Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APPENDICE

CE QUI BLESSE LA CONSCIENCE

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(1)

I

LES PHILOSOPHIES

 

La conscience est blessée par les a priori. Par ceux des croyants, comme par ceux des incrédules.
Les questions de raisonnement deviennent des questions de conscience, lorsque, en vertu d'un acte arbitraire de notre volonté, nous nous dérobons aux règles les plus élémentaires de la raison.
Proclamer d'avance le surnaturel inadmissible, proclamer d'avance le surnaturel évident, c'est porter à la conscience un même coup.

L'a priori est immoral; le refus d'examen est immoral. Tous deux témoignent d'un absolu mépris pour la vérité. Tous deux signifient ceci : Vrai ou faux, j'admettrai ce qui me plaît, je rejetterai ce qui me déplaît!
Impossible de renier plus effrontément la conscience.
Aucune opération de l'esprit ne pourra jamais séparer ces deux termes, qui n'en font qu'un : la conscience et l'examen.
La conscience est blessée par les partis pris.

Fausser les lois de l'intelligence pour arriver à un résultat que nous sommes décidés à atteindre coûte que coûte, c'est commettre un acte malhonnête au premier chef.

En politique, le parti pris forme l'oreille aux arguments des adversaires; il n'écoute que sa solution, à lui.

En matière de finances, le parti pris forme les yeux aux laideurs des affaires véreuses; il ne voit que son intérêt, à lui.

En religion, le parti pris ferme tout, portes et fenêtres; il ne voit, il n'entend que ce qu'il a résolu, lui, d'entendre et de voir.
En matière de croyances personnelles, le parti pris, lorsqu'il croit, exécute fréquemment un saut périlleux qui laisse la conscience sur le carreau, Il se jette du scepticisme dans la foi, de propos délibéré, sans abandonner un seul doute., sans acquérir une seule conviction, niant comme philosophe ce qu'il admet en qualité de père de famille, démolissant Dieu dans son cabinet, adorant Dieu dans les cathédrales, maintenant l'incrédulité de tête, prétendant au christianisme du coeur.
Que devient la vérité, que devient la conscience? demandez-le au parti pris (2).

La conscience est blessée par certaines philosophies.
Quand les idéalistes d'une part, et de l'autre les sceptiques : Berkeley, Hume, Stuart-Mill, nient l'existence des corps; lorsqu'au lieu de la réalité de la matière ils nous donnent les impressions de notre esprit; quand ils nous défendent de conclure de la perception au fait, nous interdisant de sortir de nous-mêmes; il faut les renvoyer à Molière, au mariage forcé et à la réfutation de Marphurius.
Trouvez-moi un de ces hommes-là qui n'étende point le bras pour écarter un obstacle, qui ne fasse point un détour pour éviter un trou!
Trouvez-moi un de ces philosophes qui, pour nier la matière, n'ait point pris une plume matérielle, ne l'ait point trempée dans de l'encre matérielle, n'ait point corrigé des épreuves matérielles sur du papier matériel, n'ait pas, en un mot, cru, absolument, continuellement, à, la chose qu'il fait profession de nier!
On en peut rire; les subtilités, même les absurdités, n'empêchent pas d'être honnête homme; mais le mensonge du raisonnement est là, et la conscience a reçu le pavé!

La conscience est blessée par le positivisme. Lorsque celui-ci, supprimant l'homme après avoir supprimé Dieu, nie la liberté, nie la volonté, nie la personne, et met carrément une machine à la place d'un individu; le sens moral se révolte, et le, bon sens en fait autant.

Le positivisme invoque les statistiques et la régularité presque immuable de leurs chiffres! - Or cette immutabilité varie, d'une époque à l'autre, varie d'un pays à l'autre, selon que l'Évangile est accepté, selon qu'il est rejeté par les populations. Les crimes, leur nature, leur fréquence, tout a changé. Sans une intervention morale et libre, expliquez ce changement! Arrivez, sans cette intervention, à autre chose qu'à une progression invariable. ascendante ou descendante! Une fois le sens moral disparu, une fois l'âme remplacée par le mécanisme; dès que ces déterminations ne sont plus que des résultantes au lieu d'être des actes, de notre volonté, je vous défie de produire une seule des modifications profondes, aucun des brusques revirements que nous montre l'histoire du genre humain. Les mobiles, en bien ou en mal, s'ajoutant sans cesse d'après une loi mathématique, votre humanité qui n'est qu'une bille, roulera dans le sens de l'impulsion première, toujours, forcément, sans qu'un accident l'arrête ou la détourne; car un accident, c'est une cause, c'est une action, c'est une volonté; et il n'y en a point!

