Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

Les grands champions de l'Arianisme et de l'Orthodoxie.

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Parmi les personnalités chrétiennes qui ont joue un rôle dans le grand conflit arien, il en est plusieurs dont l'activité littéraire mérite une étude spéciale et détaillée.
Le plus ancien et le plus important de ces écrivains est Eusèbe, évêque de Césarée (1).
Son oeuvre est considérable (2), et, par bonheur, elle a été conservée en grande partie, le plus souvent dans le texte grec, parfois grâce à des traductions latines, syriaques ou arméniennes.

Philologue, selon la tradition d'Origène et de Pamphile, Eusèbe eut un véritable atelier, où des calligraphes copiaient des manuscrits, en particulier le texte des Écritures (3). Mais ce qui lui a surtout valu la reconnaissance de l'Église, ce sont ses ouvrages d'histoire, si riches en précieux extraits. S'il a sacrifié à la déclamation dans ses discours et même dans sa Vie de Constantin, il a mis beaucoup de conscience dans la composition de son Histoire universelle (ou Chronique) et de son Histoire ecclésiastique.

Le premier de ces écrits (4) énumère, dans une première partie, les divers systèmes chronologiques, dont il souligne le caractère très approximatif, et donne un abrégé de l'histoire des principaux peuples : Chaldéens, Assyriens, Hébreux (d'après la Bible, Josèphe et Clément d'Alexandrie), Égyptiens et Romains, en citant largement de nombreux auteurs. La seconde partie est une suite de tableaux synchroniques (chronicoï canones), où, dans l'esprit de Jules Africain, mais avec une érudition plus étendue et moins arbitraire, Eusèbe présente les principaux événements de l'histoire générale, surtout de l'histoire sainte. D'après lui, Moïse vivait un demi-siècle avant la guerre de Troie, et le prophète Esaïe était contemporain de la première Olympiade (an 776 avant J.-C.). Il résultait de ce parallélisme que Moïse et la sagesse hébraïque. étaient antérieurs à l'apparition de la civilisation grecque.

L'Histoire ecclésiastique (5), composée après la Chronique, est, comme elle, une oeuvre apologétique. Elle raconte les progrès du christianisme jusqu'à sa victoire. Telle est l'idée générale qui met un peu d'unité dans cette mosaïque de matériaux (6), choisis d'ailleurs avec soin. La méthode d'Eusèbe, comme Schwartz l'a montré, ressemble à celle des grammairiens d'Alexandrie ou de Pergame, qui préparèrent une histoire de la littérature profane : il dresse des listes de succession d'évêques, comme les grammairiens établissaient des listes de succession pour les chefs des grandes écoles philosophiques. L'ouvrage est divisé en dix livres (7). Eusèbe raconte l'histoire du Christ (L. 1.), celle des apôtres jusqu'à la guerre de Judée (II) et de l'Eglise jusqu'à Origène (III-V), la vie et l'oeuvre de ce Père (VI), la période de 260 à 300 (VII), l'histoire contemporaine jusqu'à l'édit de tolérance du 30 avril 311 (VIII), et enfin les événements de 311 à 324 (IX et X). Ce vaste ouvrage n'est pas sans erreurs ni lacunes, mais il révèle la sincérité d'Eusèbe et la sûreté relative de son sens critique qui lui a fait écarter des écrits apocryphes, et « on ne peut s'empêcher, selon la remarque de l'éminent historien Chastel, de lui accorder un haut degré de confiance ».

Dans les manuscrits de l'Histoire ecclésiastique est inséré, tantôt après le VIIIe livre tantôt après le Xe (8), un ouvrage intitulé Sur ceux qui ont rendu leur témoignage (martyrèsantés) en Palestine (surtout à Césarée), pendant la longue persécution de Dioclétien (9). Fidèle à sa méthode, Eusèbe classe les martyres par année et indique le contenu des édits. Ses narrations sont précises, vivantes et même émues, non sans quelque rhétorique, surtout quand il parle de Pamphile et de ses compagnons.

