(1).Dans le siècle qui suit
la mort de
Charlemagne (janvier 814), l'histoire de l'Église peut se résumer en
une collaboration entre le pape et l'empereur, alliance inégale où ce
dernier, assumant le rôle de tuteur, fait payer ses services par une
sujétion pénible, en attendant les souffrances où la dislocation de
son
empire va jeter l'Occident chrétien.
Malgré sa puissance et son éclat,
l'oeuvre de Charlemagne est menacée, en effet, par les incursions
incessantes des Sarrasins et des Barbares du Nord. Les premiers vont
piller les faubourgs de Rome et l'Italie méridionale, et ils mettent
la
main sur la Sicile, lia Corse et la Sardaigne. Les Scandinaves (2)
ou « hommes du nord », aux barques rapides, spécialement les Danois,
dévastent les bouches du Rhin et de l'Escaut, ainsi que la France, où
ils brûlent deux fois Paris (856 et 857) et poussent leurs ravages,
jusqu'en Provence. À partir de 866, ils remontent l'Humber et la
Tamise, mais repoussés six ans après par le jeune roi de Wessex,
Alfred
le Grand, ils se replient en Mercie avec des alternatives de revers et
de succès. Retournant leurs proues vers le pays franc, ils pillent la
Flandre et la Picardie et brandissent une telle menace sur Paris que
Charles le Gros et plus tard Eudes, roi de France, se résignent à
acheter leur départ. En 911, leur chef Rollon finira par obtenir la
Normandie.
L'oeuvre de Charlemagne était
menacée aussi à l'intérieur. Il a commis de graves imprudences. Il a
préparé la puissance du régime féodal en admettant « la recommandation
», ou droit de tout homme de choisir son seigneur, et en concédant à
ses guerriers de nombreuses terres, « bénéfices » dont Charles le
Chauve, dans son édit de Quiercy-sur-Oise (877), aggravera le danger
en
reconnaissant leur transmission aux héritiers de. leurs bénéficiaires.
De plus, Charlemagne a rendu périlleuse la succession impériale en
portant dans le droit public la coutume du droit privé germanique, qui
prescrivait le partage égal de l'héritage paternel entre tous les
enfants. La mort prématurée de deux de ses fils, Pépin et Charles (810
et 811), avait, il est vrai, corrigé les effets du
partage de Thionville (806) en faisant de Louis le Pieux son seul
héritier, mais le précédent subsistait, et le morcellement de l'empire
était inévitable. Dans la débâcle qui suivra, et en attendant la
prépondérance du Saint-Siège, la chrétienté occidentale devra
traverser
une crise prolongée où elle risquera de sombrer.
À sa mort, Charlemagne laissait une Église
prospère mais assujettie. Il avait largement étendu ses frontières en
favorisant l'envoi de missionnaires et de prêtres dans les pays
conquis (3),
et en y multipliant les évêchés. Il avait créé vingt sièges
métropolitains (4),
accru le nombre des paroisses, augmenté les revenus des églises au
moyen de dîmes légales, accordé aux évêques le droit d'inspection sur
tous les établissements ecclésiastiques de leurs diocèses, y compris
les couvents, autorisés d'ailleurs à suivre des règles
d'administration
intérieure indépendantes. Mais il avait posé sa puissante main sur
l'Église. Persuadé, comme l'avait été Justinien, du caractère
spirituel
de sa royauté, à la façon des rois de l'Ancien Testament, et
peut-être,
comme le suggère Jacques Marty, sous l'inspiration de la Cité de Dieu
(le saint Augustin, qu'il connaissait et appréciait, Charlemagne
prenait les biens du clergé, nommait les évêques, exigeait la présence
à leurs côtés de chargés d'affaires (advocali Ecclesiae) pour les
questions temporelles et la tenue de livres constatant l'emploi des
revenus ecclésiastiques (5).
Indifférent à l'ascétisme lui-même (6),
il
voulait voir les moines servir
la collectivité et il les orienta vers l'érudition. Il régla lui-même
le culte. Il y mêla des formes gauloises à la pratique romaine que lui
avait communiquée le pape Hadrien 1er (7).
Enfin, il intervint souverainement
dans les discussions dogmatiques.
