HUDSON TAYLOR
PREMIÈRE
PARTIE
LA FAMILLE ET LES
ANNÉES D'ENFANCE
1776-1849
(jusqu'à
l'âge de dix-sept ans)
CHAPITRE 5
L'œuvre accomplie de
Christ
1843-1849
Les années d'enfance s'écoulaient
et Hudson approchait, sans s'en rendre compte, de
la crise décisive de son existence.
C'était maintenant un beau jeune
homme de dix-sept ans, paraissant avoir peu de
soucis. Pourtant, il traversait une période
de luttes intérieures. Il avait vu
maintenant autre chose qu'un foyer chrétien,
il avait pris contact avec le monde. Ses nouvelles
expériences l'avaient amené à
penser par lui-même, à se créer
une vie plus indépendante, et il ne parvint
à la paix que le jour où il apprit
à se confier dans une force
supérieure à la sienne.
Son trouble intérieur semble
avoir commencé dès l'âge de
onze ans, avec son entrée dans la petite
école de M. Laycock, un ami de sa famille.
Il s'intéressait beaucoup à ses
études, que sa santé l'obligeait
malheureusement d'interrompre souvent, prenait
grand plaisir aux jeux et aux sports, et
était très aimé de ses
camarades. Cependant ce fut à cette
époque que sa vie religieuse commença
à fléchir et qu'il finit par perdre
la paix avec Dieu. Sa foi d'enfant
s'évanouit et, malgré les
prières de sa mère, il fut dans le
plus grand désarroi intérieur pendant
six longues années. Il essayait de « se
faire chrétien », mais tous ses efforts
n'aboutissaient à rien, qu'à le
désespérer. Bien jeune il
éprouvait combien l'avertissement du
Maître est vrai : « Sans moi, vous ne
pouvez rien faire. »
Qu'elles sont difficiles, ces
étapes de onze à dix-sept ans! Des
problèmes angoissants se posent, des
perspectives inattendues s'entr'ouvrent, des
espérances et des craintes
irraisonnées troublent le cœur du jeune
homme. Ce sont des années solitaires,
où l'on manque de confidents ; des
années où Dieu est plus
nécessaire que jamais, mais où le
premier éveil des tentations, les
premières séductions du monde, les
premiers murmures du doute empêchent de Le
contempler. Ce qu'il faudrait à un coeur de
jeune homme ou de jeune fille qui
traverse une de ces crises, c'est la sympathie
d'une personne plus âgée.
Hélas! elle fait souvent défaut, et
l'on ne comprend pas les jeunes ; le plus souvent,
elle ne peut venir que de Dieu. Pensons aux besoins
spirituels des enfants et des jeunes gens, et
surtout prions, car Dieu seul peut nous donner
à propos la parole salutaire..
Une telle parole fut dite à
Hudson Taylor l'année même de son
entrée à l'école et ne sortit
plus de sa mémoire. C'était dans une
réunion religieuse tenue près de
Leeds en 1844. L'un des orateurs, Henry Reed,
raconta au cours de son allocution l'histoire d'un
condamné à mort, nommé
Gardener, qu'il avait assisté à ses
derniers moments. Condamné pour meurtre, cet
homme avait longtemps nié pour finir par
faire des aveux complets. Il en résultait
que, juste avant de commettre son crime, il avait
eu une conscience plus nette que jamais de la
présence de Dieu et des appels du
Saint-Esprit. Il avait entendu une voix lui dire
sérieusement : « Gardener, donne-moi
ton cœur. » À plusieurs reprises la
voix avait parlé, et il avait eu la
certitude d'un appel divin. Mais désireux de
s'enrichir, il y était resté sourd,
non sans hésitations. Le soir même, il
avait eu l'idée de tuer, pour le voler, un
ami qui lui témoignait de la confiance, et
après trois jours de
préméditation, il avait
perpétré son crime.
Cette histoire fit la plus vive
impression sur le jeune homme qui, en rentrant chez
lui, entendit aussi une voix qui lui disait :
« Mon fils, donne-moi ton cœur. » Mais
aucun changement ne se produisit.
À treize ans, il quitta
l'école, et son père le prit comme
aide à la pharmacie, ce qui lui permettait
en même temps de diriger lui-même ses
études. À cette époque, la
lecture d'un petit traité religieux lui fit
beaucoup de bien. C'était l'histoire d'un
pauvre homme, un peu simple d'esprit, qui n'avait
jamais pu saisir qu'une grande
vérité, mais l'avait saisie à
fond, et y avait trouvé la joie. « Le
pauvre Joseph, répétait-il, est le
plus grand des pécheurs. Mais
Jésus-Christ est venu dans le monde pour
sauver les pécheurs. Pourquoi ne
sauverait-il pas le pauvre Joseph ? » Hudson
saisit ce jour-là, plus clairement que
jamais, la simplicité de la foi, il revint
à Dieu et retrouva la paix pour un temps.