Mentionnons encore un traité de géographie biblique, qui contenait une description de la Palestine ancienne, un plan de Jérusalem et du temple, et un dictionnaire « sur les noms des lieux qui sont dans la divine Écriture ». Cette dernière partie seule nous est parvenue, sous le titre d'Onomasticon, (liste de noms). Sa vogue fut grande et méritée (édition Klostermann, Berlin 1904).

Venons-en aux écrits directement apologétiques d'Eusèbe. Tout en s'inspirant de ses prédécesseurs (10), il les complète en donnant à leur dialectique la base solide d'une riche documentation. Mais, si sa composition est nette dans les grandes lignes, elle est flottante dans le détail, et son style est souvent terne, verbeux et enchevêtré.

Signalons d'abord son traité, (11) contre Hiéroclès, gouverneur de Bithynie au début du IVe siècle, auteur d'un pamphlet intitulé Discours ami de la vérité (Logos philalèthès), dont le titre et l'esprit rappelaient le fameux ouvrage de Celse. Il y comparait Apollonius de Tyane au Christ. Il traitait d'ignorants les historiens de ce dernier, et plaçait au-dessus d'eux Philostrate et d'autres, qui avaient raconté la vie du premier. Il reprochait encore aux chrétiens de faire de Jésus un Dieu au lieu d'imiter les païens qui voyaient simplement en Apollonius un homme supérieur. Eusèbe, en un langage choisi et avec une grande modération, objecte que l'histoire du sage de Tyane n'est pas mieux garantie que celle du Christ et qu'elle est même légendaire, et, tout en rendant hommage à son caractère et à la noblesse de son inspiration, il proclame la supériorité du fondateur de l'Église, en l'étayant sur l'excellence de sa morale et le triomphe de sa cause persécutée.

Arrêtons-nous davantage sur les grandes apologies d'Eusèbe. La plus ancienne, est son Introduction générale élémentaire, qui comptait au moins neuf livres. Ils sont perdus, sauf les livres VI-IX, qui se sont conserves sous le titre d'Extraits des Prophètes, (prophéticaï eclogaï), recueil abondant de textes de l'Ancien Testament annonçant, d'après Eusèbe, la venue du Christ (édition Gaisford, Oxford 1842). Plus tard, entre 315 et 320 (d'après Schwartz), il tira de cet ouvrage deux traités qui se font suite l'un à l'autre, la Préparation évangélique (12) et la Démonstration évangélique (13).

Dans le premier de ces deux écrits, Eusèbe justifie les chrétiens d'avoir préféré le judaïsme à la religion païenne. Dans les six premiers livres, il fait le procès des cultes polythéistes. Il condamne leurs cosmogonies, leurs mythes, leurs dieux qui sont imaginaires ou diaboliques ; il s'élève contre les oracles trompeurs et l'accablante fatalité, et il étudie la législation de Moïse et la Sagesse hébraïque dont les Grecs, d'après lui, se sont inspirés. Loin d'être un pamphlet, ce traité est empreint de modération. L'auteur y déclare, par exemple, qu'il « admire beaucoup Platon et le tient pour ami » (L. XIII, ch. 18).

La Démonstration évangélique, en vingt livres, dirigée contre la religion juive et la polémique de Porphyre, disculpe les chrétiens du reproche d'avoir dénaturé le judaïsme. Elle établit que le christianisme lui est bien supérieur. N'a-t-il pas, en particulier, rejeté la polygamie patriarcale et les sacrifices ? Eusèbe examine longuement les prophéties qui ont annoncé la conversion des païens et la mission du Christ. il faut noter la critique de la divination païenne (L. V), en réponse au livre de Porphyre sur la Philosophie des Oracles, les aperçus (L. IV et V) sur les rapports entre le Père et le Logos incarné, la discussion (L. VI-X) sur la vie et l'oeuvre du Christ (14). L'ouvrage abonde en citations bibliques (d'après les Hexaples d'Origène) et en extraits de Josèphe et d'auteurs profanes.

Mentionnons enfin la Théophanie (ou « manifestation de Dieu »), en cinq livres (15), où Eusèbe parle de nouveau, en style assez oratoire, du Logos et de son rôle dans la création du monde et dans l'histoire avant son incarnation en Jésus, et l'Apologie d'Origène, composée en collaboration avec Pamphile, sauf le Vle livre, qu'il écrivit seul après la mort de son maître. Le livre 1er (16), le seul qui nous soit parvenu (dans la traduction de Rufin), justifie Origène du reproche d'hérésie que lui avaient décoché des critiques « ignorants et vaniteux ». Les auteurs invoquent des textes formels, tirés en particulier du célèbre traité Des Principes, qui distinguaient entre la tradition apostolique, règle de foi, et les sujets où une certaine liberté est laissée à la recherche.

Parmi les écrits exégétiques d'Eusèbe, il faut citer son commentaire sur les Psaumes (17), où, comme on pouvait s'y attendre, il pratique l'interprétation littérale, et historique, sans exclure les développements homilétiques ; une commentaire, en dix livres, sur Esaïe (mentionné par Jérôme) ; un traité sur le Désaccord des Évangiles (dont il reste un abrégé), où il examinait les variantes de leurs récits sur la naissance de Jésus et sur sa résurrection, et un écrit sur la Pâque (18), où il expliquait ce rite à Constantin et se prononçait contre la coutume orientale de célébrer la Pâque chrétienne le dimanche consécutif à la Pâque juive.

Terminons cette revue de l'oeuvre d'Eusèbe en signalant deux de ses discours qui ont été conservés (19) : l'un pour la dédicace de la basilique de Tyr, dont l'évêque Paulin était son ami (20), un autre en l'honneur des martyrs (version syriaque), et enfin sa Vie (te Constantin, en quatre livres (21). Cette histoire est plutôt un panégyrique. Son auteur affirme, en un style souvent oratoire, que l'empereur a été le ministre de Dieu sur terre, plus grand que Cyrus ou Alexandre. Laissant de côté la plupart de ses exploits militaires et les bienfaits de son administration, il a voulu célébrer en lui l'homme religieux, même un nouveau Moïse.

Le livre 1er retrace la jeunesse de Constantin et son expédition contre Maxence. Il le montre gagné à la foi en Jésus et confirmé dans cette croyance par la vision que l'on sait. Le livre Il exalte, non sans emphase, sa victoire sur Licinius, et reproduit, entre autres documents, la lettre de Constantin, aux habitants de la province de Palestine, où le nouvel empereur se présente comme le protégé et le serviteur de Dieu. Dans le livre III, on trouve le récit du concile de Nicée, la description des monuments élevés par Constantin à Jérusalem, à Constantinople et ailleurs, et trois lettres de lui, l'une à l'église d'Antioche troublée par le bannissement d'Eustathe, une autre à Eusèbe pour l'approuver d'être resté à Césarée au lieu (le succéder à cet évêque exilé, -une troisième dirigée contre les principales hérésies. Dans le livre IV, l'auteur met en lumière les marques de sympathie données par l'empereur à la foi chrétienne, la prière qu'il a composée pour ses soldats, le rôle de prédicateur qu'il a volontiers assumé (22), mais il avoue la faiblesse qu'il a montrée à l'égard de fonctionnaires trop cupides. Il termine en racontant sa mort, après son baptême, le 22 mai 337, jour de la Pentecôte.

