Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

La Vie religieuse en Occident aux Xe et XIe siècles.

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Triste était la situation de l'Église d'Occident au début du Xe siècle, au milieu des ruines accumulées par les invasions. Que de monastères dévastés et que d'écoles fermées ! La chrétienté était secouée aussi par les conflits si fréquents qui dressaient, en Allemagne surtout, les seigneurs contre le pouvoir royal, et qui les jetaient les uns contre les autres en une scandaleuse furie de pillage et de spoliation. L'Église soutint contre eux les classes rurales qu'ils opprimaient, et en Aquitaine, en Languedoc et en Bourgogne, ses conciles protestèrent contre leurs déprédations et les menacèrent d'anathème ; mais, contaminée elle-même par la possession des biens matériels avec ses prêtres auxquels des laïques donnaient l'investiture, elle était impuissante. « Comment un clergé, tombé à cet état de honteuse dégradation, aurait-il pu réagir contre les moeurs féodales qu'il a faites siennes » (1) ?

Tandis que, dans la France divisée, les évêques devenaient les sujets de plus en plus dépendants des princes, en Allemagne ils secondèrent la royauté, en lutte contre les seigneurs. Sous Louis IV l'Enfant, ils détinrent même le pouvoir. Parmi eux se distinguaient les deux parrains de ce roi, Adalbert d'Augsbourg et Hatton, archevêque de Mayence. Ils aidèrent aussi Conrad 1er (911-918) dans sa résistance à la féodalité. Otton le Grand, qui connaissait leur loyalisme, leur conféra des pouvoirs croissants : dignité de comte, juridiction plus étendue, droit de percevoir des douanes, de tenir des marchés et de battre monnaie. Ils devenaient ainsi des souverains territoriaux. Brunon, frère d'Otton, fut nommé archevêque de Cologne et gouverneur de Lorraine la même année (953). Une autre grande figure fut Ulrich, évêque d'Augsbourg (mort en 973), canonisé au synode du Latran (993). Les évêques continuèrent à soutenir Otton II, et, à sa mort (983), Willigis, archevêque de Mayence, et ses collègues contribuèrent à assurer à Otton III, encore enfant, la succession au trône paternel.

Un trait saillant de l'épiscopat, à cette époque, fut son indépendance à l'égard de la papauté. Le cas de Gerbert est significatif à cet égard. Ce personnage éminent, professeur à Reims, puis abbé de Bobbio, fut évincé du poste d'archevêque de Reims, laissé vacant par la mort d'Adalbéron dont il avait été le secrétaire et le conseiller politique. Hugues Capet y avait appelé Arnulf, bâtard de Lothaire III, qui le récompensa en le trahissant. Le synode des évêques du diocèse de Reims déposa le nouveau titulaire sans recourir au pape, malgré les prescriptions des Fausses Décrétales (991). On manqua à la règle, observent les Actes de ce synode, a cause de l' « indignité des papes de l'époque (monstra hominum ignominià plena ). Gerbert fut nommé, mais le dernier mot devait rester plus tard à Grégoire V, comme nous l'avons déjà raconté.

En Allemagne, on constate aussi la résistance des évêques à la souveraineté du Saint-Siège. Le plus ardent fut Willigis, qui s'irrita contre Otton III, trop disposé à laisser le pape s'immiscer dans les affaires de son Église. Sous Henri Il (1002-1024), il y eut conflit entre les évêques allemands, réunis à Goslav (1019), et le synode de Pavie qui avait été convoqué, par cet empereur et le pape Benoît VIII. Ce synode avait interdit le mariage des prêtres et refusé à leurs enfants le titre d'homme libre et le droit d'hériter des biens d'Église. D'accord avec lui sur cette seconde décision, les évêques allemands refusèrent d'approuver la première. Dans le conflit entre Benoît VIII et Aribon, archevêque de Mayence, à propos du mariage du comte Hammerstein conclu sans respecter le droit canonique, ils soutinrent leur collègue, tandis que l'empereur se prononçait en faveur du pape. En 1023, un synode présidé par Aribon, défenseur des conceptions d'Otton 1er, ayant décidé que les cas d'appel à Rome ne seraient valables qu'après l'accomplissement de la pénitence selon l'usage allemand, le pape ôta le pallium à l'archevêque. Ce conflit s'atténua après la mort de Benoît VIII et d'Henri II, et il fut réglé par Conrad Il en 1027.

