Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VII

LA CONSCIENCE DONNE LES BONNES TENDRESSES

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La conscience est riche, et nous ne sommes pas au bout.
De la conscience dans nos tendresses! - Oui, Les molles affections qui oublient le devoir s'affaissent sur elles-mêmes. Le devoir est le ciment; sans lui rien ne tient.
S'aimer assez pour chercher Dieu, pour viser à la beauté morale, pour travailler à la sanctification, pour s'avertir, pour s'entr'aider, pour appeler et fixer entre soi l'idéal, ce n'est une tache, ni sans difficultés ni sans grandeur. Toujours il s'agit de se régénérer. La perfection, voilà toujours le but.

Qu'il fait bon, dans les familles où ce but est joyeusement poursuivi ! La bataille de la vie n'a pas fini de meurtrir et de blesser; mais le bras victorieux de Christ n'a pas cessé de secourir.
N'allez pas vous figurer des familles guindées, mornes, ou grognonnes! Le devoir met notre coeur en liberté. La conscience d'ailleurs nous veut aimables.
Être aimable! on appelle cela un petit devoir. En vérité je ne sais pourquoi, car ce devoir - sans parler du bonheur qu'il amène - exige des renoncements, du support, de la bonté, de l'oubli de soi, d'assez grandes vertus, vous en conviendrez.
Il serait plus aisé de se montrer maussade tout à son aise, et d'inscrire sa mauvaise humeur au compte de la conscience. Mais la conscience n'accepte pas cette façon de régler les comptes. Elle nous dit tout net que, si nous sommes des chrétiens fort dévoués au dehors et fort désagréables au logis, c'est que nous l'avons mise à la porte, ni plus ni moins.
Tout comme elle revendique sa place dans nos tendresses, la conscience veut sa place dans nos éducations.

Il n'y a pas d'éducation, là où on ne s'est pas attaché à développer le sens moral. Que nos enfants le sachent bien, l'amour ne dispense pas du devoir. Qu'ils le sachent bien, en écoutant leur coeur, ils n'ont pas tout fait. Une loi supérieure, la loi d'obéissance, la loi du respect, immuable et positive, doit gouverner leur âme et régir leurs actions: Dieu doit être, Dieu doit rester le maître.
Sans ce pouvoir de la conscience, si effacé dans nos éducations modernes, vous aurez des générations passives, qui parleront beaucoup, n'agiront guère, consentiront à tout, et ne résisteront à rien. Avec la conscience, vous obtiendrez des générations moins amusantes, moins commodes; des générations énergiques, promptes à l'action, solides au bien, qui ne subiront pas, qui ne subtiliseront pas, qui marcheront droit, qui se tiendront ferme. vous aurez des hommes.


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VIII

LA CONSCIENCE INDIVIDUELLE DONNE LA CONSCIENCE PUBLIQUE


La conscience publique se compose de consciences individuelles.
C'est quand les consciences individuelles sont fortes, pas autrement, que la conscience publique se roidit contre le mal.
On parle de la conscience publique comme d'un être à part, qui aurait son existence propre; tout au moins comme d'un fait collectif, sur lequel personne ne saurait agir. C'est une erreur,
Chacune de nos consciences crée à son image, et en quelque manière, la conscience publique; nous portons tous la responsabilité du caractère qu'elle a.
En voulez-vous la preuve?
Qu' au milieu de la fadeur des demi-convictions, des opinions de commande, des faiblesses qui courent les rues apparaisse soudain une conviction vraie, une décision, une solidité, une conscience; cela fera événement. On dirait la descente d'un homme en chair et en os, parmi les ombres des Champs-Élysées. Cette conscience, vivante, debout, et qui se porte bien, réveillera la conscience publique, elle la relèvera; un souffle de résurrection passera sur le pays tout entier.
Il y a de ces heures-là dans l'histoire du genre humain. Les idées nobles et pures se mettent à marcher; on se fait chevaleresque; on se préoccupe des faibles; on s'enquiert du vrai; on entend l'honneur national d'une façon nouvelle: gouvernement, opposition, journaux, tout participe à cette renaissance, à ce printemps, à cette éclosion des vaillances et des grandeurs de l'âme. Les mauvais, embarrassés, cherchent leur voie; les bons, encouragés, ont trouvé leur chemin. C'est l'heure où l'on abolit la traite, l'heure où l'on affranchit les esclaves; c'est l'heure où l'on flétrit - comme le faisait naguère l'Amérique - la pensée avilissante d'une banqueroute; C'est l'heure où la nation qu'a redressée quelque brave conscience individuelle, secouant sa poussière et jetant son linceul, s'élance hardiment du côté des libertés, du coté des vérités.
Mais que nos consciences fléchissent au contraire, qu'elles s'engourdissent, la grande conscience fléchira, elle s'engourdira : gouvernement, opposition, journaux, ambitions nationales, projets et regrets, nous verrons tout s'amoindrir et tout se gâter.

