La conscience est riche, et nous ne sommes pas
au bout.
De la conscience dans nos tendresses! -
Oui, Les molles affections qui oublient le devoir
s'affaissent sur elles-mêmes. Le devoir est
le ciment; sans lui rien ne tient.
S'aimer assez pour chercher Dieu, pour
viser à la beauté morale, pour
travailler à la sanctification, pour
s'avertir, pour s'entr'aider, pour appeler et fixer
entre soi l'idéal, ce n'est une tache, ni
sans difficultés ni sans grandeur. Toujours
il s'agit de se régénérer. La
perfection, voilà toujours le but.
Qu'il fait bon, dans les familles
où ce but est joyeusement poursuivi ! La
bataille de la vie n'a pas fini de meurtrir et de
blesser; mais le bras victorieux de Christ n'a pas
cessé de secourir.
N'allez pas vous figurer des familles
guindées, mornes, ou grognonnes! Le devoir
met notre coeur en liberté. La conscience
d'ailleurs nous veut aimables.
Être aimable! on appelle cela un
petit devoir. En vérité je ne sais
pourquoi, car ce devoir - sans parler du bonheur
qu'il amène - exige des renoncements, du
support, de la bonté, de l'oubli de soi,
d'assez grandes vertus, vous en
conviendrez.
Il serait plus aisé de se montrer
maussade tout à son aise, et d'inscrire sa
mauvaise humeur au compte de la conscience. Mais la
conscience n'accepte pas cette façon de
régler les comptes. Elle nous dit tout net
que, si nous sommes des chrétiens fort
dévoués au dehors et fort
désagréables au logis, c'est que nous
l'avons mise à la porte, ni plus ni
moins.
Tout comme elle revendique sa place dans
nos tendresses, la conscience veut sa place dans
nos éducations.
Il n'y a pas d'éducation,
là où on ne s'est pas attaché
à développer le sens moral. Que nos
enfants le sachent bien, l'amour ne dispense pas du
devoir. Qu'ils le sachent bien, en écoutant
leur coeur, ils n'ont pas tout fait. Une loi
supérieure, la loi d'obéissance, la
loi du respect, immuable et positive, doit
gouverner leur âme et régir leurs
actions: Dieu doit être, Dieu doit rester le
maître.
Sans ce pouvoir de la conscience, si
effacé dans nos éducations modernes,
vous aurez des générations passives,
qui parleront beaucoup, n'agiront guère,
consentiront à tout, et ne
résisteront à rien. Avec la
conscience, vous obtiendrez des
générations moins amusantes, moins
commodes; des générations
énergiques, promptes à l'action,
solides au bien, qui ne subiront pas, qui ne
subtiliseront pas, qui marcheront droit, qui se
tiendront ferme. vous aurez des hommes.
La conscience publique se compose de consciences
individuelles.
C'est quand les consciences
individuelles sont fortes, pas autrement, que la
conscience publique se roidit contre le
mal.
On parle de la conscience publique comme
d'un être à part, qui aurait son
existence propre; tout au moins comme d'un fait
collectif, sur lequel personne ne saurait agir.
C'est une erreur,
Chacune de nos consciences crée
à son image, et en quelque manière,
la conscience publique; nous portons tous la
responsabilité du caractère qu'elle
a.
En voulez-vous la preuve?
Qu' au milieu de la fadeur des
demi-convictions, des opinions de commande, des
faiblesses qui courent les rues apparaisse soudain
une conviction vraie, une décision, une
solidité, une conscience; cela fera
événement. On dirait la descente d'un
homme en chair et en os, parmi les ombres des
Champs-Élysées. Cette conscience,
vivante, debout, et qui se porte bien,
réveillera la conscience publique, elle la
relèvera; un souffle de résurrection
passera sur le pays tout entier.
