La conscience est blessée par les a
priori. Par ceux des croyants, comme par ceux des
incrédules.
Les questions de raisonnement deviennent
des questions de conscience, lorsque, en vertu d'un
acte arbitraire de notre volonté, nous nous
dérobons aux règles les plus
élémentaires de la raison.
Proclamer d'avance le surnaturel
inadmissible, proclamer d'avance le surnaturel
évident, c'est porter à la conscience
un même coup.
L'a priori est immoral; le refus
d'examen est immoral. Tous deux témoignent
d'un absolu mépris pour la
vérité. Tous deux signifient ceci :
Vrai ou faux, j'admettrai ce qui me plaît, je
rejetterai ce qui me déplaît!
Impossible de renier plus
effrontément la conscience.
Aucune opération de l'esprit ne
pourra jamais séparer ces deux termes, qui
n'en font qu'un : la conscience et
l'examen.
La conscience est blessée par les
partis pris.
Fausser les lois de l'intelligence pour
arriver à un résultat que nous sommes
décidés à atteindre
coûte que coûte, c'est commettre un
acte malhonnête au premier chef.
En politique, le parti pris forme
l'oreille aux arguments des adversaires; il
n'écoute que sa solution, à
lui.
En matière de finances, le parti
pris forme les yeux aux laideurs des affaires
véreuses; il ne voit que son
intérêt, à lui.
En religion, le parti pris ferme tout,
portes et fenêtres; il ne voit, il n'entend
que ce qu'il a résolu, lui, d'entendre et de
voir.
En matière de croyances
personnelles, le parti pris, lorsqu'il croit,
exécute fréquemment un saut
périlleux qui laisse la conscience sur le
carreau, Il se jette du scepticisme dans la foi, de
propos délibéré, sans
abandonner un seul doute., sans acquérir une
seule conviction, niant comme philosophe ce qu'il
admet en qualité de père de famille,
démolissant Dieu dans son cabinet, adorant
Dieu dans les cathédrales, maintenant
l'incrédulité de tête,
prétendant au christianisme du
coeur.
Que devient la vérité, que
devient la conscience? demandez-le au parti pris (2).
La conscience est blessée par
certaines philosophies.
Quand les idéalistes d'une part,
et de l'autre les sceptiques : Berkeley, Hume,
Stuart-Mill, nient l'existence des corps; lorsqu'au
lieu de la réalité de la
matière ils nous donnent les impressions de
notre esprit; quand ils nous défendent de
conclure de la perception au fait, nous interdisant
de sortir de nous-mêmes; il faut les renvoyer
à Molière, au mariage forcé et
à la réfutation de
Marphurius.
Trouvez-moi un de ces hommes-là
qui n'étende point le bras pour
écarter un obstacle, qui ne fasse point un
détour pour éviter un trou!
Trouvez-moi un de ces philosophes qui,
pour nier la matière, n'ait point pris une
plume matérielle, ne l'ait point
trempée dans de l'encre matérielle,
n'ait point corrigé des épreuves
matérielles sur du papier matériel,
n'ait pas, en un mot, cru, absolument,
continuellement, à, la chose qu'il fait
profession de nier!
On en peut rire; les subtilités,
même les absurdités, n'empêchent
pas d'être honnête homme; mais le
mensonge du raisonnement est là, et la
conscience a reçu le pavé!
La conscience est blessée par le
positivisme. Lorsque celui-ci, supprimant l'homme
après avoir supprimé Dieu, nie la
liberté, nie la volonté, nie la
personne, et met carrément une machine
à la place d'un individu; le sens moral se
révolte, et le, bon sens en fait
autant.
Le positivisme invoque les statistiques
et la régularité presque immuable de
leurs chiffres! - Or cette immutabilité
varie, d'une époque à l'autre, varie
d'un pays à l'autre, selon que
l'Évangile est accepté, selon qu'il
est rejeté par les populations. Les crimes,
leur nature, leur fréquence, tout a
changé. Sans une intervention morale et
libre, expliquez ce changement! Arrivez, sans cette
intervention, à autre chose qu'à une
progression invariable. ascendante ou descendante!