Au travers des mots à effet, d'autant plus généreux que la pensée est plus mesquine, le pays s'affaisse, les niveaux s'abaissent l'injustice se donne carrière, En même temps que la grosse honnêteté s'en va, on rêve de conquêtes, on parle d'agrandissements; on proclame une morale politique qui n'a rien à démêler avec la morale ordinaire, Conscience de localité, conscience d'événements, conscience de parti : autant de consciences que la vraie conscience ne connaît pas; - Mes amis m'approuvent quand j'ai raison; la belle affaire! C'est quand j'ai tort que j'ai besoin d'eux!
Ce mot d'un ministre célèbre dit crûment jusqu'où peut aller la démoralisation de la morale - passez-moi le terme - lorsque la conscience publique a cessé de marcher droit.
Le plus grand mal qui puisse nous atteindre, c'est une dégradation de la conscience publique.
Le plus grand progrès que nous ayons à réaliser, c'est un relèvement de la conscience publique.
Or, la conscience publique ne se redressera qu'au contact viril des consciences chrétiennes.


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IX

LÀ CONSCIENCE DONNE LES LIBERTÉS ET LES SOLUTIONS SOCIALES


La liberté est au prix de l'obéissance.
Cela ressemble à un paradoxe. Regardez-y de près, vous verrez que partout où la conscience a cessé de se faire obéir, les libertés ont cessé d'exister.
En un temps de démocratie comme le nôtre, il n'est pas prouvé qu'un nouveau despotisme, le plus complet, le plus grossier, celui du nombre, ne réussisse à nous asservir.
Si le nombre triomphe, s'il gouverne, si la conscience ne se lève pas pour lui tenir tête; si elle ne se met pas en travers pour défendre le domaine sacré de l'individu; si les fortes indépendances personnelles - celle du sens moral, justement - ne viennent pas s'opposer à l'envahissement des majorités réglant tout, jusqu'à l'éducation, jusqu'à la pensée, jusqu'à la foi; nous arriverons vite à un aplatissement auprès duquel les platitudes des courtisans de l'ancien régime seraient presque de la fierté.

La tyrannie des temps modernes est à la porte. Entrera-t-elle? oui ou non? - Oui, du moment où notre conscience n'est pas maîtresse chez nous. Non, si nous avons des hommes chez lesquels la conscience règne, absolument. Car ceux-là ont respiré à pleine poitrine l'air de la grande émancipation, ceux-là ne se laisseront pas étouffer (1).

