Comme le frêle arbuste qui doit devenir un chêne
puissant reste caché dans le taillis, les débuts de l'Église,
chrétienne ne nous apparaissent qu'à demi voilés sous de pieuses
traditions. Quelques rayons, pourtant, éclairent un peu ces sous-bois
de l'histoire. D'après des narrations dignes de confiance, utilisées
par les Actes, les disciples, encore très émus de la catastrophe du
Calvaire, se réunirent plusieurs fois à Jérusalem, avides d'évoquer
les
grands souvenirs de leur Maître et de recevoir l'effet de ses
promesses. Ils avaient été accablés d'abord, comme le dénote l'amer
découragement des disciples d'Emmaüs (1).
Puis ils s'étaient ressaisis en
l'apercevant dans sa gloire de ressuscité, au cours d'apparitions
émouvantes, dont la réalité est attestée par le témoignage formel de
Paul (1
Cor. 15, 5-8), et par la
transformation qu'elles produisirent en eux (2).
La mise en commun de leurs
expériences et de leurs espérances devait être bientôt suivie de la
grande manifestation spirituelle du jour de la Pentecôte, qui était
chez les Juifs la fête des Moissons. Cette effusion se traduisit par
des phénomènes surprenants de glossolalie, exclamations confuses qui
donnaient l'impression de l'ivresse (Actes,
2,
13), et par un élan d'évangélisation qui poussa Pierre à
rendre témoignage à la résurrection de Jésus.
L'Église était fondée. Elle s'accrut
d'autant plus aisément que, fidèle aux cérémonies juives; elle ne fut
pas inquiétée tout d'abord (3).
Pourtant, elle avait ses réunions
intimes, où l'on rappelait les souvenirs du Maître, en vivant dans sa
communion et en bonne fraternité. il s'y pratiquait un communisme
partiel, non pas de production mais de consommation, où certains
chrétiens, tels que Barnabas, se distinguèrent par leur renonciation à
leurs biens (4).
La grande pensée religieuse qui
animait les premiers chrétiens était la foi en la résurrection de
Jésus (5).
Ils y voyaient un acte extraordinaire de Dieu, très différent de la
résurrection des justes ou de celle - plus générale - des justes et
des
injustes, admises par les Juifs, accompli parce qu'il était le Messie
élu par lui et pour le légitimer comme tel. Ils saluaient aussi sa
résurrection comme la garantie du retour glorieux de leur Maître
(parousie), chargé de juger les hommes et de fonder le royaume de Dieu
(Actes,
10,
42 ; cf Marc,
14,
62). De plus, ils commençaient à penser qu'elle lui
conférait déjà une certaine puissance messianique, celle d'envoyer son
Esprit à ses disciples et d'être
spirituellement présent parmi eux, en particulier dans la Cène. Ils
l'appelaient le « serviteur (grec païs) de Dieu » (Actes
3,
13 et 26),
l'
« homme approuvé par Dieu » (2,
22), sans spéculer encore sur sa nature et son origine, comme
le fait remarquer Weizsoecker, et ils ne parlaient de sa mort violente
que comme d'un opprobre, levé heureusement par sa résurrection.
Cet « enthousiasme primitif », comme
dit Harnack, ne tarda pas à élargir la conception du Messie juif en
celle de. « Seigneur » (grec Kyrios), être céleste incarné en Jésus,
qui devint l'objet d'un culte. D'après Bousset, dont le livre Kyrios
Christos est devenu classique (6),
c'est dans les églises d'origine
hellénique que cette idée se fit jour. On a soutenu, d'autre part, que
la notion et le culte du Kyrios sont nés « dès les premières années de
la vie de l'Église et sur le terrain palestinien » (7).
Pourtant, chez les chrétiens
d'origine juive, le nom de Kyrios n'a pas dû être en faveur, car il
était le terme qui, dans la Version des Septante, traduisait le mot
hébreu Adonaï, réservé au Dieu unique. Par contre, le mot Kyrios était
fréquemment employé par les Grecs. Il désignait le maître respecté, ou
encore les dieux sauveurs, adorés en Asie-Mineure, en Syrie et en
Égypte. Il est donc vraisemblable que ce sont les chrétiens d'origine
grecque qui Pont appliqué les premiers à Jésus. L'expression primitive
« serviteur de Dieu » (païs Théou) fut remplacée par celle de « Fils
de
Dieu » (uïos Théou), d'autant plus aisément que, en grec, païs
signifie
à la fois « serviteur » et « enfant ».
D'autre part, la mort du Christ
cessa bientôt d'être un opprobre en elle-même. Ses disciples y virent
le chemin douloureux mais inévitable qu'il avait dû suivre.
pour
« entrer dans sa gloire » (Luc,
24,
26). De plus, frappés de l'analogie (8)
entre ses souffrances et celle du «
serviteur de Yahvé », célébré dans Esaïe
(ch.
