HUDSON TAYLOR
QUATRIÈME PARTIE
SHANGHAI ET LES
PREMIERS VOYAGES
1854-1855
(de vingt-deux
à vingt-trois ans)
CHAPITRE 21
Comment être utiles?
Second, Troisième et Quatrième
Voyages
décembre 1854-mars 1855
Être utiles! C'était ce qu'ils
désiraient le plus, et comme la fin de
l'année approchait ils élaboraient
avec soin leurs plans. Le Dr Parker, homme capable
et expérimenté, devait penser
à sa famille, et Hudson Taylor, tout jeune
qu'il fût, devenait un bon missionnaire. La
lettre de crédit n'étant toujours pas
arrivée, leur embarras était
extrême. Apprenant d'autre part que la
Mission de Londres envoyait de nouveaux agents en
Chine, ils devaient songer à chercher un
autre logement. Cette question urgente et
précise fut discutée et motiva
plusieurs lettres exposant leurs projets.
Nous qui sommes sur le champ
d'activité, écrivait Hudson Taylor
à la fin de décembre, désirons
être aussi utiles que possible. Tout en
comptant sur la bénédiction de Dieu
pour le succès à obtenir, nous
désirons faire tout ce qu'il est en notre
pouvoir pour l'atteindre. En cela je sais que vous
êtes de coeur avec nous, et j'ai confiance
que par nos prières et nos efforts communs,
et, par-dessus tout par l'influence du
Saint-Esprit, nous ne serons pas
déçus.
Puis il esquissait, à l'intention
du Comité, les plans qu'ils avaient
étudiés ensemble.
Tout d'abord, il faudrait avoir sans
délai un centre de travail permanent. Des
cinq ports accessibles aux étrangers en
vertu du Traité de Nanking, aucun
n'était plus adéquat que Shanghai. La
situation de cette ville étant
particulièrement favorable pour rayonner
dans l'intérieur, c'était là
qu'il fallait bâtir. L'expérience des
autres missions montrait ce qu'il était
nécessaire d'organiser : une maison pour le
docteur et une école, en plus d'un
hôpital et d'un dispensaire. Partant de ce
centre, ils fonderaient dans l'intérieur,
partout où ils le pourraient, des
écoles et des dispensaires
qui seraient
régulièrement surveillés par
l'un ou l'autre des missionnaires et deviendraient
à leur tour d'autres centres d'action
chrétienne.
Ces projets étaient très
beaux, certainement, mais ils étaient
bâtis sur des raisonnements qui, dans leur
cas, étaient faux. S'ils avaient
été mis à exécution,
ils seraient devenus un obstacle à
l'accomplissement des plans que Dieu avait en
réserve pour Ses serviteurs.
Mais les lettres furent
expédiées à la
Société, et leur contenu devint le
sujet de leurs prières le jour de
l'An.
L'on était en plein hiver, et le
froid était exceptionnellement vif. Hudson
Taylor continuait l'étude du chinois, deux
dialectes à la fois, celui de Shanghaï
et la langue des mandarins. Il s'occupait aussi
d'une école et était encouragé
de se savoir bien compris par les enfants.
Pourtant, si préoccupé qu'il
fût d'étudier, il continuait
d'être angoissé par les besoins des
régions non
évangélisées qui
l'entouraient. Ce ne fut certainement pas la saison
qui l'engagea à entreprendre un nouveau
voyage, ni la présence d'un compagnon, car
il lui fallait partir seul. La situation politique
aurait pu à elle seule suffire à le
retenir, le siège de la ville chinoise
approchant de son dénouement. Mais il ne
pouvait rester sourd à la voix qui
l'appelait. Le premier pas était fait ;
déjà il avait pris part à une
tournée missionnaire et s'était rendu
compte de la méthode à suivre.
C'était cela peut-être qui le
stimulait ; ou peut-être était-ce
quelque chose de plus profond, de plus significatif
?
Second Voyage (janvier 1855)
Il partit le 25 janvier dans un bateau qu'il
avait acheté récemment pour la
moitié de sa valeur. Quelques
kilomètres au sud de Shanghaï, il prit
un affluent qui le conduisit dans un district
où les étrangers ne s'aventuraient
guère ; cette région, située
entre le Hwangpoo et la mer, était
infestée de contrebandiers et de
malfaiteurs. La saison était bien
défavorable au voyage du jeune missionnaire
: il fallait casser la glace pour avancer, si bien
qu'à la fin, seul avec un serviteur qui
portait les livres, Hudson Taylor débarqua
et s'en alla à pied de village en village.