Prenons la première des libertés, celle qui sort de base à toutes les autres, celle qui tient de plus près à notre conscience : la liberté religieuse. Sans la conscience, je veux dire sans la foi la; liberté religieuse ne s'établit point.
Les hommes qui croient à la vérité, croient à la puissance qu'elle possède et au Dieu qui la maintient, ils n'infligeront pas à la vérité l'injure de la faire garder par des gendarmes. Les hommes qui sentent la valeur de leur conscience, éprouvent un immense besoin de respecter la conscience d'autrui ils ne la feront violenter par qui que ce soit, fût-ce pour lui imposer l'Évangile; car ce serait renier l'Évangile, ce serait renier la conscience, ce serait renier tout.
Un tel respect, ne nous y trompons pas, n'a rien de commun avec la tolérance née du mépris de la vérité.
Le refus d'intervenir en matière religieuse, parce que cela n'en vaut pas la peine; l'abstention, pour cause d'absence de conscience; n'assureront ni l'un ni l'autre la liberté des convictions.
Le mépris na jamais rien fondé.

La tolérance douteuse n'a pas le droit de mettre son nom sur l'oeuvre accomplie par la tolérance croyante. C'est celle-ci, non la première, qui a fourni le principe; c'est celle-ci qui a donné les martyrs. La liberté des âmes ne s'est établie que parce qu'il y avait des âmes. La liberté des consciences ne s'est produite que parce qu'il y avait des consciences; des consciences usant de leur droit, réclamant leur droit, et par cela même affirmant le droit de tous. La liberté religieuse, en un mot, n'apparu sur la terre qu'avec l'Évangile; et c'est quand l'Évangile, tiré au grand jour par la Réforme, s'est mis à rayonner, que la liberté religieuse a pénétré dans nos moeurs, qu'elle a transformé nos lois.
Pour cette liberté-là comme pour toutes, les beaux esprits n'ont fait que recueillir ce que les grands coeurs avaient semé.
Sans les puritains et les huguenots, sans les persécutés et les vaincus, nous en serions encore aux religions nationales et au principe païen.

Toutes les libertés, en fin de compte, reposent sur le respect des consciences.
Liberté personnelle : respect des consciences. Sitôt que l'esclave a une conscience, il est traité comme un homme, l'esclavage est ruiné.
Liberté d'enseignement : respect des consciences. Dès que le père se sent responsable de l'éducation de son fils, dès qu'il prétend l'élever selon sa conscience, l'éducation nationale obligatoire disparaît.
Liberté politique: respect des consciences. Quand le droit des citoyens à être gouvernés selon leur conscience, à décider de la paix ou de la guerre selon leur conscience, à faire et appliquer les lois selon leur conscience est reconnu, l'absolutisme est renverse.
Il n'y a pas là de jeu d'esprit.
Les progrès, comme les libertés, ne posent sur d'autres fondements que la conscience.
Je parlais de la paix. Pensez-vous que si nous y arrivons une fois, pensez-vous que si nous échappons au poids des armements qui nous écrasent, ce ne sera pas l'oeuvre de la conscience, de la conscience publique repoussant enfin les vieilles idées de rivalités nationales, d'équilibre européen, d'orgueil jaloux, de prépotence et de conquête?

Si les questions ouvrières reçoivent un jour, comme je l'espère, une bonne solution, ne sera-ce point la conscience à laquelle nous devrons ce prodige? Les relations de maîtres et d'ouvriers, de travailleurs et de patrons, considérées au point de vue du devoir; une lutte remplacée par une harmonie; qui donc opérera le miracle, sinon la conscience chrétienne, ce grand redresseur, ce grand initiateur?
Des initiateurs, des pionniers, nous en aurons pour autant que nous aurons des consciences. L'homme restera debout et la vie morale grandira.
Je plains, pour ma part, ceux qui, voulant des libertés, des égalités, des progrès, n'ont rien trouvé de plus ingénieux que de rejeter la conscience, que de nier l'Évangile, et, pour tout dire, que de faire la guerre à Dieu.


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X

LA CONSCIENCE DANS LES LETTRES ET DANS LES ARTS


Y a-t-il, en dehors de la conscience, de réelles beautés dans la littérature et dans les arts? j'en doute. Le sens moral a mis son sceau sur tout ce qui est grand.

