A
mesure
qu'elle fait grandir l'homme, la conscience grandit
d'autant.
Elle
peut grandir ou diminuer, non dans son principe,
immuable : Le bien oblige ! mais dans les
applications de ce principe, qui toujours se
proportionnent à notre
sincérité.
Elle
peut grandir ou diminuer, non dans son essence,
invariable; mais dans son autorité, qui
toujours dépendra de la manière dont
on l'écoute ou dont on s'efforce
d'étouffer sa voix.
Une
conscience qui grandit, est-il rien de plus beau?
Connaissez-vous rien de plus noble qu'un homme
attentif à la conscience et virilement
soumis au devoir?
«A celui qui a, il
sera
donné (1)»
Cet
homme a le ferme propos d'agir selon la droiture
chrétienne; il lui sera donné de la
mieux comprendre chaque jour.
Cet
homme a la volonté arrêtée de
n'éluder aucun devoir; chaque jour des
devoirs meilleurs lui seront
indiqués,
L'Écriture nous parle
de
«consciences exercées à
discerner le bien et le mal (2)
!
»
Exercées ! On peut
donc
exercer ou ne pas exercer sa conscience, Un corps
exercé se fortifie, une conscience
exercée prend vigueur.
La
conscience de cet homme, constamment agissante, se
développe sainement. Et une lumière
amène une lumière, une vaillance
amène une vaillance, la vie morale
s'épanouit, la passion de la justice embrase
le coeur; solide en face de tous les affaissements,
de toutes les tentations, debout sur toutes les
brèches, cet homme devient capable de redire
la grande parole : «Je ne puis autrement!
»
Hélas, il en est qui
peuvent
autrement.
Leur
nombre s'accroît avec une effrayante
rapidité.
On
pense, on parle, on agit contre sa conscience, sans
trouble et sans hésitation.
La
conscience est toujours là; mais on l'a
murée, et si solidement, qu'on ne l'entend
plus.
Bien
mieux, en s'est fait une fausse
conscience.
Il
existe de fausses consciences, comme il existe des
christianismes faux.
On
voit des gens - et n'avons-nous point, nous,
à notre compte, de ces expériences
humiliantes - on voit des gens qui parviennent
à tuer leurs scrupules, un à un,
comme on éteint l'une après l'autre
les lumières d'une batterie
ennemie..
Quand
on accomplissait le mal, c'était avec
remords; on a passé outre, on le fait sans
trop de remords; puis on le fait sans aucun
remords; puis on finit par le faire, presque avec
une bonne conscience; et les remords deviennent une
chose si oubliée, si inconnue, qu'on ne
comprend même plus les scrupules des
âmes honnêtes qui parlent de leurs
péchés et qui s'inquiètent de
leur état moral..
Cette
déchéance prend parfois, tant elle
est prompte, le caractère d'un effondrement.
Où vous aviez, l'an dernier, laissé
un homme, vous ne trouvez plus cette année
qu'un fonctionnaire, qu'un courtisan, qu'un
politique, qu'un agioteur. Où vous aviez
laissé une âme ouverte à toutes
les jouissances élevées, à
toutes les généreuses
émotions; vous ne trouvez plus qu'une
intelligence épaissie, qu'un esprit
obscurci, qu'une nature triviale, rabattue aux
sécheresses de l'ambition, aux
vanités, aux avidités.
Les
Chinois prennent un noble chêne; ils
l'emprisonnent dans un petit vase; et ils
obtiennent ainsi des avortons qui vivent, qui
même portent des fleurs et des fruits :
pauvres êtres rabougris, contrefaits,
misérables; eux, destinés à
étendre librement leurs fortes racines,
à tordre avec puissance leurs branches
robustes au grand air, en pleine
forêt!
Il en
va de même pour les consciences auxquelles on
a refusé le sol, le ciel et le soleil. Elles
se sont racornies, elles se sont
amoindries.
L'homme est devenu
petit. On a
créé la race des mirmidons.
Ne
nous
berçons pas d'illusions.
La
conscience, la conscience chrétienne, la
conscience armée de la Parole de Dieu; celle
qui demande un absolu changement et qui ni se
contente pas à moins; celle qui progresse au
lieu de décroître, et dont les
exigences augmentent au lieu de diminuer; celle qui
ne fait, grâce à aucune injustice,
à aucun mensonge, a aucune
lâcheté; celle qui prétend
qu'on avance et qu'on monte; celle qui nous lance
au plus fort de la mêlée et qui veut
que nous allions «jusqu'au sang (3);
» celle qui
impose des résolutions viriles et qui dicte
de douloureux sacrifices; celle qui fait des
vaillants; celle qui exige d'une manière
positive , et non pour la forme, l'exécution
du devoir; cette conscience-là est un rude
éducateur.