Un autre trait de l'épiscopat, au XIe siècle, en Allemagne surtout, fut sa préoccupation réformatrice. Les évêques se consacrèrent au service de la civilisation et de l'État, et ils surent en général relever le niveau moral et matériel de leurs diocèses, non sans apprécier la valeur des biens terrestres. Les plus distingués d'entre eux furent Willigis, d'abord chancelier d'Allemagne, puis (de 975 à 1011) archevêque de Mayence, dont il éleva la première cathédrale (incendiée en 1009), et enfin archichancelier d'Allemagne et d'Italie ; Bernward, d'Ildesheira (993-1022), qui construisit des églises en Basse-Saxe, en particulier celle de Saint-Michel dans sa propre ville ; Burchard, de Worms (1000-1025), précepteur de Conrad Il et auteur d'un recueil de canons ecclésiastiques (2) en vingt volumes (Liber Decretorum collectorum).

Sous le règne de Conrad II, l'esprit réformateur ne resta pas inactif. La simonie fut combattue, en particulier par Pierre Damien (1007-1072), moine, prieur, puis abbé à Sainte-Croix de Fonte Avellana, près de Gobbio. Il dénonça, non sans outrance, au monde chrétien, et tout d'abord au pape, dans ses lettres (Epislolae, Migne, T. 144), son Liber Gomorrhianus fit son De coelibalu sacerdotum, les désordres du clergé de son temps, et il restaura la discipline la plus sévère et la piété la plus ardente. Le même esprit animait le fougueux cardinal Humbert, auteur de l'Adversus Simoniacos, Poppon, qui réforma le couvent de Saint-Gall, Jean Gualbert, fondateur, dans une vallée des Apennins, de l'Ordre de Valombreuse, branche bénédictine qui ne s'étendît guère en dehors de l'Italie. Parmi les évêques de cette époque, notons Bruno, évêque de Wurzbourg, cousin de Conrad II, qui écrivit un traité catéchétique estimé.

Sous Henri III (1039-1056), la tendance réformatrice s'accentua, favorisée par cet empereur, qui avait pour conseiller Hugues, abbé de Cluny, et resta en rapports suivis avec Pierre Damien. Elle s'exprima dans plusieurs décisions synodales, en 1049, aux assemblées de Reims (contre la simonie), et de Mayence (contre la simonie et le mariage des prêtres), et plus tard dans les synodes de Rome (1059), de Tours et de Vienne (1060). Elle se traduisit surtout par une recrudescence d'ascétisme, due en partie au pessimisme causé par les souffrances des invasions barbares. Ce qui le caractérisa, ce fut la rigueur de la discipline, l'immensité de sa puissance économique et sociale, fruit d'une administration vigilante, son indépendance vis-à-vis des laïques et des évêques et son union étroite avec la papauté.

Le signal en fut donné en France par Guillaume, duc d'Aquitaine, surnommé le Pieux. Désireux de mettre un terme aux abus des couvents et d'assurer son propre salut, il fonda, en 910, le monastère de Cluny (Cluniacum), dans le comté de Mâcon (3).

Il en confia la direction à Bernon, abbé de Beaune, d'une famille noble, qui s'était déjà signalé en rétablissant une stricte discipline dans divers couvents. Cluny fut placé sous la protection des apôtres Pierre et Paul, c'est-à-dire soumis exclusivement au Saint-Siège. Le pape Jean XI sanctionna ce privilège (931). Le monastère garda le droit, prescrit par Guillaume, de choisir son abbé. La règle en vigueur était celle de saint Benoît, complétée, et à certains égards adoucie, par le capitulaire d'Aix-la-Chapelle (816) et les prescriptions de Benoît d'Aniane. Ce ne fut qu'au XIe siècle que l'on rédigea les antiques coutumes (antiquiores consuetudines) de Cluny (4). Elles prescrivaient l'obéissance absolue à l'abbé, le silence, une vie partagée entre le travail et les exercices d'une piété sévère, la pureté des moeurs, la charité et l'hospitalité. Les travaux manuels y étaient moins recommandés que ceux de l'esprit. La lecture des classiques était conseillée, une bibliothèque fut constituée. Des écoles d'enfants s'attachèrent à perpétuer les tendances de l'institution. Défense d'admettre au couvent des jeunes hommes âgés de moins de vingt ans, des vieillards infirmes ou des gens de moeurs grossières.

