Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SECONDE PARTIE

LA CONSCIENCE ET L'ÉVANGILE

POSSESSION DE LA VERITE RELIGIEUSE

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I

LA BIBLE

Dévoiler le vrai, nous ramener au vrai, voilà l'oeuvre admirable - et interminable - que Dieu impose à la conscience.
Mais prenons-y garde; une tentation nous guette sur ce terrain biblique où nous allons mettre le pied: la tentation de nous montrer peu consciencieux, soit avec la science, soit avec nous-mêmes.
Aucune vérité n'est contre la vérité ! La vérité scientifique peut bien contredire la vérité biblique; toutes deux se trouveront d'accord au bout du compte. En attendant, la science trop souvent nous traite comme des ennemis, nous le lui rendons bien, et nous avons, pour n'être pas consciencieux envers elle, deux façons d'agir que nous employons tour à tour : fermer les yeux et former les oreilles! déclarer faux tous les faits scientifiques, qui nous semblent renverser la Révélation!
Le serviteur de la vérité repousse absolument de tels moyens.

Dès l'instant où nous abritons notre foi derrière notre ignorance, nous cessons de croire en réalité.
Ce n'est pas croire, que refuser; de voir ce qu'on a devant soi. La vraie foi aime les lumières, elle ne croit, ni sur la parole d'autrui, ni par habitude, ni par hérédité; elle croit, parce que, avec tout son être, conscience, coeur et raison., l'homme a reconnu le doigt divin dans la révélation divine.
Point de lâchetés, je l'ai déjà dit, point de tours de force.
Soyons vrais avec la vérité. Ne donnons pas lieu aux adversaires de se débarrasser d'une foi que n^'accompagnerait pas la bonne foi.
Nier ce qui est! dans quel but? Quel inconvénient y a-t-il à reconnaître les difficultés que présente l'Écriture? De quel droit prétendre, par exemple, que fous les problèmes chronologiques sont résolus?
Il y a eu jadis une crédulité soi-disant pieuse qui, au nom de la Bible, contestait la rotation de la terre; tâchons qu'il n'y ait pas, au nom de la Bible, une crédulité pieuse qui s'obstine à renverser l'évidence.

Les faits sont des faits. L'intégrité vis-à-vis des faits est la seule attitude qui convienne aux chrétiens. Ils ne sauraient ni demander aux savants de mal observer, ni se proposer de ne pas admettre ce que les recherches des savants ont acquis. Mais les chrétiens peuvent dire ceci - et le dire en bonne conscience - c'est, d'une part, qu'il arrive à la science de se tromper et que ses théories sont sujettes à révision; c'est, d'autre part, que, l'accord entre les observations de la science et les affirmations de la Bible finira par s'établir.

- De la science mal faite, de la Bible mal interprétée, cela s'est vu. Ce qu'on ne doit pas voir, c'est une foi religieuse qui, pour se mettre à l'abri de quelque, contradiction passagère, donne -une entorse à la loyauté (1).
Croyant consciencieusement à l'Écriture - et en vertu de raisons irréfutables - admettant consciencieusement les faits quels qu'ils soient, nous possédons. une sécurité dont ne jouiront jamais ceux qui se font aveugles et sourds, ceux qui recourent aux faux-fuyants, et qui ne s'empêchent pas de penser à ce qu'ils veulent oublier, de savoir ce qu'ils veulent ignorer, de s'inquiéter de ce qu'ils veulent anéantir.
On ne supprime aucune vérité; la conscience l'interdit. Sa manière de rassurer, c'est de nous affirmer que Dieu est le Dieu de vérité, que pas une vérité ne peut s'élever contre une autre vérité, et que, lorsque nous connaîtrons tout, nous concilierons tout: pas avant.
Je ne sais ni plus triste ni plus absurde métier que celui du croyant sans conscience. Il ne parvient pas un seul instant à s'abuser. Tout au plus rappelle-t-il ces poltrons qui, voyageant de nuit, chantent à tue-tête pour s'enhardir.

Quand on nous montre que les citations de l'Ancien Testament par le Nouveau ne sont pas littérales, quand on nous montre que les analyses des discours et les récits n'ont pas l'exactitude d'une sténographie ou d'une chronologie, j'aime bien mieux profiter de cet avis pour comprendre de quelle façon Dieu Cite et complète sa Parole, que de mettre ma conscience au supplice pour faire coïncider consciencieusement ce qui ne coïncide pas.

