Nous sommes, affaiblis; notre foi ne transporte
plus, les montagnes.
C'est que notre conscience ne tient plus
sa grande place auprès de nos
convictions.
Prenons-y garde; saint Paul nous parle
de ceux « qui, n'ayant pas conservé une
bonne conscience, ont fait naufrage quant à
la foi (1)
!
»
La foi, séparée de la
conscience! quelle douleur! Nous pensons la
posséder encore, notre foi, nous y comptons,
nous la considérons toujours comme notre
rocher, et déjà elle est en l'air et
ne pose plus sur rien.
Ce qu'il faut de droiture dans la foi ne
se sait pas assez. La sincérité est
indispensable à la vérité.
Sortons-nous des sentiers de droiture,
aussitôt il se produit en nous un
écroulement dont on ne saurait peindre
l'horreur.
Cela ne tient pas à la nature du
fait que nous admettons; cela tient à
l'intégrité que nous apportons
à l'admettre.
Tel persécuteur frappant
consciencieusement les ennemis de sa religion, peut
conserver une conscience loyale. Tel
idolâtre, injuriant et détruisant son
idole, à laquelle il croit encore, blesse et
perd sa conscience.
Ah! les consciences blessées! Ah!
les figures complexes qui ne vous diront jamais si
la conscience est tuée ou si elle se
débat toujours ! Connaissez-vous une
tristesse plus navrante ? L'angoisse ne vous
saisit-elle point à leur rencontre? et me
démentira-t-on si j'affirme que, sous ce
rapport, Cromwell me fait plus souffrir que
Philippe II?
Ce Cromwell, avec sa piété
réelle et ses réels mensonges; ce
Cromwell, qui, sans être ni un hypocrite, ni
un coeur desséché, cherche à
se persuader qu'il y a deux morales, l'une pour les
rapports avec Dieu, l'autre pour les affaires
publiques; ce Cromwell, tout composé
d'inquiétantes énigmes, semble se
dresser aux endroits périlleux du chemin,
à des carrefours où nous serions
tentés de quitter la voie droite,
«faisant le mal afin qu'il en arrive du bien!
» et nos regards, qui interrogent les traits
compliqués de ce double visage, notre
conscience qui parvient mal à en rectifier
les lignes, tout nous dit: veille sur toi!
Oui, veillons. Le danger, imminent pour
quiconque persiste aux détours, c'est de
s'effondrer dans cet abîme, que
l'Écriture nomme: péché contre
le Saint-Esprit ! - le péché sans
pardon.
Sans pardon, parce que le mal est sans
remède; parce qu'une fois la conscience
faussée, à n'y a plus de vie morale;
parce que le sens moral est mort en nous, et que la
mort ne se convertit Pas.
Pour mon compte, j'aime mieux la
conscience sans la foi, que la foi sans la
conscience.
Une conscience sans la foi, une
conscience avant la foi laisse les portes ouvertes
à l'action de l'Écriture, au souffle
du Saint-Esprit: l'homme moral subsiste. Mais,
quand la foi répudie la conscience, que
reste-t-il?
La vérité même
devient mensonge, pour quiconque l'admet au
mépris de sa conscience; or le mensonge est
une destruction.
La conscience, même sans la
connaissance, a une telle valeur, que les
stoïciens, bien éloignés certes
de l'Évangile, nous inspirent par ce seul
fait qu'ils reconnaissent la conscience et qu'ils
la servent, un respect profond.
La conscience, même sans la foi, a
une telle puissance, que souvent elle amène,
bon gré mal gré, les coeurs les plus
résistants à la foi.
« Ceux qui veulent faire la
volonté de. mon Père, » disait
Jésus, « connaîtront si je suis
de Dieu ou si je parle de mon chef (2)
»
.
Ceux qui veulent faire,
connaîtront ! Cela n'est-il point
arrivé?
Oui, grâce à Dieu, et
chaque jour nous rencontrons des hommes qui,
commençant par faire, par essayer de faire,
ont acquis à. cette noble école du
travail et de l'effort consciencieux ce qu'ils ne
cherchaient pas : l'Évangile,
La foi unie à la bonne
conscience! Je voudrais trouver des accents dignes
d'elle
L'homme de conscience et de foi voit
incessamment sa conscience fortifier sa foi, et sa
foi fortifier sa conscience.
L'homme de conscience et de foi vit en
pleine vérité; ce mot dit tout. Il
n'a pas, comme tant d'autres, à craindre
qu'une vérité nouvelle ne mette en
péril sa vérité provisoire. Il
a saisi le définitif. Il a posé son
pied sur le roc. Il respire à pleine
poitrine. Il marche par ce chemin royal où
la lumière va grandissant jusqu'à ce
que le jour apparaisse dans sa splendeur.
Seul, l'homme de foi et de conscience
peut chanter le cantique de Luther:
C'est un rempart que notre Dieu, Une
invincible armure!
L'école des événements est
si corrompue qu'elle a gâté les plus
nobles coeurs.
Il semble qu'il faille faire, aux
dépens du vrai, la part du fait ou la part
du feu. Il semble que l'on compromettrait la
vérité de Dieu, en ne comptant que
sur Dieu. Il semble que l'on compromettrait
l'Évangile, en le privant de ces appuis qui
s'achètent par des atténuations ou
par des mutilations de, l'Évangile.
La politique religieuse, la pire de
toutes, naît de ceci : que les consciences
ont fléchi devant les
événements.
Dès qu'on s'arrange pour rendre
le christianisme agréable aux puissants du
jour, supportable aux hommes d'esprit, accommodant
aux tendances influentes, facile aux courants ;
c'est que la conscience a déserté son
poste, ou, pour mieux dire, c'est que la conscience
nous gênant, nous nous en sommes
débarrassés.
Les capitulations de conscience datent
de tous les temps, hélas!
En présence d'un Henri VIII,
maître, on le dirait, de sauver ou de perdre
la cause encore si faible de l'Évangile en
Angleterre, Cranmer se demandera - donnons cette
interprétation a ses faiblesses - s'il n'est
pas nécessaire de céder, de biaiser,
de, mentir, de prêter les mains à ce
qui est mal, afin de ne pas compromettre ce qui est
bien.
Que demain on nous propose, à
nous, les hommes des libertés modernes,
d'employer quelque peu de violence pour ouvrir un
grand pays à nos convictions, saurons-nous
tous résister? protesterons-nous tous? En
d'autres termes, notre conscience se tient-elle
debout en face des événements?
croyons-nous à la vérité ?
croyons-nous en Dieu ?
Quand elle vit, notre conscience ne
tolère aucune de ces habiletés; pas
plus les petites que les grosses; pas même
celles qui, par une violation quelconque de la
justice, produiraient des conversions d'hommes par
milliers.
Sacrifier un bout de
vérité pour faire admettre la
vérité, amoindrir la Bible pour
introduire la Bible, c'est dire - Il n'y a point de
Dieu là-haut!
Notre conscience qui croit, elle, qu'il
y a un Dieu là-haut, dit. Périssent
les succès, plutôt que la
vérité de Dieu.
Nous nous entendons, n'est-ce pas?
En rappelant la grande place qui
appartient à la conscience, je ne
prétends certes point la mettre sur le
trône de Jésus-Christ.
Le salut par la conscience n'est
écrit à aucune des pages de
l'Évangile; notre conscience repousserait
avec horreur un tel blasphème, tant elle a,
tant elle maintient chez nous le sentiment profond
de notre misère et de notre
indignité.
Ces choses dit salut, la conscience ne
les aurait pas inventées, non; mais
témoin fidèle de Dieu en nous - et
contre nous - par sa voix intègre, par son
regard droit, par l'examen de nous-même, par
l'expérience de chaque jour, par la vue des
fruits individuels et généraux du
christianisme, par cette démonstration de la
vie intérieure que rien ne remplace, par la
divinité rendue visible d'une doctrine qui
unit étroitement le bonheur à la
sainteté, qui ne délivre pas du
châtiment sans délivrer du mal, notre
conscience nous fournit à chaque instant des
raisons nouvelles de mieux croire ce que nous avons
cru.
Vous voulez une preuve? la voilà,
vivante; et c'est votre conscience qui vous la
donne.
Elle nous met loin, convenez-en, des
modes religieuses, des religions de parti pris, des
religions du coffre-fort et de l'ordre public, des
religions qui se présentent comme un signe
de ralliement, comme une opinion bien
portée, comme une tradition respectable,
comme un lien de nationalité, comme un frein
opposé aux passions violentes, ou même
comme une satisfaction accordée aux besoins
élevés de l'âme, comme une
consolation, comme une espérance, comme une
radieuse lumière jetée sur les
tristesses d'ici-bas.
Ces titres-là n'ont aucune valeur
pour la conscience. Un seul importe : la
vérité! Ni erreurs commodes, ni
mensonges bienfaisants, ni vérités
acceptées sans sincérité. Une
illusion, si douce fût-elle, ne
séduira jamais la conscience. Une concession
au prix de la loyauté ne rencontrera jamais
son absolution. Elle aspire à la
vérité, elle ne veut que la
vérité, elle a foi dans la
vérité.
Aussi le consciencieux ne ressemble-t-il
nullement à ce portrait de fantaisie,
à cette caricature qui nous le montre
enveloppé de sa croyance comme d'un
brouillard épais, redoutant les questions,
redoutant les clartés, anathématisant
la science, reculant devant la vie, se tenant
immobile, abrité sous son demi-jour,
ramassé sans son aveugle foi, semblable
à l'oiseau de nuit qui a peur du soleil et
qui se cache au fond de son trou.
Les chrétiens consciencieux ne se
cachent pas. Les chrétiens consciencieux
sont fiers de leur foi. On ne croit pas
consciencieusement à une religion dont on
n'est pas fier. On ne croit pas à sa
croyance, quand on demande grâce pour elle
à la science, à la liberté, au
progrès.
Très peu fiers pour
nous-mêmes - là conscience nous
empêcherait bien de le rester ou de le
devenir - nous nous déclarons très
fiers de notre Évangile.
- Ce n'est pas un médiocre
signé de sa vérité divine,
qu'il s'accorde, toujours avec la conscience, qu'il
la prenne, pour son alliée, pour son agent,
pour son missionnaire auprès de chacun de
nous.
Ce n'est pas un médiocre signe de
sa vérité divine, que, cherchant le
meilleur moyen de démonstration pour tous,
nous ayons été contraints à
ceci : En appeler à la conscience, partout
et toujours !
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |