Ce qui caractérise la prodigieuse
révolution opérée par
l'Évangile, c'est qu'elle est une
révolution de la conscience.
En face du territorialisme païen,
l'individualisme chrétien s'est
levé.
Un mot résume le paganisme sous
toutes ses formes: négation de la
vérité, par conséquent,
négation de la conscience.
La vérité nationale n'est
plus une vérité; la conscience
nationale n'est plus la conscience.
Que devient-elle, cette pauvre
conscience, vis-à-vis de la croyance du
pays, de la croyance légale, de la croyance
obligatoire, de la croyance
héréditaire ?Elle ne pose plus
même la question de vérité;
elle s'habitue à admettre une
vérité en deçà des
Pyrénées, une vérité
contraire au delà.
Bien plus, chez les hommes qui
reconnaissent encore les droits de la
vérité, chez ceux qui la poursuivent,
chez un Socrate, par exemple, la flétrissure
du principe païen demeure et tient ferme.
Socrate mourant a soin de se mettre en
règle; il parle « des Dieux » ; il
ordonne de sacrifier un coq à Esculape ! Son
âme indépendante et qui va partir n'a
secoué qu'à demi le joug
écrasant de la religion
territoriale.
L'Évangile, ce fut la conscience
humaine qui se redressa. L'État antique
rencontra l'homme devant lui. Tout à coup,
il se trouva des gens pour imaginer, chose
étrange, des problèmes de conscience
et de vérité!
Grand événement dans
l'histoire.
On a dit de Jésus-Christ qu'il ne
s'appelle pas la coutume, mais qu'il s'appelle la
vérité. Voilà où est
l'événement. La vérité,
la vérité niant son contraire, la
vérité nommant son contraire: erreur;
la vérité voulant être
uniquement acceptée, obéie
uniquement; la vérité exclusive, la
vérité absolue, la
vérité souveraine, la
vérité avec son autorité: tel
est le monstre qui vient brutalement
épouvanter la sérénité
païenne.
Les témoins de la
vérité se rangent devant elle; ils
aimeront mieux mourir que de brûler un grain
d'encens aux idoles. Décidément la
paix, la douce paix hellénique a pris fin.
Décidément le Prince de la Paix
apporte, non la paix, mais
l'épée.
L'Epée de la foi au vrai,
l'épée de la conscience. La
conscience est un rude maître, rude et
gênant. Il est gênant de croire. Il est
gênant d'être serviteur du vrai. Ces
convictions individuelles qui jaillissent du sol
affranchi, ces églises qui se fondent et
dont la foi personnelle est le seul recruteur,
cette soudaine apparition de l'individu, tout cela
constitue au sein du vieux monde un changement tel,
que j'ai eu le droit de l'appeler : une
révolution,
Et l'on n'a pas craint de nous dire que
l'Évangile était identique aux
religions païennes! Et l'on nous a
parlé sans rire de la religion unique des
Védas!
« Vous les connaîtrez à leurs
fruits (1)»
Il faudrait fermer volontairement les
yeux pour ne point voir les fruits de
l'Évangile.
Je ne parle pas des fruits de conversion
et de transformation chez telle ou telle âme;
ils peuvent parfois se contester, bien qu'ils
soient pour ma conscience aussi évidents que
la lumière du jour. J'ai vu des
égoïstes devenir charitables, des
vicieux entrer en lutte contre leur
péché, des violents se revêtir
de douceur.
Ma conscience ne me permet en aucune
façon de comparer ces changements-là,
profonds, radicaux, miracles permanents de
l'Évangile, aux réformes
superficielles qu'accomplit l'homme désireux
de se conduire banalement bien.
Je ne méprise nullement la
philanthropie; je suis loin de nier les beaux
exemples de dévouement et de vertu qui
souvent ont été donnés en
dehors de la foi. Il y a eu, je le sais, en dehors
de la foi, des généreux, des
redresseurs de torts, des chevaliers auxquels
personne plus que moi ne rend justice.
Mais je soutiens que ces exemples, rares
en dehors de la foi, sont très-nombreux en
dedans; je soutiens que le don de soi prend un tout
autre caractère chez les chrétiens,
et que là seulement il va jusqu'à la
consécration, jusqu'à
l'humilité, jusqu'à l'acceptation
confiante de la volonté de Dieu,
jusqu'à l'amour; je soutiens, passez-moi
cette audace, que les philanthropes ne sont ce
qu'ils. sont, que parce qu'il y a un
Évangile.