Une fois le sens moral disparu, une fois
l'âme remplacée par le
mécanisme; dès que ces
déterminations ne sont plus que des
résultantes au lieu d'être des actes,
de notre volonté, je vous défie de
produire une seule des modifications profondes,
aucun des brusques revirements que nous montre
l'histoire du genre humain. Les mobiles, en bien ou
en mal, s'ajoutant sans cesse d'après une
loi mathématique, votre humanité qui
n'est qu'une bille, roulera dans le sens de
l'impulsion première, toujours,
forcément, sans qu'un accident
l'arrête ou la détourne; car un
accident, c'est une cause, c'est une action, c'est
une volonté; et il n'y en a point!
Allez au bagne, allez dans les prisons,
allez nier le libre arbitre écrit en
caractères tragiques dans ces vies
tourmentées de tentations,
travaillées de luttes
éclairées par des retours de
conscience, obscurcies par des défaillances
de volonté, dévorées par le
remords; et, en présence de ces hommes que
le souvenir de certains actes fait frissonner,
établissez votre théorie de la
machine humaine !
Vous-même, ne vous repentez-vous
jamais? Votre responsabilité ne vous
a-t-elle jamais pesé? Ce mot : j'ai eu tort!
ne s'est-il jamais trouvé sur vos
lèvres? Cette pensée : j'ai mal fait
! n'a-t-elle jamais agité votre
esprit?
Mais, dites-le-moi, aimez-vous
quelqu'un, par hasard? - Non, ce n'est pas
possible. Une machine qui aime une machine! a-t-on
jamais vu cela !
Estimez-vous quelqu'un,
blâmez-vous quelqu'un? - Quoi, estimer,
blâmer des engins qui. nécessairement,
mécaniquement, cèdent à un
mouvement fatal, fatalement transmis! Vous n'y avez
jamais pensé.
Vous ne dites jamais : Je veux! ou : Je
ne veux pas!
Lorsqu'il s'agit de prendre une
détermination quelconque, vous ne
considérez jamais le pour et le contre! Vous
laissez vos enfants se marier à l'aventure,
vous laissez votre argent se placer ou se
déplacer tout seul, vous laissez la vie
faire de vous ce qu'exige l'inexorable loi des
circonstances et des milieux; car essayer un
mouvement, opposer une résistance, qu'elle
est la machine qui l'oserait? La moindre
réflexion que se permettrait votre
intelligence, le plus petit bâton que
glisserait votre main dans les rouages ferait tout
sauter, à commencer par votre
philosophie.
Quant au droit de punir les crimes,
quant au droit de flétrir les infamies, vous
y avez renoncé, cela va de soi. On ne
châtie ni ne flétrit des engrenages
qui moralement se valent, soit qu'ils fabriquent du
bien, soit qu'ils fabriquent du mal.
Point d'éducation, puisqu'il n'y
a point d'âme. De l'instruction, des
habitudes, à la bonne heure : rien de plus.
Faire intervenir la notion du devoir, la
distinction du bien et du mal, ce serait mentir
impudemment. Le devoir, le bien, le mal, supposent
la conscience, supposent le libre arbitre; pour des
machines, il n'y a ni bien ni mal, ni vrai ni faux;
il y a un coup de poing déterminant qui part
on ne sait d'où, qui vient on ne sait de
qui, et l'objet lancé va, jusqu'à ce
qu'un autre coup de poing,
Tout aussi énigmatique, s'abatte
et l'arrête. C'est très-clair,
très-logique et
très-concluant.
De quel droit ces hommes-là
raisonnent-ils? - et Dieu sait s'ils s'en font
faute, - raisonner! avec quoi?
De quel droit jugent-ils tel ou tel
acte, tel ou. tel procédé?
De quel droit. ont-ils condamné
l'esclavage, la vente en détail des
familles, les horreurs de la traite?
De quel droit blâment-ils ou
approuvent-ils leurs enfants?
De quel droit stigmatiser les tyrannies,
célébrer les libertés?