Il y a de ces heures-là dans
l'histoire du genre humain. Les idées nobles
et pures se mettent à marcher; on se fait
chevaleresque; on se préoccupe des faibles;
on s'enquiert du vrai; on entend l'honneur national
d'une façon nouvelle: gouvernement,
opposition, journaux, tout participe à cette
renaissance, à ce printemps, à cette
éclosion des vaillances et des grandeurs de
l'âme. Les mauvais, embarrassés,
cherchent leur voie; les bons, encouragés,
ont trouvé leur chemin. C'est l'heure
où l'on abolit la traite, l'heure où
l'on affranchit les esclaves; c'est l'heure
où l'on flétrit - comme le faisait
naguère l'Amérique - la pensée
avilissante d'une banqueroute; C'est l'heure
où la nation qu'a redressée quelque
brave conscience individuelle, secouant sa
poussière et jetant son linceul,
s'élance hardiment du côté des
libertés, du coté des
vérités.
Mais que nos consciences
fléchissent au contraire, qu'elles
s'engourdissent, la grande conscience
fléchira, elle s'engourdira : gouvernement,
opposition, journaux, ambitions nationales, projets
et regrets, nous verrons tout s'amoindrir et tout
se gâter.
Au travers des mots à effet,
d'autant plus généreux que la
pensée est plus mesquine, le pays
s'affaisse, les niveaux s'abaissent l'injustice se
donne carrière, En même temps que la
grosse honnêteté s'en va, on
rêve de conquêtes, on parle
d'agrandissements; on proclame une morale politique
qui n'a rien à démêler avec la
morale ordinaire, Conscience de localité,
conscience d'événements, conscience
de parti : autant de consciences que la vraie
conscience ne connaît pas; - Mes amis
m'approuvent quand j'ai raison; la belle affaire!
C'est quand j'ai tort que j'ai besoin
d'eux!
Ce mot d'un ministre
célèbre dit crûment
jusqu'où peut aller la démoralisation
de la morale - passez-moi le terme - lorsque la
conscience publique a cessé de marcher
droit.
Le plus grand mal qui puisse nous
atteindre, c'est une dégradation de la
conscience publique.
Le plus grand progrès que nous
ayons à réaliser, c'est un
relèvement de la conscience
publique.
Or, la conscience publique ne se
redressera qu'au contact viril des consciences
chrétiennes.
La liberté est au prix de
l'obéissance.
Cela ressemble à un paradoxe.
Regardez-y de près, vous verrez que partout
où la conscience a cessé de se faire
obéir, les libertés ont cessé
d'exister.
En un temps de démocratie comme
le nôtre, il n'est pas prouvé qu'un
nouveau despotisme, le plus complet, le plus
grossier, celui du nombre, ne réussisse
à nous asservir.
Si le nombre triomphe, s'il gouverne, si
la conscience ne se lève pas pour lui tenir
tête; si elle ne se met pas en travers pour
défendre le domaine sacré de
l'individu; si les fortes indépendances
personnelles - celle du sens moral, justement - ne
viennent pas s'opposer à l'envahissement des
majorités réglant tout,
jusqu'à l'éducation, jusqu'à
la pensée, jusqu'à la foi; nous
arriverons vite à un aplatissement
auprès duquel les platitudes des courtisans
de l'ancien régime seraient presque de la
fierté.
La tyrannie des temps modernes est
à la porte. Entrera-t-elle? oui ou non? -
Oui, du moment où notre conscience n'est pas
maîtresse chez nous. Non, si nous avons des
hommes chez lesquels la conscience règne,
absolument. Car ceux-là ont respiré
à pleine poitrine l'air de la grande
émancipation, ceux-là ne se
laisseront pas étouffer (1).
Prenons la première des
libertés, celle qui sort de base à
toutes les autres, celle qui tient de plus
près à notre conscience : la
liberté religieuse. Sans la conscience, je
veux dire sans la foi la; liberté religieuse
ne s'établit point.
