(1) L'histoire de
l'Église d'Orient au
IXe siècle peut se résumer en trois conflits : la querelle des images,
la lutte contre les Pauliciens, la rivalité entre Rome et
Constantinople.
Longtemps proscrit par l'empereur
byzantin Léon III l'Isaurien et son fils Constantin Copronyme, le
culte
des images avait été rétabli, comme nous l'avons déjà vu (T. II, p.
278), par l'impératrice Irène en 787. Un concile, réuni cette année-là
à Constantinople, sur l'initiative du pape Hadrien 1er, et du
patriarche Tarasius, puis transféré à Nicée - d'où son nom : IIe
concile de Nicée (VIIe concile oecuménique) - annula les décisions de
celui d'Héria, sur le Bosphore (754).
Il déclara que toute image du
Christ, de Marie, des anges ou des saints, mérite, en souvenir d'eux,
tout comme la croix, non pas sans doute « le culte (latreia) véritable
qui convient à la seule nature divine », mais « la salutation
(aspasmos) et l'adoration (proskunésis) respectueuse », et qu'on peut
leur offrir de l'encens et allumer des flambeaux en leur honneur.
Ajoutons que cette grande assemblée confirma toits les canons des six
premiers conciles oecuméniques, établissant ainsi un code de
législation ecclésiastique pour l'Orient. Parmi ses décisions,
on
doit noter celles qui visent à réformer les moeurs du clergé, et
celle qui déclare nul le choix d'un ecclésiastique par le pouvoir
séculier.
Après l'expulsion d'Irène (802),
Nicéphore 1er toléra les deux attitudes de son peuple à l'égard de la
vénération des images, mais Léon V l'Arménien (813-820) reprit la
lutte
contre elle, malgré le patriarche Nicéphore qui fut contraint de se
retirer, et le synode de Constantinople (815) remit en vigueur les
décrets de celui d'Héria. Michel Il le Bègue (820-829), qui remplaça
Léon V assassiné le jour de Noël, montra quelque tolérance, mais
Théophile (829-842) renouvela la proscription. Enfin, Théodora,
régente
de son fils Michel III l'Ivrogne (842-867), fit rétablir par un synode
le culte des images, et le 11 mars 848 fut célébré « le Triomphe de
l'Orthodoxie », solennité que l'Église d'Orient a conservée.
Une autre cause de trouble pour
l'empire byzantin fut la lutte contre les Pauliciens. Cette secte de
chrétiens radicaux, admirateurs de saint Paul, hostiles au culte des
images et aux sacrements et adonnés au manichéisme (2),
après une période de décadence,
avait été réorganisée par le réformateur Serge, surnommé Tychique, qui
fut assassiné en 835. Les persécutions l'amenèrent à se réfugier dans
la partie de l'Arménie soumise aux Musulmans, avec lesquels elle
s'allia contre l'empire grec. Une forteresse fut élevée à Tephrique
sur
les frontières, et la guerre éclata. Basile 1er fondateur de la
dynastie macédonienne (867), vainquit en 871 le chef paulicien
Chrysochéir, et, après le meurtre de ce dernier et la prise de la
forteresse, la puissance politique de cette secte fut anéantie (3).
Un troisième motif d'agitation fut
la rivalité entre Rome et Constantinople, qui se ralluma avec le
conflit d'Ignace et de Photius.
Le patriarche Ignace, de race
impériale, fut déposé en novembre 857 à cause de son énergique
réprobation d'un inceste commis par Bardas, oncle et principal
conseiller du jeune empereur Michel III. Il en appela aussitôt à Rome.
Le secrétaire d'État Photius, le plus grand savant de son temps, le
remplaça (4).
Simple laïque, il reçut en six jours les ordres ecclésiastiques exigés
par ses hautes fonctions. Au bout d'un an de lutte contre les moines,
il fit part de sa nomination à Nicolas 1er, que l'empereur pria, de
son
côté, de reconnaître le nouveau patriarche. Le pape, s'appuyant sur le
Pseudo-Isidore qui le proclamait chef absolu de toutes les Églises, et
bien conseillé pour sa politique grecque par son bibliothécaire
Anastase, envoya deux évêques pour faire une enquête (septembre, 860).
Au synode réuni dans l'église des Apôtres, à Constantinople, en mai
861, les légats, peut-être achetés, se prononcèrent pour Photius
contre
Ignace, mais Nicolas 1er, perçant à jour la duplicité du nouvel élu,
désavoua ses légats et s'efforça de rétablir dans ses fonctions le
patriarche révoqué (encyclique du 18 mars 862). Il fit ensuite déposer
son rival par un synode romain, et il multiplia les lettres contre lui
sans s'inquiéter des menaces de l'empereur.