Bernon fut remplacé par Odon (926-942). À cette époque, dix-sept monastères du nord et du sud de la France, ainsi que d'autres situés en Italie, furent ouverts ou réformés selon la règle de Cluny. Le pape Léon VII et Albéric de Spolète favorisèrent ce mouvement qui s'affirma au couvent de Marie, du mont Aventin, où les abbés de Cluny étaient reçus à leur passage à Rome. Parmi ces monastères, l'abbaye de Fleury, à Saint-Benoît sur Loire, réformée entre 930 et 939, se distingua par son indépendance à l'égard de Cluny. Elle devint même un second centre de rénovation monastique.

Les successeurs d'Odon furent Aymar, Majolus, très estimé d'Otton 1er et propagateur de la réforme clunisienne en Allemagne, et Odilon (994-1049), qui, au XI, siècle, répandit le mouvement en Espagne. La concentration, commencée sous la direction des « archiabbés » de Cluny, fut renforcée par Hugues 1er (1049-1109). Il développa l'institution des assemblées générales de prieurs, dont les débuts dataient d'Odilon, mais qui ne devaient pas avoir de sanction officielle avant le XIIIe siècle. L'Allemagne, avec le prieur Ulrich et l'Angleterre, eurent des monastères fédérés avec Cluny. Le XIe siècle fut leur âge d'or. La Congregatio cluniacensis formait une véritable Église, indépendante de l'épiscopat et protégée par le Saint-Siège, dont elle fut un ferme appui. C'est à Cluny, avec Odilon, que se forma Hildebrand quand il fut revenu d'Allemagne après la mort de Grégoire VI. On doit à son influence, en particulier à celle d'Odilon, la grande institution de la Trêve de Dieu, qui interdisait de guerroyer du mercredi soir au lundi matin, ainsi que les jours de grande fête pendant l'Avent et le Carême. L'Aquitaine fut la première à adopter ce pacte (synode de Limoges, 1031), à la suite de la grande famine de 1028-1030. Il s'étendit en 1040, quand, au synode de Marseille, le clergé français invita celui d'Italie à l'observer.

« On a longtemps attribué à Cluny, dit Fliche, le mérite d'avoir conçu la réforme générale de l'Église à laquelle Grégoire VII a attaché son nom. En réalité, la réforme clunisienne est exclusivement monastique. Ses abbés ont jeté au milieu de l'émiettement général et dans l'atmosphère empoisonnée, un principe d'unité et un esprit de sainteté, ... mais ils n'ont visé en aucune façon à libérer le Saint-Siège du joug aristocratique ou impérial, ni à affranchir l'Église de la tutelle laïque... On a même pu reprocher à plusieurs d'entre eux leur excessive complaisance pour certains souverains » (Chrétienté, p. 269, 271).

En dehors du vaste mouvement de Cluny (5), le monachisme se développa en Lorraine. Gérard de Broigne fonda dans ses domaines, en 914, le monastère de Broigne (Bronium, Saint-Gérard près de Namur). Il y introduisit la règle bénédictine et en devint abbé, et, sur la demande de seigneurs lorrains et flamands, pleins d'admiration pour sa sainteté, il répandit cet esprit dans plusieurs couvents, comme celui de Bavon, à Gand (6). En Haute-Lorraine, le monastère de Gorze fut relevé (933). Ce mouvement fut favorisé par certains évêques, tels qu'Adalbert 1er, de Metz, et Brunon, de Cologne. On y remarque un ascétisme plus prononcé qu'à Cluny et la prédilection pour la vie d'ermite. Ce qui caractérise le monachisme de ce pays, c'est que, à l'inverse de Cluny, il n'a pas été affranchi de la juridiction épiscopale. De plus, en désaccord avec l'obéissance à l'empire pratiquée par cet Ordre illustre, il a posé en principe la supériorité du pouvoir spirituel sur le temporel. Telle fut la thèse de Rathier, de Liège, dans ses PraeIoquia (935), et, un siècle plus tard, celle du célèbre Wason, de Louvain. En 1046, prié de donner son avis sur la culpabilité de Widger, métropolitain de Ravenne, traduit devant un synode à Aix-la-Chapelle, il fit, devant l'empereur Henri III, cette déclaration : « Ses négligences ou infidélités d'ordre séculier relèvent de vous, mais ses fautes d'ordre ecclésiastique relèvent uniquement du souverain pontife. » La même année, après la déposition du pape légitime, Grégoire VI, il affirma devant l'empereur qu'il n'avait pas qualité pour juger le pape, justiciable de Dieu seul.