L'archevêque de Tolède, Elipandus,
qui avait soutenu l'idée, datant du IIIe siècle, que Jésus était un
homme sans péché, élevé, par l' « adoption » de Dieu, jusqu'à la
divinité (8),
avait été condamné par Hadrien 1er. Ses vues, reprises par Félix,
évêque d'Urgel (sur la frontière hispano-franque), et appuyées par les
évêques espagnols, furent blâmées, sur l'initiative de l'empereur, par
le concile de Francfort (794). La controverse continua pourtant. Mais,
en 799, Félix se déclara vaincu dans un débat avec Alcuin devant le
synode d'Aix-la-Chapelle, et il se retira dans un couvent de Lyon,
mais
ce mouvement ne s'éteignit que lentement en France et en Espagne.
Charlemagne intervint aussi avec
autorité dans la question des images. Recevant une traduction latine
fragmentaire des Actes du second concile de Nicée (voir plus loin
chap.
V), qui avait rétabli le culte des images (787), il refusa de
souscrire
à ses décisions et il chargea ses théologiens de les réfuter. Cette
réponse, qui a reçu le nom de Libri Carolini, se compose de quatre
livres divisés en vingt chapitres (9).
D'un geste énergique, l'entourage du
grand empereur écarte les légendes, l'invocation des saints et lia
vénération des images, mais sans aller jusqu'à approuver
l'iconoclasie.
Ce mémoire, dirigé contre l'Église byzantine, fut achevé vers 791. En
long extrait en fut adressé au pape, qui le désavoua. Pour en finir,
Charlemagne fit condamner les formules du «
conciliabulum » (petit concile) de Nicée (787) par le synode
oecuménique de Francfort, avec l'assentiment des légats (794).
Disons enfin qu'il fut amené par sa
mésentente avec Byzance à faire proclamer le filioque du symbole dit «
de Constantinople ». Peu après l'an 800, il chargea Alcuin de composer
un traité sur la Procession du Saint-Esprit. L'idée que le
Saint-Esprit
procède du Père et du Fils (filioque) y est proclamée. Charlemagne
décida le synode d'Aix-la-Chapelle à la ratifier (809), mais le
Saint-Siège refusa de l'accepter, et ce ne fut qu'en 1014 qu'il y
consentit, quand il adopta le symbole dit « de Constantinople » pour
la
messe, marquant ainsi son opposition à l'Église d'Orient.
Sous les successeurs de Charlemagne, l'alliance
entre l'État et l'Église continue, d'abord lourde pour cette dernière,
mais ce joug va en s'allégeant à mesure que la désagrégation de
l'Empire enhardit ses chefs. Déjà Étienne IV (816-817), successeur de
Léon Ill, se fait élire en dehors (le l'empereur. Louis le Pieux
réclame, mais sans insister. Il vénérait le souverain pontife, et
même,
sur le terrain politique, il admettait qu'il y avait égalité entre eux
deux. C'est dans cet esprit-là qu'il renouvela, en octobre 816, à
Reims, l'alliance entre sa dynastie et la papauté, dont il reçut
l'onction impériale. Pascal 1er (817-824) ne lui fit part de sa
nomination qu'après son entrée en charge, et l'empereur ne releva pas
cette irrégularité. Il sanctionna même en 817 l'indépendance de
l'élection pontificale. Pascal, poursuivant son avantage, couronna en
823 à Rome, sans y avoir été invité, Lothaire, fils aîné de Louis le
Pieux, que son père avait proclamé son unique successeur. Mais
bientôt,
affaibli par l'opposition d'un parti hostile, déconsidéré par le
soupçon de complicité dans le meurtre de deux fonctionnaires
pontificaux qui lui étaient
hostiles, ce pape mourut, et le peuple, excité contre lui, empêcha le
transport de ses restes à Saint-Pierre.
L'empereur profita de ce discrédit
pour resserrer son emprise sur son auguste associé, en accord avec
l'attitude nouvelle que lui avaient inspirée les clercs qui étaient
ses
conseillers, l'abbé Wala, de Corbie, diplomate énergique et subtil, et
surtout Agobard, archevêque de Lyon, théologien et juriste, qui
préconisait avec force l'unité impériale, fondement, à ses yeux, de
l'unité chrétienne. Annulant la décision de Thionville dans la grande
assemblée d'Aix-la-Chapelle (817), Louis avait associé Lothaire à
l'empire, tandis que les deux autres fils d'Hirmingarde, Pépin et
Louis, durent se contenter des « royaumes » d'Aquitaine et de Bavière,
qu'ils eurent à gouverner sous le contrôle de leur frère aîné. Fort de
ce droit, Lothaire, venu en Italie à l'occasion des troubles
consécutifs à la mort de Pascal 1er, imposa an nouveau pape, Eugène II
(824-827), la Constitution romaine de, 824, qui transformait l'État
pontifical en un protectorat franc. En voici les clauses : le pape,
dès
son élection, devra, avant d'être consacré, prêter serment de fidélité
à l'empereur devant un missus et en présence du peuple romain ; il
gardera le droit d'exercer la justice et de nommer les fonctionnaires,
mais sous réserve de l'agrément impérial ; un délégué résidera dans la
cité papale pour « vérifier » la bonne marche de l'administration,
trancher les questions contentieuses ou les renvoyer à l'examen des
missi dominici.