D'où vient que la philanthropie
moderne diffère absolument de la
philanthropie, antique?
De ce que les philanthropes modernes
peuvent bien rejeter l'Évangile, mais qu'ils
en vivent.
Le monde païen ne possédait,
que je sache, ni la charité, ni
l'humilité, ni la liberté, ni la
chevalerie.
.
Prenons la liberté,
L'histoire vous dira où elle
était avant l'Évangile; où
elle en serait sans l'Évangile. Par lui, les
indépendances se sont créées;
par lui, l'individu a paru.
L'antiquité est là avec sa
traite, avec son esclavage, base de tout, avec ses
harems ou ses gynécées, avec son
absolutisme asiatique, avec ses franchises,
grecques et romaines appuyées sur un
fondement d'inénarrable servitude, avec ses
négations de la conscience et de la
vérité en matière de
foi..
Mettez vis-à-vis le monde
moderne, tel que nous le connaissons..
Qu'en pensez-vous? Qu'en pensent les
despotes? Si vous les interrogiez, ils vous
répondraient qu'aucune tyrannie ne tient
nulle part, dès qu'apparaît,
dès que travaille ce terrible levain de la
croyance personnelle au Sauveur..
.
Prenez l'égalité. Encore
un fruit de l'Évangile !.
L'égalité; n'est devenue
possible que sur les ruines de l'esclavage, du
servage et des privilèges..
De même qu'il n'y a pas de
liberté sans des coeurs libres, il n'y a pas
d'égalité sans des coeurs fraternels.
Pour résister à quelque chose, il
faut croire à quelque chose. Et il faut
croire à quelqu'un aussi: à l'amour
de Celui qui nous a retirés de l'abîme
de' perdition, pour aimer à notre tour,
cordialement, tous ceux qui ont été
aimes comme nous
(2).
La doctrine qui, l'un après
l'autre, résout les plus difficiles
problèmes sociaux, ne saurait être la
première doctrine venue. Notre conscience
nous le dit.
Notre conscience a remarqué le
grand arbrisseau sorti de la petite graine. Elle
voit la foule des oiseaux qui ont fait leurs nids
sous ses branches. Tous les progrès se sont
abrités là (3).
Notre conscience met face à face
les civilisations produites par d'autres religions
et la civilisation produite par l'Évangile.
Elle voit ce que, sous l'action de
l'Évangile, est devenue la femme, ce qu'est
devenue la famille, ce qu'est devenu l'esclave, ce
que sont devenus le paysan et l'ouvrier.
Notre conscience est frappée de,
ce fait, que les pays où l'on tient le pur
Évangile en honneur sont ceux, justement,
qui ont donné l'impulsion. Les
libertés politiques sortent de là;
les affranchissements d'esclaves sortent de
là; les crises qui ont enfanté le
monde moderne sont nées de
là.
En doutez-vous?
Demandez-vous alors dans quel
abîme vous précipiteriez
l'humanité, si, d'un mot, vous pouviez lui
arracher l'Évangile avec les
conséquences de l'Évangile.
Ce mot, personne n'oserait le prononcer.
J'en défierais les ennemis les plus
déclarés de la foi chrétienne.
Abolir en un instant les lumières,
l'idéal, les tendresses, la dignité
des femmes, l'indépendance des affranchis;
abolir tout ce qui constitue la grandeur de
l'âme, de l'intelligence, de la famille, du
pays; abolir les idées sur lesquelles nous
vivons tous, les idées des chrétiens
et les idées des incrédules. il n'y a
pas un fanatique de la Grèce, qui n'en
reculât d'horreur.
Cela fait réfléchir la
conscience.
Je parlais de l'égalité.
Un des fruits de l'Évangile, que
suffit à constater le simple regard du sens
moral, c'est cette émotion sociale, immense,
en vertu de laquelle on s'est mis à
s'occuper des misères, des
intérêts et des droits du grand
nombre. La religion qui nous annonce le Fils de
Dieu souffrant pour tous, pouvait seule donner
à tous un rang égal, et fonder un
véritable idéal, partage de
tous.
Avant Jésus-Christ, le grand
nombre, est écrasé. Considérez
les femmes, les esclaves, les dénués
de ce temps-là, et mettez en regard la
position des citoyens auxquels le monde antique
reconnaît des droits !
La philosophie elle-même se montre
aussi aristocratique, aussi dédaigneuse de
la plèbe, que les moeurs et que, la
législation. Les plus avancés en
matière de sagesse révéleront
aux seuls initiés le mystère de leurs
pensées. La vérité n'est pas
faite pour le grand nombre.