En Angleterre, l'ascétisme reçut une vive impulsion du moine fanatique Dunstan, qui finit par devenir archevêque de Cantorbery (959). Encore simple moine, il s'était insurgé contre le roi Edwy, coupable d'avoir épousé un de ses parentes à un degré prohibé. Il souleva le clergé et le peuple, et, après avoir fait subir à la reine les traitements les plus durs, il déposa le souverain pour le remplacer par Edgar (959-975), qui lui fut servilement dévoué. C'est sur ses conseils impérieux que ce roi fonda des écoles et favorisa l'ascétisme. Duncan fit remettre en vigueur le célibat des prêtres et remplacer par des moines ceux qui refusaient de se séparer de leurs compagnes. Il introduisit dans les nouveaux couvents la règle bénédictine, à laquelle il s'était initié, semble-t-il, pendant son exil au couvent de Blandigny, près de Gand. D'autre part, il ne négligea pas les mesures propres à accroître et à assurer la prospérité foncière de ses fondations.

En Italie, sous l'action de plusieurs moines grecs et celle du Calabrais Nil, prédicateur de la repentance, et de Romuald, de Ravenne, de nouveaux Ordres monastiques surgirent vers la fin du Xe siècle.

Romuald était un jeune noble, qui se fit moine pour expier un crime commis par son père. Anachorète, il vécut tour à tour près de Venise, à Saint-Michel-de-Cusan, couvent de l'Ordre de Cluny près de Perpignan, et aux environs de sa ville natale, à Saint-Apollinaire in Classe, où il rénova l'ancienne vie érémitique. En 1012, il fonda un petit établissement de cinq ermites à Camaldoli (campus Maldoli), sur un sommet retiré des Apennins, non loin d'Arezzo. D'autres groupements se formèrent. En 1072, Alexandre Il devait sanctionner ce mouvement sous le nom d'Ordre des Camaldules.

Alourdissant la règle de saint Benoît, cette congrégation se distingua par la rigueur de ses mortifications. Elle prêcha dans toute l'Italie le néant des biens terrestres et donna une vigoureuse impulsion à la pénitence et à la confession. Son influence devait être grande sur Otton III, qui visita Nil à Gaète, nomma Romuald abbé de Saint-Apollinaire et séjourna quelque temps à Rome avec lui (de 1000 à 1002).

Malgré sa médiocrité et ses épreuves, l'Église d'Occident poursuivit, aux Xe et XIe siècles, son oeuvre d'évangélisation.
Les missions entreprises en Danemark par Ansgar et Rimbert trouvèrent un animateur dans Unni archevêque de Hambourg (918-936), lorsque les victoires d'Henri l'Oiseleur eurent amené le prince danois Chnuba à se faire baptiser (934). Pourtant, il ne réussit pas à faire adopter officiellement le christianisme. Son successeur, Adaldag (937-988), consacra trois évêques pour les trois évêchés suffragants de Hambourg, constitués par Otton 1er. Harald, « à la dent bleue » (mort vers 985), reçut le baptême et laissa la foi chrétienne se propager dans les îles danoises. En 988, un évêque fut établi à Odensee, dans l'île de Fionie. Après une réaction païenne causée par Sven, fils de Harald, et une période de stagnation évangélique sous le règne temporaire en Danemark d'Erie de Suède, les missions reprirent l'avantage avec la décision de Sven, revenu en 995, de les favoriser pour assurer sa paix avec Olaf, souverain chrétien de Suède.