L'ouvrage est suivi de trois appendices, dont le plus important est le discours prononcé par Eusèbe, le 25 juillet 335, dans le palais de Constantinople, pour le trentième anniversaire de l'avènement de Constantin (tricennalia), morceau très orné qui peint, avec des traits empruntés à l'Écriture, le bon prince, serviteur de Dieu, qu'il est censé avoir été, et célèbre ses nombreuses victoires sur les Barbares et les démons (23). Cette Vie de Constantin n'est pas sans valeur historique : elle contient des faits exacts, tels que le récit de la fameuse vision, qu'Eusèbe déclare tenir de l'empereur (L. 1, 28). Mais les vues tendancieuses n'y manquent pas, aggravées peut-être par des interpolations postérieures. Quant aux crimes de Constantin, elle s'abstient de les raconter.

Bien différente de celle d'Eusèbe fut la forme littéraire adoptée par Athanase (24). Sans doute, « ce n'est pas l'éloquence qu'il faut chercher en lui, dit Villemain, mais la sévère exactitude du langage dans l'exposition des dogmes... On dirait, à l'entendre, un législateur plutôt qu'un apôtre. C'est le dialecticien des mystères ». Mais soit style n'est ni terne ni traînant. C'est la phrase de combat, appuyée sur des textes et (les documents, passionnée, parfois imagée ou pathétique, remarquable par l'ampleur et le mouvement, exempte des coquetteries de la rhétorique d'Asie.

Le plus ancien de ses ouvrages est celui qui, d'après Jérôme, était intitulé Les deux livres contre les Païens, oeuvre de jeunesse, semble-t-il, d'un caractère très général et d'une vigoureuse ferveur, Le premier reproduit la polémique courante contre la mythologie et les rites impurs. On y sent aussi l'influence d'Origène et celle du néoplatonisme. Dieu y est représenté comme transcendant, et la chute est décrite comme l'abandon par les âmes de la contemplation des Intelligibles. Le second livre, désigné dans un manuscrit sous le titre d'Incarnation, exalte l'oeuvre du Logos incarné : défaite du démon, retour de l'humanité à la vérité, triomphe de la vie sur la mort.

Insistons davantage sur les trois discours contre les Ariens, composés, comme on sait, au cours de l'exil de 356 à 362.

Le premier expose l'éternité du Fils et l'unité substantielle qu'il forme avec le Père. Athanase raille la Thalie, et reproche à son auteur sa position instable entre le rationalisme et l'orthodoxie. Qu'est-ce, en effet, que ce Fils qui est une créature et qui existait « avant les temps » ? Et puis, comment Arius ose-t-il soutenir que sa nature est sujette au changement et que, en étant glorifié, il a reçu la récompense de son mérite ? Ne voit-il pas qu'il ruine la Trinité en affirmant que la « Monade » (la divinité unique) l'a précédée ? L'ardent polémiste reproche enfin aux ariens de s'adresser surtout aux enfants et aux femmes et de les troubler par des questions captieuses.

Dans le second discours, Athanase s'en prend à leur exégèse. Il insiste sur le fameux texte des Proverbes (8,22), qu'ils invoquaient volontiers contre l'éternité du Fils : « L'Eternel m'a créée (c'est la Sagesse qui parle) dès le commencement de ses voies ». il conteste le sens du verbe grec ctidzô (créer), qu'il traduit arbitrairement par établir. La discussion se poursuit, plus véhémente que décisive, dans le troisième discours, où Athanase continue l'examen des textes, tels que Jean, 14,10 ; Luc, 2,52 ; Matth., 26,38. La « croissance » de Jésus en sagesse et ses pleurs en Gethsémané constituent, en effet, une difficulté qu'il n'écarte pas. Quant aux textes de l'Ancien Testament qui enseignent la monarchie (le Dieu unique), il prétend qu'ils impliquent simplement la négation du polythéisme. Puis, abordant les relations de l'Esprit avec les deux autres personnes, il affirme que « tout ce que l'Esprit possède, il le tient du Logos ». Enfin, il s'attaque à, ce qu'il appelle le dernier argument des ariens, « l'encre de la seiche qu'ils projettent pour aveugler les innocents », l'idée que le Fils a été créé par la volonté du Père. Il explique, avec une subtilité vraiment excessive, qu'il a été agréé par lui, mais non créé par une décision volontaire.