L'empereur est donc toujours le chef
de l'Église d'Occident. Il lui est arrivé, il est vrai, de venir eu
humble pénitent dans l'église d'Attigny (Ardennes), en 822, solliciter
de ses évêques, réunis en assemblée annuelle, le pardon du crime qu'il
a commis en faisant crever les yeux à l'un de ses neveux, Bernard, roi
d'Italie, mais il entend continuer à régenter l'Église. Bien qu'il ait
reconnu la liberté des élections épiscopales (capitulaire de 818), il
nomme Aubri évêque de Langres (820), et, dix ans après, il place Thierry
à Cambrai. S'il rompt avec la
coutume de Charlemagne de prendre les biens du clergé, il maintient
les
« sécularisations » faites par son père, malgré les protestations de
Wala et d'Agobard. Quand l'empereur byzantin Michel Il le Bègue,
hostile au culte des images, lui envoie une brillante ambassade pour
obtenir son appui, il fait rédiger par les théologiens francs un
important mémoire sur la question débattue, avec force citations des
Pères, et il le présente à l'adhésion des évêques réunis à Paris le
1er
novembre 825.
Toutefois, la dislocation de
l'empire allait permettre à l'Église de raffermir sa puissance. On en
connaît les phases : la décision prise par Louis le Pieux, en 829,
d'attribuer un « royaume d'Alémanie » à son quatrième fils Charles (le
futur Charles le Chauve), que sa seconde: femme, Judith de Bavière,
lui
avait donné, sa capitulation à Compiègne devant Lothaire, son retour
au
pouvoir avec la relégation de son fils aîné en Italie (février 831),
ses nouvelles maladresses dressant contre lui ses fils et même
l'épiscopat français presque entier, qui, au synode de Paris (829),
avait déclaré que les évêques ne devaient de comptes qu'à Dieu et que
les chefs d'État étaient justiciables d'eux. Lothaire arrive d'Italie,
entraînant avec lui le pape Grégoire IV (827-844), qui s'était fait
précéder d'une lettre aux évêques restés fidèles à l'empereur, en
réponse à leur message irrespectueux et menaçant « Le gouvernement des
âmes (regimen animarum), leur écrivait-il, qui appartient au souverain
pontife, est plus grand que le pouvoir impérial, (lui est temporel
(temporale) ». Trahi par les siens, (24 juin 833), Louis le Pieux dut
accepter la médiation papale. Il fut jugé à Compiègne par les évêques
et après un dur réquisitoire d'Ebbon, archevêque de Reims, condamné à
la pénitence perpétuelle (octobre 833). Lothaire devint le seul
maître,
mais, six mois après, Pépin et Louis replacèrent leur père sur le
trône. En 839, à Worms, le vieux souverain partagea l'empire entre
Lothaire et Charles (Pépin était mort en
838), en ne laissant que la Bavière au trop remuant Louis.
Après sa mort (20 juin 840), Louis
et Charles, vainqueurs de leur frère aîné, se lient par le pacte de
Strasbourg (14 février 842), et Lothaire effrayé conclut avec eux le
traité de Verdun (août 843). Il y eut dès lors trois royaumes
distincts
: la France, la Germanie, et, pour Lothaire, un vaste État tampon
s'étendant de l'Escaut aux Cévennes et de l'embouchure de l'Ems à
l'Adriatique. Bien que le fils aîné de Louis le Pieux continue à
porter
le titre d'empereur, « le traité de Verdun est l'acte de décès de
l'empire, et il est aussi l'acte de naissance de la France, de
l'Allemagne et de l'Italie, et en créant pour Lothaire cet étrange
royaume, ... il prépare de grands conflits » (Halphen, Les Barbares,
p.
279).
Encouragé par l'affaiblissement du pouvoir
impérial, la papauté releva la tête. Les papes Serge II (844-847),
Léon
IV (847-855) et Benoît III (855-858) accédèrent au pontificat en
dehors
de l'agrément impérial. Le premier semble n'avoir rien fait pour s'en
justifier, le second convint de l'irrégularité commise, dans
l'élection
du troisième on vit les délégués de Lothaire se prononcer contre leur
candidat, le cardinal Anastase. L'autonomie du Saint-Siège allait déjà
si loin que Serge Il refusa d'ouvrir les portes de Saint-Pierre à
Louis
de Bavière, chargé par son frère aîné Lothaire d'exercer les droits
impériaux, avant d'avoir acquis la preuve de la pureté de ses
intentions. Son prestige grandit encore quand il couronna Louis roi
des
Lombards. À plusieurs reprises, Serge Il affirma son indépendance à
l'égard de Lothaire en refusant d'installer Ebbon dans son diocèse de
Reims, et en intervenant contre Bartholomé, de Narbonne. Toutefois, il
céda à l'un de ses désirs en
conférant à Drogon, évêque de Metz (10),
le titre de vicaire papal de
l'empire franc transalpin. Mais la papauté subit une éclipse avec
l'ascendant pris sur Serge Il par son frère, Benoît, ambitieux dévoué
à
l'empereur et adonné à la simonie.
Elle reprit de l'éclat avec Léon IV.
« Il était né Romain, dit Voltaire. Le courage des premiers âges de la
République revivait en lui dans un temps de lâcheté et de corruption »
(11).
Il organisa la défense contre les Sarrasins qui, en 846, étaient venus
piller les églises de Saint-Pierre et de Saint-Paul (12),
mais avaient été chassés par les
Francs. Grâce à de larges subsides de ces derniers, il fortifia Rome.
Il encouragea la classe aux pirates musulmans et réussit à les
éloigner. Préoccupé aussi de la réforme de l'Église, à l'exempte
d'Eugène Il qui, au grand synode romain de 826, avait modifié la
discipline du clergé et l'enseignement qu'on lui donnait dans l'esprit
de Charlemagne, Léon IV censura les évêques mondains qui prodiguaient
des festins suivis de spectacles où s'exhibaient des bouffons et des
fous. Il résista énergiquement à Lothaire et à son fils Louis Il et
réprima les exactions de leurs légats en Italie. Il écrivit au
premier,
à cette occasion, que, « en cas de nécessité, il tirerait une
vengeance
immédiate des ouvrages qui seraient faits à ses sujets ». Plus tard,
le
bruit s'étant répandu que le pape conspirait avec Byzance contre
l'empereur d'Occident, il se justifia avec dignité devant Louis Il (13).
Benoît III, son successeur en 855,
ne montra pas la même énergie. Au cours de son conflit avec
l'anti-pape
Anastase, il fut insulté et frappé, mais le parti populaire qui
l'avait
élu exigea sa confirmation par les commissaires impériaux, prévenus en
faveur de son rival. De volonté faible, il approuva la décision -
repoussée par Léon IV - du concile de Soissons, qui, en 853, avait
diminué l'autorité du Saint-Siège sur les évêques métropolitains.
En dépit de leurs promesses de
fraternité, les trois fils de Louis le Pieux essayèrent traîtreusement
de s'arracher des provinces. Le morcellement territorial s'accrut à la
mort de Lothaire (855), dont les États furent partagés entre ses trois
fils. Charles eut la Provence et la Bourgogne, Lothaire Il la
Lotharingie ou Lorraine, et Louis Il l'Italie avec le titre d'empereur
(14).
En face de cette royauté affaiblie
se dresse un grand pape, Nicolas le, (858-867), véritable précurseur
de
Grégoire VII et d'Innocent III. Fier et énergique, persuadé, au dire
d'un chroniqueur, qu'il était «, le maître du monde entier », à peine
élu - grâce à Louis II, alors présent à Rome - il le dominait déjà,
tout en le comblant de présents. L'empereur tint le cheval du pape par
la bride - la première foi depuis Hadrien 1er (15).
Appuyé sur la fiction (16)
du pontificat de Pierre, qui aurait reçu le pouvoir de Dieu même
(privilegia sedis apostolicae), il soutenait que le pape n'est
justiciable ici-bas de personne (17).
Sa
puissance n'a d'autres limites que le droit naturel et l'Écriture.