Les hommes qui croient à la
vérité, croient à la puissance
qu'elle possède et au Dieu qui la maintient,
ils n'infligeront pas à la
vérité l'injure de la faire garder
par des gendarmes. Les hommes qui sentent la valeur
de leur conscience, éprouvent un immense
besoin de respecter la conscience d'autrui ils ne
la feront violenter par qui que ce soit,
fût-ce pour lui imposer l'Évangile;
car ce serait renier l'Évangile, ce serait
renier la conscience, ce serait renier
tout.
Un tel respect, ne nous y trompons pas,
n'a rien de commun avec la tolérance
née du mépris de la
vérité.
Le refus d'intervenir en matière
religieuse, parce que cela n'en vaut pas la peine;
l'abstention, pour cause d'absence de conscience;
n'assureront ni l'un ni l'autre la liberté
des convictions.
Le mépris na jamais rien
fondé.
La tolérance douteuse n'a pas le
droit de mettre son nom sur l'oeuvre accomplie par
la tolérance croyante. C'est celle-ci, non
la première, qui a fourni le principe; c'est
celle-ci qui a donné les martyrs. La
liberté des âmes ne s'est
établie que parce qu'il y avait des
âmes. La liberté des consciences ne
s'est produite que parce qu'il y avait des
consciences; des consciences usant de leur droit,
réclamant leur droit, et par cela même
affirmant le droit de tous. La liberté
religieuse, en un mot, n'apparu sur la terre
qu'avec l'Évangile; et c'est quand
l'Évangile, tiré au grand jour par la
Réforme, s'est mis à rayonner, que la
liberté religieuse a
pénétré dans nos moeurs,
qu'elle a transformé nos lois.
Pour cette liberté-là
comme pour toutes, les beaux esprits n'ont fait que
recueillir ce que les grands coeurs avaient
semé.
Sans les puritains et les huguenots,
sans les persécutés et les vaincus,
nous en serions encore aux religions nationales et
au principe païen.
Toutes les libertés, en fin de
compte, reposent sur le respect des
consciences.
Liberté personnelle : respect des
consciences. Sitôt que l'esclave a une
conscience, il est traité comme un homme,
l'esclavage est ruiné.
Liberté d'enseignement : respect
des consciences. Dès que le père se
sent responsable de l'éducation de son fils,
dès qu'il prétend l'élever
selon sa conscience, l'éducation nationale
obligatoire disparaît.
Liberté politique: respect des
consciences. Quand le droit des citoyens à
être gouvernés selon leur conscience,
à décider de la paix ou de la guerre
selon leur conscience, à faire et appliquer
les lois selon leur conscience est reconnu,
l'absolutisme est renverse.
Il n'y a pas là de jeu
d'esprit.
Les progrès, comme les
libertés, ne posent sur d'autres fondements
que la conscience.
Je parlais de la paix. Pensez-vous que
si nous y arrivons une fois, pensez-vous que si
nous échappons au poids des armements qui
nous écrasent, ce ne sera pas l'oeuvre de la
conscience, de la conscience publique repoussant
enfin les vieilles idées de rivalités
nationales, d'équilibre européen,
d'orgueil jaloux, de prépotence et de
conquête?
Si les questions ouvrières
reçoivent un jour, comme je l'espère,
une bonne solution, ne sera-ce point la conscience
à laquelle nous devrons ce prodige? Les
relations de maîtres et d'ouvriers, de
travailleurs et de patrons,
considérées au point de vue du
devoir; une lutte remplacée par une
harmonie; qui donc opérera le miracle, sinon
la conscience chrétienne, ce grand
redresseur, ce grand initiateur?
Des initiateurs, des pionniers, nous en
aurons pour autant que nous aurons des consciences.
L'homme restera debout et la vie morale
grandira.