À côté de ces traités, mentionnons diverses épîtres théologiques d'Athanase, tout d'abord celle qu'il adressa, vers 350, à un ami, sur les décrets du synode de Nicée. Il y prétend que, si le terme de « consubstantiel » n'est pas textuellement dans le Nouveau Testament, le sens s'y trouve, Il soutient, contre les ariens, que « si le Fils de Dieu a commencé d'être, il ne peut différer en rien des autres par nature », et il leur oppose l'unité, qu'il croit immuable, de la tradition chrétienne sur la Trinité (25). Dans ses quatre lettres à Sérapion sur le Saint-Esprit, écrites au désert, entre 356 et 362, il esquisse une doctrine qui était encore loin d'être formulée par l'Église, celle de la divinité du Saint-Esprit. Il y invoque la tradition ecclésiastique qui a commencé avec la formule du baptême (Matth., 28, 19) institué, croit-il, par Jésus lui-même. Dans la quatrième lettre, il discute certaines objections des ariens, celle-ci en particulier : si l'Esprit dérive du Fils, le Père devient un grand-père (26).

La lettre à Sérapion sur la mort d'Arius, écrite en 358, raconte, d'après le prêtre Macaire, qui assistait Alexandre, évêque de Constantinople, sa fin soudaine, qui prouve bien que « son hérésie est haïe de Dieu ». La lettre sur les synodes de Rimini et de Séleucie (27), rédigée en 359, a une réelle importance historique, car elle est riche en citations et en documents. Notons-y l'attitude hostile d'Athanase à l'égard des ariens stricts, dont il rejette la « démence », mais conciliante envers les semi-ariens, parmi lesquels il nomme Basile d'Ancyre, et qu'il cherche à ramener à la foi de Nicée.

On doit aussi à Athanase une Vie d'Antoine, qu'il écrivit, à la demande de quelques moines. Ce solitaire s'était retiré, dès sa jeunesse, au désert égyptien, et il y était mort en 356, à l'âge de cent-cinq ans, après avoir dépassé les autres anachorètes par ses austérités. Athanase l'avait connu pendant ses exils, et il avait recueilli de la bouche de ses visiteurs des détails déjà touchés par la légende. Dans cette vie, écrite sous la forme d'une lettre, qui obtint le plus vif succès (28), il retrace la jeunesse d'Antoine, ses premiers exercices ascétiques, ses luttes contre le démon, ses exhortations et ses prodiges.

Ce qui frappe dans cet ouvrage, c'est le rôle attribué au diable et à ses suppôts, contre lesquels Antoine soutint d'héroïques combats. Il conte le vacarme des démons, qui, revêtus des apparences de bêtes féroces, tourmentaient rudement son corps, jusqu'à ce qu'ils fussent chassés par un rayon de lumière et une voix céleste. Plus loin, est esquissée une théorie sur la matière ténue dont serait formé le corps de ces êtres malfaisants. Cette démonologie jette du discrédit sur le livre. « Aucune autre oeuvre, dit Harnack, n'a eu d'effet plus abêtissant sur l'Égypte, l'Asie occidentale et la Syrie ». Pourtant, l'ouvrage est édifiant. Il célèbre, en effet, un héros de la volonté qui s'expose à la souffrance pour se purifier, et qui, à l'occasion, sait se dévouer (29), sans jamais pécher contre l'humilité. Dans la description de cet idéal ascétique, qu'il exalte à l'excès, Athanase a introduit des éléments venus du stoïcisme, du néo-pythagorisme et de la philosophie cynique. De même, dans le récit des miracles, on a trouvé des traces d'idées égyptiennes, révélées par les papyrus magiques (30).




Esquissons à présent l'activité littéraire d'Hilaire de Poitiers (31), qui a reçu le titre de premier « docteur » de l'Église latine (32). Elle est, comme chez Athanase, celle d'un homme de foi et d'action. Il écrivit tout d'abord de l'exil pour soutenir le credo de Nicée. C'est la flamme qui anime son profond traité, eu douze livres, sur la Trinité, où il dénonce la subtilité arienne et apporte des documents précieux, tels que la lettre d'Arius à Alexandre (L. VI, ch. 5). Son style est ample, oratoire, imagé, parfois artificiel.

« C'est, dit Labriolle, un classique, formé à, l'école de Quintilien ». Même ferveur dans son traité des Synodes, sinon dans la première partie, pleine de formules dogmatiques orientales, du moins dans la seconde, qui conjure les semi-ariens de se rallier à la foi de Nicée. Ses dernières années, passées dans son diocèse de Poitiers, furent fécondes en oeuvres exégétiques et historiques. On a de lui un commentaire sur Matthieu, à peu près complet, un autre sur les Psaumes, partiellement conservé. Disciple d'Origène, il usait de la méthode allégorique, et, comme on peut le lire dans son traité des Mystères (33), il prétendait que dans chaque fait et chaque personnage de l'Ancien Testament « se reflète, comme en un miroir, l'image de la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ, de sa prédication, de sa résurrection et de notre Église».

Plus intéressants sont ses Fragments historiques, où sont rassemblés des lettres d'évêques et d'empereurs, des actes et décrets de conciles et des professions de foi. D'après le Père Feder, chargé de les éditer dans le Corpus de Vienne (34), ces Fragments comprennent deux ou trois morceaux du livre d'Hilaire contre Valens et Ursace, mentionné par Jérôme (De Viris, 100), écrit peu après le concile de Béziers (356) : deux documents qui ont survécu sous le titre inexact de livre premier à Constance (lettre du concile de Sardique à cet empereur et texte narratif qui la complète). Dans une seconde partie, Feder croit reconnaître des fragments d'un ouvrage écrit par Hilaire après les synodes de, Rimini et de Séleucie. Tous ces extraits, et d'autres encore, auraient été réunis, dès la fin du IVe siècle, par un chrétien désireux de donner un exposé du conflit.

D'après Isidore de Séville, Hilaire fut le premier à composer des hymnes d'église en latin. Il fit un liber hymnorum (Jérôme, De Viris, 100), en s'inspirant des chants orientaux, mais ces chants n'étaient guère populaires et ils eurent peu de succès... (35).

Insistons enfin sur un savant champion de l'orthodoxie, Didyme (36), surnommé l'Aveugle, parce qu'il avait perdu la vue à l'âge de quatre ans. Il fut chargé par Athanase, admirateur de son savoir encyclopédique, de diriger l'École catéchétique d'Alexandrie, dont il fut le dernier maître connu (37). Ascète plein de piété et de bienveillance (38), respecté des ariens eux-mêmes, il mourut vers la fin du IVe siècle, laissant un nombre considérable d'écrits dogmatiques et exégétiques. Dictés à des secrétaires par un auteur incapable de se relire, ils avaient les mérites et les défauts de l'enseignement oral, et leur style est, en général, prolixe et sans relief.