Mais cette conversion ne fut pas durable, il semble
même ne pas avoir
considéré par la suite que ce
fût véritablement une conversion. De
toute façon, elle ne résista pas
à l'épreuve lorsque, peu
après, il se trouva plongé dans une
atmosphère mondaine et
incrédule.
Cette expérience fâcheuse
commença en 1847 quand, à l'âge
de quinze ans, il entra comme employé
débutant dans une des meilleures banques de
Barnsley. Une occasion s'étant
présentée, son père voulut
qu'il en profitât, pressentant qu'une
formation commerciale lui serait toujours utile
plus tard.
La routine quotidienne dans laquelle il
entra lui fut certainement de grand profit en le
préparant pour ses responsabilités
futures. Il apprit la comptabilité et la
correspondance commerciale et comprit l'absolue
nécessité de la rapidité et de
l'exactitude dans les affaires. Mais, du point de
vue spirituel, il n'était pas affermi en
Christ et fut aisément entraîné
par l'impiété de ceux qui
travaillaient avec lui.
En effet, la plupart de ses camarades de
bureau étaient mondains et la religion
était tournée en ridicule. Hudson
tomba notamment sous l'influence d'un
employé plus âgé qui,
malgré son amabilité, était
une compagnie dangereuse pour lui. Il ne perdait
pas une occasion de rire de ce qu'il appelait
« les idées à la vieille mode
» d'Hudson.
Il est bien difficile, lorsque le coeur
est gagné par les plaisirs de ce monde, de
maintenir les formes extérieures de la vie
chrétienne. Hudson tenta pourtant de le
faire pendant un certain temps. Les « devoirs
religieux » ne pouvaient cependant le
satisfaire ; ils n'étaient qu'un
misérable succédané de la
vraie piété.
Plus tard, rappelant ce temps-là,
il écrivait:
Je commençai à donner
trop d'importance aux choses de ce monde et
à négliger la prière
personnelle. Les devoirs religieux devinrent
ennuyeux, et je déchus de la grâce.
Mais Dieu, dans sa miséricorde infinie,
permit que ma vue s'affaiblit, et j'eus ainsi
à quitter la banque.
Ce fut sans doute une grande
déception pour le jeune homme si non pour
ses parents. Le travail supplémentaire
à la lumière artificielle avait
amené une sérieuse inflammation des
yeux. Le mal étant rebelle aux soins, il fut
obligé de quitter son travail
après un stage de neuf
mois. Il retourna alors aux occupations plus
variées d'assistant dans la pharmacie
paternelle.
Mais l'état d'esprit
fâcheux dans lequel il était
tombé se maintint longtemps après son
départ de la banque. Sa vue
s'améliorait et, extérieurement, tout
allait bien car la grâce prévenante de
Dieu le préserva de commettre ouvertement le
mal. Mais intérieurement il demeurait
incrédule et rebelle. Parfois il sentait
lui-même qu'il était dans une
situation coupable, dangereuse. Il cherchait
l'issue en luttant, mais en vain. D'autres fois il
essayait de croire que ses camarades de bureau
avaient raison et que, réellement, il n'y
avait ni Dieu, ni au-delà.
Il y a quelque chose de très
touchant dans la manière dont Hudson Taylor
raconte ses expériences qui montrent les
exercices d'âme par lesquels des jeunes gens
apparemment insouciants peuvent passer à
l'insu de ceux qui les entourent.
J'avais souvent essayé de
me faire chrétien, et naturellement j'avais
échoué dans mes efforts. J'en vins
à penser que, pour une raison ou pour une
autre, je ne pouvais pas être sauvé et
que le mieux que je pouvais faire était de
profiter de ce monde puisqu'il n'y avait pas
d'espérance pour moi au delà de la
tombe. C'est dans ces dispositions que j'entrai en
contact avec des sceptiques et des gens
irréligieux. J'acceptai avec empressement
leurs idées, trop heureux de trouver quelque
espoir d'échapper à la perdition qui
attend les impies si mes parents avaient raison et
si la Bible était vraie.
À la maison, cette crise
n'échappait pas à ses parents. Son
père, tout en voulant l'aider, manquait de
patience ; sa mère le comprenait mieux et
redoublait de tendresse et de prières ;
seule, sa sœur Amélie, âgée
maintenant de treize ans, demeurait sa confidente ;
elle priait pour lui trois fois par jour. C'est
ainsi qu'après bien des échecs,
tiraillé par le doute,
désappointé dans toutes ses
aspirations et dans tous ses projets, mais soutenu
par l'affection de quelques coeurs aimants, qui
connaissaient leur Dieu, Hudson Taylor approchait
de la crise de sa vie.