Son costume, son langage et le travail qu'il
faisait attiraient partout l'attention
et l'on s'arrachait ses livres
si bien imprimés et si joliment
reliés. Il parcourait toutes les rues et
parlait dans les temples, ce qui n'allait pas sans
danger, entouré d'une population aussi
grossière. Il n'avait pas de compagnon sur
qui s'appuyer, et s'il ne prêchait pas
lui-même, les foules n'entendraient pas le
message. Aussi, comptant sur le secours du
Seigneur, il employa au mieux les phrases qu'il
connaissait, soignant aussi des malades pendant des
heures et ayant des conversations à bord de
son bateau, le soir.
À Nanhwei, la foule fut
particulièrement bruyante, et le dimanche
qu'il y passa fut aussi digne de mémoire
pour lui que pour les autorités locales.
À la nouvelle qu'un étranger
approchait, l'ordre avait été
donné de fermer la porte principale de la
ville jusqu'à ce qu'il se soit
retiré. Ne sachant rien de cela, Hudson
Taylor, qui était arrivé par une
porte secondaire, entra dans la ville le dimanche
matin sans être remarqué. Le mandarin
le sut, mais son inquiétude s'apaisa
lorsqu'il apprit que l'étranger tant
redouté était seul et sans armes et
qu'il ne songeait pas à rester longtemps.
Ses craintes se dissipèrent, mais
l'agitation du peuple ne fut pas aussi facile
à calmer. Après avoir courageusement
essayé de prêcher, Hudson Taylor dut
se retirer à quelque distance de la ville
dans son petit bateau où, pendant toute la
journée, il reçut des centaines de
visites, distribuant des livres à tous ceux
qui savaient lire, donnant des remèdes aux
malades, disant et redisant les grands faits de
l'Évangile et répondant à une
foule de questions personnelles. Comme des
indigènes avertissaient ses bateliers qu'il
n'était pas prudent pour un étranger
de s'aventurer dans cette région, il leur
assura qu'il ne craignait rien, car le grand Dieu,
le Créateur du ciel et de la terre, veille
toujours sur ceux qui se confient en Lui.
Il en était si sûr qu'il
n'hésita pas, le lendemain, à aller
visiter une mourante, seul avec des Chinois qui
étaient venus le chercher. Ces hommes
paraissaient si sérieux que, malgré
le danger, il consentit à les accompagner.
« Je sentais, écrivait-il le lendemain
à ses parents, que j'étais où
mon devoir m'avait placé malgré mon
indignité et quoique solitaire, je savais
que je n'étais pas seul. » Ce fut
d'ailleurs une visite intéressante,
après une marche longue et pénible
dans la campagne glacée. Il ne put
guérir la femme, atteinte d'hydropisie, mais
conseilla à son mari de
l'amener à Shanghaï et s'efforça
de l'encourager. Puis il leur expliqua simplement
et complètement le message qu'il
était venu leur apporter de si loin.
Naturellement, tous les gens des environs voulurent
le voir et l'entendre, de sorte qu'il eut un
auditoire nombreux qui n'avait jamais entendu
parler de l'amour rédempteur.
Au moment du départ, le mari de
la malade arriva, tenant à la main une poule
qu'il voulait offrir au « docteur
étranger ». Grande fut sa surprise
quand Hudson Taylor, lui expliquant que ses
remèdes, comme son message, ne pouvaient
être achetés à aucun prix, la
fit remettre en, liberté en le remerciant
beaucoup.
Le 1er février, il rentrait
à Shanghaï, fatigué de son
voyage, mais avec la joie de pouvoir se dire que,
dans une famille de plus et dans toute une
région, le nom de Jésus avait
été répandu, comme un parfum
agréable à Dieu.
Troisième Voyage
(février-mars 1855)
À la fin de février, il repartit
dans la direction de l'Ouest avec quelques
missionnaires plus âgés. Ils se
dirigèrent vers le lac Soochow, mais ne
dépassèrent pas Tsingpu. En effet,
après quelques jours de marche, ils
aperçurent du haut d'une colline un immense
embrasement. Une seule explication était
possible à cela : Shanghaï était
en flammes ! Qu'adviendrait-il de leurs familles
dans la ville européenne ?
Pleins d'anxiété, ils se
décidèrent au retour et ne
tardèrent pas à rencontrer des
rebelles en fuite et mille traces d'une horrible
catastrophe. Mais la concession
étrangère n'avait pas
souffert.
Le 4 mars, Hudson Taylor écrivait
:
Shanghaï est maintenant en paix,
mais c'est comme la paix de la mort. Deux mille
personnes au moins ont péri et les tortures
qu'ont subies certaines des victimes ne le
cèdent en rien aux pires cruautés de
l'Inquisition. La ville est un amas de
ruines...