Sur ces entrefaites, les efforts des
légats pour soustraire la Bulgarie chrétienne à l'influence de
Constantinople amenèrent Photius à dénoncer, dans son encyclique de
867
aux Orientaux, les erreurs de l'Église
latine. Il lui reprochait, entre autres griefs, d'avoir interdit le
mariage des prêtres et altéré le Symbole en y ajoutant le filioque, et
il convoquait un synode à Constantinople.
Nicolas 1er, qui y fut excommunié,
répliqua en poussant plusieurs théologiens latins à prendre la plume.
Ratramne écrivit un traité Contre les critiques des Grecs qui
diffament
l'Église romaine (Contra Groecorum opposita), et l'évêque de Paris,
Enée, fit un Liber adversus Groecos. Peu après, Basile le Macédonien,
qui avait fait assassiner Michel Il (23 septembre 867) et pris sa
place, irrité contre Photius assez hardi pour lui reprocher
ouvertement
son crime et lui refuser la communion l'exila dans un monastère de
l'île de Chypre et rétablit Ignace.
Deux ans après, un synode romain,
réuni par Hadrien II, prononça la condamnation de Photius. Elle fut
renouvelée à celui de Constantinople, convoqué par Ignace 5 octobre
869
- 28 février 870) - le VIIIe concile oecuménique, d'après les Latins -
qui reconnut le pape comme maître absolu de l'Église. Pourtant, il
repoussa ses prétentions sur l'Église bulgare qui s'était rattachée de
nouveau à l'Église d'Orient.
Après la mort d'Ignace (878), Basile
1er, qui estimait Photius, le rétablit. Le patriarche convoqua en 879
un concile - le VIIIe oecuménique, d'après les Grecs - qui le reconnut
et cassa les décisions du synode de 869. Ce concile n'admit la
primauté
du pape que sur l'Occident. Le pape Jean VIII refusa de l'approuver et
le schisme commença. En 886, Photius fut déposé par Léon le
Philosophe,
fils de Basile 1er, et enfermé dans un monastère arménien où il mourut
en 891.
Avec Basile 1er, fondateur de la dynastie
macédonienne, qui dura de 867 à 1057, date où elle fut remplacée par
celle des Comnène, s'ouvre une période brillante. Ces empereurs, bien
différents de ceux qui les ont
précédés, sont des soldats énergiques et de bons administrateurs. Leur
premier soin est d'endiguer les invasions. Basile 1er fait une série
de
campagnes en Asie contre les Arabes (873-879). Ses successeurs
reprennent le pays jusqu'à l'Euphrate et au Tigre, s'emparent
d'Antioche (968) et d'Alep (995). Romain Lécapène contient Siméon, le
tsar des Bulgares, impuissant à enlever Constantinople (924) ;
Nicéphore II Phocas refuse à ces envahisseurs le tribut annuel (967),
et après les longues guerres de Basile II, surnommé « le tueur de
Bulgares », le tsar Samuel est vaincu sur la Stroumitza (1015), et
dans
sa fuite, en voyant venir à lui quinze mille de ses soldats auxquels
le
vainqueur a fait crever les yeux, il meurt de saisissement. Quatre ans
après, son royaume disparut de la carte d'Europe, annexé à l'empire
d'Orient.
Ces monarques, despotes
intelligents, réussirent, par une législation heureuse qui compléta
celle de Justinien (5),
à fondre en un tout homogène les races diverses qu'ils gouvernaient et
à donner l'essor, au Xe siècle, à une civilisation pleine d'éclat. Les
étoffes de soie, les bijoux et les ivoires sculptés acquièrent une
vogue extraordinaire. On construit des basiliques à coupoles. Églises
et palais reçoivent une décoration somptueuse, où les sculptures
s'inspirent de motifs arabes. De cette époque datent la mosaïque de
Sainte-Sophie de Kiev, ainsi que celle de Sainte-Sophie de
Constantinople qui représente un empereur prosterné aux pieds du
Christ. Les manuscrits enluminés se multiplient. L'Université de la
capitale a des savants renommés. Constantin VII Porphyrogénète fait
des
travaux historiques et politiques.