Cela semblera peut-être
étrange, écrivait-il plus tard, mais
je puis dire que je suis reconnaissant des
expériences faites durant, ce temps
d'incrédulité. Les
inconséquences des chrétiens qui font
profession de croire à la Bible, tout en
vivant comme si elle n'existait pas, fournissaient
à mes camarades incrédules un de
leurs plus forts arguments. Et j'ai souvent senti
et dit, dans ce temps-là, que si je
prétendais croire les
Écritures, j'essaierais à tout prix
de vivre d'après elles, de les mettre
à l'épreuve. Si elles
n'étaient pas trouvées vraies, je les
jetterais sans hésiter par-dessus bord. J'ai
conservé cette manière de voir quand
il a plu au Seigneur de m'amener à la
lumière et au salut. je crois pouvoir dire
que j'ai mis la Parole de Dieu à
l'épreuve; elle ne m'a jamais trompé.
je n'ai jamais eu à regretter la confiance
que j'avais mise en ses promesses ou à
déplorer de m'être laissé
guider par ses directives.
Laissez-moi vous dire comment Dieu
répondit aux prières de ma
mère et de ma sœur pour ma conversion. Un
jour que je n'oublierai jamais, ma mère
était absente, à cent
kilomètres de la maison, et j'avais
congé. L'après-midi, je cherchais un
livre dans la bibliothèque de mon
père, pour m'occuper. Je finis par choisir
un petit traité qui paraissait
intéressant, en me disant : Il y aura une
histoire au commencement, et une morale à la
fin, je lirai la première et laisserai la
seconde. je me mis à lire, avec l'intention
de poser le traité dès qu'il
deviendrait sérieux...
Je ne savais pas alors ce qui se
passait dans le cœur de ma mère. Elle se
leva de table à ce moment-là avec un
désir intense de voir son, fils se convertir
et sentant qu'absente de chez elle et ayant plus de
temps que d'ordinaire, elle avait là une
occasion particulière de plaider avec Dieu
pour mon salut. Elle se retira dans sa chambre,
ferma la porte à clef, et décida de
ne pas sortir avant d'avoir obtenu l'exaucement.
Elle intercéda pendant des heures, jusqu'au
moment où elle put bénir Dieu : car
Il lui révélait par son Esprit que la
conversion de son fils était maintenant un
fait accompli...
De mon côté, tout en
lisant le petit traité dont j'ai
parlé, je fus frappé par ces mots :
« L'œuvre accomplie de Christ. »
Pourquoi, me, demandai-je, l'auteur emploie-t-il
cette expression? Pourquoi ne dit-il pas l'œuvre
expiatoire ou propitiatoire de Christ ?
Aussitôt la parole : « Tout est accompli
» se présenta à mon esprit.
Qu'est-ce qui est accompli ? je répondis
aussitôt : une complète expiation, une
satisfaction parfaite pour nos
péchés. Christ est mort pour nos
péchés et non seulement pour les
nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier.
Aussitôt me vint une nouvelle pensée :
Si toute l'œuvre est accomplie et la dette
payée, que me reste-t-il à faire ?
À l'instant même resplendit dans mon
âme, avec la lumière du Saint-Esprit,
la joyeuse conviction que rien ne restait plus
à faire, sinon tomber à genoux,
accepter ce Sauveur et son salut, et Le louer
à jamais...
Ainsi, tandis que ma mère
louait Dieu dans sa chambre, je le louai de mon
côté dans le vieux magasin où
je m'étais établi pour lire. je
laissai passer plusieurs jours avant d'oser confier
ma joie à ma sœur, et lui fis promettre
d'abord de ne révéler à
personne le secret de mon âme. Lorsque ma
mère revint, une quinzaine plus tard, je
courus au devant d'elle jusqu'au seuil pour lui
dire que j'avais de bonnes nouvelles à lui
annoncer. Je la sentirai toujours me saisir dans
ses bras. et me dire : « Je sais, mon enfant.
Depuis quinze jours, je suis heureuse des bonnes
nouvelles que tu as à m'apprendre. »
« Comment, dis-je, surpris,
Amélie a-t-elle manqué à ses
promesses ? » Ma mère m'expliqua alors
ce que j'ai raconté plus haut, et vous serez
d'accord avec moi que ce fait serait
étrange, si je ne croyais pas au pouvoir de
la prière...
Mais ce ne fut pas tout. Quelque
temps après, un carnet semblable à
ceux dont je faisais usage tomba entre mes mains.
Je l'ouvris, croyant qu'il m'appartenait. Les
lignes qui frappèrent mon regard
étaient une introduction à un petit
journal de ma soeur. Elles mentionnaient sa
résolution de prier
régulièrement chaque jour pour la
conversion de son frère jusqu'à ce
que Dieu accordât l'exaucement. Or,
c'était exactement un mois après le
jour où elle avait écrit ces paroles
que Dieu me fit passer des ténèbres
à la lumière.
Elevé comme je l'ai
été, et sauvé dans de
pareilles circonstances, il est sans doute naturel
que, dès le début de ma vie
chrétienne, j'aie senti que les promesses de
Dieu sont véritables et
considéré la prière comme une
affaire que l'on traite avec Dieu, pour
soi-même ou pour les autres.
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