Je plains, pour ma part, ceux qui,
voulant des libertés, des
égalités, des progrès, n'ont
rien trouvé de plus ingénieux que de
rejeter la conscience, que de nier
l'Évangile, et, pour tout dire, que de faire
la guerre à Dieu.
Y a-t-il, en dehors de la conscience, de
réelles beautés dans la
littérature et dans les arts? j'en doute. Le
sens moral a mis son sceau sur tout ce qui est
grand.
Ôtez les combats entre la passion
et le devoir, vous supprimez une des puissances les
plus incontestables et les plus dramatiques du
domaine de l'esprit, en même temps que vous
abaissez étrangement le théâtre
de l'action.
Ôtez à l'artiste et
à l'écrivain la poursuite
consciencieuse de l'idéal, vous n'avez plus
que des machines, vous n'obtenez plus que des
produits de fabrique.
Quand je lis les tragédies de
Corneille ou de Shakespeare, quand j'ouvre les
drames d'Eschyle ou de Sophocle, quand j'analyse
les harangues de Démosthènes, le
génie peut bien m'émerveiller, mais
ce qui fait bondir mon coeur, ce sont les sublimes,
ce sont les inimitables accents de la
conscience.
D'où vient à Tacite sa
supériorité d'historien? de sa grande
conscience dressée en face des infamies des
Césars.
D'où vient à Saint-Simon,
ce gentilhomme «qui écrivait à
la diable pour l'immortalité » cette
saveur qui nous réveille, cette vigueur qui
nous étreint? de sa grande conscience,
dressée en face des amoindrissements
honteux, de l'étroit formalisme, des
passions ratatinées de la cour de Louis XIV,
régentée par madame de
Maintenon.
Voilà des hommes! voilà
des livres! Avec eux on respire l'air fortifiant
des sommets.
Les grandes consciences créent
les grands styles.
Il y a plus.
À sa formule favorite: le bien
oblige, le vrai oblige! - la conscience ajoute
celle-ci : le beau oblige!
Le beau reproduit, dans sa
sphère, le bien et le vrai.
Ils sont consciencieux, au sens noble et
complet du mot, l'écrivain, l'artiste qui se
proposent, non de réussir, mais de bien
faire; qui cherchent, non à servir le public
selon ses goûts, mais à poursuivre
l'idée, la saisissant à tout
prix.
Travailler de la sorte, et puis lancer
son oeuvre; cette oeuvre où l'on a
renfermé une portion de sa vie, ce qu'on a
de meilleur en soi» : pensées, joies,
souffrances, le coeur car la conscience
n'exigé rien moins - lancer son oeuvre et
songer qu'elle va rester ignorée, faute
d'avoir courtisé l'opinion, faute d'avoir
pactisé avec les petitesses du jour; c'est
introduire dans la région des arts et de la
littérature, région où
semblaient ne pouvoir pénétrer que
des brises attiédies, le fort
élément du devoir.
Ainsi agissait Beethoven - pour ne
parler que de l'art, et d'une seule expression de
l'art - ce Beethoven qui n'a jamais écrit
une note pour complaire à qui que ce soit;
ce Beethoven qui n'a eu d'autre maître que le
juge intérieur; ce Beethoven sourd aux
fantaisies du public comme aux bruits du dehors; ce
Beethoven qui n'écoutait qu'une voix. celle
de l'idéal, lui chantant ses puissantes
harmonies,
Mettez à côté d'une
telle religion, nos asservissements; au lieu du
consciencieux labeur qui toujours est une lutte:
lutte contre la mode, lutte contre le faux
goût, lutte contre soi-même, mettez le
facile passe-temps qui entasse des bluettes et des
colifichets selon la saison pu l'heure, et dites si
vous ne croyez pas voir le meunier de Sans-Souci,
les mains dans les poches, le bonnet sur l'oreille,
produisant sa farine sans qu'il lui en coûte
un soupir !
Et de quelque côté que
pût souffler le vent, Il y tournait son aile
et s'endormait content.