Le plus ancien ouvrage de Didyme qui nous soit parvenu (dans la traduction latine qu'en fit Jérôme est le traité Sur le Saint-Esprit, antérieur à l'ancien 381, date du célèbre ouvrage d'Ambroise, évêque de Milan, qui l'a beaucoup utilisé. Disciple d'Athanase, il présente le Saint-Esprit comme -un élément de l'essence divine, différent, du Père et du Fils, mais participant à leur substance. L'argumentation en est claire et paisible, et le ton est celui d'une piété ardente et d'une touchante humilité. Le grand traité Sur la trinité, une des dernières oeuvres de Didyme, a été conservé dans le texte grec (à peu près intégral). Le premier livre défend, contre les ariens, la notion orthodoxe du Fils ; le second réfute les « Macédoniens » (39) expression par laquelle il désigne les négateurs de la divinité du Saint-Esprit ; le troisième résume les deux premiers et examine les textes scripturaires qui y sont invoqués. Didyme a prodigué dans ce traité les citations poétiques et les souvenirs de Platon et des néoplatoniciens, mais il s'inspire surtout de la Bible, dont il avait une connaissance surprenante. Sa discussion est habile, son style est simple, non sans quelques envolées lyriques, comme la prosopopée du Logos, s'écriant : « Le Père est Dieu : je le suis aussi... » (L. 1, 26). Sa doctrine est celle de Nicée. « Son originalité principale, dit Puech (T. III, p. 157), paraît être d'avoir, sinon employé le premier - la chose reste douteuse - du moins employé couramment et fait entrer dans l'usage la formule : une ousie, trois hypostases (une essence, trois personnes) ».

On a conservé encore, de Didyme, un ouvrage Contre les Manichéens, qui semble n'être qu'un abrégé ou un recueil d'extraits, ainsi que des fragments de commentaires où, tout en faisant une place à l'interprétation littérale, il recourait, surtout dans ceux des Psaumes à, la méthode allégorique, chère aux Alexandrins.

Parmi ses ouvrages perdus, il en est deux qui révèlent des emprunts à la théorie d'Origène sur la préexistence des âmes et le rétablissement final : un commentaire sur le traité des Principes de ce Père, et un écrit sur le problème de la mort des petits enfants. Malgré cette hérésie, Didyme fut longtemps honoré, mais il fut englobé dans la condamnation portée contre Origène par le concile de Constantinople (553), défaveur qui explique que son oeuvre immense n'ait guère survécu.

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(1) Cf. l'édition, en sept volumes, du Corpus de Berlin, de 1902 à 1926, et Puech, Tome III. L. II, ch. I. 
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(2) Le catalogue de ces écrits est donné par Jérôme (De Viris, 81) et par Photius, dans sa Bibliothèque.
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(3) Constantin lui en commanda cinquante exemplaires pour les églises de Constantinople.
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(4) Le texte grec en est perdu, à part quelques extraits. La première partie nous est parvenue dans une version arménienne (Tome V du Corpus de Berlin), et la seconde dans une traduction de Jérôme, qui a fait de nombreuses additions pour combler des lacunes et a poussé le récit depuis la vingtième année du règne de Constantin jusqu'au temps de VaIentinien. 
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(5) Édition Schwartz et Mommsen. 1903-1908 (T. II de Berlin). Elle a servi de base au texte grec et à la traduction française, en trois volumes, de l'abbé Grapin (coll. Lejay), Paris 1905-1913. 
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(6) Puech fait observer que le L. VII est composé presque entièrement d'extraits de Denys d'Alexandrie. 
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(7) A ce qu'il semble, la première rédaction ne comprenait que les livres I-VIII. Le IXe paraît dater de 315, et le Xe de 321 environ.
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(8) Il en existe aussi une recension plus longue dans une version syriaque éditée par Cureton (Londres 1861).
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(9) Eusèbe avait déjà composé un Recueil des anciens Martyres (perdu).
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(10) Voir notre Tome 1er, L. II, ch. Il
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(11) Conservé dans le ms d'Aréthas qui contient les Apologistes (Parisinus groecus, 451). Eusèbe écrivit aussi un traité en vingt-cinq livres (perdu sauf de rares fragments) contre Porphyre philosophe alexandrin, ardent détracteur des chrétiens, et d'après Photius) deux livres de Réfutation et Apologie (perdu). 
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(12) Édition Gifford, avec trad. anglaise (Oxford 1903). 
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(13) Édition Heikel, Berlin 1913. 
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(14) Les livres XI à XX sont perdus, à part un fragment du XVe (sur Daniel). 
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(15) Conservée dans une version syriaque (édition Lee, Londres 1842). Traduction allemande par Gressmann (Corpas de Berlin, 1904).
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(16) On trouve dans la Bibliothèque de Photius (cod. 118) un très bref résumé des cinq autres livres. 
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(17) Traduit en latin par Eusèbe de Verceil. 
(18) Fragment conservé dans la Chaîne sur saint Luc de Nicétas d'Héraclée. 
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(19) Celui qu'il prononça pour les vingt ans de règne (vicennalia) de Constantin est perdu. 
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(20) Inséré par Eusèbe dans le Xe livre de son H. E. 
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(21) Édition Heikel, Berlin 1902. Voir l'intéressante analyse critique de Puech, T. III. p. 207-218. 
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(22) Il cite son Discours à rassemblée des Saints. 
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(23) Ce discours se rattache au genre des « discours royaux » de la littérature profane. 
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(24) Bibliographie. - Fialon, S. Athanase, Paris 1877 Cavallera, S. A., Paris 1908 (coll. La Pensée chrétienne) Bardy, S. A., Paris 1914 (coll. Les Saints) ; Puech, T. III, L. I, ch. III. L'édition la plus importante de ses oeuvres est la bénédictine (Paris, 1698). 
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(25) Il va jusqu'à la retrouver (ch. III) dans le Pasteur d'Hermas qui n'en parle guère. (Voir Puech, T, II, p. 82). 
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(26) il faut signaler aussi la lettre sur L'opinion de Denys (d'Alexandrie), qui, dans la controverse sur le sabellianisme, avait paru nier l'existence éternelle du Fils, et qui, plus tard, avait refusé d'accepter le terme de « consubstantiel ». (Voir notre Tome I, p. 237). Athanase soutient que, au fond, Denys était orthodoxe. 
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(27) on l'appelle brièvement Les Synodes. 
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(28) Le texte nous est parvenu en grec, en latin (traduction d'Evagrius, évêque d'Antioche, en 388), et en syriaque. Édition de Maunoury, Paris 1885 (rééditée). L'authenticité de cet écrit est attestée par Jérôme (De Viris, 87-88) et Grégoire de Nazianze (21e discours). 
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(29) Pondant une persécution, Antoine revint à Alexandrie et y rendit des services à l'Église.
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(30) Reitzenstein, Des Athanasius Werk über das Leben des Antonius, Heidelberg, 1914, p. 36-37.
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(31) Cf. Largent, S. Hilaire, Paris 1902 (coll. : Les Saints), Feder, Studien zu Hilarius Vienne 1910-1912. et édition d'Hilaire dans le Corpus de Vienne, T. LXV, 1916 ; Jeante, Le Psautier de S. II. de Poitiers, Paris 1917 ; Labriolle,Lifter. lat., p. 318-334. 
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(32) Titre décerné par un bref apostolique (13 mai 1851)
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(33) Retrouvé par Gamurrini dans le ms d'Arezzo et publié à Rome en 1887.
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(34) Il s'est inspiré en partie des vues de dom Wilmart (Revue Bénédictine, 1907). 
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(35) Le ras d'Arezzo en contient trois, qui semblent être d'Hilaire. Ils célèbrent le Fils et son triomphe. Le plus connu est le «Ante soecula qui manes», adressé au Christ (il y manque les quatre dernières strophes).
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(36) A consulter : Leipoldt, Didymus der Blinde, T. U. Leipzig 1905 ; G. Bardy, Didyme l'Aveugle, Paris 1910 ; Puech T. III, p. 151-166.
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(37) Il avait des aptitudes étonnantes pour la, géométrie. Parmi ses auditeurs, on peut signaler saint Antoine, Palladius, Evagrius le Pontique, Jérôme, etc. 
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(38) Palladius le nomme dans son Histoire lausiaque (ch. IV). 
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(39) Terme tiré du nom d'un évêque de Constantinople, Macédonius, dont le rôle, sur ce point, n'est pas éclairci.
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