Ôtez les combats entre la passion et le devoir, vous supprimez une des puissances les plus incontestables et les plus dramatiques du domaine de l'esprit, en même temps que vous abaissez étrangement le théâtre de l'action.
Ôtez à l'artiste et à l'écrivain la poursuite consciencieuse de l'idéal, vous n'avez plus que des machines, vous n'obtenez plus que des produits de fabrique.

Quand je lis les tragédies de Corneille ou de Shakespeare, quand j'ouvre les drames d'Eschyle ou de Sophocle, quand j'analyse les harangues de Démosthènes, le génie peut bien m'émerveiller, mais ce qui fait bondir mon coeur, ce sont les sublimes, ce sont les inimitables accents de la conscience.
D'où vient à Tacite sa supériorité d'historien? de sa grande conscience dressée en face des infamies des Césars.
D'où vient à Saint-Simon, ce gentilhomme «qui écrivait à la diable pour l'immortalité » cette saveur qui nous réveille, cette vigueur qui nous étreint? de sa grande conscience, dressée en face des amoindrissements honteux, de l'étroit formalisme, des passions ratatinées de la cour de Louis XIV, régentée par madame de Maintenon.

Voilà des hommes! voilà des livres! Avec eux on respire l'air fortifiant des sommets.
Les grandes consciences créent les grands styles.
Il y a plus.
À sa formule favorite: le bien oblige, le vrai oblige! - la conscience ajoute celle-ci : le beau oblige!
Le beau reproduit, dans sa sphère, le bien et le vrai.
Ils sont consciencieux, au sens noble et complet du mot, l'écrivain, l'artiste qui se proposent, non de réussir, mais de bien faire; qui cherchent, non à servir le public selon ses goûts, mais à poursuivre l'idée, la saisissant à tout prix.
Travailler de la sorte, et puis lancer son oeuvre; cette oeuvre où l'on a renfermé une portion de sa vie, ce qu'on a de meilleur en soi» : pensées, joies, souffrances, le coeur car la conscience n'exigé rien moins - lancer son oeuvre et songer qu'elle va rester ignorée, faute d'avoir courtisé l'opinion, faute d'avoir pactisé avec les petitesses du jour; c'est introduire dans la région des arts et de la littérature, région où semblaient ne pouvoir pénétrer que des brises attiédies, le fort élément du devoir.
Ainsi agissait Beethoven - pour ne parler que de l'art, et d'une seule expression de l'art - ce Beethoven qui n'a jamais écrit une note pour complaire à qui que ce soit; ce Beethoven qui n'a eu d'autre maître que le juge intérieur; ce Beethoven sourd aux fantaisies du public comme aux bruits du dehors; ce Beethoven qui n'écoutait qu'une voix. celle de l'idéal, lui chantant ses puissantes harmonies,

Mettez à côté d'une telle religion, nos asservissements; au lieu du consciencieux labeur qui toujours est une lutte: lutte contre la mode, lutte contre le faux goût, lutte contre soi-même, mettez le facile passe-temps qui entasse des bluettes et des colifichets selon la saison pu l'heure, et dites si vous ne croyez pas voir le meunier de Sans-Souci, les mains dans les poches, le bonnet sur l'oreille, produisant sa farine sans qu'il lui en coûte un soupir !
Et de quelque côté que pût souffler le vent, Il y tournait son aile et s'endormait content.
On tourne son aile; que voulez-vous de plus? Nos moulins sont à pivot. Vent du Nord, vent du Sud, il ne s'agit que d'orienter l'engin.
Ce qui manque 4 notre art, ce qui fait défaut notre littérature, on le sent dès l'abord; c'est la conscience.
Nos écrivains ont de l'adresse, de l'esprit, parfois même de la passion; nos sculpteurs et nos peintres ont de prodigieuses ressources d'habileté; les uns comme les autres, ils font tout ce qu'ils veulent.
Oui, tout ce qu'ils veulent, et voilà le mal. Le véritable artiste ne fait pas tout ce qu'il veut. Il faut qu'il fasse certaine oeuvre. Il est possédé par sa conscience d'artiste. Il ne saurait fabriquer sur commande.
L'écrivain consciencieux est incapable d'écrire le premier livre venu. Le peintre consciencieux est incapable de peindre le premier tableau venu. L'orateur consciencieux est incapable de traiter le premier sujet venu.
Faire de la voltige, exécuter des tours de passe-passe, accomplir des prodiges d'équilibre, maintenir des paradoxes en l'air, opérer des réhabilitations impossibles, demandez cela aux esprits qui se sont dégagés de la conscience ! Du reste, le tout lancé, pensez-en ce qu'il vous plaira, cela leur est bien égal. Quiconque se débarrasse de la conscience, se désintéresse du travail.