Mais vient celui qui a dit « Je te
loue, Ô Père, de ce que tu as
caché ces choses aux sages, et de ce que tu
les as révélées aux petits
enfants (4)
!
»
Par lui, pas avant, le grand nombre
prend sa place au soleil. La vérité
appartient au peuple, car elle est exprimée,
en termes populaires, dans le plus populaire des
livres. La vérité appartient au
peuple, car la prédication - l'instruction
la plus populaire après la Bible - se met
à l'oeuvre désormais.
L'Évangile est annoncé aux
pauvres.
Aux pauvres, et à ceux qui
deviennent tels par l'humilité,
l'Évangile apporte des forces, des
consolations, des richesses, un avenir; il leur
donne un père, il leur donne des
frères.
L'Évangile rappelle aux riches
leur responsabilité d'administrateurs. Par
l'Évangile, depuis l'Évangile, on
s'occupe des chétifs et des
abandonnés. Le soin des indigents et des
malades date de l'Évangile. Les grands
embrasements, les oeuvres admirables de la
charité datent de l'Évangile. Si les
questions ouvrières se posent aujourd'hui,
c'est par l'Évangile. L'Évangile qui
les a soulevées y répondra. Lui seul
produira l'élan nécessaire à
la solution de cet énorme problème
social. Il n'est Pas plus difficile à
résoudre, en définitive, que celui du
servage ou de l'esclavage. Il se résoudra
sous l'action de la même influence, ou il ne
se résoudra pas.
Un autre fait se présente à la
conscience, qui ne lui permet pas d'hésiter
: non-seulement ces fruits magnifiques n'existent
point avant l'Évangile, mais ils
disparaissent presque entièrement
après, dès que l'Évangile se
voile ou se corrompt.
De quelque côté que nous
tournions les yeux, à quelque moment que
nous nous reportions; la divinité du
christianisme éclate en ceci, qu'à
l'instant où il s'altère, il cesse de
produire la liberté,
l'égalité, la charité, la
tendresse, la vérité.
Le byzantinisme et ses froides annales,
le romanisme et son moyen âge, le
protestantisme et ses orthodoxies figées,
nous font, les uns comme les autres, voir les
mêmes décrépitudes. C'est la
mort, en dépit du principe vital qui a
été enseveli sous les pratiques sous
les formules, sous les paganismes
renouvelées.
Plus livide et plus froid, dans son cercueil immense,
Pour la seconde fois, Lazare est étendu.
Il faut que le sang revienne, que la
chaleur renaisse, que les bandelettes soient
coupées.
Vous savez comment le miracle s'est
accompli. Vous savez avec quelle vigueur les fruits
ont reparu, dès que s'est
opéré le retour au pur
Évangile, à l'Église distincte
du monde et séparée de l'État.
Mais voici le plus grand obstacle,
peut-être, - on ne l'a pas assez dit que ma
conscience, en quête de la
vérité religieuse, ait
rencontré sur son chemin : elle a
rencontré le christianisme odieux..
Rien de si délicat que la
conscience. La conscience, qui est droite, se
révolte quand, au nom de la foi, on lui
commande d'admirer ce qui n'est pas admirable du
tout..
La religion sans conscience blesse la
conscience. -
Nous pensons souvent faire un
chef-d'oeuvre, nous protestants, lorsque nous
taisons, pallions, excusons, glorifions au besoin
les torts de la Réforme. Nous ne faisons que
mettre la conscience en garde contre
l'Évangile.
Si vous m'invitez plus ou moins à
prendre parti pour Henri VIII dans l'affaire du
divorce; si vous me cachez le côté
grossier qui dépare le beau caractère
de Luther; si vous passez en hâte sur la
permission accordée au Landgrave; si vous
entourez le bûcher de Servet de toutes les
explications que peut fournir l'époque; si
vous créez un Cromwell idéal; si les
brutalités de Knox et les duretés de
Calvin disparaissent; si ces hommes dont j'admire
le dévouement chrétien sont
transformés en saints accomplis; s'il vous
paraît tout simple qu'on mette la religion
aux voix et qu'on force les minorités a se
conformer aux croyances votées; si vous ne
condamnez pas énergiquement les
persécutions protestantes et la longue
tyrannie qui a pesé sur l'Irlande; si vous
me laissez supposer que les mesures violentes
rencontrent votre indulgence, pourvu qu'elles
s'exercent en faveur de votre christianisme; alors
je me sens indigné, et ce christianisme,
absolument opposé à la conscience,
trouvé mon coeur barricadé contre
lui.