On tourne son aile; que voulez-vous de
plus? Nos moulins sont à pivot. Vent du
Nord, vent du Sud, il ne s'agit que d'orienter
l'engin.
Ce qui manque 4 notre art, ce qui fait
défaut notre littérature, on le sent
dès l'abord; c'est la conscience.
Nos écrivains ont de l'adresse,
de l'esprit, parfois même de la passion; nos
sculpteurs et nos peintres ont de prodigieuses
ressources d'habileté; les uns comme les
autres, ils font tout ce qu'ils veulent.
Oui, tout ce qu'ils veulent, et
voilà le mal. Le véritable artiste ne
fait pas tout ce qu'il veut. Il faut qu'il fasse
certaine oeuvre. Il est possédé par
sa conscience d'artiste. Il ne saurait fabriquer
sur commande.
L'écrivain consciencieux est
incapable d'écrire le premier livre venu. Le
peintre consciencieux est incapable de peindre le
premier tableau venu. L'orateur consciencieux est
incapable de traiter le premier sujet venu.
Faire de la voltige, exécuter des
tours de passe-passe, accomplir des prodiges
d'équilibre, maintenir des paradoxes en
l'air, opérer des réhabilitations
impossibles, demandez cela aux esprits qui se sont
dégagés de la conscience ! Du reste,
le tout lancé, pensez-en ce qu'il vous
plaira, cela leur est bien égal. Quiconque
se débarrasse de la conscience, se
désintéresse du travail.
Pour moi, je préfère cent
fois le cordonnier qui ajuste ses souliers avec
l'ambition de créer un chef-d'oeuvre, je
préfère cent fois la lingère
qui coud sa toile en visant à la perfection,
je les préfère cent et mille fois
à ces producteurs de phrases, de formes ou
d'images, complaisants au public, assortissant
toujours l'offre à la demande, prêts
à tout reniement comme à toute
servilité.
Nous avons partout interrogé l'horizon;
partout la conscience s'est levée, se
montrant à nous, lorsqu'elle est
éclairée du Saint-Esprit et
fortifiée par l'Évangile, comme la
puissante créatrice de notre
régénération.
Individus, familles et nations;
questions morales, questions politiques, questions
sociales, questions artistiques et
littéraires, rien n'est parvenu à se
passer d'elle.
La santé morale n'y
réussit pas mieux.
Sans conscience, vous aurez des
avisés, des adroits, des raisonneurs, des
Montaigne qui vous diront : Que sais-je! - des
prudents qui vous diront. Ne me compromettez
pas!
Oh! ne me brouillez pas avec la
République!
Vous n'aurez ni santé morale, ni
caractères qui se portent bien. On vivra de
régime, on vivra d'expédients. Point
de décision, point de hardiesse, nulle
vigueur.
Vienne la conscience, tout a
changé.
La santé morale ! parlez moi de
ce trésor !
Être en possession de la
vérité et vivre en Dieu; comprendre
sa route, discerner le but, appartenir au devoir!
c'est trop bon, c'est trop beau!
il ne s'agit plus de savoir si l'on
réussira ou non; la conscience nous dit que
nous sommes chargés, non de réussir,
mais d'obéir,
Que cela est bon, la vie sincère!
Que cela est beau, croire au bien! Que cela est
bon, se confier au vrai! Que cela est beau, ne
redouter aucune vérité pour la
vérité! Quelle fête
perpétuelle, être vivant, être
croyant, être jeune; oui, jeune, car il y a
des vieillards qui, par cette sève
intérieure, sont plus jeunes que les jeunes
gens! Quelle splendeur de paradis, travailler en
conscience, agir en conscience, se passionner en
conscience!
La santé morale a des entrains,
elle possède des énergies, elle
éprouve des pitiés, des
générosités l'embrasent dont
jamais les maladifs ne parviendront à se
douter.