Seul il tranche les questions de foi et de discipline. Il est maître
de
toute l'Église, y compris celle d'Orient : les évêques sont ses
employés, et le rôle des synodes consiste à publier et à exécuter ses
volontés. Quant à l'État, loin d'avoir le moindre droit sur l'Église
et
sur ses biens, il doit lui être soumis. L'empereur est le vassal de
saint Pierre, donc du pape. Les lois civiles ne sont valables que dans
la mesure où elles ne contredisent pas le droit pontifical.
Fort de ces convictions
extravagantes, qu'il avait puisées dans la Cité de Dieu de saint
Augustin, et dans un document apocryphe, appelé les Fausses Décrétales
(voir plus loin
l'Appendice), Nicolas 1er refusa de ratifier la déposition
d'lgnace, patriarche (le Constantinople, et son remplacement par
Photius (voir plus loin ch. V). D'autre, part, il tint un langage
ferme
et même rude aux tristes fils de Louis le Pieux, leur reprochant leur
désunion et leurs intrigues. Il s'arrogea le droit de trancher les
questions ecclésiastiques litigieuses de leurs États, et s'enhardit
jusqu'à réclamer leur soumission à ses avis.
Quand surgirent les difficultés
conjugales de Lothaire il et de Theutberge, il cassa, au synode dit
Latran (863), les décisions du concile national de Metz qui avait
soutenu le roi avec l'adhésion des légats pontificaux. Sourd aux
prières et aux menaces de Louis II, frère de Lothaire II, qui vint
bloquer Rome avec une armée, insensible aux supplications de la reine
elle-même, désireuse de rompre un lien trop douloureux, Nicolas 1er
exigea durement la reprise de la vie commune. Le roi, qui avait gardé
sa compagne Waldrade, allait subir l'excommunication quand le pape
vint
à mourir (13 novembre 867).
Ce pape énergique et autoritaire
songea également à établir sa
suprématie dans l'Église. Il s'en prit d'abord à l'archevêque Jean de
Ravenne, qui s'appuyait sur l'empereur Louis Il : il abrogea
l'autonomie ecclésiastique de l'exarchat et y fit prévaloir ses droits
souverains (861-862). Il lutta contre Hincmar, archevêque de Reims,
désireux d'élargir la juridiction des métropolitains. Ce grand
dignitaire avait interdit plusieurs clercs ordonnés par son
prédécesseur Ebbon, et déposé, avec l'appui de deux conciles, l'évêque
Rothade, de Soissons, coupable de rébellion contre lui (862). Les
ecclésiastiques frappés invoquèrent, pour se défendre, les Fausses
Décrétales, et Nicolas fer, en dépit de Charles le Chauve, exigea leur
réintégration. Hinemar dut reconnaître, au synode de Troyes, qu'un
évêque ne peut être déposé sans le consentement du Saint-Siège. Son
propre neveu, Hincmar, évêque de Laon, qui s'était déclaré insoumis
aux
métropolitains et même au roi, mis en demeure de se justifier, fit
appel au pape, qui le soutint (869). Il fut pourtant déposé par un
synode deux ans après. Hincmar subit un autre échec. Il réclamait le
titre de primat de Reims, cité illustre où avait été sacré le premier
roi des Francs, le second Constantin, il la voulait à la tête du
royaume et relativement indépendante de Rome. Nicolas 1er faucha ses
prétentions en conférant à Ansegis, archevêque de Sens, le litre de
vicaire papa] pour les Gaules et la Germanie, et Hincmar, qui
admettait
la suprématie du souverain pontife, dut s'incliner.
Hadrien II, successeur de Nicolas
1er (867-872), abandonna la procédure contre Lothaire Il quand ce roi
eut prêté un serment solennel de soumission, que vint confirmer sa
communion reçue des mains du nouveau pape au Mont-Cassin (869).
Lothaire étant mort un mois après, l'opinion générale vit dans cette
fin le châtiment du parjure et du sacrilège. Hadrien II s'efforça de
continuer la politique de Nicolas 1er, mais il n'avait ni son énergie
ni son autorité. Il ne parvint pas à soutenir Louis II, roi d'Italie
et
empereur (870). Il dut même s'entendre déclarer par Hinemar, de Reims,
qu'il ne lui appartenait pas de s'immiscer
dans les affaires politiques (ép. 27). Lorsqu'il voulut évoquer à Rome
la procédure contre l'autre Hinomar, évêque de Laon, Charles le
Chauve,
qui avait saisi le pouvoir à la mort de son neveu Louis Il (875), fit
opposition là ce projet, et Hadrien Il dût lui écrire une lettre
d'excuses. Son prestige fut ébranlé encore davantage par un drame qui
désola sa famille. Sa fille, issue d'un mariage antérieur à son entrée
dans les ordres, fut assassinée, ainsi que sa mère, par un prétendant
évincé qui fut d'ailleurs exécuté. Un parti de mécontents se forma,
dirigé par Formose, évêque de Porto, austère et impérieux, qui devait
être élu pape en 891.