Enfants, despotes, négriers et
coquins ne seraient pas en peine de leur
répondre : Nous obéissons à la
nécessité, les milieux nous
commandent, le mécanisme va son train, nous
ne saurions qu'y faire! - et tout est dit.
0 Molière, encore une fois,
où es-tu? Voici des gens qui refusent de
voir en eux la raison, la conscience, le libre
arbitre, la volonté! Et ces gens ont des
opinions à eux; ces gens attaquent les
idées d'autrui, ces gens défendent
leurs pensées ; ces gens accordent où
refusent leur approbation; ces gens, qui
déclarent que l'homme ne peut rien vouloir
et qu'il subit toujours, ces gens, par leurs
discours, par leurs écrits, par le travail
de leur vie entière, font un constant appel
à la liberté de l'âme humaine,
à sa volonté!
Comment expliquent-ils l'action directe,
incontestable de l'Évangile? Qu'on
l'étudie dans le monde, qu'on l'observe dans
une famille, qu'on le suive chez l'individu,
toujours il oppose au positivisme ce fait,
incontestable, de rompre avec les milieux, avec les
habitudes, avec les idées reçues,
avec lès instincts naturels, avec les
répugnances du coeur corrompu, avec tout ce
qui asservit, avec tout ce qui machinise.
L'Évangile pose son levier
sûr la conscience, et d'un seul effort la
relève. L'Évangile pose son levier
sur la volonté, et d'un seul effort lui
communique une telle puissance, que la
volonté régénère,
C'est-à-dire retourne, convertit, transforme
l'âme, le coeur, la vie, les actes;
contrairement au passé, aux goûts, aux
éducations, aux servitudes, aux paresses,
aux dégradations. Et l'homme est joyeux,
l'homme est heureux, l'homme est libre, l'homme est
roi; jamais il n'a porté plus haut son noble
front de maître; jamais il ne s'est mieux
senti l'immortel enfant de Dieu.
Et les familles se redressent comme les
individus.
Et les nations, comme les familles,
émergent des bas-fonds à la
lumière.
Et partout où la conscience
humaine a reçu l'Évangile, on voit
l'humanité combattre le mal, poursuivre le
bien, se dégager de tous les esclavages,
s'emparer de toutes les libertés.
Vous moquez-vous, d'ailleurs? Est-ce que
je ne me sens pas, moi, libre et responsable,
responsable et libre? Est-ce que l'observation
intérieure, ce fait énorme, dont vous
ne voulez pas tenir compte, ne me. démontre
pas, clair comme le jour ma conscience, ma raison,
mon coeur, ma volonté?
Vous vous prétendez observateurs;
vous prétendez faire de l'induction; et vous
commencez par répudier les observations
d'une certaine nature, celles qui portent sur
l'homme intérieur; et vous oubliez que sans
ces observations-là, que sans les lois
qu'elles nous révèlent, toutes vos
observations extérieures' deviennent
impossibles, puisque l'être observant,
c'est-à-dire l'être
indépendant, n'existe pas; tout raisonnement
est interdit, puisqu'il n'y a pas plus de raison
que de raisonneur.
Allez, nous sommes plus que vous de
l'école expérimentale; notre
psychologie spiritualiste qui, loin de nier le
principe de l'observation, le veut absolu, se
montre plus baconienne que Bacon. Vous mutilez
voire système, nous le refaisons complet;
vous l'étouffez en le bornant, nous lui
rendons le souffle en lui ouvrant toutes les
sphères d'examen.
Observons, je le veux, il le faut, je ne
me passe pas plus que vous du témoignage de
la lumière; mais observons tout, partout. En
dehors de cette condition-là, il n'y a
qu'obscurité (3).
La conscience est blessée par les
philosophies qui rejettent l'Évangile, le
déclarant impossible à croire, et qui
admettent sans sourciller les
énormités suivantes
Une matière
éternelle.
Qui s'est créée toute
seule.
Qui s'est organisée toute
seule.
Qui s'est donné des lois toute
seule.
Qui a émis ce qui la
dépasse, ce qui lui ne ressemble en rien :
l'esprit, la conscience, l'affection.