Qui dit santé morale dit quelque
chose de consistant, de conquérant.
Qui dit plaie morale dit quelque chose
d'écoeurant, de répugnant.
La santé morale attire à
l'Évangile. La morale mal portante
discrédite l'Évangile.
Sur le « sel qui a perdu sa saveur,
» le monde pense exactement ce qu'a
déclaré Jésus-Christ: «Il
n'est bon ni pour la terre ni pour le fumier (2).
»
Le christianisme est un sel; il
crée des vies salées, des devoirs
salés; il met en toutes choses,
pensées, paroles et actions, une saveur
à laquelle on ne se trompe pas.
Mais ce christianisme dessalé,
qui est fade, qui est ennuyeux, qui ne donne ni
paix ni guerre, ni gaieté ni tristesse; le
monde, en le rencontrant, hausse les
épaules, et il a raison!
Ce qui marche devant ce
christianisme-là c'est l'engourdissement et
c'est la mort. Dès qu'il paraît, la
vie se retire; les ressuscités se recouchent
au tombeau.
Ne me parlez pas d'un christianisme
fruste, secondaire, inerte, qui ne remue rien, qui
ne transforme rien, qui n'exige ni
dévouements ni sacrifices, qui nous
dispense, même de l'aspiration. Ne me parlez
pas de ces dévotions aisées, de cette
religion qui n'est qu'une doctrine, peut-être
qu'une habitude, qui a des complaisances pour
toutes nos convoitises et des excuses pour tous nos
entraînements. Ne me parlez pas de cette
piété mesquine et
modérée que l'héroïsme
épouvante, que les croix font reculer, qui
nous ouvre les voies médiocres et nous met
à l'ordinaire de je ne sais quel train-train
bigot !
Notre conscience nous la dit clairement
: une religion qui laisse l'homme tel qu'elle l'a
pris, n'est pas une religion.
Les incrédules honnêtes
valent mieux que les demi-chrétiens. Au
moins ils obéissent à leur
conscience.
L'incrédule honnête! je
pourrais dire l'honnête musulman,
Là, dans ce caractère, de
l'honnêteté, réside
l'explication du fait qui a si souvent
étonne, qui a presque scandalisé les
voyageurs.
Les Turcs mahométans, pris dans
leur ensemble, valent mieux que les
chrétiens orientaux. Il faut en rougir, il
ne faut Pas s'en formaliser. Ces Turcs croient ce
qu'ils croient; et ces chrétiens, la plupart
du moins, ne croient pas ce qu'ils ont l'air de
croire. Les uns ont foi dans leur foi; les autres
n'ont retenu du christianisme que le nom, avec
quelques pratiques extérieures, que nul ne
prend au sérieux.
Soyons-y attentifs. Ce qui se passe en
Orient, pourrait bien se passer aussi dans notre
Europe.
Les chrétiens, en Europe comme en
Orient, peuvent devenir, selon l'état de
leur santé morale, ou la grande objection
contre l'Évangile, ou sa grande
démonstration.
Des chrétiens objectifs, il y en
a chez nous tant qu'on en veut. Et plus d'une
âme droite, qui prenait le bon chemin, s'est
arrêtée, voyant la foi
chrétienne se traduire en formes, en
étroitesse, en raideur, en orgueil
dévot, en jugements peu charitables; au lieu
de produire le miracle attendu, le miracle
nécessaire, du renouvellement
chrétien.
Elle le produit, grâce à
Dieu. Consciencieuse, elle assainit l'âme.
Or, la santé est le roi des arguments. -
Entre plusieurs systèmes médicaux,
décidément le meilleur, c'est celui
qui guérit.
L'Évangile guérit.