Hadrien Il eut pour successeur un
pontife déjà vieux et valétudinaire, Jean VIII (872-882), dont la mort
devait être tragique. Effrayé par la menace des Sarrasins et par les
factions turbulentes, ce pape se tourna vers Charles le Chauve. Sur
son
invitation, le nouveau roi vint à Rome, et reçut de ses mains la
couronne impériale dans la nuit de Noël 875. Il dut payer, à cet
effet,
une grande somme d'argent et renoncer à la souveraineté sur Rome, que
Louis Il avait encore conservée au moins nominalement. Il renouvela la
dotation de Pépin et de Charlemagne, en l'agrandissant autour de
Spolète. Ces décisions fuirent sanctionnées par deux synodes. Mais la
mort prématurée de Charles 'le Chauve, le 6 octobre 877, vint
affaiblir
le prestige du pontife, déjà atteint par la sentence du synode de
Ponthion qui avait annulé la nomination d'Ansegis ait poste de vicaire
papal. Jean VIII vint à Troyes, où il couronna empereur le fils de
Charles, Louis II le Bègue, qui mourut deux ans après. Il dut lutter
contre les intrigues des « Formosiens », aristocrates dissolus que
soutenait la veuve de Louis II, la vieille impératrice Engeberge, et
les excommunier. Ses dernières années furent attristées par la menace
sarrasine. Impuissant à l'écarter, abattu par l'âge et la maladie, il
dut se borner à compléter les fortifications de Rome. Il se rapprocha
du dernier fils de Louis le Germanique, Charles le Gros, le reconnut
comme roi d'Italie et le couronna empereur
(881). Le 15 décembre 882, il fut empoisonné par ses ennemis
politiques
et achevé à coups de marteau...
Après lui, jusque vers la fin du IXe
siècle, l'histoire du Saint-Siège fut dominée par la personnalité de
Formose. Il fit élire Étienne V (884-891), en attendant de le
remplacer. Ce pontifie eut à s'occuper de la succession de Charles le
Gros qui, après avoir recueilli, par la mort de ses frères et de ses
cousins, tout l'héritage carolingien, avait été déposé comme incapable
par la diète de Tribur (près, de Mayence) en 887 et était mort l'année
suivante. Plusieurs princes italiens se disputèrent la couronne, de
l'ancien royaume des Lombards. Guy, duc de Spolète, arrière-petit-fils
de Charlemagne, l'emporta, et, venu à Rome en 891, contraignit le pape
à le sacrer empereur (16).
Formose élu en 891, essaya de
réformer l'Église, et il réunit dans ce but quatre conciles, mais ses
efforts furent vains. Il était cultivé mais ses compromissions
l'avaient discrédité. Circonvenu par le parti de Spolète, il sacra
empereur, à la mort de Guy, son fils Lambert, mais conscient de sa
maladresse, il tenta de la réparer en pratiquant une politique à
double
face. Arnulf de Carinthie, candidat à l'empire, marcha sur Rome à sa
demande et y entra par surprise, malgré la résistance de la veuve de
Guy, l'indomptable Algitrude, qui avait pris en main le gouvernement
de
la ville. Accueilli par Formose sur 'les marches de Saint-Pierre, il
reçut de ses mains la couronne impériale (22 février 896). Mais
effrayé
par les menaces de l'impératrice déchue et accablé par la
mort
subite d'Arnulf, le pape succomba le 4 avril à la paralysie.
« À partir de sa mort, dit le
cardinal Hergenröther, commença pour le Saint-Siège une ère
d'humiliation profonde. » En huit ans, neuf papes devaient se
succéder,
dominés par Algitrude, et leurs successeurs ne purent se soustraire à
son action néfaste que pour tomber sous un joug plus triste encore,
celui de l'infâme Marozia. « La papauté, dit Fliche, n'a plus,
d'empereur pour la protéger, et l'aristocratie romaine... va profiter
des troubles de l'Italie pour mettre la main sur la tiare »
(Chrétienté, 1). 196).
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