Quoi! l'âme sortir de la
matière! ce qui est libre, de ce qui est
fatal; ce qui agit spontanément, de ce qui
ne peut que recevoir et transmettre l'action; ce
qui aime, de ce, qui est étranger au
sentiment; ce qui est moral et responsable, de ce
qui ignoré le mal et le bien! Vous voulez
rire!
Point du tout, et ces gens-là
sont fort sérieux. Mais, comme ils sont
aussi conséquents qu'ils sont
sérieux, ils nient tout simplement de qui
les embarrasse : la conscience, les affections,
l'esprit; et ne gardent que ce qui leur va: la
matière.
Matière Soit! Seulement je
prendrai l'instinct, l'instinct maternel chez
l'animal; ce petit fait, rien que lui; et je leur
demanderai: Comment l'expliquez-vous?
Comment expliquez-vous cette tendresse,
bette habileté, c'es prévisions?
Comment expliquez-vous ces soins
préservatifs, ces sollicitudes alimentaires,
ces douilletteries du nid?
Affaire d'hérédité,
dites-vous!
Très-bien. Vous n'oubliez qu'un
détail, qui a son importance : le premier
couple. Sans le premier couple, les autres sont
impossibles,
Il a fallu de toute nécessite, un
premier couple adulte, parfait, muni dès la
première heure de toutes les connaissances,
de toutes les habitudes exigées par la
faiblesse et l'incapacité des
petits.
Or, ce premier couple, qui l'a
créé?
Et nous revoilà dans les mains de
Dieu.
La conscience, blessée par cette
négation de l'âme, du coeur, de la
raison, de la volonté, de la liberté,
et d'elle-même, que lui opposent les
philosophies incrédules; la conscience
regarde à l'histoire, aux faits, et trouve
là sa guérison.
Elle voit, en dépit des climats,
en dépit dés races,
l'Évangile, c'est-à-dire la puissance
de Dieu, convaincre partout l'homme et partout le
régénérer.
Quelques juifs apportent à la
Grèce éprise de la forme une religion
d'austérité, à la Grèce
dégradée une religion de
pureté, à la Grèce discoureuse
une religion de devoir; quelques juifs apportent
à Rome amoureuse de la force, à Rome
débauchée, à Rome cruelle, une
religion d'humilité, une religion de
sainteté, une religion de bonté; et
la Grèce, et Rome, et les barbares du Nord,
et les peuples civilisés du Midi, quel que
soit le sang, quelles que soient les latitudes,
à mesure qu'ils reçoivent
l'Évangile, se dépouillent de la
férocité, se dégagent des
corruptions inouïes, remontent les courants,
poursuivent le même but (4)!
Au contact
du doigt divin, tout un échafaudage
d'infamies s'écroule. Toute une phalange de
progrès jaillit du sol dès que
l'Évangile l'a fécondé. La
conscience, aux travers des siècles, suit et
constate ce jet lumineux! Partout où il
atteint les âmes, des caractères sont
créés,, des héroïsmes se
lèvent. Voyez les martyrs chrétiens,
voyez nos huguenots : Du Plessis Mornay, Jeanne
d'Albret, Lanoue, tant d'autres, et les
galériens de Louis XIV, et les
prisonnières de la tour de Constance! Voyez,
sur un autre rivage, les Puritains, ces vaincus qui
ont fondé l'Amérique! Voyez de nos
jours, les dissidents d'Écosse, ces familles
qui, en plein hiver, abandonnent leurs
presbytères et s'en vont à la
grâce de Dieu; ces milliers de
congrégations qui entrent résolument
dans la voie des sacrifices; ces sommes incroyables
fournies chaque année, ces églises
construites, ces écoles ouvertes, ces
facultés de théologie
instituées, ces oeuvres de charité
partout établies, croissant partout, avec
les missions, avec l'expansion de la Bible, avec le
renoncement, avec le dévouement
chrétien!
Dans un temps comme le nôtre,
passionné de jouissances, idolâtre
d'argent, la conscience, cette intègre
observatrice, trouve que de tels faits donnent aux
philosophies incrédules et
matérialistes un éclatant
démenti.
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