53), ils furent amenés à leur "signer une valeur
expiatoire, ainsi qu'en témoigne saint Paul (1
Cor. 15, 3). On constate, en outre, à
cette époque primitive, la coutume de la « fraction du pain » (Actes,
2,
42-46), où rien n'empêche de voir la célébration de la
Cène, et le rite du baptême dés adultes qui attestait qu'ils avaient «
reçu la parole de Dieu » (Actes,
8,
v. 12, 13 et 38).
Il
y avait déjà à ce qu'il semble, ce qu'on a nommé une « catéchèse
apostolique », c'est-à-dire un certain type d'instruction religieuse
orale, sans doute assez suivie, comme l'a pensé Reuss. Paul, en effet,
un peu plus tard, il est vrai, parle de catéchistes (Gal.
6,
6) et d'un « type (modèle) de doctrine » (Rom.,
6,
17), et il fait cette déclaration : « Voilà ce que nous
prêchons, soit moi soit eux (les apôtres), et voilà. ce que vous avez
cru » (1
Cor. 15, 11). Ce premier credo a dû
être assez rudimentaire, et on ne peut prouver, comme le reconnaît le
Père Prat, dans son remarquable ouvrage sur la Théologie de saint,
Paul
(T. Il, p. 39), qu'il ait revêtu une forme invariable (9).
D'après un récit digne de foi (Actes,
3,
1-4, 22),
Pierre
et Jean soulagèrent un impotent à une porte du Temple. L'émotion
de la foule dégénéra en trouble, et les deux apôtres durent
comparaître
devant le Sanhédrin, qui leur interdit de rendre témoignage au Christ,
sans pouvoir obtenir d'eux un engagement à cet égard. Bientôt, les
chrétiens d'origine hellénique éprouvèrent le besoin d'avoir leurs
chefs spirituels, non pas des
diacres (malgré l'indication de 6,
3) mais des prédicateurs, tels qu'Étienne et Philippe (10).
Dans
ce groupe, a la fois attirant et imprécis, où, sous l'assistance
aux cérémonies du Temple, fermentait le spiritualisme prophétique, se
détache la belle figure d'Étienne qui, avec une magnifique témérité «
annonça devant ses juges assassins la fin d'un cléricalisme
nationaliste, et... déroula, comme une fresque, l'apologie majestueuse
de la religion en esprit et en vérité » (11).
On peut dire, avec Causse, qu'il
prépara le schisme entre l'Évangile et la Loi et ouvrit la voie à
saint
Paul. Sa violente critique du Judaïsme causa sa perte, et elle attira
une grande persécution, non pas sur l'église de Jérusalem dans son
ensemble, puisque les apôtres furent épargnés (8,
1), mais sur le groupement helléniste.
Dispersés, ses chefs s'adonnèrent à
la mission (8,
4). Philippe évangélisa Samarie (8,
5-8), où il convertit Simon le Magicien (8,
13). Il baptisa un ministre éthiopien sur le chemin de
Jérusalem à Gaza (8,
38). D'autres firent des recrues en Phénicie, en Chypre et à
Antioche (11,
19). De son côté, Pierre exerça une
activité difficile à préciser, car la source qui la raconte est
déparée
par le merveilleux, et altérée par une conception ecclésiastique qui
exaltait déjà l'autorité des apôtres (12).
C'est alors qu'apparaissent deux
noms, célèbres dans l'histoire de l'Église, celui d'un centre
missionnaire et celui d'un apôtre, Antioche et Paul.
Pittoresquement bâtie sur les bords
de l'Oronte, entourée d'un mur d'enceinte pareil à une couronne dentelée,
qui enfermait des vallons, où
tombaient des cascades, des jardins enchanteurs, des bois de lauriers
et de myrtes, des palais et des temples, Antioche était une ville de
luxe et de plaisir, paradis des magiciens, où se pressait une
aristocratie coudoyée par 'une population remuante et avilie. Mais il
s'y forma vite une église chrétienne, recrutée dans la colonie juive,
qu'avaient attirée le commerce et le libéralisme de la cité, ainsi que
parmi les prosélytes païens (voir
Appendice V)
(Actes,
11, 19-21). « Il s'y manifesta
dès le principe, dit Auguste Sabatier, un esprit tout différent de
celui qui régnait -dans l'église de Jérusalem.
Les Juifs et les païens se fondirent
ici pour la première fois dans une même communauté. Le christianisme
prit une claire conscience de sa mission universelle » (Encycl. Licht.
art. Antioche). Ce fut la ville de Paul, comme Jérusalem fut celle des
Douze, le foyer des grandes missions, la première métropole de
l'Église
après la ruine des églises de Judée, la cité où, pour la première
fois,
les disciples de Jésus reçurent le nom de chrétiens - christianoï (Actes,
11,
26).
Tout ce qui touche à la pensée de Paul a beaucoup
attiré l'attention de la critique dans le dernier demi-siècle (13).
