Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV

LA CONSCIENCE CROÎT ET DÉCROÎT

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A mesure qu'elle fait grandir l'homme, la conscience grandit d'autant.
Elle peut grandir ou diminuer, non dans son principe, immuable : Le bien oblige ! mais dans les applications de ce principe, qui toujours se proportionnent à notre sincérité.
Elle peut grandir ou diminuer, non dans son essence, invariable; mais dans son autorité, qui toujours dépendra de la manière dont on l'écoute ou dont on s'efforce d'étouffer sa voix.
Une conscience qui grandit, est-il rien de plus beau? Connaissez-vous rien de plus noble qu'un homme attentif à la conscience et virilement soumis au devoir?
«A celui qui a, il sera donné (1
Cet homme a le ferme propos d'agir selon la droiture chrétienne; il lui sera donné de la mieux comprendre chaque jour.
Cet homme a la volonté arrêtée de n'éluder aucun devoir; chaque jour des devoirs meilleurs lui seront indiqués,

L'Écriture nous parle de «consciences exercées à discerner le bien et le mal (2) ! »
Exercées ! On peut donc exercer ou ne pas exercer sa conscience, Un corps exercé se fortifie, une conscience exercée prend vigueur.
La conscience de cet homme, constamment agissante, se développe sainement. Et une lumière amène une lumière, une vaillance amène une vaillance, la vie morale s'épanouit, la passion de la justice embrase le coeur; solide en face de tous les affaissements, de toutes les tentations, debout sur toutes les brèches, cet homme devient capable de redire la grande parole : «Je ne puis autrement! »

Hélas, il en est qui peuvent autrement.
Leur nombre s'accroît avec une effrayante rapidité.
On pense, on parle, on agit contre sa conscience, sans trouble et sans hésitation.
La conscience est toujours là; mais on l'a murée, et si solidement, qu'on ne l'entend plus.
Bien mieux, en s'est fait une fausse conscience.
Il existe de fausses consciences, comme il existe des christianismes faux.
On voit des gens - et n'avons-nous point, nous, à notre compte, de ces expériences humiliantes - on voit des gens qui parviennent à tuer leurs scrupules, un à un, comme on éteint l'une après l'autre les lumières d'une batterie ennemie..
Quand on accomplissait le mal, c'était avec remords; on a passé outre, on le fait sans trop de remords; puis on le fait sans aucun remords; puis on finit par le faire, presque avec une bonne conscience; et les remords deviennent une chose si oubliée, si inconnue, qu'on ne comprend même plus les scrupules des âmes honnêtes qui parlent de leurs péchés et qui s'inquiètent de leur état moral..
Cette déchéance prend parfois, tant elle est prompte, le caractère d'un effondrement. Où vous aviez, l'an dernier, laissé un homme, vous ne trouvez plus cette année qu'un fonctionnaire, qu'un courtisan, qu'un politique, qu'un agioteur. Où vous aviez laissé une âme ouverte à toutes les jouissances élevées, à toutes les généreuses émotions; vous ne trouvez plus qu'une intelligence épaissie, qu'un esprit obscurci, qu'une nature triviale, rabattue aux sécheresses de l'ambition, aux vanités, aux avidités.

Les Chinois prennent un noble chêne; ils l'emprisonnent dans un petit vase; et ils obtiennent ainsi des avortons qui vivent, qui même portent des fleurs et des fruits : pauvres êtres rabougris, contrefaits, misérables; eux, destinés à étendre librement leurs fortes racines, à tordre avec puissance leurs branches robustes au grand air, en pleine forêt!
Il en va de même pour les consciences auxquelles on a refusé le sol, le ciel et le soleil. Elles se sont racornies, elles se sont amoindries.
L'homme est devenu petit. On a créé la race des mirmidons.