À ce rayonnement artistique,
littéraire et commercial, l'empire d'Orient ajouta une large mainmise
politique sur l'Occident rongé par l'anarchie. Dans l'Italie
méridionale,
où il possédait la Calabre et la Sicile, il arracha aux
Sarrasins Bari et Tarente, puis la Campanie, et il étendit son
influence sur les républiques voisines, celles de Naples et de Gaète,
et jusque sur Venise qui reconnut sa suzeraineté. Mais l'arrivée des
Normands vint briser sa domination en Italie. Vers 1040, les trois
fils
de Tancrède de Hauteville prirent une grande partie de la Pouille. Le
plus jeune, Robert dit Guiscard (le rusé), acheva la conquête de la
Campanie, de la Pouille et de la Calabre (1047-1071), tandis que son
frère Roger s'emparait de la Sicile (1062-1072).
L'Église d'Orient fut assez prospère à cette
époque.
Signalons, au Xe siècle, les
homélies et les traités dogmatiques de Léon le Philosophe, toute une
littérature de controverse contre les Musulmans, les Latins et les
Juifs, un Recueil des Vies des Saints dû à Siméon le Métaphraste («
paraphraseur »), secrétaire, semble-t-il, de Léon le Philosophe,
auquel
l'hagiographie byzantine doit sa forme classique, de réputation
d'ailleurs douteuse, le Lexique de Suidas, auteur inconnu, vaste
compilation où l'on trouve des données précieuses pour de l'Église.
Insistons davantage sur l'essor de l'ascétisme, favorisé en Orient par
le mode de recrutement des évêques, sortis en général des couvents.
Sous l'influence de l'abbé du couvent de Studion, à Constantinople,
Théodore Studite (mort en 826), de nouveaux monastères avaient été
fondés. Leurs possessions s'accrurent jusqu'à constituer un danger
pour
l'État, et le synode de Constantinople (861) dut les limiter.
Au Xe siècle, le mouvement
monastique s'accentua, soutenu par les empereurs. Il revêtit parfois
la
forme anachorétique et produisit des phénomènes ascétiques fort
étranges. Les fondations les plus importantes furent celles des
montagnes de Latros, au bord du Méandre, près de Milet, de l'Olympe,
en
Bithynie, et de l'Athos (Hagion Oros, sainte
montagne), dans la Chalcidique (6).
Le premier couvent de ce dernier
mont, bâti en 963, fut entouré peu à peu par d'autres établissements.
Les moines confessaient le peuple,
au grand déplaisir du clergé séculier, et certains l'émerveillaient
par
leurs prouesses ascétiques, tel Lazare le Stylite, sur le mont
Galésius, près d'Éphèse. Ils étaient durs pour les hérétiques (7).
Ils
le furent aussi pour eux-mêmes et plusieurs d'entre eux
travaillèrent à la réforme de leur institution, en particulier
Christodule (8),
qui fonda le couvent de saint Jean à Patmos en 1079. Le principal
mystique de l'Église grecque fut Siméon « le nouveau théologien »,
moine an couvent de Studion, puis dans celui de Mania, à
Constantinople.
Indifférent au dogme et à l'Église
il s'en tenait à l'expérience intime, ouvrant ainsi la porte aux
hérésies.
L'activité missionnaire de l'Église
d'Orient, dont nous avons déjà signalé les rapports, parfois hostiles,
avec celle des évangélistes allemands et latins dans l'Europe
centrale,
se déploya efficacement parmi les Russes (Rhos), qui avaient fait leur
apparition devant Byzance en 860. D'après l'encyclique de Photius, ils
avaient accepté un évêque et suivaient avec zèle le culte chrétien.
Basile le Macédonien leur fit adopter le baptême, et ils eurent un
archevêque, consacré par Ignace. Plus tard, il y eut à Kiev, vers 945,
une Église de nobles normands, nombreux dans cette ville. Olga, veuve
du roi Igor venue en 957 à Constantinople, y fut baptisée et reçut le
nom d'Hélène. Pourtant, elle ne resta pas en relations avec l'Église
byzantine, et elle s'adressa à Otton 1er, pour avoir un évêque
et des prêtres. Adalbert, moine
de Saint-Maximin à Trèves (plus tard pourvu du siège de Magdebourg),
fut nommé évêque missionnaire pour la Russie (961), mais son oeuvre
échoua. D'autre part, Wladimir l'Apostolique, petit-fils d'Olga, qui
épousa la princesse Anna de Byzance, resta en rapports suivis avec
l'empire d'Orient. Il se fit baptiser en 988, et le baptême de ses
sujets s'ajouta au sien. Huit évêchés furent fondés. Quatre autres
devaient s'y ajouter avant la conquête mongole. La liturgie slave,
importée par les Bulgares, s'implanta dans ce pays.