Pour moi, je préfère cent fois le cordonnier qui ajuste ses souliers avec l'ambition de créer un chef-d'oeuvre, je préfère cent fois la lingère qui coud sa toile en visant à la perfection, je les préfère cent et mille fois à ces producteurs de phrases, de formes ou d'images, complaisants au public, assortissant toujours l'offre à la demande, prêts à tout reniement comme à toute servilité.


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XI

LA SANTÉ MORALE


Nous avons partout interrogé l'horizon; partout la conscience s'est levée, se montrant à nous, lorsqu'elle est éclairée du Saint-Esprit et fortifiée par l'Évangile, comme la puissante créatrice de notre régénération.
Individus, familles et nations; questions morales, questions politiques, questions sociales, questions artistiques et littéraires, rien n'est parvenu à se passer d'elle.
La santé morale n'y réussit pas mieux.

Sans conscience, vous aurez des avisés, des adroits, des raisonneurs, des Montaigne qui vous diront : Que sais-je! - des prudents qui vous diront. Ne me compromettez pas!
Oh! ne me brouillez pas avec la République!
Vous n'aurez ni santé morale, ni caractères qui se portent bien. On vivra de régime, on vivra d'expédients. Point de décision, point de hardiesse, nulle vigueur.
Vienne la conscience, tout a changé.
La santé morale ! parlez moi de ce trésor !
Être en possession de la vérité et vivre en Dieu; comprendre sa route, discerner le but, appartenir au devoir! c'est trop bon, c'est trop beau!
il ne s'agit plus de savoir si l'on réussira ou non; la conscience nous dit que nous sommes chargés, non de réussir, mais d'obéir,
Que cela est bon, la vie sincère! Que cela est beau, croire au bien! Que cela est bon, se confier au vrai! Que cela est beau, ne redouter aucune vérité pour la vérité! Quelle fête perpétuelle, être vivant, être croyant, être jeune; oui, jeune, car il y a des vieillards qui, par cette sève intérieure, sont plus jeunes que les jeunes gens! Quelle splendeur de paradis, travailler en conscience, agir en conscience, se passionner en conscience!

La santé morale a des entrains, elle possède des énergies, elle éprouve des pitiés, des générosités l'embrasent dont jamais les maladifs ne parviendront à se douter.
Qui dit santé morale dit quelque chose de consistant, de conquérant.
Qui dit plaie morale dit quelque chose d'écoeurant, de répugnant.
La santé morale attire à l'Évangile. La morale mal portante discrédite l'Évangile.
Sur le « sel qui a perdu sa saveur, » le monde pense exactement ce qu'a déclaré Jésus-Christ: «Il n'est bon ni pour la terre ni pour le fumier (2). »
Le christianisme est un sel; il crée des vies salées, des devoirs salés; il met en toutes choses, pensées, paroles et actions, une saveur à laquelle on ne se trompe pas.
Mais ce christianisme dessalé, qui est fade, qui est ennuyeux, qui ne donne ni paix ni guerre, ni gaieté ni tristesse; le monde, en le rencontrant, hausse les épaules, et il a raison!
Ce qui marche devant ce christianisme-là c'est l'engourdissement et c'est la mort. Dès qu'il paraît, la vie se retire; les ressuscités se recouchent au tombeau.