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V

CE QU'ÔTE LA CONSCIENCE


Ne nous berçons pas d'illusions.
La conscience, la conscience chrétienne, la conscience armée de la Parole de Dieu; celle qui demande un absolu changement et qui ni se contente pas à moins; celle qui progresse au lieu de décroître, et dont les exigences augmentent au lieu de diminuer; celle qui ne fait, grâce à aucune injustice, à aucun mensonge, a aucune lâcheté; celle qui prétend qu'on avance et qu'on monte; celle qui nous lance au plus fort de la mêlée et qui veut que nous allions «jusqu'au sang (3); » celle qui impose des résolutions viriles et qui dicte de douloureux sacrifices; celle qui fait des vaillants; celle qui exige d'une manière positive , et non pour la forme, l'exécution du devoir; cette conscience-là est un rude éducateur.
Avant de voir ce qu'elle nous donne, sachons ce qu'elle nous ôte.
Elle nous ôte avant tout le repos, car la bataille de la vie n'est une bataille que par la conscience. Sans la conscience, cette bataille serait une déroute.. Or, une déroute termine la guerre. On rentre chez soi, on accepte le joug du vainqueur, on retourne sa cocarde, et tout est-dit.

Ce repos-là, honteux, s'acquiert aux dépens de la conscience et du devoir. On l'obtient par la vie au rabais, par les convictions moyennes. Battu, on parle peut-être encore de conscience et de devoir, mais cela ne signifie rien; la régénération à fond n'est plus poursuivie, les grands cotés de l'existence sont désertés; on ne se bat plus ni contre soi-même, ni contre personne; on est en paix.

La conscience chrétienne nous ôte l'oubli des questions, qui tient compagnie à l'oubli des devoirs. Elle nous ôte cette sérénité païenne si chère aux esprits que ne dévore aucune soif de vérité. La grande lutte du dedans, la terrible, est supprimée chez eux. Elle revient avec la conscience. Avec la conscience apparaît le trouble; le trouble intime, le trouble salutaire; le trouble sans lequel Ce ne serait pas la peine de vivre; le trouble d'une âme mal satisfaite, celui des pures ambitions, du travail, du progrès! Regardez bien; ce trouble gagne de proche en proche. Famille, société, État une fois les consciences réveillées, rien n'y saurait échapper.
La conscience nous ôte cette liberté d'indifférence, très-vantée par les philosophes - par plus d'un chrétien aussi - liberté à l'égard des tendresses, des déchirements, des larmes; soi-disant triomphes pour les uns de la sagesse, de la foi pour les autres, où l'égoïsme et l'oubli sont les vrais triomphateurs.
Elle nous ôte les joies non moins célébrées de la légèreté : la faculté de glisser sans s'y écorcher à travers les soucis et les douleurs; le talent de retomber partout et toujours du bon coté. Elle nous force à devenir sérieux, à prendre au sérieux notre vie, notre âme, nos affections, notre devoir.
Ah! le devoir ainsi compris, que c'est gênant ! Qu'il est fâcheux d'avoir à s'inquiéter du vrai et du bon! Qu'il est fatigant de mener un perpétuel train de guerre! Qu'il est triste d'avoir du chagrin! Qu'il est vexant de tourner le dos au succès ! Qu'il est désagréable de se trouver parfois seul de son avis! Qu'il est dur d'avoir à soutenir de bonnes causes mal vues, et de pauvres gens calomniés!
On y perd beaucoup, beaucoup!
Ce n'est pas peu de chose, que ce que la conscience nous ôte!


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VI

CE QUE DONNE LA CONSCIENCE


Pensez-vous qu'elle nous ôte trop?
N'ayez nulle crainte, elle nous donne bien plus.
Vous la trouvez gênante? je prétends qu'elle est commode. Oui, commode, j'emploie le mot exprès.
Brûler ses vaisseaux, ne plus s'embarrasser que de ce qui est juste, ne plus regarder qu'à ce qui est droit, c'est se débarrasser des entraves, par conséquent de la contrainte; c'est recouvrer la liberté.

Et maintenant, examinons un peu quels dons nous fait la conscience.
L'indépendance, le premier qui me vienne à l'esprit, n'est pas le moins excellent.
«La vérité vous rendra libres! » - « Si le Fils vous affranchit, vous serez véritablement libres (4) ! »
Ces Paroles du Seigneur se réalisent chaque jour.

L'homme que domine une conscience chrétienne, l'homme dont l'Évangile a fait un homme de devoir, ne ploiera sous aucune tyrannie. Il ne craint qui que ce soit. Il a un maître qui se dispense d'en avoir d'autres.
Vienne l'opinion régnante, vienne le nombre, vienne le succès, l'homme de devoir regarde plus haut. Il est en sûreté. C'est un rempart que la conscience chrétienne!
Que me parlez-vous de menaces ou de périls? Quand le devoir a parlé, lui, tout est résolu.
Et voilà une âme libre. Voilà un caractère. Voilà quelqu'un.
La conscience enfante des énergies et des fiertés; elle enfante des courages.
«Le juste est comme un jeune lion (5) » !

Avec la conscience, parce qu'il y a un devoir, le chrétien se jette à travers le fer, le feu des oppositions, à travers les bataillons des hostilités, des difficultés, des impossibilités, et les renverse. L'honneur, au sens sublime et vrai du mot, loge dans le coeur de cet homme-là.
La conscience nous donne le plein jour, elle met notre chemin au soleil, elle nous fait une vie claire, un but clair, des motifs clairs. Il y a plaisir, laissant de coté les bas-fonds et leurs brouillards : égoïsme, intérêts mesquins, ambitions vulgaires et mauvaises, il y a plaisir 4 marcher ainsi, dans l'éclatante lumière du devoir.

La conscience chrétienne nous donne nos bonnes indignations, nos bonnes colères.
On s'efforce aujourd'hui de nous, les ôter. On opère de honteuses réhabilitations. On nous démontre que ce que nous avons justement maudit n'était pas si haïssable! que toutes les vilenies avaient leur raison d'être! que, l'esclavage romain ne manquait pas de charme! que don Carlos donnait bien des embarras!
Mon sang bout dans mes veines! Grâce à Dieu, la conscience ne s'embésicle pas de ces verres-là. Elle a l'oeil simple, souvenons-nous-en. Elle a son opinion faite, sur les infamies sociales; elle les condamnera, quoi qu'on dise, jusqu'au bout. Elle. arrachera notre coeur à cette incapacité des nobles révoltes, qui vient de ce qu'on analyse tout, de ce qu'on dissèque tout, de ce qu'on prouve tout. Elle arrachera nôtre âme aux molles adorations du talent et de, l'argent; elle la relèvera de ces lâches affaissements devant l'habileté et la réussite, qui leur livrent le poste occupé jadis par la vérité et par le droit.
La conscience, qui nous a donné les beaux courroux, nous donnera les joies, des joies splendides et fortes.

Quelle joie, d'appartenir à la justice! Quelle joie, de faire son devoir! Quelle joie, d'aimer ce qui est bon, ce qui est vrai, ce qui va haut! Quelle joie, de sentir vibrer en soi toutes les, grandes causes, toutes, sans exception!
Et quelle joie d'admirer! En même temps que nos belles indignations, nos belles admirations s'en étaient allées; la conscience les ramènera.
La conscience, cet intrépide défenseur de la vérité, ne renonce pas à reconnaître le bien, chez les adversaires, où qu'il soit. Elle ne se sèvre pas du bonheur de le saluer partout.
Entre adversaires consciencieux, d'ailleurs, n'y a-t-il pas quelque chose de commun: la conscience? Ne l'avons-nous point dit? Tous ceux qui appartiennent à la conscience ne se sentent-ils pas rapprochés par ce grand trait d'union, -en attendant mieux?

Je n'en ai pas fini avec les dons de la conscience. Elle nous donne, chose étrange! le succès. La conscience accepte les revers; la conscience, plus souvent qu'on ne croit, rencontre le succès.
On pourrait publier un livre intitulé : Victoires et Conquêtes. de la conscience.
Si nous faisions le compte des grands triomphes, je veux dire le compte des grandes idées qui ont transformé le monde, nous trouverions, engagés à leur service, bon nombre. de vaincus, de proscrits, de méprisés. Le mépris a passé, la vérité est restée. C'est qu'en définitive, préférer la vérité au succès, c'est le seul moyen de remporter des succès véritables.
Les serviteurs de l'événement restent frappés d'impuissance; les serviteurs de la conscience exercent une influence profonde sur ceux-là mêmes qui les ont repoussés avec le plus de passion. Si la conscience était un calcul - mais alors, elle cesserait d'être - la conscience deviendrait le calcul par excellence. Rien ne l'égalera pour réussir.