Allez au bagne, allez dans les prisons, allez nier le libre arbitre écrit en caractères tragiques dans ces vies tourmentées de tentations, travaillées de luttes éclairées par des retours de conscience, obscurcies par des défaillances de volonté, dévorées par le remords; et, en présence de ces hommes que le souvenir de certains actes fait frissonner, établissez votre théorie de la machine humaine !
Vous-même, ne vous repentez-vous jamais? Votre responsabilité ne vous a-t-elle jamais pesé? Ce mot : j'ai eu tort! ne s'est-il jamais trouvé sur vos lèvres? Cette pensée : j'ai mal fait ! n'a-t-elle jamais agité votre esprit?

Mais, dites-le-moi, aimez-vous quelqu'un, par hasard? - Non, ce n'est pas possible. Une machine qui aime une machine! a-t-on jamais vu cela !
Estimez-vous quelqu'un, blâmez-vous quelqu'un? - Quoi, estimer, blâmer des engins qui. nécessairement, mécaniquement, cèdent à un mouvement fatal, fatalement transmis! Vous n'y avez jamais pensé.
Vous ne dites jamais : Je veux! ou : Je ne veux pas!

Lorsqu'il s'agit de prendre une détermination quelconque, vous ne considérez jamais le pour et le contre! Vous laissez vos enfants se marier à l'aventure, vous laissez votre argent se placer ou se déplacer tout seul, vous laissez la vie faire de vous ce qu'exige l'inexorable loi des circonstances et des milieux; car essayer un mouvement, opposer une résistance, qu'elle est la machine qui l'oserait? La moindre réflexion que se permettrait votre intelligence, le plus petit bâton que glisserait votre main dans les rouages ferait tout sauter, à commencer par votre philosophie.

Quant au droit de punir les crimes, quant au droit de flétrir les infamies, vous y avez renoncé, cela va de soi. On ne châtie ni ne flétrit des engrenages qui moralement se valent, soit qu'ils fabriquent du bien, soit qu'ils fabriquent du mal.
Point d'éducation, puisqu'il n'y a point d'âme. De l'instruction, des habitudes, à la bonne heure : rien de plus. Faire intervenir la notion du devoir, la distinction du bien et du mal, ce serait mentir impudemment. Le devoir, le bien, le mal, supposent la conscience, supposent le libre arbitre; pour des machines, il n'y a ni bien ni mal, ni vrai ni faux; il y a un coup de poing déterminant qui part on ne sait d'où, qui vient on ne sait de qui, et l'objet lancé va, jusqu'à ce qu'un autre coup de poing,
Tout aussi énigmatique, s'abatte et l'arrête. C'est très-clair, très-logique et très-concluant.
De quel droit ces hommes-là raisonnent-ils? - et Dieu sait s'ils s'en font faute, - raisonner! avec quoi?
De quel droit jugent-ils tel ou tel acte, tel ou. tel procédé?
De quel droit. ont-ils condamné l'esclavage, la vente en détail des familles, les horreurs de la traite?
De quel droit blâment-ils ou approuvent-ils leurs enfants?
De quel droit stigmatiser les tyrannies, célébrer les libertés?
Enfants, despotes, négriers et coquins ne seraient pas en peine de leur répondre : Nous obéissons à la nécessité, les milieux nous commandent, le mécanisme va son train, nous ne saurions qu'y faire! - et tout est dit.
0 Molière, encore une fois, où es-tu? Voici des gens qui refusent de voir en eux la raison, la conscience, le libre arbitre, la volonté! Et ces gens ont des opinions à eux; ces gens attaquent les idées d'autrui, ces gens défendent leurs pensées ; ces gens accordent où refusent leur approbation; ces gens, qui déclarent que l'homme ne peut rien vouloir et qu'il subit toujours, ces gens, par leurs discours, par leurs écrits, par le travail de leur vie entière, font un constant appel à la liberté de l'âme humaine, à sa volonté!
Comment expliquent-ils l'action directe, incontestable de l'Évangile? Qu'on l'étudie dans le monde, qu'on l'observe dans une famille, qu'on le suive chez l'individu, toujours il oppose au positivisme ce fait, incontestable, de rompre avec les milieux, avec les habitudes, avec les idées reçues, avec lès instincts naturels, avec les répugnances du coeur corrompu, avec tout ce qui asservit, avec tout ce qui machinise.