En Norvège, elles s'implantèrent sous le règne de Haakon le Bon (mort en 961). Vers 980, sur l'initiative de Harald « à la dent bleue », des missionnaires s'y rendirent, mais l'oeuvre ne prospéra qu'avec l'activité des prêtres anglo-saxons appelés par le roi Olaf Trygvesson (995-1000), qui avait été baptisé en Angleterre. Ce fut sous son règne que les Orcades, Shetlands, Hébrides, Feroë, ainsi que l'Islande et le Groënland, furent évangélisés. Le christianisme fut soutenu énergiquement par un autre souverain, Olaf Haraldsson le Gros (1015-1030), regardé comme un saint, et par son fils, Magnus le Bon. En Suède, il prospéra sous l'action surtout d'évangélistes anglo-saxons. Le premier évêché y fut fondé vers 1014. L'influence de l'Église anglaise en Scandinavie redoubla sous Knut le Grand, qui réunit sous sa domination l'Angleterre, le Danemark, et, en 1028, la Norvège, et, avec sa protection, elle créa les évêchés de Seeland, Fionie et Schonen, dont les titulaires furent consacrés par l'archevêque de Cantorbéry. Cependant, Unwan de Hambourg (mort en 1029), invoquant le droit de cette ville et celui de Brême d'évangéliser la Scandinavie, put faire reconnaître son titre de métropolitain de cette contrée. Après lui, Adalbert (mort en 1072) s'efforça d'assurer la dépendance de ce pays vis-à-vis de l'Église de Hambourg, en écartant l'influence anglaise. Mais le pape Léon IX n'était pas disposé à constituer le patriarcat qu'il demandait et Adalbert dut se contenter du titre de vicaire papal (1053). L'État allemand, en effet, n'était plus assez puissant pour faire prévaloir ses prétentions. Au reste, la dévastation de ce diocèse par les Wendes leur porta le coup fatal (1066). Les Églises de la Scandinavie prirent alors un développement purement national, sous la dépendance directe de Rome.

Au nord-est, la mission chez les Wendes (sur le cours moyen de l'Oder) fut encouragée par Otton 1er, désireux d'y assurer ses conquêtes. L'un de ses premiers envoyés fut le moine Boso, de Saint-Emineram à Regensbourg. En 948 furent créés deux évêchés suffragants du siège de Mayence. Un autre fut fondé, à la même époque, à Stargard (près de Stettin). En 968, Otton dota le pays wende d'un archevêché, celui de Magdebourg, dont le premier titulaire fut Adalbert, ancien missionnaire en Russie. D'autres évêchés, suffragants de Magdebourg, furent créés. Seul, celui d'Oldenbourg (transféré en 1158 à Lubeck) dépendit de Hambourg. Mais un terrible soulèvement des Wendes, en 983, vint ébranler cette oeuvre, et, en dépit du succès passager de la mission organisée par Gottschalk (après 1043), elle fut anéantie par une nouvelle insurrection qui coûta la vie à ce noble prince (1066). Elle ne devait être reprise qu'au XIIe siècle.

La mission parmi les Tchèques ne commença qu'après l'établissement d'une souveraineté franque en Bohême. En 845, quatorze seigneurs de ce pays se firent baptiser à Regensbourg, et il fut rattaché à cet évêché. Cependant, comme il subsistait un fort parti bohémien opposé à la fois aux Allemands et au christianisme, l'Église de Bohême fut adjointe temporairement à celle de Moravie. Des prêtres de cette dernière contrée, disciples de Méthodius, y répandirent la liturgie slave. Mais à la fin du IXe siècle, la Bohême reconnut la souveraineté allemande et se rattacha de nouveau à l'évêché de Regensbourg. En 950, Boleslav, qui avait assassiné son frère, le duc Wenceslas, le saint le plus populaire de la Bohême, se soumettre à Otton 1er, et son fils, Boleslav II, encouragea l'organisation des Églises dans son pays. D'accord avec l'évêque de Regensbourg, l'évêché de Prague fut fondé en 975 comme suffragant de Mayence et confié au Saxon Deothmar. Otton III, désireux de se concilier le sentiment national, nomma plus, tard à ce poste le Tchèque Wortech, appelé aussi Adalbert. Cet évêque, d'esprit très monacal et même utopique, se retira (vers 988) au mont Cassin, et, contraint de regagner son diocèse sur l'ordre du pape et de son archevêque, s'enfuit à Rome l'année suivante. Il fut rappelé encore, mais Prague refusa de le recevoir. Il alla évangéliser les païens de Prusse, sous la protection du roi de Pologne, et il y fui tué par un prêtre idolâtre (997). Son corps fut enseveli à Gnesen (Pologne) et ramené à Prague en 1039.

En Pologne, le christianisme fit quelques progrès avec le baptême du duc Miseco, qui avait reconnu la souveraineté allemande (963). Posen devint le siège d'un évêché, subordonné à l'Église de Magdebourg. En l'an 1000, Otton III, désireux d'honorer la mémoire de son ami Adalbert, érigea à Gnesen un archevêché polonais indépendant, avec trois évêchés suffragants. Boleslav le Brave, fils de Miseco, protégea les chrétiens de son pays, mais, en se proclamant roi (vers 1025), il les détacha de l'Église allemande au profit de Rome. Posen fut relié à l'archevêché de Gnesen (1035). Cette indépendance vis-à-vis de l'Allemagne devait subsister.

