HUDSON TAYLOR
QUATRIÈME PARTIE
SHANGHAI ET LES
PREMIERS VOYAGES
1854-1855
(de vingt-deux
à vingt-trois ans)
CHAPITRE 20
Premier voyage missionnaire
décembre 1854
On peut imaginer avec quelle ardeur Hudson
Taylor fit les préparatifs de ce premier
voyage dans l'intérieur. Outre des
vêtements et de la literie, il fallait
emballer une bonne provision de médicaments
et d'instruments, pour pouvoir parer à toute
éventualité. Puis il fallait garnir
des paniers de vivres, emporter un poële, des
ustensiles de cuisine et du combustible ; enfin et
surtout, se munir d'un assortiment suffisant de
traités. Le bateau indigène
loué par M. Edkins était grand et
propre, muni d'un mât et d'une voile. La
cabine « était capable d'abriter
suffisamment du vent et de la pluie, sans faire
craindre le manque d'air ». Ils s'y
installèrent aussi commodément que
possible, et, après avoir imploré le
secours et la bénédiction de Dieu,
ils partirent de grand matin, le samedi 16
décembre.
Ils furent absents toute la semaine
suivante et eurent, de ville en ville, de
merveilleuses occasions de prêcher
l'Évangile. Chacune de leurs étapes,
il n'est pas besoin de le dire, resta gravée
dans la mémoire d'Hudson Taylor, depuis les
foules qui les environnaient, jusqu'aux moindres
détails de la vie au fil de l'eau, et
l'aspect du pays plat qui défilait devant
eux avec ses innombrables habitations pour les
vivants et ses tombeaux pour les morts.
La première nuit sur la
rivière fut particulièrement
intéressante. Leur bateau était
ancré au milieu d'une flottille d'autres
barques, en vue d'une protection mutuelle. Ils
étaient enfin tout près du peuple,
comme ils l'avaient désiré depuis
longtemps. Chaque bateau portait une famille et un
équipage, et la conversation allait son
train pendant les préparatifs du repas du
soir. Les missionnaires firent alors un petit
service dans leur cabine, entourés
d'auditeurs attentifs.
Il n'est pas possible de raconter en,
détail tout ce voyage
jusqu'à Kashing ; qu'il
nous suffise de relater quelques scènes
caractéristiques.
Le lendemain de leur départ, nos
voyageurs se trouvaient à Sungkiang,
préfecture située à soixante
kilomètres au sud de Shanghaï.
Là, ils eurent l'occasion de visiter un
pauvre reclus, un « saint » muré
dans une étroite cellule où il vivait
comme enseveli depuis des années. Dans la
cour du temple, la foule écoutait ces
étranges prédicateurs vêtus
d'habits occidentaux. Ils distribuaient des livres
tout en parlant, puis ils furent invités
à se reposer dans le monastère et, en
particulier, à faire visite au « saint
». C'est ainsi qu'Hudson Taylor vit pour la
première fois un de ces malheureux.
Entourés par les prêtres en robes
jaunes, à la tête rasée, ils
furent accompagnés à la cellule. Par
la petite ouverture qui permettait juste de
l'apercevoir, sale, mal peigné, pâle
et silencieux, ils purent lui annoncer la Bonne
Nouvelle. Dans la même ville, un peu plus
tard, ils furent poursuivis par la populace et
poussés jusqu'au bord de la rivière :
ils ne purent s'échapper qu'en sautant
audacieusement dans un bateau qui passait.
Ce même soir, après avoir
fait une nouvelle distribution de traités,
ils se trouvèrent tout à coup au pied
de la Pagode Carrée, monument gris et
imposant qui faisait, depuis près de neuf
siècles, la gloire de Sungkiang. Le
prêtre, consentit à les laisser
entrer. Après le bruit de la foule, ils se
trouvèrent dans l'ombre calme du vieux
temple. Longuement, ils contemplèrent en
silence, du haut de la pagode, les milliers de
maisons serrées sous leurs yeux, et
l'ancienne muraille qui entourait des myriades
d'âmes. En dehors des murs, on voyait encore
des toits, semblables à des tentes, dans la
direction du soleil couchant. Et ce n'était
qu'un seul grand centre. Tout autour
s'étendait la campagne, riche, unie,
constellée à perte de vue de villages
et de hameaux, tandis que des pagodes et des
temples, dans le lointain, annonçaient
l'existence d'autres cités. C'était
la première fois qu'un pareil spectacle
s'offrait aux yeux d'Hudson Taylor. À partir
de ce jour, l'immense population de la Chine prit
pour lui une nouvelle signification.