Ne me parlez pas d'un christianisme fruste, secondaire, inerte, qui ne remue rien, qui ne transforme rien, qui n'exige ni dévouements ni sacrifices, qui nous dispense, même de l'aspiration. Ne me parlez pas de ces dévotions aisées, de cette religion qui n'est qu'une doctrine, peut-être qu'une habitude, qui a des complaisances pour toutes nos convoitises et des excuses pour tous nos entraînements. Ne me parlez pas de cette piété mesquine et modérée que l'héroïsme épouvante, que les croix font reculer, qui nous ouvre les voies médiocres et nous met à l'ordinaire de je ne sais quel train-train bigot !
Notre conscience nous la dit clairement : une religion qui laisse l'homme tel qu'elle l'a pris, n'est pas une religion.
Les incrédules honnêtes valent mieux que les demi-chrétiens. Au moins ils obéissent à leur conscience.
L'incrédule honnête! je pourrais dire l'honnête musulman,
Là, dans ce caractère, de l'honnêteté, réside l'explication du fait qui a si souvent étonne, qui a presque scandalisé les voyageurs.
Les Turcs mahométans, pris dans leur ensemble, valent mieux que les chrétiens orientaux. Il faut en rougir, il ne faut Pas s'en formaliser. Ces Turcs croient ce qu'ils croient; et ces chrétiens, la plupart du moins, ne croient pas ce qu'ils ont l'air de croire. Les uns ont foi dans leur foi; les autres n'ont retenu du christianisme que le nom, avec quelques pratiques extérieures, que nul ne prend au sérieux.
Soyons-y attentifs. Ce qui se passe en Orient, pourrait bien se passer aussi dans notre Europe.

Les chrétiens, en Europe comme en Orient, peuvent devenir, selon l'état de leur santé morale, ou la grande objection contre l'Évangile, ou sa grande démonstration.
Des chrétiens objectifs, il y en a chez nous tant qu'on en veut. Et plus d'une âme droite, qui prenait le bon chemin, s'est arrêtée, voyant la foi chrétienne se traduire en formes, en étroitesse, en raideur, en orgueil dévot, en jugements peu charitables; au lieu de produire le miracle attendu, le miracle nécessaire, du renouvellement chrétien.
Elle le produit, grâce à Dieu. Consciencieuse, elle assainit l'âme. Or, la santé est le roi des arguments. - Entre plusieurs systèmes médicaux, décidément le meilleur, c'est celui qui guérit.
L'Évangile guérit. L'Évangile de Dieu répare le mal que fait l'Évangile des hommes. Par lui de grandes consciences sont incessamment formées. Par lui, la conscience a reçu, il y a dix-huit siècles, de la bouche de quelques Galiléens ignorants, des lumières que les Platon ne possédaient pas. Par lui, la conscience s'est tellement développée, pendant ces dix-huit siècles, que, si l'on dressait aujourd'hui le catalogue des règles morales acquises au domaine commun à qu'admettent d'instinct les hommes de notre temps, on resterait émerveillé du chemin que l'Évangile nous a fait parcourir.