Que la guerre est une chose
terrible ! De la Porte du Sud à la Porte du
Nord de Shanghaï, d'un seul côté,
les impérialistes ont exposé
soixante-six têtes et plusieurs cadavres de
rebelles, parmi lesquels des hommes à
cheveux blancs, des femmes et des enfants... Il est
impossible de voir cela sans éprouver une
profonde horreur pour le gouvernement qui permet et
même qui commet de pareilles
atrocités.
Toutefois le pire était
passé et les missionnaires,
libérés de la tension de ce terrible
hiver, se préparaient à
développer fortement leur oeuvre. L'heure
avait certainement sonné pour la marche en
avant. Grâce à l'énergie de la
population, un nouveau Shanghaï surgirait
bientôt des ruines. Des milliers de gens
viendraient s'y installer. Autant que possible, les
missionnaires devaient donc acheter des terrains,
agrandir leurs écoles, ouvrir des salles de
réunion, fonder des hôpitaux et
prendre une place de premier rang parmi les
artisans des temps nouveaux. Grande était
à ce sujet l'anxiété d'Hudson
Taylor et de son collègue qui attendaient
toujours la réponse du Comité. Il y
avait maintenant trois mois qu'ils lui avaient
exposé leurs plans et les lettres qui
s'étaient croisées avec les leurs
n'avaient rien d'encourageant. La lettre de
crédit du Dr Parker n'était pas
arrivée et la Société ne
semblait pas se souvenir qu'il avait besoin
d'argent. Si leurs privations avaient
été pénibles pendant l'hiver,
que serait-ce en été, dans cette
maison trop pleine?
Quand on considère tout cela,
et si l'on n'oublie pas que les missionnaires,
même les plus consacrés, sont
cependant des hommes, l'on ne s'étonnera pas
de certaines choses dites ou ressenties par Hudson
Taylor qui ne s'accordaient guère avec la
simple foi en Dieu qui le caractérisait. Il
passait par une période critique. Il se
trouvait sous l'influence d'amis appelés
à une ligne de conduite entièrement
différente de la sienne. S'il fit fausse
route un certain temps, comme on le voit
d'après ses lettres, il ne lui fut pas
permis de prendre des responsabilités qui
eussent été un obstacle à
l'oeuvre qui lui était
réservée.
Il écrivait à ses
parents en mars :
Vous allez avoir une belle
chapelle à Barnsley. Ah! si un ami
fortuné nous,envoyait mille livres sterling
pour édifier un hôpital, une
école et d'autres bâtiments ! Nous
sommes actuellement dans une situation
désastreuse. N'ayant que trois chambres en
tout et pour tout, nous sommes obligés d'en
réserver une pour ceux qui viennent nous
voir. Alors ma chambre à coucher doit servir
de chambre d'étude pour le Dr Parker et pour
moi, et je n'ai pas un endroit où être
seul pendant la journée. Je ne sais, ce que
nous ferons quand les chaleurs
reviendront.
J'ai soumis à la
Société un plan précis. Si
elle ne l'adopte pas, nous avons l'intention de le
mettre à exécution sans son appui. Si
elle y fait opposition, comme étant
contraire à son principe de ne pas
travailler dans les ports, nous
devrons essayer de faire modifier cette
manière de voir. Si elle ne change pas
d'avis et si nous ne trouvons pas une autre
façon de travailler, la question se posera
pour nous de nous passer d'elle ou de mettre de
côté nos plans
d'action.
N'ayez pas d'inquiétude
à ce sujet. Nos projets seront formés
avec prudence dans la crainte du Seigneur et non
sans chercher Ses directions. Mais nous voulons
être utiles à tout prix et nous le
serons, si le Seigneur nous
bénit.
Pensez-vous qu'une vente pourrait
être organisée quelque part pour nous
aider à l'achat d'un terrain et à
l'érection de bâtiments
appropriés ?... Si vous pouviez y
intéresser les dames, le succès
serait assuré. Les fonds dont nous avons
besoin sont en fait si modiques que quelques bonnes
collectes permettraient de réunir toute la
somme, ou du moins la plus grande partie de la
somme.
On ne peut s'empêcher de
relever combien tout cela paraît
étrange chez Hudson Taylor. Deux courants de
pensées le travaillaient en même temps
: l'un le poussait vers la vie stable dans un port
; l'autre l'entraînait vers des
contrées bien plus lointaines que celles
qu'il avait déjà atteintes. Il ne
pouvait même pas attendre la réponse
du Comité tant il était
désireux de commencer une nouvelle
tournée missionnaire. La révolte
était terminée, et le Dr Parker
éprouvait le besoin d'un changement au cours
de ses études. Leur bateau était
toujours à l'ancre. N'était-ce pas
justement l'occasion de faire un voyage pour
prêcher et pour soigner les malades ?