Je pense que tu me rejoindras
tôt ou tard, écrivait-il à son
ami Benjamin Broomhall. Considère combien tu
pourrais être utile ici. Oh ! pour l'amour de
Celui qui t'a aimé jusqu'à la mort,
quitte tout, suis-Le, engage-toi dans cette oeuvre
si importante !
Un peu plus loin, à Kashan, M.
Edkins put annoncer l'Évangile, dans la cour
d'un temple, à une foule
considérable. Tandis que M. Edkins parlait
du péché, de la justification et du
jugement à venir, Hudson Taylor priait avec
ferveur. Lorsqu'ils eurent terminé, ils
virent s'approcher une imposante procession. Ce
n'était rien moins que le plus haut
magistrat de la ville qui venait en personne les
expulser. Enfin, après lui avoir
exposé leurs intentions et promis de ne pas
s'avancer au delà de la prochaine
préfecture, ils obtinrent la permission de
continuer leur voyage.
« Vos livres sont bons, leur dit le
magistrat, et vous pouvez aller jusqu'à
Kashing, avec quelqu'un de ma suite pour vous
accompagner. »
Il leur donna ainsi deux de ses gardes,
mais il ne semble pas que leur présence ait
mis la moindre entrave à leur
activité.
Kashing, le but de leur voyage,
était la ville la plus ancienne de la
région; ses fondateurs régnaient
vingt siècles avant Jésus-Christ, et
sa muraille actuelle fut construite en l'an 888 de
notre ère. C'était un centre
important de richesse et de culture ; mais vu sa
situation dans l'intérieur,
l'Évangile n'y avait pas encore
été prêché.
Les deux missionnaires se
montrèrent prudents et ne firent, le premier
soir, que distribuer des traités à la
Porte de l'Ouest. Le lendemain matin, ils agirent
de même le long du Grand Canal, et
évitèrent de laisser se former des
attroupements. Mais, dans les îles
situées vers le sud de la ville, ils ne
purent empêcher la foule de les entourer.
Ainsi, comme ils visitaient l'île de
Yen-yü-Leo (maison de fumée et de
pluie), située au milieu du lac et qui
contenait un magnifique palais, ils furent l'objet
de la curiosité
générale.
Avant la fin de notre visite, nous
vîmes un certain nombre de bateaux se diriger
vers nous et bientôt ce fut comme un passage
régulier, du faubourg voisin jusqu'à
notre île. Les gens arrivaient en nombre et
bientôt ceux qui savaient lire furent pourvus
de traités. Puis M. Edkins se mit à
prêcher, et j'eus ensuite une longue
conversation avec ceux qui s'étaient
réunis autour de moi pour avoir des livres.
Bientôt il y eut tant d'auditeurs qu'il nous
fallut monter sur notre bateau, d'où M.
Edkins parla de nouveau à la foule, tout en
distribuant des traités.
L'auditoire augmentant
continuellement, il nous parut plus sage de nous
écarter un peu de l'île, pour
empêcher ceux de derrière de pousser
le premier rang dans l'eau, tant
ils étaient désireux de voir et
d'entendre. Mais ils nous suivirent
immédiatement; au milieu du lac, nous
fûmes entourés de bateaux et
eûmes fort à faire pour fournir aux
nouveaux arrivants des portions de
l'Écriture et des
traités.
Cette distribution dura sans
interruption jusqu'au soir. Ils purent s'entretenir
avec des gens cultivés et des mandarins qui
voulaient en savoir davantage sur le contenu des
livres.
Le lendemain, ils visitèrent
plusieurs petits faubourgs, puis
retournèrent au lac du sud comme la veille.
Les gens revinrent tout de suite et une bonne
partie de la journée fut consacrée
à prêcher, à visiter des
malades, et à distribuer des traités
qui étaient très recherchés.
Pendant l'après-midi, ils passèrent
une heure ou deux dans un temple
célèbre qui contenait plusieurs
idoles de six à neuf mètres de haut.
Du faite de la pagode, tout près, la vue
était impressionnante. Après un
moment de répit consacré à la
prière, ils retournèrent,
rafraîchis, au milieu de la foule et
travaillèrent jusqu'à la nuit. Le,
jour suivant, il pleuvait et le temps fut rempli
par des entretiens avec des personnes
spécialement intéressées. En
les quittant, l'une d'elles leur dit : « Vos
paroles sont vraies et vos livres sont vrais. C'est
une bonne doctrine. »
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