Les adversaires des Écritures s'en prennent volontiers à l'Ancien Testament, - Quel chrétien consciencieux n'avouera point que certains passages le troublent!
Lorsqu'on a fait cet aveu, lorsqu'on a confessé qu'on ne peut ni tout expliquer ni tout comprendre, alors et seulement alors, on est à l'aise pour proclamer la grandeur, la beauté, la sainteté incomparables de ce livre divin, qui nous donne ce qu'aucun autre livre ne nous donnera. le lait des forts.
A ses calomniateurs, il répand par des faits. Les peuples de la Bible, les générations élevées avec la Bible, les jeunes filles nourries de la Bible sont là pour montrer si ce livre corrompt ou s'il purifie, s'il enseigne la cruauté ou la charité, s'il réveille ou s'il endort les consciences (2) !

L'Écriture entière, Ancien et Nouveau Testament, est la grande initiatrice des individus et des peuples.
Mais, pour qu'elle le soit vraiment envers nous, il y a une condition, toujours la même l'étudier en conscience.


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II

OU VA NOUS MENER LA CONSCIENCE


La conscience nous a conduits à la découverte des Écritures. Elle va nous mener à leur possession.
Avec elle nous avons trouvé la vérité; avec elle nous allons comprendre la vérité, nous approprier la vérité, saisir les bénédictions que la vérité contient.
Plus nous avancerons dans notre examen, mieux nous sentirons, je l'espère, tout ce, que renferme de grâces, de lumière, de force et de liberté ce petit mot : la conscience.
Il en est d'elle comme de ces vieux bons livres qu'on a dans sa bibliothèque. On sait leur titre, on a choisi leur reliure, on les fait voir à ses amis, on les prête, on les recommande; seulement, on a oublié de les ouvrir.
Ouvrons, lisons ligne après ligne, nous rencontrerons des trésors.

La conscience, je le répète, nous fait pénétrer dans l'intérieur même de la foi et de la vie chrétienne.
Elle ne ressemble point à ces guides qui nous accompagnent jusqu'à la porte d'un palais ou d'un musée, mais qui n'entrent pas avec nous. Elle entre, elle nous introduit partout.
Notre étude prend donc un caractère nouveau.
A la recherche accidentée et souvent orageuse du vrai succède le travail intérieur, l'âme repliée sur elle-même.
Nous retrouverons les tempêtes, plus tard, lorsqu'il s'agira des devoirs.

La démonstration du dehors n'est rien, comparée à, celle du dedans. C'est quand on a reçu l'Évangile, qu'au milieu de la pratique et du travail de la sanctification, dans les relations filiales avec Dieu, dans la méditation confiante de sa Parole, se dévoilent l'une après l'autre, et toujours plus lumineuses, des raisons de. croire qu'extérieurement à l'Évangile on ne soupçonnait pas.
Je voudrais pouvoir décrire ce qu'est une lecture consciencieuse de la Bible ! La Bible parle pour nous; c'est nous qu'elle avertit ; c'est nous qu'elle condamne; c'est nous qu'elle pardonne et qu'elle relève. Consciencieux, nous entrons en réelle communication avec notre Père céleste et avec notre Sauveur;.c'est vraiment la Parole de Dieu que polis entendons.
Entendre la Parole de Dieu !
Nous nous disons souvent : Si le ciel s'ouvrait; si je voyais!
Hé bien, il s'ouvre, et nous pouvons voir. La Bible, lue avec une bonne conscience, prend une telle réalité , que nous pouvons nous écrier comme Étienne : « Je vois les cieux ouverts, et Jésus-Christ assis à la droite de Dieu (3) ! »

Consciencieusement lue, la Parole de Dieu « habite en nous (4). Ce n'est plus ce livre extérieur, cette Bible qu'on parcourt au point de vue de la curiosité, de l'instruction, de l'habitude, au point de vue des autres. C'est de nous, c'est de moi qu'il s'agit; c'est mon nom qui a été prononcé.
Je parlais naguère de palais. Il en est qu'il faut voir en dedans.
Les palais orientaux ne présentent que des murailles mornes et nues à qui les côtoie; à peine en avez-vous franchi le seuil, les jardins parfumés, les fontaines jaillissantes, les salles aux incomparables arabesques étalent leurs merveilles sous vos pas.
Je ne serai démenti par aucun chrétien si j'affirme que l'acceptation de la foi lui a fourni les grandes preuves de la foi. A dater du moment où nous avons cru, notre conscience nous montre tous les jours mieux et notre indignité personnelle, et le caractère régénérateur de l'amour de Dieu, et, l'appropriation vraiment divine de l'Évangile à notre coeur.
La conversion! il ne faut rien moins pour éclairer le palais.