À partir de 991, l'Église russe fut
dirigée par un métropolitain nommé par le patriarche de
Constantinople,
avec résidence à Kiev (9). Presque
tous ces métropolitains
furent des Grecs. Le grand couvent (Höhlenkloster) de Kiev, fondé en
1051, devint pour la Russie un centre ecclésiastique imprégné de
culture grecque, où des évêques vinrent se former. D'ailleurs le
christianisme russe fut surtout monastique. Les moines étaient fort
considérés, et ils exerçaient une grande influence sur les princes,
dans le sens de la paix.
Malgré son caractère byzantin,
l'Église russe ne resta pas sans relations avec la papauté. Un délégué
romain, Brun de Querfurt, moine à Rome, puis missionnaire en Hongrie,
obtint la protection du prince Wladimir dans son essai
d'évangélisation
(vers la fin de 1007) des Petschenègues, fixés sur les rives du
Bas-Dnieper et de la mer Noire. Mais, après le Schisme de 1054,
l'Église russe suivit celle de Bysance, et l'on y vit éclore une vaste
littérature polémique dirigée contre les Latins. Au reste, elle
conserva un caractère national, comme le montre la stricte dépendance
des évêques à l'égard des princes.
Venons-en au récit du grave événement qui, au milieu
du XIe siècle, marqua l'histoire
de l'Église d'Orient, la rupture de ses relations avec l'Église
d'Occident.
Elles s'étaient améliorées au début
du Xe siècle. En 900, Léon le Philosophe avait fait légitimer son
quatrième mariage par le pape Serge III et obtenu de lui la déposition
du patriarche Nicolas Mystique qui y avait refusé son assentiment. Ce
dignitaire avait été, d'ailleurs, rétabli dans sa charge en 912 et
reconnu par Jean X en 920. Sous Romain Lécapène (920-944), des
relations se nouèrent entre Byzance et certains papes, désireux de
trouver en elle un appui contre l'hégémonie des souverains allemands.
Un esprit différent prévalut sous Nicéphore Il Phocas (963-969). Ce
souverain prescrivit à son patriarche, Polyeucte, d'ériger à Otrante
un
archevêché soumis à Constantinople, et il interdit l'observation du
rite latin dans les provinces grecques d'Apulie et de Calabre (968).
Le mariage d'Otton Il avec la
princesse Théophano avait été impuissant à changer ces dispositions.
Sous Basile II, le patriarche Serge Il fit effacer le nom du pape des
diptyques (registres sacrés) de l'empire, probablement parce qu'Henri
Il d'Allemagne avait contraint le pontife à faire chanter désormais à
Rome le symbole muni du filioque.
Les rapports entre les deux Églises
se tendirent de nouveau avec la prétention du pape Léon IX d'exercer
sa
juridiction sur les anciens territoires byzantins de l'Italie
méridionale, qu'Henri III venait de reconquérir sur les Normands (10).
Il
se rendit en Apulie (1050) et nomma un archevêque pour la Sicile. Il
chercha bien à s'entendre avec l'empereur Constantin IX Monomaque
(1042-1054), mais le patriarche Michel Cérulaire, prélat austère et
très orgueilleux, répondit en faisant fermer les églises et les
couvents du rite latin à Constantinople, et en écrivant, d'accord avec
Léon d'Ochride, métropolitain de
l'Église bulgare autonome, une lettre violente destinée à exposer le
différend au clergé d'Apulie. Il y reprochait aux Latins de fâcheuses
innovations, telles que l'usage du pain azyme dans la Cène. Il en
résulta une dispute, que l'empereur s'efforça d'apaiser. À sa prière,
le pape lui envoya une députation constituée par le cardinal Humbert,
l'évêque Pierre d'Amalfi et Frédéric, diacre et chancelier de l'Église
romaine.
Invité à désavouer un pamphlet
(libellus) dirigé contre les Latins par un moine de Studion,
Constantin
leur céda, mais le patriarche Michel, traité par eux avec
désinvolture,
se montra inflexible. Alors les délégués pontificaux déposèrent le 6
juillet 1054, sur l'autel de Sainte-Sophie, la célèbre bulle
d'excommunication qui condamnait avec énergie Michel et ses partisans,
coupables de nombreuses hérésies, en particulier le mariage des
prêtres
et le rejet du filioque. Puis ils sortirent en disant : « Que Dieu le
voie et qu'il juge! »
Quelques jours plus tard, dans un
synode tenu à Constantinople, Michel anathématise le pape. Tous les
patriarches d'Orient se rattachèrent à la capitale, même celui
d'Antioche, Pierre, peu passionné pour ce conflit. Le souverain dut
céder à la pression des masses populaires. Le Schisme était consommé.
Rupture grave, car elle allait séparer non seulement deux Églises,
mais
deux Empires.
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