Une philosophie superficielle de l'histoire nous raconte les triomphes de la méchanceté, de la ruse, du mensonge; elle nous dit qu'on ne gouverne les hommes que par le mal! Regardez-y mieux; derrière cette succession de batailles gagnées, vous verrez venir la grande armée des idées vraies, qui font leur chemin, toujours battues, et toujours victorieuses.
Par delà l'histoire des faits, il y a l'histoire de Dieu. Par delà l'histoire que l'homme ébauche, il y a celle que Dieu écrit.
Si vous voulez des places, ce qu'on appelle : une position; laissez là votre conscience, elle ne vous les donnera pas. Mais si, au lieu des petites ambitions, vous avez la grande; si vous voulez servir la vérité, obéir Ci devoir, être partout et toujours l'homme de vos convictions; la conscience vous donnera cela.
Vous trouvez le sort mesquin! Vous vous trompez.

Un homme de conscience, c'est une force. A sa rencontre oh frémit, maïs ou se range. On le redoute, mais on compte avec lui. On sent d'instinct que le respect du devoir est une. puissance, et qu'aucune habileté ne la vaudra.
Tout bien pesé, c'est l'obéissance au devoir qui classe les hommes.
S'agit-il de carrières, de carrières - Vraiment élevées? La conscience vous les ouvrira. A son contact, toutes les carrières s'ennoblissent.
Un négociant consciencieux a devant lui la loyauté., la générosité. Un médecin consciencieux sent bien que ce n'est pas seulement pour écrire des ordonnances qu'il visite tant d'êtres souffrants: secours, sympathies, consolations suprêmes, voilà ce qu'il a devant lui. Un ouvrier consciencieux a devant lui des compagnons de travail, il a un coeur pour les comprendre, il a des bras pour les aider. Le ciel, par conséquent l'infini, met ses profondeurs à tous les horizons.
« Personne ne nous a loués (6) » - Avec la conscience, jamais vous ne pousserez un tel cri.
La conscience vous prend à louage, non vers la onzième heure, mais de la première à la dernière. Laissez-la faire, vous ne vous reposerez que le soir.
On dit: Nous n'avons plus de chevaliers!
La conscience vous les rendra.
La chevalerie est un besoin de tous les temps. Dans tous les temps la conscience armera ses chevaliers.
Faibles à secourir, vérités méconnues à prendre en main, iniquités à défaire, protestations à jeter à la face du despotisme des majorités et de l'audace; voilà ce qui les attend. Et ne faut-il point maintenir l'idéal? ne faut-il pas le reconquérir?
Soyez-en sûrs, ce côté chevaleresque du courage et du dévouement, nous le retrouverons sans que le moyen âge s'en mêle, dès que nos consciences se mettront à parler haut.
Laisser l'utile pour le juste, déserter l'égoïsme pour l'héroïsme, c'est bien retrouver la chevalerie, ou je ne m'y connais pas.,
Quand Nelson, au matin de Trafalgar, écrit cette simple proclamation: « L'Angleterre, attend que chaque homme fera son devoir! »
- il donne le mot d'ordre de la chevalerie moderne.
Faire son devoir! ne pas se croire un héros parce qu'on fait son devoir, regarder comme une chose naturelle de faire son devoir, tout est là.
Lorsque nous l'aurons compris, nous gagnerons, nous aussi, dussions-nous y mourir comme Nelson, nos batailles de Trafalgar.
Et le don du relèvement!
Songez à, ces pauvres êtres nés dans la boue, condamnés semble-t-il à y pourrir.

Certes, s'il existe un sujet d'éternelle compassion, vous le trouverez dans ces existences qui n'ont connu que le mal; entourées de plus de vices, de plus d'habitudes dégradantes, d'une atmosphère plus empoisonnée, que nous ne le fûmes jamais d'honnêteté, de bons exemples d'un air salubre et pur.
Malheur a celui d'entre nous, qui, du haut de ses faciles vertus oserait juger ces âmes flétries !
Hé bien, la conscience leur restitue la fraîcheur. Que, l'Evangile de pardon se laisse entrevoir, que là bien reparaisse, qu'il oblige, et l'oeuvre des oeuvres, la meilleure qui soit ici-bas va s'accomplir à la gloire des compassions de Dieu, ces ployés se relèveront, ces fangeux seront nettoyés, ces existences maudites deviendront des existences bénies; une fois au travail, la conscience ne s'arrêtera pas qu'elle n'ait transfiguré ces êtres perdus.
Et il y aura un grand miracle sur la terre. Il y aura une grande joie dans le ciel.

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