La conscience a besoin de voir des
protestants très-sévères
envers le protestantisme, des protestants qui ne
lui passent pas une faute, des protestants
révoltés lorsque les questions de
foi, par exemple, se métamorphosent en
partage des dépouilles de l'Église
romaine ou en calcul de pouvoir.
La conscience a besoin de nous voir
très, fermes - très-rigoureux si vous
voulez - vis-à-vis des réformes
décrétées par les princes,
vis-à-vis des nationalismes protestants,
vis-à-vis des intolérances
protestantes. «Faire le mal pour qu'il en
arrive du bien (5)
», est
une maxime qu'il ne faut pas plus appliquer
rétrospectivement à l'histoire, que
pratiquer actuellement dans la vie.
Il y a eu, il y a des faits dans notre
protestantisme, que nous ne devons laisser à
personne le soin de flétrir : un formalisme
allié avec le plus triste état moral,
un XVIIe siècle engourdi dans son orthodoxie
morte, un synode de Dordrecht publiant des
doctrines qui, grâce à Dieu, ne sont
pas celles de la Révélation.
Il y a eu, sans sortir du XVIe
siècle, des réformes
incomplètes, consacrant le plus possible de
vieilles erreurs; et à coté de cela
une proclamation du salut par grâce, un
servum arbitrium, qui effacent outre mesure et
l'obéissance et la responsabilité de
l'individu.
Il y a eu, nous ne le savons que trop,
de honteux rationalismes: un christianisme qui
n'avait plus rien de chrétien, un rejet de
la fausse autorité qui ne respectait pas
toujours la vraie, un protestantisme enfin qui
n'était plus la foi au Sauveur et à
la Bible, mais la foi de l'homme en l'homme et en
sa souveraine raison.
Violences, compromis, excès de la
doctrine, rejet de toute doctrine; malheur à
nous si le nom de protestant couvre tout cela, car
alors l'Évangile vient se heurter contre les
indignations passionnées de la
conscience.
Savez-vous quels sont les livres impies?
Ce sont les livres habiles; ceux qui font à
la religion de vérité l'injure de ne
pas distinguer entre elle et les aberrations de ses
serviteurs.
Savez-vous quels sont les livres
vraiment pieux? Ce sont les livres de la
piété loyale, ceux qui ne dissimulent
rien.
Ne dérobons aucun de nos
péchés. Parlons sincèrement
à nous-mêmes et à nos amis.
Apportons beaucoup de conscience dans notre
histoire, dans notre apologétique, dans nos
discussions. Ne craignez rien, nous serons
infiniment plus forts, car nous aurons cessé
de séparer ce qui doit demeurer
indissolublement uni : la conscience et la
foi.
D'ailleurs, nous avons assez de bien
à dire de ce grand mouvement de la
Réforme, de ces hommes croyants et
courageux, de ces doctrines de grâce qui ont
réveillé le sens moral, de cette
prodigieuse secousse qui a renverse les traditions
humaines, de ce travail intègre qui a
restauré l'autorité des
Écritures, de cette résurrection de
la conscience chrétienne qui a
régénéré le monde, pour
conserver le droit de porter le front haut.
Le catholicisme rencontra devant lui les
mêmes devoirs que nous.
Je vois des catholiques, dont je
respecte le caractère et les intentions, se
disposer aujourd'hui à mettre le SyIIabus en
accord avec la liberté (6).
Pie IX, qui a vaillamment écrit
le Syllabus, qui, en plein XIXe siècle, n'a
pas craint d'anathématiser toutes les
idées modernes, qui a solennellement
déclaré qu'elles étaient en
complète opposition avec l'enseignement de
l'Église romaine dans tous les
siècles, Pie IX m'inspire une réelle
estime; je sens en lui: une conscience.
Quant à ceux qui se chargent
d'interpréter les déclarations du
Syllabus dans un sens libéral, nous n'avons
qu'une excuse à présenter en leur
faveur; ils ne peuvent - espérons-le -
prendre leur parti de voir aux prises deux
intérêts qui leur sont
également chers : leur croyance religieuse
et leur foi politique. Plaignons-les, mais, tout en
les plaignant, détestons l'oeuvre à
laquelle ils sacrifient le sentiment moral : elle
produit un mal incalculable, elle donne lieu de
croire que la religion ne se défend qu'au
prix de la loyauté.