Avant
de voir ce qu'elle nous donne, sachons ce qu'elle
nous ôte.
Elle
nous ôte avant tout le repos, car la bataille
de la vie n'est une bataille que par la conscience.
Sans la conscience, cette bataille serait une
déroute.. Or, une déroute termine la
guerre. On rentre chez soi, on accepte le joug du
vainqueur, on retourne sa cocarde, et tout
est-dit.
Ce
repos-là, honteux, s'acquiert aux
dépens de la conscience et du devoir. On
l'obtient par la vie au rabais, par les convictions
moyennes. Battu, on parle peut-être encore de
conscience et de devoir, mais cela ne signifie
rien; la régénération à
fond n'est plus poursuivie, les grands cotés
de l'existence sont désertés; on ne
se bat plus ni contre soi-même, ni contre
personne; on est en paix.
La
conscience chrétienne nous ôte l'oubli
des questions, qui tient compagnie à l'oubli
des devoirs. Elle nous ôte cette
sérénité païenne si
chère aux esprits que ne dévore
aucune soif de vérité. La grande
lutte du dedans, la terrible, est supprimée
chez eux. Elle revient avec la conscience. Avec la
conscience apparaît le trouble; le trouble
intime, le trouble salutaire; le trouble sans
lequel Ce ne serait pas la peine de vivre; le
trouble d'une âme mal satisfaite, celui des
pures ambitions, du travail, du progrès!
Regardez bien; ce trouble gagne de proche en
proche. Famille, société, État
une fois les consciences réveillées,
rien n'y saurait échapper.
La
conscience nous ôte cette liberté
d'indifférence, très-vantée
par les philosophes - par plus d'un chrétien
aussi - liberté à l'égard des
tendresses, des déchirements, des larmes;
soi-disant triomphes pour les uns de la sagesse, de
la foi pour les autres, où
l'égoïsme et l'oubli sont les vrais
triomphateurs.
Elle
nous ôte les joies non moins
célébrées de la
légèreté : la faculté
de glisser sans s'y écorcher à
travers les soucis et les douleurs; le talent de
retomber partout et toujours du bon coté.
Elle nous force à devenir sérieux,
à prendre au sérieux notre vie, notre
âme, nos affections, notre
devoir.
Ah!
le devoir ainsi compris, que c'est gênant !
Qu'il est fâcheux d'avoir à
s'inquiéter du vrai et du bon! Qu'il est
fatigant de mener un perpétuel train de
guerre! Qu'il est triste d'avoir du chagrin! Qu'il
est vexant de tourner le dos au succès !
Qu'il est désagréable de se trouver
parfois seul de son avis! Qu'il est dur d'avoir
à soutenir de bonnes causes mal vues, et de
pauvres gens calomniés!
On y
perd beaucoup, beaucoup!
Ce
n'est pas peu de chose, que ce que la conscience
nous ôte!
Pensez-vous
qu'elle nous ôte trop?
N'ayez nulle crainte,
elle nous
donne bien plus.
Vous
la trouvez gênante? je prétends
qu'elle est commode. Oui, commode, j'emploie le mot
exprès.
Brûler ses vaisseaux,
ne plus
s'embarrasser que de ce qui est juste, ne plus
regarder qu'à ce qui est droit, c'est se
débarrasser des entraves, par
conséquent de la contrainte; c'est recouvrer
la liberté.
Et
maintenant, examinons un peu quels dons nous fait
la conscience.
L'indépendance, le
premier
qui me vienne à l'esprit, n'est pas le moins
excellent.
«La vérité vous
rendra libres! » - « Si le Fils vous
affranchit, vous serez véritablement libres (4)
!
»
Ces
Paroles du Seigneur se réalisent chaque
jour.
L'homme que domine une
conscience
chrétienne, l'homme dont l'Évangile a
fait un homme de devoir, ne ploiera sous aucune
tyrannie. Il ne craint qui que ce soit. Il a un
maître qui se dispense d'en avoir
d'autres.
Vienne l'opinion
régnante,
vienne le nombre, vienne le succès, l'homme
de devoir regarde plus haut. Il est en
sûreté. C'est un rempart que la
conscience chrétienne!
Que
me parlez-vous de menaces ou de périls?
Quand le devoir a parlé, lui, tout est
résolu.
Et
voilà une âme libre. Voilà un
caractère. Voilà
quelqu'un.
La
conscience enfante des énergies et des
fiertés; elle enfante des
courages.
«Le juste est comme un
jeune
lion (5)
»
!
Avec
la conscience, parce qu'il y a un devoir, le
chrétien se jette à travers le fer,
le feu des oppositions, à travers les
bataillons des hostilités, des
difficultés, des impossibilités, et
les renverse. L'honneur, au sens sublime et vrai du
mot, loge dans le coeur de cet
homme-là.
La
conscience nous donne le plein jour, elle met notre
chemin au soleil, elle nous fait une vie claire, un
but clair, des motifs clairs. Il y a plaisir,
laissant de coté les bas-fonds et leurs
brouillards : égoïsme,
intérêts mesquins, ambitions vulgaires
et mauvaises, il y a plaisir 4 marcher ainsi, dans
l'éclatante lumière du
devoir.
La
conscience chrétienne nous donne nos bonnes
indignations, nos bonnes
colères.
On
s'efforce aujourd'hui de nous, les ôter. On
opère de honteuses réhabilitations.
On nous démontre que ce que nous avons
justement maudit n'était pas si
haïssable! que toutes les vilenies avaient
leur raison d'être! que, l'esclavage romain
ne manquait pas de charme! que don Carlos donnait
bien des embarras!
Mon
sang bout dans mes veines! Grâce à
Dieu, la conscience ne s'embésicle pas de
ces verres-là. Elle a l'oeil simple,
souvenons-nous-en. Elle a son opinion faite, sur
les infamies sociales; elle les condamnera, quoi
qu'on dise, jusqu'au bout. Elle. arrachera notre
coeur à cette incapacité des nobles
révoltes, qui vient de ce qu'on analyse
tout, de ce qu'on dissèque tout, de ce qu'on
prouve tout. Elle arrachera nôtre âme
aux molles adorations du talent et de, l'argent;
elle la relèvera de ces lâches
affaissements devant l'habileté et la
réussite, qui leur livrent le poste
occupé jadis par la vérité et
par le droit.
La
conscience, qui nous a donné les beaux
courroux, nous donnera les joies, des joies
splendides et fortes.
Quelle joie,
d'appartenir à
la justice! Quelle joie, de faire son devoir!
Quelle joie, d'aimer ce qui est bon, ce qui est
vrai, ce qui va haut! Quelle joie, de sentir vibrer
en soi toutes les, grandes causes, toutes, sans
exception!
Et
quelle joie d'admirer! En même temps que nos
belles indignations, nos belles admirations s'en
étaient allées; la conscience les
ramènera.
La
conscience, cet intrépide défenseur
de la vérité, ne renonce pas à
reconnaître le bien, chez les adversaires,
où qu'il soit. Elle ne se sèvre pas
du bonheur de le saluer partout.
Entre
adversaires consciencieux, d'ailleurs, n'y a-t-il
pas quelque chose de commun: la conscience? Ne
l'avons-nous point dit? Tous ceux qui appartiennent
à la conscience ne se sentent-ils pas
rapprochés par ce grand trait d'union, -en
attendant mieux?
Je
n'en ai pas fini avec les dons de la conscience.
Elle nous donne, chose étrange! le
succès. La conscience accepte les revers; la
conscience, plus souvent qu'on ne croit, rencontre
le succès.
On
pourrait publier un livre intitulé :
Victoires et Conquêtes. de la
conscience.
Si
nous faisions le compte des grands triomphes, je
veux dire le compte des grandes idées qui
ont transformé le monde, nous trouverions,
engagés à leur service, bon nombre.
de vaincus, de proscrits, de
méprisés. Le mépris a
passé, la vérité est
restée. C'est qu'en définitive,
préférer la vérité au
succès, c'est le seul moyen de remporter des
succès véritables.
Les
serviteurs de l'événement restent
frappés d'impuissance; les serviteurs de la
conscience exercent une influence profonde sur
ceux-là mêmes qui les ont
repoussés avec le plus de passion. Si la
conscience était un calcul - mais alors,
elle cesserait d'être - la conscience
deviendrait le calcul par excellence. Rien ne
l'égalera pour
réussir.
Une
philosophie superficielle de l'histoire nous
raconte les triomphes de la
méchanceté, de la ruse, du mensonge;
elle nous dit qu'on ne gouverne les hommes que par
le mal! Regardez-y mieux; derrière cette
succession de batailles gagnées, vous verrez
venir la grande armée des idées
vraies, qui font leur chemin, toujours battues, et
toujours victorieuses.
Par
delà l'histoire des faits, il y a l'histoire
de Dieu. Par delà l'histoire que l'homme
ébauche, il y a celle que Dieu
écrit.
Si
vous voulez des places, ce qu'on appelle : une
position; laissez là votre conscience, elle
ne vous les donnera pas. Mais si, au lieu des
petites ambitions, vous avez la grande; si vous
voulez servir la vérité, obéir
Ci devoir, être partout et toujours l'homme
de vos convictions; la conscience vous donnera
cela.
Vous
trouvez le sort mesquin! Vous vous
trompez.
Un
homme de conscience, c'est une force. A sa
rencontre oh frémit, maïs ou se range.
On le redoute, mais on compte avec lui. On sent
d'instinct que le respect du devoir est une.
puissance, et qu'aucune habileté ne la
vaudra.
Tout
bien pesé, c'est l'obéissance au
devoir qui classe les hommes.
S'agit-il de
carrières, de
carrières - Vraiment élevées?
La conscience vous les ouvrira. A son contact,
toutes les carrières
s'ennoblissent.
Un
négociant consciencieux a devant lui la
loyauté., la
générosité. Un médecin
consciencieux sent bien que ce n'est pas seulement
pour écrire des ordonnances qu'il visite
tant d'êtres souffrants: secours, sympathies,
consolations suprêmes, voilà ce qu'il
a devant lui. Un ouvrier consciencieux a devant lui
des compagnons de travail, il a un coeur pour les
comprendre, il a des bras pour les aider. Le ciel,
par conséquent l'infini, met ses profondeurs
à tous les horizons.
« Personne ne nous a
loués (6)
» - Avec la
conscience, jamais vous ne pousserez un tel
cri.
La
conscience vous prend à louage, non vers la
onzième heure, mais de la première
à la dernière. Laissez-la faire, vous
ne vous reposerez que le soir.
On
dit: Nous n'avons plus de
chevaliers!
La
conscience vous les rendra.
La
chevalerie est un besoin de tous les temps. Dans
tous les temps la conscience armera ses
chevaliers.
Faibles à secourir,
vérités méconnues à
prendre en main, iniquités à
défaire, protestations à jeter
à la face du despotisme des majorités
et de l'audace; voilà ce qui les attend. Et
ne faut-il point maintenir l'idéal? ne
faut-il pas le reconquérir?
Soyez-en sûrs, ce
côté chevaleresque du courage et du
dévouement, nous le retrouverons sans que le
moyen âge s'en mêle, dès que nos
consciences se mettront à parler
haut.
Laisser l'utile pour
le juste,
déserter l'égoïsme pour
l'héroïsme, c'est bien retrouver la
chevalerie, ou je ne m'y connais pas.,
Quand
Nelson, au matin de Trafalgar, écrit cette
simple proclamation: « L'Angleterre, attend
que chaque homme fera son devoir!
»
- il
donne le mot d'ordre de la chevalerie
moderne.
Faire
son devoir! ne pas se croire un héros parce
qu'on fait son devoir, regarder comme une chose
naturelle de faire son devoir, tout est
là.
Lorsque nous l'aurons
compris, nous
gagnerons, nous aussi, dussions-nous y mourir comme
Nelson, nos batailles de Trafalgar.
Et le
don du relèvement!
Songez à, ces pauvres
êtres nés dans la boue,
condamnés semble-t-il à y
pourrir.
Certes, s'il existe un
sujet
d'éternelle compassion, vous le trouverez
dans ces existences qui n'ont connu que le mal;
entourées de plus de vices, de plus
d'habitudes dégradantes, d'une
atmosphère plus empoisonnée, que nous
ne le fûmes jamais d'honnêteté,
de bons exemples d'un air salubre et
pur.
Malheur a celui
d'entre nous, qui,
du haut de ses faciles vertus oserait juger ces
âmes flétries !
Hé bien, la conscience
leur
restitue la fraîcheur. Que, l'Evangile de
pardon se laisse entrevoir, que là bien
reparaisse, qu'il oblige, et l'oeuvre des oeuvres,
la meilleure qui soit ici-bas va s'accomplir
à la gloire des compassions de Dieu, ces
ployés se relèveront, ces fangeux
seront nettoyés, ces existences maudites
deviendront des existences bénies; une fois
au travail, la conscience ne s'arrêtera pas
qu'elle n'ait transfiguré ces êtres
perdus.
Et il
y aura un grand miracle sur la terre. Il y aura une
grande joie dans le ciel.
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