Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

TROISIEME PARTIE

LA CONSCIENCE ET LE DEVOIR

APPLICATION DE LA VERITE RELIGIEUSE

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I

NOTRE MARCHE

La marche de notre étude est logique. Déterminer le rôle complet de la conscience, en voilà l'objet.
Avec elle nous avons cherché la vérité centrale, la vérité religieuse; par elle nous avons saisi cette vérité, nous l'avons possédée, c'est-à-dire qu'elle est devenue maîtresse chez nous et qu'elle nous a conquis - il nous reste à voir ce que cette vérité doit produire, appliquée par la conscience a notre existence même, et quelle force elle va nous donner pour accomplir nos obligations.
Il faut redescendre. Nous ne pouvons pas demeurer toujours sur les hauteurs, en présence de l'Eternel. Mais comme Moïse, alors qu'il abandonnait les sommets du Sinaï, puissions-nous garder sur nos visages quelques-unes de ces clartés que laisse au front tout entretien direct avec Dieu.

C'est sur la terre, non dans le ciel, que nous sommes maintenant appelés à vivre, je veux dire à lutter.
Les réalités habitent la terre, les brutales réalités. Elles dont aucune politesse, nous nous déchirerons à leur grossier contact. Ce qui nous attend, ne nous y trompons point, c'est une bataille, une longue et lourde bataille qui dure autant que nos jours.
Il importe d'y venir bien armé. Une épée de parade ne servirait à rien. Avoir pris de bon nos résolutions, avoir formulé des plans de réforme, s'être muni de sentences morales, cela ne suffit pas; faire son devoir n'est point cette chose toute simple que notre inexpérience imaginait en commençant.
Quel brave enfant n'a rêvé le roman de sa vie! belle, dévouée, chevaleresque! Et qui na rencontré l'ennemi debout, aux portes de la terre promise du devoir.

Nous savons avec quelle armure on peut affronter cet ennemi-là. Être cuirassé de vérité, de justice, de foi, de salut; porter dans ses mains l'épée de l'Esprit, qui est la Parole de Dieu, ne pensez pas dans cette terrible et bonne guerre, triompher à moins (1).
Or la Parole de Dieu n'est point, elle, une épée de parade. Maniée par le croyant consciencieux, elle frappe des coups décisifs.
J'ai parlé de la bataille do la vie !
Bataille des passions, bataille de la foi, incessante bataille au nom de la vérité , bataille pour chacune de nos convictions, bataille pour chacun de nos devoirs; bataille des tentations grossières et bataille des tentations raffinées ; bataille de la pauvreté et bataille de la richesse; bataille des mauvais jours et bataille des jours heureux ; bataille contre ceux qui nous haïssent et parfois contre ceux qui nous aiment; bataille contre les milieux, contre les exemples, contre les entraînements, contre les mots d'ordre; -bataille contre les camaraderies, contre les meneurs, contre les menés; bataille des ambitions, bataille des avidités, bataille des orgueils, bataille des égoïsme; bataille des succès et bataille des revers, bataille des ivresses et bataille du découragement : telle est la grande bataille de la. vie.
Les mieux armés y ont été, en plus d'une rencontre, blessés et vaincus. Mais on se relève par la foi, et le soldat de Jésus-Christ ne rend jamais son épée.
Je l'ai dit, il ne s'agit pas d'un jour; il ne s'agit ni de trois, ni de dix, ni de vingt ans; il s'agit d'attaquer et de se défendre, sans désemparer, du premier souffle au dernier soupir.

L'enfant livre, on ne le sait point assez, plus d'un combat d'avant-garde. Le jeune homme, la jeune fille, luttent en pleine mêlée. L'âge mur n'en a pas fini. Et la vieillesse elle-même, la vieillesse croyante et vaillante, voit l'ennemi en retraite tirer ces derniers coups de feu qui atteignent encore le vainqueur.
L'action a lieu au dehors, et surtout au dedans. C'est contre nous-même que nous avons à tourner l'épée de la Parole de Dieu. Si notre conscience la tient, je le répète, nous sommes forts.
D'ailleurs n'a-t-il pas vu passer devant lui toutes les batailles de la vie, ne veut-il point nous préparer pour toutes, Celui qui s'est penché sur les coeurs meurtris, Celui qui a publié la délivrance aux captifs, Celui qui annonce la bonne nouvelle aux pauvres, Celui qui a combattu, Celui qui a triomphé ? Des compassions, des libertés, des richesses, voilà ce qu'il apporte à chacun dans ses mains transpercées.
Par lui nous résoudrons ce problème, si simple à première vue, si redoutable quand on l'attaque : l'accomplissement du devoir,


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II

NOTION SIMPLE DU DEVOIR


Rien ne répugne à la conscience comme l'étalage de la conscience. Nous l'avons dit, le sens moral répudie toute ostentation.
Je me défie des gens dont la conscience emplit la bouche. Les vrais consciencieux, qui vivent avec leur conscience, qui ont pris leurs habitudes chez elle, n'éprouvent nul besoin d'en parler à tout propos.
Le poltron met volontiers flamberge au vent; le vrai brave laisse d'ordinaire son arme au fourreau; mais, quand il dégaine, c'est pour tout de bon :

Il est de faux dévots, ainsi que de faux braves,
Et, comme on ne voit pas qu'où l'honneur les conduit,
Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit,
Les bons et vrais dévots, qu'on doit suivre à la trace,
Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace.

Ceci dit, voyons en quoi consiste la loi royale du devoir :
Le bien oblige!
Fais ce que dois, advienne que pourra !
Jamais la règle fondamentale, qui contient tout et s'applique à tout, n'a reçu de la conscience une forme plus saisissante et plus vraie.
Elle semble diviser les hommes en deux camps d'une part, ceux qui regardent aux principes, c'est-à-dire au devoir; de l'autre, ceux qui regardent aux conséquences, c'est-à-dire à eux-mêmes : d'un côté, les homme de conscience , de l'autre, les hommes de calcul.
Que, le calcul porte sur nos intérêts, ou sur ceux du pays, ou sur ceux de la vérité, le fond reste le même. Qui calcule ne croit point en Dieu; qui calcule bâillonne la conscience; qui calcule prend la place de l'Éternel et se considère comme chargé d'assurer le succès.

L'homme de conscience et de foi agit tout autrement. Ma conscience a parlé, le devoir est clair, j'obéis. Il y a un Dieu là-haut!
Ce que cela met de jour, de force, d'unité dans la vie ne saurait se décrire. Je plains le politique; sans cesse il est 'Obligé de remanier ses plans; il lui faut tenir compte de tout : des individus et des circonstances, même un peu de Dieu, et de la vérité par-dessus le marché. Il fait une cote mal taillée où le devoir et l'habileté cèdent chacun quelque chose. Et chaque matin c'est à recommencer, et Dieu renverse ces combinaisons habiles, et les habiles se trouvent être les malhabiles quand on arrive au bout.
Faire le bien par conscience est une indispensable condition pour le bien faire. On peut l'accomplir autrement, mais alors, perdant, sa vigueur, il perd son autorité.
J'aime ceci, mes goûts me portent là! - On prend, on laisse, la notion du devoir s'est effacée, nos penchants la remplacent, l'homme moral a fléchi tout entier.
Cela ne veut pas dire, qu'aller contre ses goûts soit aller nécessairement dans le sens du devoir. Des esprits honnêtes ont bâti là-dessus d'étranges théories.

Voulez-vous connaître votre devoir? se sont-ils écrié : cherchez ce qui vous contrarie le plus.
Et l'on nous inocule ainsi la maladie des scrupules, qui ruine les énergies morales; et l'on nous prépare une race d'esclaves toujours courbés, exécutant leur tâche presque toujours à contre-coeur.
Telle n'est pas la pensée du Dieu qui veut des hommes libres, marchant joyeux dans le sentier de ses commandements. Loin que la suprême contrariété crée le devoir suprême, l'Écriture. et la vie nous montrent les plus saints devoirs liés aux plus chères affections. Loin que la gêne avec la souffrance favorise l'accomplissement du devoir, l'expérience de chaque jour nous prouve que notre devoir ne sera bien rempli, qu'autant qu'il deviendra notre goût, notre besoin, notre bonheur.

Comprenons-nous bien. Pour devenir un bonheur, l'obligation ne cesse pas d'être un devoir. Les bienheureux du ciel, qui servent Dieu, rencontrent leur joie dans l'obéissance, et ne sentent pas moins que cette obéissance est un devoir. Dès. l'instant où elle ne le serait plus, les relations des rachetés avec Dieu se trouveraient complètement altérées; le sens moral serait blessé d'une mortelle atteinte.

Que penseriez-vous d'un enfant. qui, soumis de fait à ce que son père veut, n'admettrait pas le principe du devoir envers son père? Que penseriez-vous d'un citoyen qui, tout en observant les lois, ne reconnaîtrait pas la loi? Le sens moral, par où s'entend la conscience, manquerait chez tous deux, Dès lors, ne comptez plus sur rien, ni sur la soumission filiale, ni sur l'ordre social; car le premier coup de vent mettra tout par terre.
Nous avons, un mot aussi funeste que commode : Je me sens porté! je ne me sens pas porté!
Tel homme honorable, pieux même, vous déclarera qu'il ne se sent pas porté à visiter les pauvres, à soigner des parents malades, à prier en famille, à vivre chez lui, a se rendre aimable, à être de bonne humeur, facile et doux aux siens.
Tel autre vous dira qu'il ne se sent pas porté à croire en Jésus, ni à se repentir, ni à combattre, ni à se régénérer.
Ainsi les niveaux baissent. Ainsi les questions de tendances, de préférences, de tempérament se substituent à la question de devoir. Ainsi des hommes qui semblent fort consciencieux jettent la conscience aux vieux fers. Ainsi la loi royale : Le bien oblige! le vrai oblige! s'efface graduellement.
Et je n'ai rien dit de ceux qui, non contents de s'écrier: Je ne me sens pas porté au bien! ne craignent pas d'ajouter - Je me sens porté du mal!
L'un va avec l'autre. Sur le terrain des sensations, des inclinations et des penchants, la notion du bien et du mal s'évanouit, sans parler de la notion du vrai et du faux.
Qu'on me pardonne d'insister sur ce point.

L'argument tiré de nos répugnances ou de nos satisfactions particulières se reproduit plus souvent qu'on ne l'imagine: - Cette pratique peut ne pas être conforme à l'Évangile, mais elle répond à mes besoins religieux! Cette doctrine peut ne pas se trouver dans la Bible, mais elle m'édifie! Je me sens heureux quand je fais ceci! Je me sens béni quand je crois cela! -
Adieu la vérité; adieu la conscience; adieu le devoir.


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III

LES DEUX MORALES


Un des grands moyens aussi vieux que le monde, - de supprimer la morale, c'est de nous en faire deux: la morale selon la conscience, et la morale contre la conscience; la morale morale, et la morale immorale.
Qu'on nous parle du devoir quand il s'agit de la vie privée, à la bonne heure; mais la vie des affaires, la vie publique, la vie politique ne sauraient ni s'assujettir à une règle aussi absolue, ni s'enfermer dans un habit aussi étroit!
Ceci, qu'on le sache ou non, ne va pas à moins qu'à détruire l'idée même de devoir. La conscience qui ne sert pas tous les jours n'est plus la conscience. Le devoir qui n'oblige pas tous les jours n'est plus le devoir. Qu'est-ce qu'une vérité qui a ses moments? Qu'est-ce qu'une justice soumise au vote successif des circonstances?
Les concessions tant reprochées aux jésuites - et à, si juste titre - n'ont pas d'autre origine. Au lieu de prendre pour objet les affaires ou la politique, cette répudiation du devoir s'appliquait à la religion. Pou importe. Le nouveau probabilisme vaut-il mieux que l'ancien? Vaut-il mieux se donner des permissions de déloyauté ou de mensonge pour gagner de l'argent et pour gouverner l'État, que pour propager des dogmes et pour gagner des prosélytes?
Il y a deux choses qui ne changent point: la théorie du bien, la théorie du mal. «Faire du mal afin qu'il en arrive du bien! » est l'éternelle maxime de la morale immorale; celle-ci n'a jamais changé sa devise et ne la changera jamais. « Le bien oblige! » est l'éternelle maxime du sens moral; maxime aussi claire qu'elle est courte. Point d'exception, point de suspension, point d'ajournement, point de compromis entre le devoir et l'habileté : « Le bien oblige ! »
Appliquons sur-le-champ cette règle infaillible aux distinguo des affaires.
Nous nous sommes arrangé une morale toute spéciale à leur sujet: - Que chacun se défende! Que chacun examine! Chacun pour

Le maquignon qui vend un cheval taré et qui récuse sa conscience en s'écriant: - Regardez-le ! essayez-le! n'est pas plus odieux que le banquier qui lance une opération, qui ne la croit pas bonne, mais qui sait qu'au début, il y aura des primes à recueillir. Plus tard, quand les actions seront placées, on reconnaîtra qu'elles ne valaient rien; des centaines de familles se trouveront ruinées pour avoir ajouté foi aux annonces et au prospectus : - Que voulez-vous! les affaires sont des affaires! que chacun examine! chacun pour soi!
Tout le monde, Dieu merci, ne pratique pas cette morale à double face. Il y a des banquiers intègres, il y a de grandes entreprises menées avec une probité scrupuleuse. Mais, ne nous le dissimulons point, les deux morales existent pour d'autres, et, ce qui est plus grave, l'opinion générale admet, jusqu'à un certain point, la légitimité du fait. Très-révoltée par le petit vol banal exécuté dans la vie ordinaire, l'opinion se froisse très-peu du vol exécuté sur de vastes proportions dans - le monde financier. La conscience publique - et c'est un signe de son affaiblissement blessée, ne proteste que par un faible murmure.

Veillons sur nous. On participe toujours, plus ou moins, aux défaillances de son époque. Sitôt qu'une épidémie sévit, les bien portants eux-mêmes en subissent l'influence malsaine. Or la passion de l'argent est partout, ses ardeurs se font sentir à tous, l'exemple des gains hasardeux et rapides exerce sur tous ses fascinations. Faire ce que tout le monde fait, cela mène loin. Faire le contraire de ce qu'on fait serait plus sûr. En tout cas, la conscience ne nous montre ni ce qu'on fait, ni ce qu'on ne fait pas, mais ce qu'on doit faire. Elle nous montre le devoir.
S'agit-il de politique? nous retrouvons la morale à. deux visages.
Tel homme public se montre sincère et loyal dans la vie privée; il ne voudrait pas plus transiger sur le moindre article d'honneur que le négociant de tout à l'heure ne voudrait voler une épingle sur une pelote; mais dès que la scène s'agrandit, sitôt que les intérêts politiques sont en jeu, cet homme, afin de blouser les adversaires, trompera dans ses dépêches et mentira dans ses conversations. Il aura ce qu'on appelle vulgairement une conscience de rechange, une conscience de parti; il emploiera de mauvais moyens des moyens infâmes, des polices occultes, des corruptions, il marchandera les consciences, il achètera le secret des cabinets étrangers. Et il vous dira que tout cela est admis, que tout cela est nécessaire; il vous déclarera carrément que les armes doivent être égales; qu'attaqué par des mensonges, on ne saurait se réduire à la vérité; il affirmera que, sans le mal, le bien ne pourrait s'accomplir; qu'il faut gagner les diplomates hostiles par des promesses, qu'il faut s'assurer les députés hésitants par des emplois, qu'il faut soudoyer certains journaux pour lancer de fausses nouvelles et pour nier les vraies, qu'il faut ouvrir les lettres particulières afin de tenir gens et choses en main (2) !

Mensonges des bulletins militaires, mensonges de la tribune, mensonges de la diplomatie: nous vivons dans un temps où le mensonge suivi, systématique, sans timidités et sans vergogne, s'est largement étalé.
Qu'en pense la conscience? - Si le mal existe, évitez-le. S'il y a un bien, faites-le. S'il est un devoir, obéissez-lui. La conscience ne sort pas de là. Elle ne donne à personne, ni jamais, ni pour quoi que ce soit, l'autorisation de mal agir.
Nécessité politique! dit-on. Nécessité diplomatique! Nécessité militaire ! - Et la nécessité de la droiture, qu'en faites-vous!
Les morales à exceptions, les devoirs intermittents, les consciences qui signent des compromis; vous savez ce que cela vaut. Cela vaut un rempart, auquel, d'avance, on aurait fait une brèche. Cela vaut une digue à laquelle on aurait fait un trou.

Revenir à la droiture en politique, à la sincérité partout, ce serait accomplir une des plus nobles révolutions de notre temps.
Révolution funeste! -pensez-vous.
Je pense tout le contraire. J'ai toujours cru à l'alliance intime du vrai, du bon 'et de l'utile. La théorie des vérités nuisibles, des vices indispensables, des injustices salutaires, m'a toujours paru plus stupide encore qu'elle n'est odieuse.
On se trouve bien habile, quand on se pose en petit Machiavel.
Machiavel lui-même était-il si habile? Avez-vous beaucoup admiré, en le lisant, la grandeur de ses conceptions? Avez-vous juge que cela pût mener bien loin ou bien haut?
Je vous donne mon opinion telle quelle: cela révolte mon esprit autant que mon coeur. C'est très-petit, en même temps que très-ignoble.
La conscience dans la politique ne jouerait pas un rôle médiocre, vous pouvez m'en croire.
Je me rappelle de quel respect étaient entourés ceux de mes collègues à la Chambre qui passaient pour consciencieux. Les moindres paroles prononcées par eux avaient plus de valeur que les plus éloquents discours. Il y a toujours des heures où les Athéniens renvoient Thémistocle pour revenir à Aristide.
On ne sait pas assez de quel poids pèserait aujourd'hui en Europe, une nation dont la politique au dedans et au dehors se montrerait purement et simplement honnête. Je disais naguère : Nous sommes fiers de notre foi!
Pourquoi ne tendrions-nous pas à être fiers de notre politique?
Quand un homme public recommande l'entière intégrité à son parti, quand il le veut loyal jusqu'à devenir chevaleresque, il lui donne le plus admirable, ajoutons le plus fort des conseils.
Qui sème la loyauté, recueillera quelque jour l'influence. La récolte peut se faire attendre; ne craignez rien, elle, viendra.
Et ne vînt-elle point, la conscience est-elle un calcul ?

Montaigne - aux doctrines duquel se rabat trop souvent l'honnêteté vulgaire, - Montaigne, ce faux bonhomme qui semble tenir le langage du bon sens et qui sape en-dessous les bases du sens moral; Montaigne a dit de la conscience: Que sais-je? - La conscience n'est qu'un produit accidentel et infiniment variable des habitudes, des idées courantes, des traditions; n'étant que cela, elle n'oblige personne. Agir suivant les circonstances, naviguer selon le vent, céder à la force, prendre son parti du mal, glisser vers le but par les voies détournées quand on n'y peut arriver par le chemin droit : telle est la sagesse.
En d'autres termes: accommodons-nous, mentons, courbons l'échine.
La conscience, vis-à-vis de tels sophismes, se redresse de toute sa hauteur; et de toute sa simplicité aussi. Car elle est simple, et ce caractère que j'ai déjà signalé vaut qu'on y revienne; il marque le trait divin.
L'Évangile dit: « Prudents quant au bien! » il existe de mauvaises bonnes oeuvres; L'Évangile dit : « simples quant au mal (3)! » il n'y a pas de mal qui soit bon.
La conscience a le regard droit; elle ne se met pas en quête des conséquences; elle s'en tient au principe, qui est net, qui est impérieux, et qui lui suffit. La conscience nous fournit cette bonne grosse morale, qui est la grande. Travailler à faire mieux que bien, lui paraît toujours suspect. On ne travaille guère à faire mieux, que pour éviter de faire bien.
Pour mon compte, lorsqu'il s'agit de devoir, je me défie des raffinements. Les raffinements ne sont pas toujours des délicatesses. J'en reviens à l'honnêteté, à la probité, aux braves gens. Oui, parlez-moi des gens qui n'y voient pas plus fin que leur conscience. Parlez-moi de gens décidés à faire ce qu'ordonne leur sens moral, et à ne pas faire ce qu'il défend. Parlez-moi de gens qui ne définissent point, qui ne dissèquent point, qui ne distinguent point, mais qui, pour un empire, ne consentiraient pas à trahir le plus petit devoir, à renier la moindre vérité.

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1. Éphésiens, VI, 17
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2. « Parlez un peu moins de religion et de morale, et n'amollissez pas les cachets! » (Discours du baron Achille de Daunant, sous la Restauration.) 
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3. Romains, XVI, 19
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