religion
mènera toujours à
l'incrédulité.
On aura beau faire aussi, le principe
païen enfantera toujours le paganisme
pratique.
Entre la foi territoriale et la foi
chrétienne, on ne conclura jamais de
traité.
.NOTE G
L'Angleterre, qui fournit l'opium aux Indes et
qui l'introduit par force en Chine, l'Angleterre
interdisait naguère
l'évangélisation des indigènes
indous ! Elle inoculait le poison et prohibait le
contrepoison.
L'opinion chrétienne,
soulevée en masse, a eu raison de la
défense; l'Évangile
pénètre partout à l'heure
qu'il est. Mais pourquoi les chrétiens
anglais n'ont-ils pas remporté la double
victoire? pourquoi n'obtiennent-ils pas la
suppression d'un commerce qui tue le corps aux
Indes et qui tue la conscience en
Angleterre?
À Java: interdiction d'annoncer
l'Évangile aux gens du pays. La Hollande
n'empoisonne pas; mais elle ne veut pas que les
âmes vivent.
Est-ce que, les chrétiens
hollandais supporteront longtemps cet abus de
pouvoir? Est-ce qu'un élan de leur foi ne
fera pas sauter cette barrière qui, de par
le gouvernement, sépare l'homme de Christ,
c'est-à-dire l'âme du salut !
.NOTE H
Au point de vue des blessures dont souffre la
conscience, il n'est pas inutile de
considérer l'affaire de Tropmann.
Je ne dis pas que Tropmann soit un type
ou un échantillon; je remarque seulement
ceci : la position sociale de Tropmann n'avait rien
d'excessif, ni comme misère, ni comme
dégradation. Tropmann appartenait à
une famille honnête et unie. Son existence,
jusqu'au moment des crimes, ne présente
aucun incident monstrueux.
Je ne puis m'empêcher de retrouver
dans les diaboliques calculs de Tropmann, dans son
esprit inaccessible aux remords, dans la tension de
son intelligence froidement bandée, à
travers des mares de sang, vers ce but unique :
s'approprier, en un seul coup de filet, le bien
d'autrui! quelque chose de ce violent amour de
l'argent, de cette dureté sauvage, de ce
défaut absolu de scrupule dont notre
génération actuelle, envahie par le
matérialisme, nous a laissé plus
d'une fois entrevoir les pâles
éclairs.
Le trait effrayant chez Tropmann,
remarquez-le - trait commun à beaucoup
d'autres - le voici: Tropmann ne s'est pas
élevé un seul instant au-dessus des
régions de la matière; pas un regret,
pas un frisson ne l'ont ébranlé; pas
une notion morale ne s'est fait jour; pas un
mouvement de la conscience n'est venu secouer cette
impassibilité morne. Si la crainte de la
mort a saisi l'homme, c'était une terreur
physique; la préoccupation de
l''Éternité n'y entrait pour
rien.
Suppression absolue de l'âme et de
Dieu: tel est l'abîme que cette
individualité sinistre nous a montré.
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