En Hongrie, après la grande victoire du Lech (955) qui brisa les invasions hongroises en Occident, l'Église s'efforça de regagner le terrain perdu. Salzbourg et Passau se partagèrent cette mission. L'évêque Pilligrim, de cette dernière ville, envoya dans ce pays des prêtres allemands, que soutint le moine Wolfgang, évêque de Regensbourg à partir de 972. L'oeuvre fut encouragée par le duc Geisa, mari d'une princesse chrétienne, désireux de s'appuyer sur l'empire allemand. À la fin du Xe siècle, son fils, le duc Waik, appelé plus tard Étienne le Saint (997-1038), époux de Gisèle, fille d'Henri II de Bavière, se fit baptiser et il donna à la Hongrie son organisation politique, caractérisée par la division en « comitats » (comtés), et sa constitution ecclésiastique autonome avec un clergé formé à l'école d'Adalbert. En l'an 1000, Otton III accepta que l'Église hongroise fût indépendante de celle de l'Allemagne, et qu'un archevêché fût fondé à Grau (Strigonium), avec dix évêchés suffragants. Comme celle de Pologne, elle releva directement du Saint-Siège. En 1001, Étienne se fit poser sur la tête un diadème royal béni par le pape Silvestre II, symbole de l'accession de son peuple. au rang de pays civilisé.




Le XIe siècle, au lendemain de l'an mil, dont la crainte avait paralysé tout élan de construction, fut le début d'une longue période d'architecture (7). Les moines en donnèrent le signal en bâtissant de beaux cloîtres, et les évêques rivalisèrent avec eux en encourageant l'érection des cathédrales. Elles furent l'oeuvre, d'ailleurs, non des chefs religieux, mais des peuples. Les femmes d'Ulm donnèrent leurs bijoux pour achever celle de leur ville, et celle de Cologne fut élevée aux frais des Allemands de tous pays. Les cathédrales du Moyen-Age ont été vraiment l'expression magnifique de la piété de l'Église. « Elles furent, dit David Schaff, des hymnes de pierre, des sermons proclamant la présence de Dieu et la résurrection du Christ. Leurs flèches élancées élevaient les âmes vers les choses d'en haut, et la lueur qui traversait leurs vitraux rappelait la gloire de la vie éternelle. » Cette vive poussée architecturale s'exprima en deux styles très différents, le roman auquel devait succéder le gothique.

L'art roman naquit en partie du vif désir d'en finir avec les toitures de bois inflammables des basiliques latines. Élaboré par les moines, si nombreux au XIe siècle, il tendit peu à peu vers les innovations suivantes (8) : voûtes et arc plein cintre, colonnes réunies en piliers et très variées, fortes moulures, petites arcatures remplaçant sous les corniches les frises antiques. On modifia le plan de la basilique latine (9). Presque toutes les églises eurent un transept, percé de portes d'entrée. L'abside principale eut des fenêtres. Les bas-côtés, prolongés au delà du transept, firent le tour de l'abside principale et reçurent une couronne de chapelles absidales, formant comme les rayons d'un cercle. Les clochers et les baptistères furent, dans bien des cas, réunis au corps de l'église. Un grand clocher central, de forme carrée ou polygonale, s'éleva souvent au-dessus d'une coupole sur pendentifs, construite selon le mode byzantin. La couverture de la nef principale revêtit des formes diverses : voûte en berceau continu, et surtout voûte d'arête, d'abord sans nervures et puis avec nervures. Par un système ingénieux d'arcs pleins cintres, le poids des voûtes fut reporté sur les murs latéraux, bâtis au-dessus des piliers et consolidés par des contreforts extérieurs.

Les églises romanes sont loin de présenter un type uniforme. Elles procèdent d'influences très diverses. Nommons, en Italie, l'école lombarde, qui a élevé les cathédrales de Modène, Parme et Plaisance, l'église Saint-Ambroise à Milan, etc., et se distingua par ses larges façades, ses porches à colonnes soutenues par des lions et ses grands baptistères isolés ; l'école pisane, qui a construit la cathédrale, le baptistère et le campanile de Pise, etc., combinant la forme latine avec le style de Byzance par l'adoption de la coupole sur pendentifs ; l'école sicilienne, qui, dans la chapelle palatine de Palerme, emprunta au genre arabe l'arc en ogive des mosquées du Caire et les voûtes en stalactite des palais mauresques.