L'Évangile de Dieu répare le mal que
fait l'Évangile des hommes. Par lui de
grandes consciences sont incessamment
formées. Par lui, la conscience a
reçu, il y a dix-huit siècles, de la
bouche de quelques Galiléens ignorants, des
lumières que les Platon ne
possédaient pas. Par lui, la conscience
s'est tellement développée, pendant
ces dix-huit siècles, que, si l'on dressait
aujourd'hui le catalogue des règles morales
acquises au domaine commun à qu'admettent
d'instinct les hommes de notre temps, on resterait
émerveillé du chemin que
l'Évangile nous a fait parcourir.
L'Évangile, c'est-à-dire
la santé, communique, sa force à nos
joies.
Il y a des joies pleines de
santé; c'est la conscience chrétienne
qui les donne.
On se trompe étrangement, quand
on suppose que les vies consciencieuses se
reconnaissent à leur visage
renfrogné. Je dirais volontiers le
contraire, et que l'habitude d'obéir
simplement à ce qui est bon, fait entrer la
joie chez nous, parce qu'elle y fait entrer la
paix.
Le poème des joies se chante
là, dans les vies vraiment
chrétiennes. C'est une perpétuelle
allégresse de l'âme, de l'âme
jeune, vivante, ardente. Il y a des plaisirs, et de
francs rires, et les éclats des
gaietés innocentes qui plaisent à
notre Dieu.
Allez, vous pouvez m'en croire, ce n'est
pas le chrétien consciencieux qui adressera
au Père céleste cette plainte du fils
aîné de la parabole : « Tu ne
m'as jamais donné un chevreau pour me
réjouir avec mes amis
(3)! »
L'Évangile, c'est-à-dire
la santé, communique la force à ma
douleur.
Il y a des douleurs sérieuses et
vraies, c'est l'Évangile qui les
donne.
- Nous avons à mettre de la
conscience dans nos douleurs.
Avec de la conscience, point de ces
légèretés féroces qui
refusent de s'attrister, qui veulent se
dérober à tout prix et en
dépit de tout.
Se dérober! et
après?
Écarter les idées qui
pourraient assombrir; rebuter la souffrance, le
devoir, la mort! et après?
La vie est-elle encore la vie, lorsque
nous en avons ôté les douleurs? Nos
joies sont-elles encore des joies, quand nous avons
repoussé l'épreuve? le chagrin une
fois réprimé, en sommes-nous plus
gais? Non. L'Épreuve demeure, seulement les
fruits de l'épreuve ont disparu.
Dieu nous afflige pour que nous soyons
affligés. Nous nous arrangeons pour ne pas
l'être, ou pour l'être « en vain (4)
».
Nous nous desséchons, nous nous
appauvrissons; nous descendons au rang de ces
êtres infortunés qui oublient leur
âme, et qui se croient heureux, parce qu'ils
sont parvenus à se distraire !
Ayons des douleurs vigoureuses, des
douleurs profondes, des douleurs durables; ayons
des douleurs qui regardent en haut, des douleurs
qui pleurent avec ceux qui pleurent; et pour cela,
je le répète, mettons de la
conscience dans nos douleurs (5)
Maintenant, je retourne à la vie;
à la vie toute pénétrée
de santé morale; à la vie
chrétienne dans son ampleur et dans sa
beauté.
Vivre sincèrement, d'une vie
salubre, où rien de bon n'est
détruit, d'où la conscience n'a
retranché que le mal, où les nobles
développements de la tendresse, de l'esprit,
de l'imagination, du dévouement, où
l'activité scientifique, ou l'action
patriotique se sont fait une place; vivre de cette
vie étrangère à tout
ascétisme, gouvernée par
l'énergique morale de l'Évangile,
c'est vivre au grand soleil, et l'on en vient, je
le dirais presque, à ne plus distinguer
entre les devoirs et les plaisirs, tant le bonheur
- le vrai - s'y est révélé
dans son intime union avec le bien.
À la vue de ces enthousiasmes, de
ces vaillances, de ce bon travail par la foi, par
la soumission, dans la paix et dans la joie, je ne
puis pas ne point m'écrier : la vie est
belle!