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III

CONVERSION


Peut-être ne saisissons-nous pas assez le rôle austère de la conscience en matière de foi.
Nous croyons, et la conscience, qui a dit son mot décisif en nous parlant de notre péché, nous répète ce mot, le même, avec une gravité qui va croissant.
Plus j'avance, mieux je me vois tel que je suis.
Ma conscience, dans sa droiture, m'enlève un à un mes prétextes, mes excuses, mes beaux rêves sur moi-même.

La conviction de péché qui m'amène à la foi, s'approfondit dans la foi.
Notre conscience, en outre, se fait délicate. Immuable comme loi, indéfiniment perfectible dans son appréciation des devoirs, elle accumule des lumières devant nous et nous révèle mieux à chaque instant ce que nous aurions dû être, ce que nous n'avons pas été.
Représentez-vous ce qu'elle apprend au pied de la croix!
Représentez-vous ce qu'elle nous apprend, à nous, par le Saint-Esprit, au pied de ce Calvaire où meurt Jésus !
Mon péché, expliqué là par ma conscience, devient vraiment horrible et vraiment odieux.
L'amour de Dieu, expliqué là par ma conscience, devient quelque chose d'infini : je n'en verrai jamais le bout.
La sanctification, expliquée là, par ma conscience, devant l'agonie et le pardon du Sauveur, revêt une signification à la fois douce et grave qui me remue jusqu'au fond.
Et ainsi je nais de nouveau.

La nouvelle naissance, cette doctrine fondamentale de l'Évangile, a besoin - j'insiste là-dessus d'être considérée par la conscience. Nous voyons alors qu'il ne s'agit pas d'un coup d'époussoir ; que la foi qui sauve est la foi qui régénère; qu'en présence de notre absolue corruption, il s'agit, non pas de nous perfectionner, mais de nous transformer.
La conscience est l'interprète rigoureux de la conversion.
Par notre conscience, par elle seule, notre conversion prend son sérieux et trouve sa profondeur.
Il y a plus. Par notre conscience, les énergies nécessaires nous sont apportées. La conscience nous découvre à la fois toute l'ampleur du changement et tous les secours accordés pour l'accomplir. N'ayant rien diminué du péché, elle ne retranche rien à la grâce. C'est bien la grâce, pleine, gratuite, entière; la grâce que donne un père, la grâce que donne un Dieu. Joie de l'amour, joie du salut, tout éclate dans sa splendeur. Et cette joie est notre force, la force qui fait les bons soldats

Nous déplorons les conversions incomplètes; chacun de nous s'est demandé cent et cent fois - Suis-je réellement converti? - Pourquoi cela? - Parce que notre conscience n'a pas directement agi sur notre conversion. Nous avons été enveloppés, nous avons été entraînés, peut-être moins encore : nous avons répété des paroles chrétiennes, et, à force de les redire, nous avons fini par nous persuader que nous étions chrétiens!
La conscience nous attend ici, et le service qu'elle nous rend, c'est de nous contraindre à remettre notre conversion au creuset.


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IV

ILLUSIONS RELIGIEUSES


Entre cette magnifique réalité qui se nomme l'Evangile, et notre âme, une foule d'illusions parviennent à se glisser.
Tant qu'une poignante conviction de péché ne nous a pas atteints, aussi longtemps que nous n'avons pas mis de. la conscience dans notre religion, notre religion est notre illusion, notre vérité est notre mensonge.
L'illusion revêt des formes diverses. Prenons çà et là quelques profils, au 'courant du crayon.
Je ne m'arrête pas à l'hypocrisie. L'hypocrisie n'est pas une illusion.
Non que l'hypocrite n'arrive parfois à se tromper lui-même après avoir trompé les autres, après avoir essayé de tromper Dieu; c'est même un des châtiments de l'hypocrisie que de réussir à ce point, et de finir par créer une affreuse sécurité, une effrayante paix; mais en vérité, le vice est trop criant, la lèpre trop hideuse pour que chacun ne se tienne pas pour averti.
Détournons-nous et passons.