Quatrième Voyage (mars
1855)
La semaine qui suivit fut extrêmement
intéressante. Ils quittèrent
Shanghaï et s'en allèrent au Nord vers
la ville de Kia-Ting. Leur arrivée y causa
une vive sensation ; tous les habitants
s'enfuyaient à leur approche et
s'enfermaient dans leurs maisons. Ils
réussirent néanmoins à les
attirer en se faisant connaître comme
médecins « capables de soigner les
maladies externes et internes ». Ils
traitèrent ainsi un grand nombre de malades,
sur les places et à domicile, et purent en
même temps distribuer des livres qui furent
très bien accueillis.
Quel changement de dispositions
à l'égard des missionnaires! Tout
cela était dû aux pommades, pilules et
poudres prescrites avec sympathie et prière.
Dans un temple, près de la Porte de
l'Ouest, un message d'adieu fut
adressé à une grande foule. Nombreux
étaient ceux qui auraient volontiers retenu
les visiteurs. Mais le temps et l'expérience
leur conseillaient de quitter la ville pendant
qu'ils y étaient bien accueillis, dans
l'espoir d'y revenir plus tard.
Tout au long du voyage, la valeur
des médicaments comme collaborateurs de
l'évangélisation fut
démontrée encore de plusieurs
manières. Le Dr Parker en fut très
encouragé, comme aussi par l'ardent
désir des indigènes d'avoir des
livres et par le nombre relativement
élevé de ceux qui pouvaient les
lire.
Dans son rapport relatant ce voyage,
Hudson Taylor dit avoir distribué, depuis le
commencement de l'année, c'est-à-dire
en trois mois, avec l'aide du Dr Parker, trois
mille exemplaires du Nouveau Testament ou portions
de l'Écriture et sept mille autres livres ou
traités.
La tournée que nous venons
d'achever, ajoute-t-il, a été
particulièrement intéressante, par
suite d'occasions exceptionnelles de voir des
malades et de répandre l'Évangile.
Elle a montré aussi l'utilité des
études médicales pour l'oeuvre
missionnaire.
Nous avons constaté une
fois de plus le besoin pressant d'un hôpital.
En plus d'une occasion, nous aurions pu sauver une
vie, épargner un membre ou hospitaliser des
maladies chroniques si nous possédions le
nécessaire pour cela. J'espère que
vous nous avez adressé des fonds et des
instructions pour acheter un terrain et pour
construire sans retard; car il nous serait facile
d'avoir une activité médicale utile
sans préjudice à notre oeuvre
présente... La porte est largement ouverte,
et personne ne peut la fermer... Puisse la
communion de nos prières et de nos efforts
amener d'abondantes bénédictions
!
Mais, bien que ces comptes rendus et
d'autres encore sur des voyages ultérieurs
eussent suscité beaucoup
d'intérêt en Angleterre, les mille
livres sterling désirées ne venaient
toujours pas. Cette longue attente et cette
incertitude étaient vraiment une souffrance.
C'est alors que le Seigneur, qui connaissait leur
angoisse, leur envoya des dons qui furent pour eux
de précieux encouragements.
L'un, de cinquante dollars, fut fait
au Dr Parker par un Européen de
Shanghaï, en vue de l'achat d'un terrain pour
un hôpital. L'autre, fait directement
à Hudson Taylor, fut le premier qu'il
reçut en dehors de la Société.
Il venait de M. W. T. Berger, de
Saint Hill, près de Londres. Ce fait montre
la sollicitude de Dieu. M. Berger, un membre assidu
des réunions de Tottenham, avait
rencontré une ou deux fois le jeune
missionnaire avant son départ pour la Chine.
Il avait de ses nouvelles par les Howard et par
Mlle Stacey, et les lettres d'Hudson Taylor
stimulaient son intérêt. Il en
résulta un don de dix livres sterling qui
fut utilisé pour couvrir les frais
d'entretien d'un enfant dont les missionnaires
voulaient se charger ; c'était le premier
pas vers la création d'un
internat.
Mais le plan de Dieu ne
s'arrêtait pas là. Si Hudson Taylor
avait pu prévoir combien de centaines et de
milliers de livres sterling lui parviendraient de
la même manière et tout ce qu'il
devait recevoir de M. Berger en fait de conseils,
de sympathie et d'amour fraternel, quelle
n'eût pas été sa surprise! Et
pourtant tout cela, et bien davantage encore,
devait arriver, Wace à Celui qui
réalisait Sa volonté dans la vie de
Son serviteur, comme Il la réalise dans nos
vies aujourd'hui.
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