Les partisans du Syllabus tel quel,
mettent la conscience humaine à une autre
épreuve : elle est sommée de croire
que l'Évangile a institué le pouvoir
temporel, que le moyen âge est une
époque de bénédiction, que le
christianisme enseigne à brûler les
bibles, à brûler les gens, à
organiser les tortures de l'Inquisition, à
courber la tête sous un vaste despotisme
clérical, à soutenir tous les
despotismes politiques, à éteindre
successivement toutes les lumières, à
jeter l'anathème sur toutes les
libertés.
Lorsqu'on considère ces
réactions terribles qui se nomment la
Renaissance et le XVIIIe siècle, lorsqu'on
assiste à la réaction impie dont nous
sommes témoins à l'heure qu'il est,
il ne faut pas oublier la part de la conscience -
je ne crains pas d'employer ce mot, la conscience -
dans de tels ébranlements.
La Renaissance voyait devant elle le
christianisme sous la forme d'un clergé
dominateur, d'une papauté de Grégoire
VII, d'Innocent III, d'Alexandre VI, d'un
Évangile traîné en lambeaux
dans les conciles généraux de
Constance et de Bâle, d'un long règne
de la scolastique, d'une nuit profonde ou l'Europe
avait souffert des maux inouïs, où la
liberté des consciences avait
été traitée comme nous
savons.
Le XVIIIe siècle venait de voir
le christianisme sous la forme des Ministres de
Louis XIV, de la dragonnade, de la
révocation, de la destruction de Port-Royal;
le tout aboutissant aux abbés galants de la
régence: après la persécution
exaltée par Bossuet, la pourpre jetée
sur les épaules de Dubois!
Quand la religion est descendue à
certains rôles, on finit par se méfier
de toute religion.
Quand le nom de Dieu sert à
sanctionner des infamies et des tyrannies, on en
arrive - je frémis de le dire - à
prendre Dieu en horreur.
A qui la faute, si le peuple devient
athée? Posons la question hardiment. La
faute, en partie du moins, est à ceux qui
ont mis l'Evangile, ou ce qu'on appelle ainsi, aux
prises avec la conscience,
En Italie, en Espagne, en France,
l'âme humaine a conçu un tel
dégoût de ce qu'on lui donnait pour
l'Évangile, que, chez beaucoup, ce
dégoût s'est transformé en une
incurable antipathie, contre la religion, quelle
qu'elle soit.
Et ne croyons pas qu'un tel fait se
borne aux contrées catholiques. L'Allemagne,
où la Réforme incomplète et
formaliste a longtemps régné;
l'Allemagne, où le protestantisme s'est
déployé plus d'une fois sous la
forme, du rationalisme, est rongée
çà et là par, un esprit
antichrétien auquel elle échappera,
je l'espère, mais seulement parce qu'elle
retourne à l'Évangile pur et
vivant.
Soyons justes envers les ennemis de
notre foi. Tout n'est pas mauvais dans les
réactions impies. Il y a là une
certaine protestation du sens moral; Il y a
là, fréquemment, une
réclamation de l'humanité et de
l'honnêteté.
Qui nous dira ce qui se passe dans la
conscience des hommes intègres, alors qu'on
leur présente telle erreur ou tel crime
comme venant en droite ligne du ciel?
J'ai reçu parfois les confidences
des incrédules, et j'ai découvert
que, s'ils rejetaient le véritable
Évangile, c'était pour avoir trop
souvent rencontré le faux sur leur
chemin.
Les plus consciencieux se montraient les
plus hostiles. A leur entendre raconter quelles
doctrines s'étaient données pour
évangéliques, quels actes soi-disant
pieux les avaient révoltés, on
éprouvait un double sentiment: de compassion
pour eux, de remords comme chrétien.
Ces consciencieux, blessés dans
leur sens moral, je ne vais point jusqu'à
les justifier. L'Évangile n'était pas
loin; plus consciencieux, ils l'auraient
trouvé. Le Saint-Esprit n'était pas
loin; plus consciencieux, ils l'auraient
écouté. Le péché
était la; plus consciencieux, ils l'auraient
compris.
Cependant, notre responsabilité
demeure.
Quiconque, en faussant
l'Évangile, place quelque pierre
d'achoppement devant les pas d'un frère, est
coupable de sa chuté et de son sang.
Nous ne mettrons jamais assez de
conscience dans notre foi.
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