Vient le pharisaïsme.
Le vieux pharisaïsme qui fait de longues prières afin de repousser les courtes, qui les fait au coin des rues pour éviter de les présenter à Dieu dans le secret de la maison ne se voit plus guère aujourd'hui.
Un pharisien moderne ne criera pas
Laurent, serrez ma haire avec ma discipline!
Ni la discipline, ni la haire ne produiraient grand effet.
D'ailleurs le pharisien moderne a sa sincérité; il est pédant, il est gourmé, il pose devant lui-même et se prend au sérieux. Son illusion plus que son hypocrisie le fait s'habiller de religion, porter sur toute sa personne certain air sacré, avec des cocardes grosses comme le poing. Il parle un jargon pieux, sa bouche s'emplit de versets et de formules; mais c'est que le langage simple, l'attitude naturelle et la voix ordinaire lui semblent au-dessous de sa dévotion. Ne faut-il pas, que, rien qu'à le voir, on s'écrie : c'est un saint homme (5)!
N'importe, une certaine intégrité ne justifie nullement l'orgueil, et la répulsion inexprimable qu'a inspirée le pharisaïsme de tous les temps, répulsion profondément ressentie par celui qui, doux envers chacun, n'a foudroyé de son courroux que les pharisiens, répulsion ratifiée par celui que les pharisiens appelaient: «mangeur, buveur, ami des péagers et des gens de mauvaise vie (6)! » cette répulsion nous apprend assez quel arrêt porte la conscience sur le pharisaïsme et ses fausses vertus.

La conscience n'hésite pas davantage à nous dire ce que vaut une autre illusion, très-différente: l'illusion de la piété transmise, acceptée sans combats, sans blessures, telle que nous l'avons trouvée dans notre famille, et en quelque sorte dans notre berceau. Cette piété-là, passive, impuissante, cette illusion qui inspire un respect général, notre conscience ne la respecte point; elle la déchire; elle nous affirme que Dieu, dans sa justice, ne peut avoir institué un salut qui n'entraîne nul travail; elle nous déclare qu'une foi mollement acquise, mollement conservée, qu'on garde au fond par indifférence pour la foi, n'est pas la foi; elle nous dit que ces croyances héréditaires ne sont un vase capable ni de contenir ni de maintenir la généreuse liqueur de l'Évangile: «Personne ne met le vin nouveau dans de vieux vaisseaux, autrement le vin nouveau romprait les vaisseaux et se répandrait, et les vaisseaux seraient perdus (7
Tout se perd, les vaisseaux comme le vin.
Il faut au vin nouveau des vaisseaux neufs. Il faut à la vie nouvelle le nouveau coeur. Il n'y a point de position privilégiée qui nous dispense de nous convertir, par où j'entends, de nous vaincre et de nous donner.

Religion du curé, religion du pasteur; ces christianismes de seconde main se valent l'un l'autre. Existons-nous encore, lorsque nous démettant de nous-mêmes, nous renonçons à conquérir nos convictions, à diriger notre âme, à gouverner notre vie? Peut-on croire pour nous? Peut-on se régénérer pour nous?

La conscience n'abdique pas. La conscience ne se délègue pas.
Le salut par la doctrine, encore une illusion, a rencontré plus de partisans qu'on ne croit.
Notre dix-septième siècle protestant, siècle scolastique et stérile, qui a eu Dordrecht, qui n'a eu ni évangélisation ni missions, ce siècle de remontrants et de contre-remontrants s'est desséché dans les aridités de l'école.
La conscience, soyez tranquilles, établit l'importance de la doctrine, Aucune erreur ne paraît indifférente à ses yeux. Elle sait, elle proclame le pouvoir et les droits de la vérité, le faux dans l'esprit produit le faux dans les actes, elle ne l'ignore pas. Affaiblissez la divinité du Christ, ou la chute de l'homme, ou l'expiation, ou la grâce, ou la régénération, ou le Saint-Esprit, et vous verrez que les fruits tiennent de près aux doctrines, que les arbres, selon leur espèce, font la conduite et font la vie.

Toutefois, et c'est notre conscience qui nous le déclare, si la doctrine constitue un instrument essentiel du salut, elle n'est pas le salut. Celui-ci s'opère, grâce à Dieu, dans une autre région, dans une région où l'égalité des âmes peut s'établir. Tel homme dont la doctrine reste imparfaite a saisi l'Évangile, écouté le témoignage intérieur du Saint-Esprit, accepté avec amour le pardon qui est en Jésus . Tel autre dont la théologie ne laisse rien à désirer, s'est contenté de célébrer son orthodoxie immaculée. Il n'y a ou chez lui ni l'horreur du péché, ni le besoin de la réconciliation, ni rien en un mot qui ressemble au renouvellement du coeur. Et la conscience nous répète l'arrêt des Écritures : «Si vous ne naissez de nouveau, vous n'entrerez point au royaume des Cieux (8). »

Le salut par les pratiques disparaît à son tour devant notre conscience.
Il n'existe guère d'illusion plus fréquente et plus dangereuse.
Je me suis mis en règle ! J'ai rempli mes devoirs religieux! Certains actes, qui me rassurent pleinement, se sont accomplis pour moi, ou par moi !
Ceci ne concerne pas seulement les catholiques. Il ne manque point de protestants qui se considèrent comme en règle, pourvu que dans leur dernière maladie ils aient reçu la visite du pasteur, que celui-ci ait lu trois ou quatre versets des Écritures et prononce sur eux une prière solennelle.
Or! s'il est un fait qu'atteste notre conscience, c'est l'impossibilité du salut par la foi d'autrui, c'est l'impossibilité d'être sauvé quand on n'est pas changé.
L'acte qui nous sauve doit se passer en nous, non hors de nous.

Une erreur plus subtile, une illusion moins aisée à démasquer vient défier la conscience; je veux parler du salut par le sentiment.
Avoir été ému, s'attendrir au sujet du Sauveur et de l'Évangile, marcher dans les voies mystiques, se fier aux impressions pour tout accomplir, mépriser les questions de dogme, faire fi des questions d'obéissance et de devoir, cela paraît bien beau et bien céleste. Rien, il semble, n'est plus spirituel que de s'élever par dessus tous les débats, tous les problèmes, tous les actes, pour se perdre dans la contemplation et dans l'adoration.
Ne nous abusons pas; notre conscience y tient, elle, à ces misérables questions d'obéissance et de vérité. Si elle s'indigne - nous l'avons vu - contre une mutilation de l'homme qui le réduirait à l'intelligence, elle ne se révolte pas moins contre cette autre mutilation qui le réduirait au coeur. Le Christianisme sentimental n'est plus pour elle le christianisme. Elle maintient, quand elle est consultée, le réel, l'impérieux christianisme, celui qui nous sanctifie par la vérité, celui qui fait de nous des serviteurs de là vérité, celui qui ne nous permet par, d'abandonner une seule vérité, fût-elle déclarée insignifiante ou inopportune.
La conscience ne nous autorise pas mieux à dédaigner le devoir. Elle veut que nous soyons les hommes de tout ce que Dieu veut.
La conscience nous demande si par hasard et sous prétexte de sentiment, nous n'éviterions point de nous convertir et de nous consacrer.
Elle nous ramène à la simple foi qui prend l'individu. tout entier, coeurs volonté, raison; qui se montre en fait d'amour plus ambitieuse qu'aucun mysticisme, mais qui exige des hommes complets, des hommes étrangers aux contemplations béates : des travailleurs, des lutteurs, des libérateurs.
Le salut par les oeuvres fait pendant au salut mystique.

Pour nous, protestants, qui possédons l'Évangile et qui nous souvenons des origines de la Réforme ; - «le juste vivra de foi (9) » - la tentation devrait être faible. Elle existe cependant, et notre conscience la frappe d'un jet de clarté.
Au-dessus des oeuvres, il y a l'oeuvre, tout comme au-dessus des péchés il y a le péché.
Le péché central, la corruption centrale de notre coeur rencontrent l'oeuvre centrale, qui détruit cette corruption et ce péché ; « l'oeuvre de Dieu, disait Jésus-Christ à ceux qui lui posaient une question pareille, l'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyez en Celui qu'il a envoyé (10) ! »
Croire, au sens profond du mot, croire, en vertu du plus grand effort moral que puisse faire l'âme humaine; croire, dans le sentiment de la perdition, en vue du pardon et de la sainteté; croire en se livrant : voilà l'oeuvre.
Notre conscience nous dit que lorsque nous prétendons lui substituer les oeuvres, quelque aumône, quelque travail extérieur, quelque amélioration partielle; c'est que nous cherchons, ni plus ni moins, à nous dispenser du changement.

Les hommes de tous les temps, ceci est une vieille histoire, ont toujours trouver plus facile de donner à Dieu de l'argent, des mortifications, même des mutilations, que de se donner.
Or ce que Dieu nous demande, c'est nous. Il ne demande que cela. Il est vrai qu'on demandant cela, il demande tout.
Sans compter que l'oeuvre entraîne les oeuvres; et que nous le savons bien.
Ceci nous conduit à la dernière des illusions religieuses : le salut par la foi, considéré comme une dispense de régénération.
Les réformateurs n'ont jamais admis d'erreur semblable. Toutefois, la réaction du XVIe siècle contre un salut, fruit des pratiques et des oeuvres, a fait sortir de ses proportions le dogme du salut par la grâce et de l'action toute-puissante de Dieu.
Sans remonter jusqu'à la Réforme, d'ailleurs, ne rencontrons-nous point chaque jour des hommes qui, à force de s'écrier: J'ai mon Sauveur! j'ai la paix! - prennent l'habitude de ne plus lutter contre eux-mêmes, tant ils demeurent certains que chaque faute sera couverte par un pardon?

Que parlons-nous des autres! Cette paresse, mêlée d'une secrète duplicité, n'a-t-elle jamais abordé notre coeur? Ne nous pardonnons-nous pas aisément parce que nous savons que Dieu pardonne? Ne jetons-nous point le repentir par-dessus bord, éloignant nos péchés de nous « autant que l'Orient est éloigné de l'Occident (11) ? » Ne nous arrive-t-il pas, après une chute, d'implorer notre grâce la puis, notre grâce une fois obtenue, de négliger le combat viril, le combat jusqu'au sang?

Saint Jacques nous rappelle avec énergie la nécessité d'être des faiseurs de la Parole, et non des auditeurs seulement : « nous séduisant nous-mêmes par de vains discours (12) ! »

Le pardon gratuit - il ne s'agit nullement de l'amoindrir - nous tire seul de l'abîme, Seul il nous émeut, seul il nous. convertit, seul il produit l'obéissance; mais il faut qu'il la produise. Notre conscience n'hésite pas plus ici qu'ailleurs, Notre conscience ne nous permet pas de, croire qu'on puisse appartenir à Dieu et garder un coeur bouffi d'orgueil; qu'on puisse appartenir à Dieu et rester colère, ou médisant, ou paresseux, ou avare, ou envieux, ou mondain.
Elle signale une contradiction absolue entre nos déclarations de confiance dans le pardon, et notre refus de réagir contre le mal. Une âme asservie au péché ne saurait trouver place dans le ciel. La nouvelle naissance avec ses rudes ébranlements, la sanctification avec ses batailles sans trêve; tels sont les éléments auxquels nous ramène toujours la conscience éclairée par l'Évangile (13).
«Il y a pardon par devers toi, afin qu'on te craigne (14) ! » - « Je courrai dans le sentier de tes commandements quand tu auras mis mon coeur au large (15)! » - Voilà en quels termes l'Écriture, établit le rapport de la grâce et des oeuvres, nous déclarant indifféremment qu'il n'y a point de condamnation pour ceux qui croient en Jésus-Christ, et que nous serons jugés d'après nos actions.

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1. Voir note b à la fin du volume
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2. Voir note c à la fin du volume.
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3. Actes des Apôtres, VII, 55, 56.
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4. Épître aux Corinthiens, III, 16;  - Colossiens, III, 16
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5. Voir la note d à la fin du volume.
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6. Évangile selon saint Matthieu, XI, 19.
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7. Évangile salon saint Matthieu, IX, 17.
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8. Évangile selon saint Jean, III, 3.
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9. Habacuc, II, 4, Romains, I, 17.
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10. Evangile selon saint Jean, VI, 29
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11. Psaume CIII, 12.
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12. Saint Jacques, I, 22.
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13. Remarquez-le, je dis : éclairée par l'Évangile. En effet, notre conscience est maintenant en possession de l'Évangile, et elle en profite, et elle grandit d'autant. L'action de l'Évangile, l'action du Saint-Esprit demeurent à la base de tout ce, que nous avons dit. Mais l'Évangile et le Saint-Esprit nous prennent par l'anse de la conscience; ne l'oublions pas.
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14. Psaume CXXX, 4.
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15. Psaume CXIX, 32,
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