L'Évangile, c'est-à-dire la santé, communique, sa force à nos joies.
Il y a des joies pleines de santé; c'est la conscience chrétienne qui les donne.
On se trompe étrangement, quand on suppose que les vies consciencieuses se reconnaissent à leur visage renfrogné. Je dirais volontiers le contraire, et que l'habitude d'obéir simplement à ce qui est bon, fait entrer la joie chez nous, parce qu'elle y fait entrer la paix.
Le poème des joies se chante là, dans les vies vraiment chrétiennes. C'est une perpétuelle allégresse de l'âme, de l'âme jeune, vivante, ardente. Il y a des plaisirs, et de francs rires, et les éclats des gaietés innocentes qui plaisent à notre Dieu.
Allez, vous pouvez m'en croire, ce n'est pas le chrétien consciencieux qui adressera au Père céleste cette plainte du fils aîné de la parabole : « Tu ne m'as jamais donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis (3)! »

L'Évangile, c'est-à-dire la santé, communique la force à ma douleur.
Il y a des douleurs sérieuses et vraies, c'est l'Évangile qui les donne.
- Nous avons à mettre de la conscience dans nos douleurs.
Avec de la conscience, point de ces légèretés féroces qui refusent de s'attrister, qui veulent se dérober à tout prix et en dépit de tout.
Se dérober! et après?
Écarter les idées qui pourraient assombrir; rebuter la souffrance, le devoir, la mort! et après?
La vie est-elle encore la vie, lorsque nous en avons ôté les douleurs? Nos joies sont-elles encore des joies, quand nous avons repoussé l'épreuve? le chagrin une fois réprimé, en sommes-nous plus gais? Non. L'Épreuve demeure, seulement les fruits de l'épreuve ont disparu.
Dieu nous afflige pour que nous soyons affligés. Nous nous arrangeons pour ne pas l'être, ou pour l'être « en vain (4) ».

Nous nous desséchons, nous nous appauvrissons; nous descendons au rang de ces êtres infortunés qui oublient leur âme, et qui se croient heureux, parce qu'ils sont parvenus à se distraire !
Ayons des douleurs vigoureuses, des douleurs profondes, des douleurs durables; ayons des douleurs qui regardent en haut, des douleurs qui pleurent avec ceux qui pleurent; et pour cela, je le répète, mettons de la conscience dans nos douleurs (5)
Maintenant, je retourne à la vie; à la vie toute pénétrée de santé morale; à la vie chrétienne dans son ampleur et dans sa beauté.
Vivre sincèrement, d'une vie salubre, où rien de bon n'est détruit, d'où la conscience n'a retranché que le mal, où les nobles développements de la tendresse, de l'esprit, de l'imagination, du dévouement, où l'activité scientifique, ou l'action patriotique se sont fait une place; vivre de cette vie étrangère à tout ascétisme, gouvernée par l'énergique morale de l'Évangile, c'est vivre au grand soleil, et l'on en vient, je le dirais presque, à ne plus distinguer entre les devoirs et les plaisirs, tant le bonheur - le vrai - s'y est révélé dans son intime union avec le bien.
À la vue de ces enthousiasmes, de ces vaillances, de ce bon travail par la foi, par la soumission, dans la paix et dans la joie, je ne puis pas ne point m'écrier : la vie est belle!
Oui, elle est belle! De même qu'il est beau, aussi, cet Évangile qui ne mutile quoi que ce soit, et qui transfigure tout.

La vie, est belle! Au travers des combats, au travers des blessures, la vie est belle, lorsqu'elle a conquis ce qu'il y a de plus beau sur la terre : le privilège de servir la justice et la vérité. La vie est belle, lorsqu'elle aboutit à ce que notre pensée peut concevoir de plus beau dans l'avenir : la communion parfaite avec Dieu, l'absolue délivrance du mal, l'éternité de l'amour. Aucun terme ne saurait peindre la majesté, le rayonnement d'une telle vie, quand la foi en Christ y est entrée, quand l'amour de Christ l'a réchauffée, quand les misères et les splendeurs de la destinée humaine s'y sont révélées, quand nos tendresses l'ont émue, quand on y a compris, au pied de la croix, ce que c'est que la conscience et ce que c'est que, le devoir.
L'Évangile une fois dans le coeur, il n'existe plus, ni d'espérances trop vastes, ni de trop hautes ambitions. L'infini s'est ouvert. (6) ?
Cela fait du bien de s'établir là, en pleine indépendance, en pleine joie, en plein devoir, en plein ciel.


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XII

CONCLUSION

Le combat nous attend, nous autres soldats de la Bible.
Le combat pour notre conscience et pour notre foi.
Aurons-nous une rencontre loyale, à visage découvert? Les positions seront-elles nettes et les opinions tranchées? Verra-t-on, au contraire, une mêlée confuse?
L'avenir répondra.
Si les opinions se faisaient sincères, si les situations se dessinaient clairement, ce serait une très-grande victoire remportée par la conscience.
Je n'ose, pour mon compte, regarder le progrès comme certain; encore moins comme accompli.
Je vois trop de gens qui aiment le demi-jour; je vois trop de dispositions - et cela dans tous les domaines - a nier peu, affirmer peu, se décider peu. Il est une sorte de compromis entre le faux et le vrai, entre la croyance et l'incrédulité, entre le bien et le mal,- entre le monde et Christ, où plus que jamais, on tient à se réfugier.
Je m'écrierais volontiers avec le poète

Pas un homme complet, pas un seul, c'est pitié!
En vertu comme en vice, ils font tout à moitié!


Si les ennemis de la Bible conservent certains dehors respectueux, s'ils gardent le nom des vérités tout en jetant les vérités par dessus bord, le combat sera plein de périls. La négation hypocrite qui prétend maintenir l'Évangile, tout en le sapant en dessous, m'effraye bien plus que la négation franche qui va droit son chemin, démolissant a grand bruit devant elle.
Quoi qu'il en soit, souvenons-nous du triple de la conscience.
Trois fois la conscience, appelée à se prononcer sur le christianisme, en a proclamé la divinité.
Nous cherchions la vérité, notre conscience nous a montré l'Évangile. La vérité trouvée, nous en désirions la possession, notre conscience nous a montré l'Évangile. La vérité devenue maîtresse de notre âme, restaient les applications, la vie, les luttes, le, devoir, notre conscience nous a montré l'Évangile.
Ce que la conscience nous dit, j'aurais voulu le traduire en un langage plus consciencieux.
Si j'ai froissé des âmes que je désirais attirer, je leur en demande pardon,
Si j'ai fait tort au vrai en essayant d'en dégager l'éclat, si j'ai desservi l'Évangile en m'efforçant d'en montrer l'excellence, j'en suis très-repentant et très-humilié.
En tout cas et malgré tout, je crois qu'il y avait, j'espère qu'il y a ici: une conscience parlant à des consciences.

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1. Voir la note e à la fin du volume
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2. Évangile selon saint Marc, lX, 50
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3. Évangile selon saint Luc, XV, 27.
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4. Galates, III, 4.
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5. L'auteur dit ailleurs à propos de l'amour et des douleurs que l'Évangile nous a révélés: « Le vieil égoïsme en frémira : la vieille sainteté, par voie de mutilation, s'en indignera; le vieil homme, en un mot, regrettant les sérénités païennes, s'efforcera de les retrouver et de se délivrer des affections; mais l'Écriture continuera à protester contre ceux qui disent : ce qu'on ôte aux créatures, on l'ôte à. Dieu. Par elle, nous savons que mieux on aime Dieu, mieux on aime les créatures; l'amour de Dieu n'exclut rien de ce qui est bon; à mesure que le coeur grandit, ce qu'il renferme grandit mec lui. » - « La sobriété dans les affections ne nous est que trop recommandée, et j'ajoute qu'elle n'est que trop pratiquée aussi. Les deuils sont courts, les consolations sont promptes, les morts sont bien morts. » - La Famille, tome II, chap. VII, Paris, Michel Lévy.
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6. Encore un coup, réservons le droit des malheureux. Il y a des blessures qui tuent sans qu'on puisse en mourir. Pour de telles infortunes, la vie est une résignation. N'en demandons pas plus.
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