La marche de notre étude est logique.
Déterminer le rôle complet de la
conscience, en voilà l'objet.
Avec elle nous avons cherché la
vérité centrale, la
vérité religieuse; par elle nous
avons saisi cette vérité, nous
l'avons possédée, c'est-à-dire
qu'elle est devenue maîtresse chez nous et
qu'elle nous a conquis - il nous reste à
voir ce que cette vérité doit
produire, appliquée par la conscience a
notre existence même, et quelle force elle va
nous donner pour accomplir nos obligations.
Il faut redescendre. Nous ne pouvons pas
demeurer toujours sur les hauteurs, en
présence de l'Eternel. Mais comme
Moïse, alors qu'il abandonnait les sommets du
Sinaï, puissions-nous garder sur nos visages
quelques-unes de ces clartés que laisse au
front tout entretien direct avec Dieu.
C'est sur la terre, non dans le ciel,
que nous sommes maintenant appelés à
vivre, je veux dire à lutter.
Les réalités habitent la
terre, les brutales réalités. Elles
dont aucune politesse, nous nous déchirerons
à leur grossier contact. Ce qui nous attend,
ne nous y trompons point, c'est une bataille, une
longue et lourde bataille qui dure autant que nos
jours.
Il importe d'y venir bien armé.
Une épée de parade ne servirait
à rien. Avoir pris de bon nos
résolutions, avoir formulé des plans
de réforme, s'être muni de sentences
morales, cela ne suffit pas; faire son devoir n'est
point cette chose toute simple que notre
inexpérience imaginait en
commençant.
Quel brave enfant n'a rêvé
le roman de sa vie! belle, dévouée,
chevaleresque! Et qui na rencontré l'ennemi
debout, aux portes de la terre promise du
devoir.
Nous savons avec quelle armure on peut
affronter cet ennemi-là. Être
cuirassé de vérité, de
justice, de foi, de salut; porter dans ses mains
l'épée de l'Esprit, qui est la Parole
de Dieu, ne pensez pas dans cette terrible et bonne
guerre, triompher à moins (1).
Or la Parole de Dieu n'est point, elle,
une épée de parade. Maniée par
le croyant consciencieux, elle frappe des coups
décisifs.
J'ai parlé de la bataille do la
vie !
Bataille des passions, bataille de la
foi, incessante bataille au nom de la
vérité , bataille pour chacune de nos
convictions, bataille pour chacun de nos devoirs;
bataille des tentations grossières et
bataille des tentations raffinées ; bataille
de la pauvreté et bataille de la richesse;
bataille des mauvais jours et bataille des jours
heureux ; bataille contre ceux qui nous
haïssent et parfois contre ceux qui nous
aiment; bataille contre les milieux, contre les
exemples, contre les entraînements, contre
les mots d'ordre; -bataille contre les
camaraderies, contre les meneurs, contre les
menés; bataille des ambitions, bataille des
avidités, bataille des orgueils, bataille
des égoïsme; bataille des succès
et bataille des revers, bataille des ivresses et
bataille du découragement : telle est la
grande bataille de la. vie.
Les mieux armés y ont
été, en plus d'une rencontre,
blessés et vaincus. Mais on se relève
par la foi, et le soldat de Jésus-Christ ne
rend jamais son épée.
Je l'ai dit, il ne s'agit pas d'un jour;
il ne s'agit ni de trois, ni de dix, ni de vingt
ans; il s'agit d'attaquer et de se défendre,
sans désemparer, du premier souffle au
dernier soupir.
L'enfant livre, on ne le sait point
assez, plus d'un combat d'avant-garde. Le jeune
homme, la jeune fille, luttent en pleine
mêlée. L'âge mur n'en a pas
fini. Et la vieillesse elle-même, la
vieillesse croyante et vaillante, voit l'ennemi en
retraite tirer ces derniers coups de feu qui
atteignent encore le vainqueur.
L'action a lieu au dehors, et surtout au
dedans. C'est contre nous-même que nous avons
à tourner l'épée de la Parole
de Dieu. Si notre conscience la tient, je le
répète, nous sommes forts.
D'ailleurs n'a-t-il pas vu passer devant
lui toutes les batailles de la vie, ne veut-il
point nous préparer pour toutes, Celui qui
s'est penché sur les coeurs meurtris, Celui
qui a publié la délivrance aux
captifs, Celui qui annonce la bonne nouvelle aux
pauvres, Celui qui a combattu, Celui qui a
triomphé ? Des compassions, des
libertés, des richesses, voilà ce
qu'il apporte à chacun dans ses mains
transpercées.
Par lui nous résoudrons ce
problème, si simple à première
vue, si redoutable quand on l'attaque :
l'accomplissement du devoir,
Rien ne répugne à la conscience
comme l'étalage de la conscience. Nous
l'avons dit, le sens moral répudie toute
ostentation.
Je me défie des gens dont la
conscience emplit la bouche. Les vrais
consciencieux, qui vivent avec leur conscience, qui
ont pris leurs habitudes chez elle,
n'éprouvent nul besoin d'en parler à
tout propos.
Le poltron met volontiers flamberge au
vent; le vrai brave laisse d'ordinaire son arme au
fourreau; mais, quand il dégaine, c'est pour
tout de bon :
Il est de faux dévots, ainsi que de faux braves,
Et, comme on ne voit pas qu'où l'honneur les conduit,
Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit,
Les bons et vrais dévots, qu'on doit suivre à la trace,
Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace.
Ceci dit, voyons en quoi consiste la loi royale
du devoir :
Le bien oblige!
Fais ce que dois, advienne que pourra
!
Jamais la règle fondamentale, qui
contient tout et s'applique à tout, n'a
reçu de la conscience une forme plus
saisissante et plus vraie.
Elle semble diviser les hommes en deux
camps d'une part, ceux qui regardent aux principes,
c'est-à-dire au devoir; de l'autre, ceux qui
regardent aux conséquences,
c'est-à-dire à eux-mêmes : d'un
côté, les homme de conscience , de
l'autre, les hommes de calcul.
Que, le calcul porte sur nos
intérêts, ou sur ceux du pays, ou sur
ceux de la vérité, le fond reste le
même. Qui calcule ne croit point en Dieu; qui
calcule bâillonne la conscience; qui calcule
prend la place de l'Éternel et se
considère comme chargé d'assurer le
succès.
L'homme de conscience et de foi agit
tout autrement. Ma conscience a parlé, le
devoir est clair, j'obéis. Il y a un Dieu
là-haut!
Ce que cela met de jour, de force,
d'unité dans la vie ne saurait se
décrire. Je plains le politique; sans cesse
il est 'Obligé de remanier ses plans; il lui
faut tenir compte de tout : des individus et des
circonstances, même un peu de Dieu, et de la
vérité par-dessus le marché.
Il fait une cote mal taillée où le
devoir et l'habileté cèdent chacun
quelque chose. Et chaque matin c'est à
recommencer, et Dieu renverse ces combinaisons
habiles, et les habiles se trouvent être les
malhabiles quand on arrive au bout.
Faire le bien par conscience est une
indispensable condition pour le bien faire. On peut
l'accomplir autrement, mais alors, perdant, sa
vigueur, il perd son autorité.
J'aime ceci, mes goûts me portent
là! - On prend, on laisse, la notion du
devoir s'est effacée, nos penchants la
remplacent, l'homme moral a fléchi tout
entier.
Cela ne veut pas dire, qu'aller contre
ses goûts soit aller nécessairement
dans le sens du devoir. Des esprits honnêtes
ont bâti là-dessus d'étranges
théories.
Voulez-vous connaître votre
devoir? se sont-ils écrié : cherchez
ce qui vous contrarie le plus.
Et l'on nous inocule ainsi la maladie
des scrupules, qui ruine les énergies
morales; et l'on nous prépare une race
d'esclaves toujours courbés,
exécutant leur tâche presque toujours
à contre-coeur.
Telle n'est pas la pensée du Dieu
qui veut des hommes libres, marchant joyeux dans le
sentier de ses commandements. Loin que la
suprême contrariété crée
le devoir suprême, l'Écriture. et la
vie nous montrent les plus saints devoirs
liés aux plus chères affections. Loin
que la gêne avec la souffrance favorise
l'accomplissement du devoir, l'expérience de
chaque jour nous prouve que notre devoir ne sera
bien rempli, qu'autant qu'il deviendra notre
goût, notre besoin, notre bonheur.
Comprenons-nous bien. Pour devenir un
bonheur, l'obligation ne cesse pas d'être un
devoir. Les bienheureux du ciel, qui servent Dieu,
rencontrent leur joie dans l'obéissance, et
ne sentent pas moins que cette obéissance
est un devoir. Dès. l'instant où elle
ne le serait plus, les relations des
rachetés avec Dieu se trouveraient
complètement altérées; le sens
moral serait blessé d'une mortelle
atteinte.
Que penseriez-vous d'un enfant. qui,
soumis de fait à ce que son père
veut, n'admettrait pas le principe du devoir envers
son père? Que penseriez-vous d'un citoyen
qui, tout en observant les lois, ne
reconnaîtrait pas la loi? Le sens moral, par
où s'entend la conscience, manquerait chez
tous deux, Dès lors, ne comptez plus sur
rien, ni sur la soumission filiale, ni sur l'ordre
social; car le premier coup de vent mettra tout par
terre.
Nous avons, un mot aussi funeste que
commode : Je me sens porté! je ne me sens
pas porté!
Tel homme honorable, pieux même,
vous déclarera qu'il ne se sent pas
porté à visiter les pauvres, à
soigner des parents malades, à prier en
famille, à vivre chez lui, a se rendre
aimable, à être de bonne humeur,
facile et doux aux siens.
Tel autre vous dira qu'il ne se sent pas
porté à croire en Jésus, ni
à se repentir, ni à combattre, ni
à se régénérer.
Ainsi les niveaux baissent. Ainsi les
questions de tendances, de
préférences, de tempérament se
substituent à la question de devoir. Ainsi
des hommes qui semblent fort consciencieux jettent
la conscience aux vieux fers. Ainsi la loi royale :
Le bien oblige! le vrai oblige! s'efface
graduellement.
Et je n'ai rien dit de ceux qui, non
contents de s'écrier: Je ne me sens pas
porté au bien! ne craignent pas d'ajouter -
Je me sens porté du mal!
L'un va avec l'autre. Sur le terrain des
sensations, des inclinations et des penchants, la
notion du bien et du mal s'évanouit, sans
parler de la notion du vrai et du faux.
Qu'on me pardonne d'insister sur ce
point.
L'argument tiré de nos
répugnances ou de nos satisfactions
particulières se reproduit plus souvent
qu'on ne l'imagine: - Cette pratique peut ne pas
être conforme à l'Évangile,
mais elle répond à mes besoins
religieux! Cette doctrine peut ne pas se trouver
dans la Bible, mais elle m'édifie! Je me
sens heureux quand je fais ceci! Je me sens
béni quand je crois cela! -
Adieu la vérité; adieu la
conscience; adieu le devoir.
Un des grands moyens aussi vieux que le monde, -
de supprimer la morale, c'est de nous en faire
deux: la morale selon la conscience, et la morale
contre la conscience; la morale morale, et la
morale immorale.
Qu'on nous parle du devoir quand il
s'agit de la vie privée, à la bonne
heure; mais la vie des affaires, la vie publique,
la vie politique ne sauraient ni s'assujettir
à une règle aussi absolue, ni
s'enfermer dans un habit aussi
étroit!
Ceci, qu'on le sache ou non, ne va pas
à moins qu'à détruire
l'idée même de devoir. La conscience
qui ne sert pas tous les jours n'est plus la
conscience. Le devoir qui n'oblige pas tous les
jours n'est plus le devoir. Qu'est-ce qu'une
vérité qui a ses moments? Qu'est-ce
qu'une justice soumise au vote successif des
circonstances?
Les concessions tant reprochées
aux jésuites - et à, si juste titre -
n'ont pas d'autre origine. Au lieu de prendre pour
objet les affaires ou la politique, cette
répudiation du devoir s'appliquait à
la religion. Pou importe. Le nouveau probabilisme
vaut-il mieux que l'ancien? Vaut-il mieux se donner
des permissions de déloyauté ou de
mensonge pour gagner de l'argent et pour gouverner
l'État, que pour propager des dogmes et pour
gagner des prosélytes?
Il y a deux choses qui ne changent
point: la théorie du bien, la théorie
du mal. «Faire du mal afin qu'il en arrive du
bien! » est l'éternelle maxime de la
morale immorale; celle-ci n'a jamais changé
sa devise et ne la changera jamais. « Le bien
oblige! » est l'éternelle maxime du
sens moral; maxime aussi claire qu'elle est courte.
Point d'exception, point de suspension, point
d'ajournement, point de compromis entre le devoir
et l'habileté : « Le bien oblige !
»
Appliquons sur-le-champ cette
règle infaillible aux distinguo des
affaires.
Nous nous sommes arrangé une
morale toute spéciale à leur sujet: -
Que chacun se défende! Que chacun examine!
Chacun pour
Le maquignon qui vend un cheval
taré et qui récuse sa conscience en
s'écriant: - Regardez-le ! essayez-le! n'est
pas plus odieux que le banquier qui lance une
opération, qui ne la croit pas bonne, mais
qui sait qu'au début, il y aura des primes
à recueillir. Plus tard, quand les actions
seront placées, on reconnaîtra
qu'elles ne valaient rien; des centaines de
familles se trouveront ruinées pour avoir
ajouté foi aux annonces et au prospectus : -
Que voulez-vous! les affaires sont des affaires!
que chacun examine! chacun pour soi!
Tout le monde, Dieu merci, ne pratique
pas cette morale à double face. Il y a des
banquiers intègres, il y a de grandes
entreprises menées avec une probité
scrupuleuse. Mais, ne nous le dissimulons point,
les deux morales existent pour d'autres, et, ce qui
est plus grave, l'opinion générale
admet, jusqu'à un certain point, la
légitimité du fait.
Très-révoltée par le petit vol
banal exécuté dans la vie ordinaire,
l'opinion se froisse très-peu du vol
exécuté sur de vastes proportions
dans - le monde financier. La conscience publique -
et c'est un signe de son affaiblissement
blessée, ne proteste que par un faible
murmure.
Veillons sur nous. On participe
toujours, plus ou moins, aux défaillances de
son époque. Sitôt qu'une
épidémie sévit, les bien
portants eux-mêmes en subissent l'influence
malsaine. Or la passion de l'argent est partout,
ses ardeurs se font sentir à tous, l'exemple
des gains hasardeux et rapides exerce sur tous ses
fascinations. Faire ce que tout le monde fait, cela
mène loin. Faire le contraire de ce qu'on
fait serait plus sûr. En tout cas, la
conscience ne nous montre ni ce qu'on fait, ni ce
qu'on ne fait pas, mais ce qu'on doit faire. Elle
nous montre le devoir.
S'agit-il de politique? nous retrouvons
la morale à. deux visages.
Tel homme public se montre
sincère et loyal dans la vie privée;
il ne voudrait pas plus transiger sur le moindre
article d'honneur que le négociant de tout
à l'heure ne voudrait voler une
épingle sur une pelote; mais dès que
la scène s'agrandit, sitôt que les
intérêts politiques sont en jeu, cet
homme, afin de blouser les adversaires, trompera
dans ses dépêches et mentira dans ses
conversations. Il aura ce qu'on appelle
vulgairement une conscience de rechange, une
conscience de parti; il emploiera de mauvais moyens
des moyens infâmes, des polices occultes, des
corruptions, il marchandera les consciences, il
achètera le secret des cabinets
étrangers. Et il vous dira que tout cela est
admis, que tout cela est nécessaire; il vous
déclarera carrément que les armes
doivent être égales; qu'attaqué
par des mensonges, on ne saurait se réduire
à la vérité; il affirmera que,
sans le mal, le bien ne pourrait s'accomplir; qu'il
faut gagner les diplomates hostiles par des
promesses, qu'il faut s'assurer les
députés hésitants par des
emplois, qu'il faut soudoyer certains journaux pour
lancer de fausses nouvelles et pour nier les
vraies, qu'il faut ouvrir les lettres
particulières afin de tenir gens et choses
en main (2)
!
Mensonges des bulletins militaires,
mensonges de la tribune, mensonges de la
diplomatie: nous vivons dans un temps où le
mensonge suivi, systématique, sans
timidités et sans vergogne, s'est largement
étalé.
Qu'en pense la conscience? - Si le mal
existe, évitez-le. S'il y a un bien,
faites-le. S'il est un devoir, obéissez-lui.
La conscience ne sort pas de là. Elle ne
donne à personne, ni jamais, ni pour quoi
que ce soit, l'autorisation de mal agir.
Nécessité politique!
dit-on. Nécessité diplomatique!
Nécessité militaire ! - Et la
nécessité de la droiture, qu'en
faites-vous!
Les morales à exceptions, les
devoirs intermittents, les consciences qui signent
des compromis; vous savez ce que cela vaut. Cela
vaut un rempart, auquel, d'avance, on aurait fait
une brèche. Cela vaut une digue à
laquelle on aurait fait un trou.
Revenir à la droiture en
politique, à la sincérité
partout, ce serait accomplir une des plus nobles
révolutions de notre temps.
Révolution funeste!
-pensez-vous.
Je pense tout le contraire. J'ai
toujours cru à l'alliance intime du vrai, du
bon 'et de l'utile. La théorie des
vérités nuisibles, des vices
indispensables, des injustices salutaires, m'a
toujours paru plus stupide encore qu'elle n'est
odieuse.
On se trouve bien habile, quand on se
pose en petit Machiavel.
Machiavel lui-même était-il
si habile? Avez-vous beaucoup admiré, en le
lisant, la grandeur de ses conceptions? Avez-vous
juge que cela pût mener bien loin ou bien
haut?
Je vous donne mon opinion telle quelle:
cela révolte mon esprit autant que mon
coeur. C'est très-petit, en même temps
que très-ignoble.
La conscience dans la politique ne
jouerait pas un rôle médiocre, vous
pouvez m'en croire.
Je me rappelle de quel respect
étaient entourés ceux de mes
collègues à la Chambre qui passaient
pour consciencieux. Les moindres paroles
prononcées par eux avaient plus de valeur
que les plus éloquents discours. Il y a
toujours des heures où les Athéniens
renvoient Thémistocle pour revenir à
Aristide.
On ne sait pas assez de quel poids
pèserait aujourd'hui en Europe, une nation
dont la politique au dedans et au dehors se
montrerait purement et simplement honnête. Je
disais naguère : Nous sommes fiers de notre
foi!
Pourquoi ne tendrions-nous pas à
être fiers de notre politique?
Quand un homme public recommande
l'entière intégrité à
son parti, quand il le veut loyal jusqu'à
devenir chevaleresque, il lui donne le plus
admirable, ajoutons le plus fort des
conseils.
Qui sème la loyauté,
recueillera quelque jour l'influence. La
récolte peut se faire attendre; ne craignez
rien, elle, viendra.
Et ne vînt-elle point, la
conscience est-elle un calcul ?
Montaigne - aux doctrines duquel se
rabat trop souvent l'honnêteté
vulgaire, - Montaigne, ce faux bonhomme qui semble
tenir le langage du bon sens et qui sape en-dessous
les bases du sens moral; Montaigne a dit de la
conscience: Que sais-je? - La conscience n'est
qu'un produit accidentel et infiniment variable des
habitudes, des idées courantes, des
traditions; n'étant que cela, elle n'oblige
personne. Agir suivant les circonstances, naviguer
selon le vent, céder à la force,
prendre son parti du mal, glisser vers le but par
les voies détournées quand on n'y
peut arriver par le chemin droit : telle est la
sagesse.
En d'autres termes: accommodons-nous,
mentons, courbons l'échine.
La conscience, vis-à-vis de tels
sophismes, se redresse de toute sa hauteur; et de
toute sa simplicité aussi. Car elle est
simple, et ce caractère que j'ai
déjà signalé vaut qu'on y
revienne; il marque le trait divin.
L'Évangile dit: « Prudents
quant au bien! » il existe de mauvaises bonnes
oeuvres; L'Évangile dit : « simples
quant au mal (3)!
» il n'y a pas de mal qui soit bon.
La conscience a le regard droit; elle ne
se met pas en quête des conséquences;
elle s'en tient au principe, qui est net, qui est
impérieux, et qui lui suffit. La conscience
nous fournit cette bonne grosse morale, qui est la
grande. Travailler à faire mieux que bien,
lui paraît toujours suspect. On ne travaille
guère à faire mieux, que pour
éviter de faire bien.
Pour mon compte, lorsqu'il s'agit de
devoir, je me défie des raffinements. Les
raffinements ne sont pas toujours des
délicatesses. J'en reviens à
l'honnêteté, à la
probité, aux braves gens. Oui, parlez-moi
des gens qui n'y voient pas plus fin que leur
conscience. Parlez-moi de gens
décidés à faire ce qu'ordonne
leur sens moral, et à ne pas faire ce qu'il
défend. Parlez-moi de gens qui ne
définissent point, qui ne dissèquent
point, qui ne distinguent point, mais qui, pour un
empire, ne consentiraient pas à trahir le
plus petit devoir, à renier la moindre
vérité.
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