Oui, elle est belle! De même qu'il
est beau, aussi, cet Évangile qui ne mutile
quoi que ce soit, et qui transfigure tout.
La vie, est belle! Au travers des
combats, au travers des blessures, la vie est
belle, lorsqu'elle a conquis ce qu'il y a de plus
beau sur la terre : le privilège de servir
la justice et la vérité. La vie est
belle, lorsqu'elle aboutit à ce que notre
pensée peut concevoir de plus beau dans
l'avenir : la communion parfaite avec Dieu,
l'absolue délivrance du mal,
l'éternité de l'amour. Aucun terme ne
saurait peindre la majesté, le rayonnement
d'une telle vie, quand la foi en Christ y est
entrée, quand l'amour de Christ l'a
réchauffée, quand les misères
et les splendeurs de la destinée humaine s'y
sont révélées, quand nos
tendresses l'ont émue, quand on y a compris,
au pied de la croix, ce que c'est que la conscience
et ce que c'est que, le devoir.
L'Évangile une fois dans le
coeur, il n'existe plus, ni d'espérances
trop vastes, ni de trop hautes ambitions. L'infini
s'est ouvert. (6)
?
Cela fait du bien de s'établir
là, en pleine indépendance, en pleine
joie, en plein devoir, en plein ciel.
Le combat nous attend, nous autres soldats de la
Bible.
Le combat pour notre conscience et pour
notre foi.
Aurons-nous une rencontre loyale,
à visage découvert? Les positions
seront-elles nettes et les opinions
tranchées? Verra-t-on, au contraire, une
mêlée confuse?
L'avenir répondra.
Si les opinions se faisaient
sincères, si les situations se dessinaient
clairement, ce serait une très-grande
victoire remportée par la
conscience.
Je n'ose, pour mon compte, regarder le
progrès comme certain; encore moins comme
accompli.
Je vois trop de gens qui aiment le
demi-jour; je vois trop de dispositions - et cela
dans tous les domaines - a nier peu, affirmer peu,
se décider peu. Il est une sorte de
compromis entre le faux et le vrai, entre la
croyance et l'incrédulité, entre le
bien et le mal,- entre le monde et Christ,
où plus que jamais, on tient à se
réfugier.
Je m'écrierais volontiers avec le
poète
Pas un homme complet, pas un seul, c'est pitié!
En vertu comme en vice, ils font tout à moitié!
Si les ennemis de la Bible conservent
certains dehors respectueux, s'ils gardent le nom
des vérités tout en jetant les
vérités par dessus bord, le combat
sera plein de périls. La négation
hypocrite qui prétend maintenir
l'Évangile, tout en le sapant en dessous,
m'effraye bien plus que la négation franche
qui va droit son chemin, démolissant a grand
bruit devant elle.
Quoi qu'il en soit, souvenons-nous du
triple de la conscience.
Trois fois la conscience, appelée
à se prononcer sur le christianisme, en a
proclamé la divinité.
Nous cherchions la vérité,
notre conscience nous a montré
l'Évangile. La vérité
trouvée, nous en désirions la
possession, notre conscience nous a montré
l'Évangile. La vérité devenue
maîtresse de notre âme, restaient les
applications, la vie, les luttes, le, devoir, notre
conscience nous a montré
l'Évangile.
Ce que la conscience nous dit, j'aurais
voulu le traduire en un langage plus
consciencieux.
Si j'ai froissé des âmes
que je désirais attirer, je leur en demande
pardon,
Si j'ai fait tort au vrai en essayant
d'en dégager l'éclat, si j'ai
desservi l'Évangile en m'efforçant
d'en montrer l'excellence, j'en suis
très-repentant et
très-humilié.
En tout cas et malgré tout, je
crois qu'il y avait, j'espère qu'il y a ici:
une conscience parlant à des consciences.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |