Dévoiler le vrai, nous ramener au vrai, voilà l'oeuvre admirable - et
interminable - que Dieu impose à la conscience.
Mais prenons-y garde; une tentation nous guette sur ce
terrain biblique où nous allons mettre le pied: la tentation de nous
montrer peu consciencieux, soit avec la science, soit avec nous-mêmes.
Aucune vérité n'est contre la vérité ! La vérité
scientifique peut bien contredire la vérité biblique; toutes deux se
trouveront d'accord au bout du compte. En attendant, la science trop
souvent nous traite comme des ennemis, nous le lui rendons bien, et
nous avons, pour n'être pas consciencieux envers elle, deux façons
d'agir que nous employons tour à tour : fermer les yeux et former les
oreilles! déclarer faux tous les faits scientifiques, qui nous
semblent renverser la Révélation!
Le serviteur de la vérité repousse absolument de tels
moyens.
Dès l'instant où nous abritons notre foi derrière notre
ignorance, nous cessons de croire en réalité.
Ce n'est pas croire, que refuser; de voir ce qu'on a
devant soi. La vraie foi aime les lumières, elle ne croit, ni sur la
parole d'autrui, ni par habitude, ni par hérédité; elle croit, parce
que, avec tout son être, conscience, coeur et raison., l'homme a
reconnu le doigt divin dans la révélation divine.
Point de lâchetés, je l'ai déjà dit, point de tours de
force.
Soyons vrais avec la vérité. Ne donnons pas lieu aux
adversaires de se débarrasser d'une foi que n^'accompagnerait pas la
bonne foi.
Nier ce qui est! dans quel but? Quel inconvénient y
a-t-il à reconnaître les difficultés que présente l'Écriture? De quel
droit prétendre, par exemple, que fous les problèmes chronologiques
sont résolus?
Il y a eu jadis une crédulité soi-disant pieuse qui, au
nom de la Bible, contestait la rotation de la terre; tâchons qu'il n'y
ait pas, au nom de la Bible, une crédulité pieuse qui s'obstine à
renverser l'évidence.
Les faits sont des faits. L'intégrité vis-à-vis des faits
est la seule attitude qui convienne aux chrétiens. Ils ne sauraient ni
demander aux savants de mal observer, ni se proposer de ne pas
admettre ce que les recherches des savants ont acquis. Mais les
chrétiens peuvent dire ceci - et le dire en bonne conscience - c'est,
d'une part, qu'il arrive à la science de se tromper et que ses
théories sont sujettes à révision; c'est, d'autre part, que, l'accord
entre les observations de la science et les affirmations de la Bible
finira par s'établir.
- De la science mal faite, de la Bible mal interprétée,
cela s'est vu. Ce qu'on ne doit pas voir, c'est une foi religieuse
qui, pour se mettre à l'abri de quelque, contradiction passagère,
donne -une entorse à la loyauté (1).
Croyant consciencieusement à l'Écriture - et en vertu de
raisons irréfutables - admettant consciencieusement les faits quels
qu'ils soient, nous possédons. une sécurité dont ne jouiront jamais
ceux qui se font aveugles et sourds, ceux qui recourent aux
faux-fuyants, et qui ne s'empêchent pas de penser à ce qu'ils veulent
oublier, de savoir ce qu'ils veulent ignorer, de s'inquiéter de ce
qu'ils veulent anéantir.
On ne supprime aucune vérité; la conscience l'interdit.
Sa manière de rassurer, c'est de nous affirmer que Dieu est le Dieu de
vérité, que pas une vérité ne peut s'élever contre une autre vérité,
et que, lorsque nous connaîtrons tout, nous concilierons tout: pas
avant.
Je ne sais ni plus triste ni plus absurde métier que
celui du croyant sans conscience. Il ne parvient pas un seul instant à
s'abuser. Tout au plus rappelle-t-il ces poltrons qui, voyageant de
nuit, chantent à tue-tête pour s'enhardir.
Quand on nous montre que les citations de l'Ancien
Testament par le Nouveau ne sont pas littérales, quand on nous montre
que les analyses des discours et les récits n'ont pas l'exactitude
d'une sténographie ou d'une chronologie, j'aime bien mieux profiter de
cet avis pour comprendre de quelle façon Dieu Cite et complète sa
Parole, que de mettre ma conscience au supplice pour faire coïncider
consciencieusement ce qui ne coïncide pas.
Les adversaires des Écritures s'en prennent volontiers à
l'Ancien Testament, - Quel chrétien consciencieux n'avouera point que
certains passages le troublent!
Lorsqu'on a fait cet aveu, lorsqu'on a confessé qu'on ne
peut ni tout expliquer ni tout comprendre, alors et seulement alors,
on est à l'aise pour proclamer la grandeur, la beauté, la sainteté
incomparables de ce livre divin, qui nous donne ce qu'aucun autre
livre ne nous donnera. le lait des forts.
A ses calomniateurs, il répand par des faits. Les peuples
de la Bible, les générations élevées avec la Bible, les jeunes filles
nourries de la Bible sont là pour montrer si ce livre corrompt ou s'il
purifie, s'il enseigne la cruauté ou la charité, s'il réveille ou s'il
endort les consciences (2) !
L'Écriture entière, Ancien et Nouveau Testament, est la
grande initiatrice des individus et des peuples.
Mais, pour qu'elle le soit vraiment envers nous, il y a
une condition, toujours la même l'étudier en conscience.
La conscience nous a conduits à la découverte des Écritures. Elle va
nous mener à leur possession.
Avec elle nous avons trouvé la vérité; avec elle nous
allons comprendre la vérité, nous approprier la vérité, saisir les
bénédictions que la vérité contient.
Plus nous avancerons dans notre examen, mieux nous
sentirons, je l'espère, tout ce, que renferme de grâces, de lumière,
de force et de liberté ce petit mot : la conscience.
Il en est d'elle comme de ces vieux bons livres qu'on a
dans sa bibliothèque. On sait leur titre, on a choisi leur reliure, on
les fait voir à ses amis, on les prête, on les recommande; seulement,
on a oublié de les ouvrir.
Ouvrons, lisons ligne après ligne, nous rencontrerons des
trésors.
La conscience, je le répète, nous fait pénétrer dans
l'intérieur même de la foi et de la vie chrétienne.
Elle ne ressemble point à ces guides qui nous
accompagnent jusqu'à la porte d'un palais ou d'un musée, mais qui
n'entrent pas avec nous. Elle entre, elle nous introduit partout.
Notre étude prend donc un caractère nouveau.
A la recherche accidentée et souvent orageuse du vrai
succède le travail intérieur, l'âme repliée sur elle-même.
Nous retrouverons les tempêtes, plus tard, lorsqu'il
s'agira des devoirs.
La démonstration du dehors n'est rien, comparée à, celle
du dedans. C'est quand on a reçu l'Évangile, qu'au milieu de la
pratique et du travail de la sanctification, dans les relations
filiales avec Dieu, dans la méditation confiante de sa Parole, se
dévoilent l'une après l'autre, et toujours plus lumineuses, des
raisons de. croire qu'extérieurement à l'Évangile on ne soupçonnait
pas.
Je voudrais pouvoir décrire ce qu'est une lecture
consciencieuse de la Bible ! La Bible parle pour nous; c'est nous
qu'elle avertit ; c'est nous qu'elle condamne; c'est nous qu'elle
pardonne et qu'elle relève. Consciencieux, nous entrons en réelle
communication avec notre Père céleste et avec notre Sauveur;.c'est
vraiment la Parole de Dieu que polis entendons.
Entendre la Parole de Dieu !
Nous nous disons souvent : Si le ciel s'ouvrait; si je
voyais!
Hé bien, il s'ouvre, et nous pouvons voir. La Bible, lue
avec une bonne conscience, prend une telle réalité , que nous pouvons
nous écrier comme Étienne : « Je vois les cieux ouverts, et
Jésus-Christ assis à la droite de Dieu (3)
! »
Consciencieusement lue, la Parole de Dieu « habite en
nous (4). Ce n'est plus ce livre
extérieur, cette Bible qu'on parcourt au point de vue de la curiosité,
de l'instruction, de l'habitude, au point de vue des autres. C'est de
nous, c'est de moi qu'il s'agit; c'est mon nom qui a été prononcé.
Je parlais naguère de palais. Il en est qu'il faut voir
en dedans.
Les palais orientaux ne présentent que des murailles
mornes et nues à qui les côtoie; à peine en avez-vous franchi le
seuil, les jardins parfumés, les fontaines jaillissantes, les salles
aux incomparables arabesques étalent leurs merveilles sous vos pas.
Je ne serai démenti par aucun chrétien si j'affirme que
l'acceptation de la foi lui a fourni les grandes preuves de la foi. A
dater du moment où nous avons cru, notre conscience nous montre tous
les jours mieux et notre indignité personnelle, et le caractère
régénérateur de l'amour de Dieu, et, l'appropriation vraiment divine
de l'Évangile à notre coeur.
La conversion! il ne faut rien moins pour éclairer le
palais.
Peut-être ne saisissons-nous pas assez le rôle austère de la
conscience en matière de foi.
Nous croyons, et la conscience, qui a dit son mot décisif
en nous parlant de notre péché, nous répète ce mot, le même, avec une
gravité qui va croissant.
Plus j'avance, mieux je me vois tel que je suis.
Ma conscience, dans sa droiture, m'enlève un à un mes
prétextes, mes excuses, mes beaux rêves sur moi-même.
La conviction de péché qui m'amène à la foi,
s'approfondit dans la foi.
Notre conscience, en outre, se fait délicate. Immuable
comme loi, indéfiniment perfectible dans son appréciation des devoirs,
elle accumule des lumières devant nous et nous révèle mieux à chaque
instant ce que nous aurions dû être, ce que nous n'avons pas été.
Représentez-vous ce qu'elle apprend au pied de la croix!
Représentez-vous ce qu'elle nous apprend, à nous, par le
Saint-Esprit, au pied de ce Calvaire où meurt Jésus !
Mon péché, expliqué là par ma conscience, devient
vraiment horrible et vraiment odieux.
L'amour de Dieu, expliqué là par ma conscience, devient
quelque chose d'infini : je n'en verrai jamais le bout.
La sanctification, expliquée là, par ma conscience,
devant l'agonie et le pardon du Sauveur, revêt une signification à la
fois douce et grave qui me remue jusqu'au fond.
Et ainsi je nais de nouveau.
La nouvelle naissance, cette doctrine fondamentale de
l'Évangile, a besoin - j'insiste là-dessus d'être considérée par la
conscience. Nous voyons alors qu'il ne s'agit pas d'un coup
d'époussoir ; que la foi qui sauve est la foi qui régénère; qu'en
présence de notre absolue corruption, il s'agit, non pas de nous
perfectionner, mais de nous transformer.
La conscience est l'interprète rigoureux de la
conversion.
Par notre conscience, par elle seule, notre conversion
prend son sérieux et trouve sa profondeur.
Il y a plus. Par notre conscience, les énergies
nécessaires nous sont apportées. La conscience nous découvre à la fois
toute l'ampleur du changement et tous les secours accordés pour
l'accomplir. N'ayant rien diminué du péché, elle ne retranche rien à
la grâce. C'est bien la grâce, pleine, gratuite, entière; la grâce que
donne un père, la grâce que donne un Dieu. Joie de l'amour, joie du
salut, tout éclate dans sa splendeur. Et cette joie est notre force,
la force qui fait les bons soldats
Nous déplorons les conversions incomplètes; chacun de
nous s'est demandé cent et cent fois - Suis-je réellement converti? -
Pourquoi cela? - Parce que notre conscience n'a pas directement agi
sur notre conversion. Nous avons été enveloppés, nous avons été
entraînés, peut-être moins encore : nous avons répété des paroles
chrétiennes, et, à force de les redire, nous avons fini par nous
persuader que nous étions chrétiens!
La conscience nous attend ici, et le service qu'elle nous
rend, c'est de nous contraindre à remettre notre conversion au
creuset.
Entre cette magnifique réalité qui se nomme l'Evangile, et notre âme,
une foule d'illusions parviennent à se glisser.
Tant qu'une poignante conviction de péché ne nous a pas
atteints, aussi longtemps que nous n'avons pas mis de. la conscience
dans notre religion, notre religion est notre illusion, notre vérité
est notre mensonge.
L'illusion revêt des formes diverses. Prenons çà et là
quelques profils, au 'courant du crayon.
Je ne m'arrête pas à l'hypocrisie. L'hypocrisie n'est pas
une illusion.
Non que l'hypocrite n'arrive parfois à se tromper
lui-même après avoir trompé les autres, après avoir essayé de tromper
Dieu; c'est même un des châtiments de l'hypocrisie que de réussir à ce
point, et de finir par créer une affreuse sécurité, une effrayante
paix; mais en vérité, le vice est trop criant, la lèpre trop hideuse
pour que chacun ne se tienne pas pour averti.
Détournons-nous et passons.
Vient le pharisaïsme.
Le vieux pharisaïsme qui fait de longues prières afin de
repousser les courtes, qui les fait au coin des rues pour éviter de
les présenter à Dieu dans le secret de la maison ne se voit plus guère
aujourd'hui.
Un pharisien moderne ne criera pas
Laurent, serrez ma haire avec ma discipline!
Ni la discipline, ni la haire ne produiraient grand
effet.
D'ailleurs le pharisien moderne a sa sincérité; il est
pédant, il est gourmé, il pose devant lui-même et se prend au sérieux.
Son illusion plus que son hypocrisie le fait s'habiller de religion,
porter sur toute sa personne certain air sacré, avec des cocardes
grosses comme le poing. Il parle un jargon pieux, sa bouche s'emplit
de versets et de formules; mais c'est que le langage simple,
l'attitude naturelle et la voix ordinaire lui semblent au-dessous de
sa dévotion. Ne faut-il pas, que, rien qu'à le voir, on s'écrie :
c'est un saint homme (5)!
N'importe, une certaine intégrité ne justifie nullement
l'orgueil, et la répulsion inexprimable qu'a inspirée le pharisaïsme
de tous les temps, répulsion profondément ressentie par celui qui,
doux envers chacun, n'a foudroyé de son courroux que les pharisiens,
répulsion ratifiée par celui que les pharisiens appelaient: «mangeur,
buveur, ami des péagers et des gens de mauvaise vie (6)!
»
cette répulsion nous apprend assez quel arrêt porte la conscience sur
le pharisaïsme et ses fausses vertus.
La conscience n'hésite pas davantage à nous dire ce que
vaut une autre illusion, très-différente: l'illusion de la piété
transmise, acceptée sans combats, sans blessures, telle que nous
l'avons trouvée dans notre famille, et en quelque sorte dans notre
berceau. Cette piété-là, passive, impuissante, cette illusion qui
inspire un respect général, notre conscience ne la respecte point;
elle la déchire; elle nous affirme que Dieu, dans sa justice, ne peut
avoir institué un salut qui n'entraîne nul travail; elle nous déclare
qu'une foi mollement acquise, mollement conservée, qu'on garde au fond
par indifférence pour la foi, n'est pas la foi; elle nous dit que ces
croyances héréditaires ne sont un vase capable ni de contenir ni de
maintenir la généreuse liqueur de l'Évangile: «Personne ne met le vin
nouveau dans de vieux vaisseaux, autrement le vin nouveau romprait les
vaisseaux et se répandrait, et les vaisseaux seraient perdus (7)»
Tout se perd, les vaisseaux comme le vin.
Il faut au vin nouveau des vaisseaux neufs. Il faut à la
vie nouvelle le nouveau coeur. Il n'y a point de position privilégiée
qui nous dispense de nous convertir, par où j'entends, de nous vaincre
et de nous donner.
Religion du curé, religion du pasteur; ces christianismes
de seconde main se valent l'un l'autre. Existons-nous encore, lorsque
nous démettant de nous-mêmes, nous renonçons à conquérir nos
convictions, à diriger notre âme, à gouverner notre vie? Peut-on
croire pour nous? Peut-on se régénérer pour nous?
La conscience n'abdique pas. La conscience ne se délègue
pas.
Le salut par la doctrine, encore une illusion, a
rencontré plus de partisans qu'on ne croit.
Notre dix-septième siècle protestant, siècle scolastique
et stérile, qui a eu Dordrecht, qui n'a eu ni évangélisation ni
missions, ce siècle de remontrants et de contre-remontrants s'est
desséché dans les aridités de l'école.
La conscience, soyez tranquilles, établit l'importance de
la doctrine, Aucune erreur ne paraît indifférente à ses yeux. Elle
sait, elle proclame le pouvoir et les droits de la vérité, le faux
dans l'esprit produit le faux dans les actes, elle ne l'ignore pas.
Affaiblissez la divinité du Christ, ou la chute de l'homme, ou
l'expiation, ou la grâce, ou la régénération, ou le Saint-Esprit, et
vous verrez que les fruits tiennent de près aux doctrines, que les
arbres, selon leur espèce, font la conduite et font la vie.
Toutefois, et c'est notre conscience qui nous le déclare,
si la doctrine constitue un instrument essentiel du salut, elle n'est
pas le salut. Celui-ci s'opère, grâce à Dieu, dans une autre région,
dans une région où l'égalité des âmes peut s'établir. Tel homme dont
la doctrine reste imparfaite a saisi l'Évangile, écouté le témoignage
intérieur du Saint-Esprit, accepté avec amour le pardon qui est en
Jésus . Tel autre dont la théologie ne laisse rien à désirer, s'est
contenté de célébrer son orthodoxie immaculée. Il n'y a ou chez lui ni
l'horreur du péché, ni le besoin de la réconciliation, ni rien en un
mot qui ressemble au renouvellement du coeur. Et la conscience nous
répète l'arrêt des Écritures : «Si vous ne naissez de nouveau, vous
n'entrerez point au royaume des Cieux (8).
»
Le salut par les pratiques disparaît à son tour devant
notre conscience.
Il n'existe guère d'illusion plus fréquente et plus
dangereuse.
Je me suis mis en règle ! J'ai rempli mes devoirs
religieux! Certains actes, qui me rassurent pleinement, se sont
accomplis pour moi, ou par moi !
Ceci ne concerne pas seulement les catholiques. Il ne
manque point de protestants qui se considèrent comme en règle, pourvu
que dans leur dernière maladie ils aient reçu la visite du pasteur,
que celui-ci ait lu trois ou quatre versets des Écritures et prononce
sur eux une prière solennelle.
Or! s'il est un fait qu'atteste notre conscience, c'est
l'impossibilité du salut par la foi d'autrui, c'est l'impossibilité
d'être sauvé quand on n'est pas changé.
L'acte qui nous sauve doit se passer en nous, non hors de
nous.
Une erreur plus subtile, une illusion moins aisée à
démasquer vient défier la conscience; je veux parler du salut par le
sentiment.
Avoir été ému, s'attendrir au sujet du Sauveur et de
l'Évangile, marcher dans les voies mystiques, se fier aux impressions
pour tout accomplir, mépriser les questions de dogme, faire fi des
questions d'obéissance et de devoir, cela paraît bien beau et bien
céleste. Rien, il semble, n'est plus spirituel que de s'élever par
dessus tous les débats, tous les problèmes, tous les actes, pour se
perdre dans la contemplation et dans l'adoration.
Ne nous abusons pas; notre conscience y tient, elle, à
ces misérables questions d'obéissance et de vérité. Si elle s'indigne
- nous l'avons vu - contre une mutilation de l'homme qui le réduirait
à l'intelligence, elle ne se révolte pas moins contre cette autre
mutilation qui le réduirait au coeur. Le Christianisme sentimental
n'est plus pour elle le christianisme. Elle maintient, quand elle est
consultée, le réel, l'impérieux christianisme, celui qui nous
sanctifie par la vérité, celui qui fait de nous des serviteurs de là
vérité, celui qui ne nous permet par, d'abandonner une seule vérité,
fût-elle déclarée insignifiante ou inopportune.
La conscience ne nous autorise pas mieux à dédaigner le
devoir. Elle veut que nous soyons les hommes de tout ce que Dieu veut.
La conscience nous demande si par hasard et sous prétexte
de sentiment, nous n'éviterions point de nous convertir et de nous
consacrer.
Elle nous ramène à la simple foi qui prend l'individu.
tout entier, coeurs volonté, raison; qui se montre en fait d'amour
plus ambitieuse qu'aucun mysticisme, mais qui exige des hommes
complets, des hommes étrangers aux contemplations béates : des
travailleurs, des lutteurs, des libérateurs.
Le salut par les oeuvres fait pendant au salut mystique.
Pour nous, protestants, qui possédons l'Évangile et qui
nous souvenons des origines de la Réforme ; - «le juste vivra de foi (9)
» - la tentation devrait être faible. Elle existe cependant, et notre
conscience la frappe d'un jet de clarté.
Au-dessus des oeuvres, il y a l'oeuvre, tout comme
au-dessus des péchés il y a le péché.
Le péché central, la corruption centrale de notre coeur
rencontrent l'oeuvre centrale, qui détruit cette corruption et ce
péché ; « l'oeuvre de Dieu, disait Jésus-Christ à ceux qui lui
posaient une question pareille, l'oeuvre de
Dieu, c'est que vous croyez en Celui qu'il a envoyé (10)
! »
Croire, au sens profond du mot, croire, en vertu du plus
grand effort moral que puisse faire l'âme humaine; croire, dans le
sentiment de la perdition, en vue du pardon et de la sainteté; croire
en se livrant : voilà l'oeuvre.
Notre conscience nous dit que lorsque nous prétendons lui
substituer les oeuvres, quelque aumône, quelque travail extérieur,
quelque amélioration partielle; c'est que nous cherchons, ni plus ni
moins, à nous dispenser du changement.
Les hommes de tous les temps, ceci est une vieille
histoire, ont toujours trouver plus facile de donner à Dieu de
l'argent, des mortifications, même des mutilations, que de se donner.
Or ce que Dieu nous demande, c'est nous. Il ne demande
que cela. Il est vrai qu'on demandant cela, il demande tout.
Sans compter que l'oeuvre entraîne les oeuvres; et que
nous le savons bien.
Ceci nous conduit à la dernière des illusions religieuses
: le salut par la foi, considéré comme une dispense de régénération.
Les réformateurs n'ont jamais admis d'erreur semblable.
Toutefois, la réaction du XVIe siècle contre un salut, fruit des
pratiques et des oeuvres, a fait sortir de ses proportions le dogme du
salut par la grâce et de l'action toute-puissante de Dieu.
Sans remonter jusqu'à la Réforme, d'ailleurs, ne
rencontrons-nous point chaque jour des hommes qui, à force de
s'écrier: J'ai mon Sauveur! j'ai la paix! - prennent l'habitude de ne
plus lutter contre eux-mêmes, tant ils demeurent certains que chaque
faute sera couverte par un pardon?
Que parlons-nous des autres! Cette paresse, mêlée d'une
secrète duplicité, n'a-t-elle jamais abordé notre coeur? Ne nous
pardonnons-nous pas aisément parce que nous savons que Dieu pardonne?
Ne jetons-nous point le repentir par-dessus bord, éloignant nos péchés
de nous « autant que l'Orient est éloigné de l'Occident (11)
? » Ne nous arrive-t-il pas, après une chute, d'implorer notre grâce
la puis, notre grâce une fois obtenue, de négliger le combat viril, le
combat jusqu'au sang?
Saint Jacques nous rappelle avec énergie la nécessité
d'être des faiseurs de la Parole, et non des auditeurs seulement : «
nous séduisant nous-mêmes par de vains discours (12)
! »
Le pardon gratuit - il ne s'agit nullement de l'amoindrir
- nous tire seul de l'abîme, Seul il nous émeut, seul il nous.
convertit, seul il produit l'obéissance; mais il faut qu'il la
produise. Notre conscience n'hésite pas plus ici qu'ailleurs, Notre
conscience ne nous permet pas de, croire qu'on puisse appartenir à
Dieu et garder un coeur bouffi d'orgueil; qu'on puisse appartenir à
Dieu et rester colère, ou médisant, ou paresseux, ou avare, ou
envieux, ou mondain.
Elle signale une contradiction absolue entre nos
déclarations de confiance dans le pardon, et notre refus de réagir
contre le mal. Une âme asservie au péché ne saurait trouver place dans
le ciel. La nouvelle naissance avec ses rudes ébranlements, la
sanctification avec ses batailles sans trêve; tels sont les éléments
auxquels nous ramène toujours la conscience éclairée par l'Évangile (13).
«Il y a pardon par devers toi, afin qu'on te craigne
(14) ! » - « Je courrai dans le sentier de tes
commandements quand tu auras mis mon coeur au large (15)!
» - Voilà en quels termes l'Écriture, établit le rapport de la grâce
et des oeuvres, nous déclarant indifféremment qu'il n'y a point de
condamnation pour ceux qui croient en Jésus-Christ, et que nous serons
jugés d'après nos actions.
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