L'Évangile pose son levier sûr la conscience, et d'un seul effort la relève. L'Évangile pose son levier sur la volonté, et d'un seul effort lui communique une telle puissance, que la volonté régénère, C'est-à-dire retourne, convertit, transforme l'âme, le coeur, la vie, les actes; contrairement au passé, aux goûts, aux éducations, aux servitudes, aux paresses, aux dégradations. Et l'homme est joyeux, l'homme est heureux, l'homme est libre, l'homme est roi; jamais il n'a porté plus haut son noble front de maître; jamais il ne s'est mieux senti l'immortel enfant de Dieu.
Et les familles se redressent comme les individus.
Et les nations, comme les familles, émergent des bas-fonds à la lumière.
Et partout où la conscience humaine a reçu l'Évangile, on voit l'humanité combattre le mal, poursuivre le bien, se dégager de tous les esclavages, s'emparer de toutes les libertés.
Vous moquez-vous, d'ailleurs? Est-ce que je ne me sens pas, moi, libre et responsable, responsable et libre? Est-ce que l'observation intérieure, ce fait énorme, dont vous ne voulez pas tenir compte, ne me. démontre pas, clair comme le jour ma conscience, ma raison, mon coeur, ma volonté?
Vous vous prétendez observateurs; vous prétendez faire de l'induction; et vous commencez par répudier les observations d'une certaine nature, celles qui portent sur l'homme intérieur; et vous oubliez que sans ces observations-là, que sans les lois qu'elles nous révèlent, toutes vos observations extérieures' deviennent impossibles, puisque l'être observant, c'est-à-dire l'être indépendant, n'existe pas; tout raisonnement est interdit, puisqu'il n'y a pas plus de raison que de raisonneur.

Allez, nous sommes plus que vous de l'école expérimentale; notre psychologie spiritualiste qui, loin de nier le principe de l'observation, le veut absolu, se montre plus baconienne que Bacon. Vous mutilez voire système, nous le refaisons complet; vous l'étouffez en le bornant, nous lui rendons le souffle en lui ouvrant toutes les sphères d'examen.

Observons, je le veux, il le faut, je ne me passe pas plus que vous du témoignage de la lumière; mais observons tout, partout. En dehors de cette condition-là, il n'y a qu'obscurité (3).
La conscience est blessée par les philosophies qui rejettent l'Évangile, le déclarant impossible à croire, et qui admettent sans sourciller les énormités suivantes
Une matière éternelle.
Qui s'est créée toute seule.
Qui s'est organisée toute seule.
Qui s'est donné des lois toute seule.
Qui a émis ce qui la dépasse, ce qui lui ne ressemble en rien : l'esprit, la conscience, l'affection.

Quoi! l'âme sortir de la matière! ce qui est libre, de ce qui est fatal; ce qui agit spontanément, de ce qui ne peut que recevoir et transmettre l'action; ce qui aime, de ce, qui est étranger au sentiment; ce qui est moral et responsable, de ce qui ignoré le mal et le bien! Vous voulez rire!
Point du tout, et ces gens-là sont fort sérieux. Mais, comme ils sont aussi conséquents qu'ils sont sérieux, ils nient tout simplement de qui les embarrasse : la conscience, les affections, l'esprit; et ne gardent que ce qui leur va: la matière.
Matière Soit! Seulement je prendrai l'instinct, l'instinct maternel chez l'animal; ce petit fait, rien que lui; et je leur demanderai: Comment l'expliquez-vous?
Comment expliquez-vous cette tendresse, bette habileté, c'es prévisions? Comment expliquez-vous ces soins préservatifs, ces sollicitudes alimentaires, ces douilletteries du nid?
Affaire d'hérédité, dites-vous!
Très-bien. Vous n'oubliez qu'un détail, qui a son importance : le premier couple. Sans le premier couple, les autres sont impossibles,
Il a fallu de toute nécessite, un premier couple adulte, parfait, muni dès la première heure de toutes les connaissances, de toutes les habitudes exigées par la faiblesse et l'incapacité des petits.
Or, ce premier couple, qui l'a créé?
Et nous revoilà dans les mains de Dieu.
La conscience, blessée par cette négation de l'âme, du coeur, de la raison, de la volonté, de la liberté, et d'elle-même, que lui opposent les philosophies incrédules; la conscience regarde à l'histoire, aux faits, et trouve là sa guérison.
Elle voit, en dépit des climats, en dépit dés races, l'Évangile, c'est-à-dire la puissance de Dieu, convaincre partout l'homme et partout le régénérer.

Quelques juifs apportent à la Grèce éprise de la forme une religion d'austérité, à la Grèce dégradée une religion de pureté, à la Grèce discoureuse une religion de devoir; quelques juifs apportent à Rome amoureuse de la force, à Rome débauchée, à Rome cruelle, une religion d'humilité, une religion de sainteté, une religion de bonté; et la Grèce, et Rome, et les barbares du Nord, et les peuples civilisés du Midi, quel que soit le sang, quelles que soient les latitudes, à mesure qu'ils reçoivent l'Évangile, se dépouillent de la férocité, se dégagent des corruptions inouïes, remontent les courants, poursuivent le même but (4)! Au contact du doigt divin, tout un échafaudage d'infamies s'écroule. Toute une phalange de progrès jaillit du sol dès que l'Évangile l'a fécondé. La conscience, aux travers des siècles, suit et constate ce jet lumineux! Partout où il atteint les âmes, des caractères sont créés,, des héroïsmes se lèvent. Voyez les martyrs chrétiens, voyez nos huguenots : Du Plessis Mornay, Jeanne d'Albret, Lanoue, tant d'autres, et les galériens de Louis XIV, et les prisonnières de la tour de Constance! Voyez, sur un autre rivage, les Puritains, ces vaincus qui ont fondé l'Amérique! Voyez de nos jours, les dissidents d'Écosse, ces familles qui, en plein hiver, abandonnent leurs presbytères et s'en vont à la grâce de Dieu; ces milliers de congrégations qui entrent résolument dans la voie des sacrifices; ces sommes incroyables fournies chaque année, ces églises construites, ces écoles ouvertes, ces facultés de théologie instituées, ces oeuvres de charité partout établies, croissant partout, avec les missions, avec l'expansion de la Bible, avec le renoncement, avec le dévouement chrétien!

Dans un temps comme le nôtre, passionné de jouissances, idolâtre d'argent, la conscience, cette intègre observatrice, trouve que de tels faits donnent aux philosophies incrédules et matérialistes un éclatant démenti.

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1. Sous ce titre, quelques notes dictées par l'auteur, se sont groupées au fur et à mesure de sa pensée. Le travail sur la conscience était rédigé, mais le sujet restait vivant; nos négations, nos défaillances, nos corruptions le rendaient parfois oppressif, et la vérité jaillissait alors en paroles brûlantes de ces lèvres qui ont pu dire sincèrement : Il y a ici une conscience qui parle à des consciences. 
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2. Gassendi est d'un côté matérialiste, partisan d'Épicure; de l'autre, prêtre chrétien et même croyant.
Hegel a tout renversé; et l'on assure que sorti de son cabinet, qu'entré dans une église, il avait de la foi.
Dans un autre genre, voyez Victor Jacquemont, un des douteurs les plus impitoyables de notre temps. Victor Jacquemont avoue son faible pour le catholicisme, il proclame son horreur pour le protestantisme, consentant bien à ce que la religion soit le fait du sentiment, mais détestant qu'elle soit la conquête de l'examen.
Je ne crois pas qu'on puisse imaginer une attaque plus directe à la conscience, un dédain plus complet de la vérité que cet arrangement à bien plaire, qui assure une égale tranquillité aux philosophes résolus de nier, sans trop se compromettre; aux croyants résolus d'affirmer, sans rompre avec les beaux esprits.
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3. Maine de Biran est le chef de la nouvelle école de psychologie spiritualiste qui s'attaque à. l'induction de l'école de Bacon, Platon, Aristote, Descartes, Leibnitz, les Écossais, Jouffroy et Cousin, oui en face d'eux les Positivistes et les Matérialistes, Littré et Stuart-Mill.
Ici, la recherche intérieure, l'examen de ce qui se passe dans l'homme, ces certitudes du dedans qui sont les premières de toutes, puisque sans elles aucune autre ne saurait exister; là, une recherche purement expérimentale qui s'attache aux faits extérieurs et qui exclut l'étude des causes intérieures, des innéités, des instincts, des lois de la conscience et de la raison, de l'intelligence et du sens moral.
Ici, ou aboutit à l'affirmation; là, an scepticisme absolu.
Ici, On maintient le libre arbitre; là, on soutient que l'homme. n'est qu'une machine.
Maine de Biran a ramené plus que personne la philosophie à la conscience.
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4. Ce mot : la Grèce, éveille la pensée de crimes monstrueux, accomplis généralement et sans remords.
Ce mot: Rome, éveille la pensée d'une société perdue, du divorce en permanence, des enfants abandonnés, de la cour infâme des Césars, des raffinements les plus ignobles du vice, d'un peuple qui ne reculait devant aucun attentat, que ne dégoûtait aucune turpitude, que ne révoltait aucune cruauté.
Titus, vainqueur de Jérusalem, le vertueux Titus donnait, en parcourant l'Asie, des jeux où s'entr'égorgeaient chaque fois plus de deux mille captifs.
Ce que Titus a fait, d'autres l'ont dépassé. Un fleuve de sang coulait dans le Colysée de Rome; un fleuve de sang coulait dans les cirques des provinces; l'empire baignait dans le sang.
Et la conscience publique ne s'en émouvait pas.
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