En France, l'école normande, avec ses voûtes en arête et sa grosse tour, adoptées dans les églises de l'Abbaye aux Hommes et de l'Abbaye aux Femmes à Caen, a triomphé en Normandie et même en Angleterre (cathédrales de Norwich, de Winchester, etc.) ; l'école auvergnate, à laquelle se rattache la grande église de Saint-Sernin à Toulouse, a pour caractères les vastes absides à bas-côtés munis de chapelles rayonnantes, ainsi que les couleurs variées de ses façades ; l'école bourguignonne, qui a élevé les églises des abbayes de Cluny et de Vézelay, s'est complu dans le nombre, des clochers, la grandeur des porches et la finesse de l'ornementation ; l'école provençale, d'où procèdent l'église Saint-Trophime d'Arles, ainsi que les cathédrales d'Avignon et de Valence, se reconnaît aux réminiscences romaines ; l'école du Périgord, s'inspirant de Saint-Front de Périgueux, a construit des églises à coupoles byzantines.

En Allemagne, les cathédrales de Mayence, Worms, Bamberg, etc., bâties par l'école rhénane, présentent en général deux absides deux coupoles centrales et des tours élancées ; l'école saxonne se rattache à la tradition latine, avec ses deux églises de Ildesheim ; l'école prussienne se distingue par l'emploi exclusif de la brique ou du granit. Nombre de ces constructions étaient remarquables, mais leur défaut commun était le manque de lumière. Les arcades en plein cintre et les lourdes voûtes exigeaient, en effet, des murs épais aux ouvertures étroites. Le triomphe du style gothique devait leur donner la clarté.

La peinture religieuse profita elle aussi du soulagement éprouvé après le passage redouté de l'an mil. On vit se multiplier les mosaïques, les miniatures, les fresques et plus tard les vitraux. Saint Bernward, évêque d'Ildesheim (mort en 1023), exécutait de sa propre main des mosaïques dans son église, et en couvrait les murs de belles fresques. Des peintures remarquables apparurent dans diverses églises d'Italie, de France et surtout en Angleterre où Alfred, archevêque d'York, et Lanfranc puis Anselme, à Cantorbéry, en firent orner les plafonds de leurs cathédrales. On posa des vitraux dans celles d'Angers et de Saint-Denis. On appelait ces décorations, selon les termes du synode d'Arras (1025), « le livre des illettrés ». Elles étaient regardées surtout comme un instrument utile à l'Église, un moyen de glorifier le Christ, la Vierge et les Saints.

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(1) Fliche, Chrétienté, p. 238. Voir les témoignages, outrés peut-être, de Rothérius de Liège, évêque de Vérone, et ceux de Luitpold, évêque de Crémone. - Cf. Albert Dufourcq, Histoire moderne de l'Église, T. VI : Le Christianisme et t'Organisation féodale (1049-1294), Plon, Paris 1932. 
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(2) Paul Fournier, Le décret de Burchard (le Worms (Revue d'histoire ecclésiastique, 1911). 
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(3) Bernard et Bruel, Recueil des chartes de l'Abbaye de Cluny (jusqu'à 1300), six vol., Paris 1876-1903 (Documents inédits sur l'Histoire de France ; Pignot. Histoire de l'ordre de Cluny.
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(4) Édition Albers, Mont-Cassin. 1905 
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(5) Pourtant Guillaume de Dijon (mort en 1031) devait introduire les Consuetudines cluniacenses à Metz et à Toul. 
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(6) Ursmer Berlière, Monasticon belge, T. 1, Maredsous, 1890-1897.
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(7) Histoire de l'Art, depuis les Temps chrétiens jusqu'à nos jours, sous la direction d'André Michel, Paris 1905, T. 1er ; EnIart, Manuel d'Archéol. française depuis les Temps mérovingiens jusqu'à la Renaissance, T. 1er : Architecture religieuse, 21 éd., trois vol., Paris, 1909-1924 ; Gabriel Rouchès, L'Architecture italienne du VI au siècle, éd. Van Oest, Paris. 
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(8) E. Lichtenberger. Encycl. Licht., art. : Archit. chrétienne. 
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(9) Pour sa description voir notre T. II, p. 257-259.
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