On
sait avec quelle pénétration éloquente Auguste Sabatier en a démêlé
et dépeint les diverses étapes et l'enchaînement (L'Apôtre Paul, 4e
éd.
1911).
Toutefois, cette oeuvre brillante
n'était pas sans lacunes. On a étudié plus à fond la langue de
l'apôtre (14),
nie l'authenticité de ses épîtres (15)
ou de quelques-unes
d'entre elles (16).
La critique s'est appliquée aussi à mettre en lumière les sources de
sa
pensée. Pfleiderer a montré qu'il devait aux rabbins sa méthode
d'interprétation de l'Ancien Testament, et la forme de ses idées sur
la
chair, le péché, la loi et l'expiation. Il a noté ses emprunts aux
modes de penser helléniques ouvrant ainsi la voie à de savantes
investigations (17).
On a discerné ainsi chez Paul des
éléments philoniens, des rapports avec le stoïcisme et les religions
orientales, des emprunts aux procédés de rhétorique familiers à la
Diatribe philosophique grecque. Ces études ont eu pour contre-coup de
faire ressortir les différences qui le séparent de Jésus, dont des
recherches parallèles montraient la dépendance à l'égard de
l'hébraïsme (18).
L'analogie de ces deux pensées a été maintenue, au contraire, par
divers savants (19).
La même opinion, plus disposée pourtant à reconnaître quelques
différences, a été soutenue par Goguel, dans un ouvrage important,
L'Apôtre Paul et Jésus-Christ
(Paris, 1904), et par Henri Monnier, dans La Mission historique de
Jésus (20).
L'apôtre Paul était né à Tarse,
grand centre commercial et foyer intense de culture philosophique et
de
« mystères » païens (20b).
C'est là qu'il apprit le grec et
s'initia aux procédés de rhétorique et aux idées religieuses de
T'hellénisme (21).
À Jérusalem (d'après Actes, 22, 3), il étudia la Loi et les méthodes
de
discussion adoptées par les rabbins (22).
On le voit ensuite persécuter
durement les églises de Judée (Gal.
1,
23) dans son indignation contre les disciples tissez
hardis pour présenter comme le Messie le novateur condamné par le
Sanhédrin. Soudain, sur le chemin de Damas, a la suite d'une
apparition
imprévue, se produit un événement considérable, réfractaire à toutes
les explications naturalistes (23)
; il se convertit...
Sa préparation religieuse fut courte
(Gal.,
1, 16). Elle se fit en dehors des apôtres de Jérusalem (Gal.
1,
.17), vis-à-vis desquels il tint toujours à montrer son
indépendance. il eut, sans nul doute, pour catéchistes, des chrétiens
de Syrie. « C'est à Antioche, suggère avec raison Ernest Renan, qu'il
se forma définitivement » (24).
À peine remis de sa grande secousse,
il se rend en Arabie (Gal.,
1,
17), au pays des Nabatéens, à, l'Est et au Sud de la
Palestine, peuplé de Juifs, où il commence ses prédications (25).
De
retour à Damas, il les continue dans les synagogues (Actes,
9,
20). Menacé, il s'échappe (2
Cor. 11, 32-33 ; Actes
9,
23-25). Il monte à Jérusalem pour y faire la connaissance
de Pierre, mais il n'y voit que Jacques, frère de Jésus, et il n'est
pas présenté à l'Église (Gal.
1,
18-20). Il prêche, ensuite en Syrie et en Cilicie, et ses
succès réjouissent « les églises de Judée » (Gal.
1,
21-23). Les Actes, qui confirment cette activité (9,
30), ajoutent (11,
25) que Barnabas vint le chercher à, Tarse pour l'emmener à
Antioche (de Syrie), où l'évangile s'était déjà implanté et dont ils
instruisirent l'église pendant une année entière.
À cette époque - en 44 (26)
- Paul fit sa seconde visite à Jérusalem, pour la conférence destinée
a
apaiser le conflit qui commençait à surgir entre les apôtres, aggravé
par l'intransigeance de certains judéo-chrétiens, au sujet de
l'admission des païens dans l'Église, (27).
Il était accompagné par Barnabas
et par Tite, ancien païen (pagano-chrétien) incirconcis, Il exposa son
« évangile » à l'église, puis, en particulier, à ses dirigeants. Il y
eut lutte, causée par l'insistance
de « faux frères » qui réclamaient la circoncision de Tite, mais Paul
ne céda pas, et son compagnon fut dispensé de ce rite. Jacques, Pierre
et Jean, les « colonnes de l'église », leur donnèrent, ainsi qu'à
Barnabas, « la main d'association », en leur recommandant simplement
de
venir en aide aux églises pauvres de Judée. À la suite de cette
conférence, Paul s'adonna définitivement à l'évangélisation des païens
(28),
labeur d'autant plus admirable qu'il était entravé par une « écharde
dans la chair » (2
Cor. 12, 7) Il y montra, dit
Guignebert, « une âme ardente et mystique, un esprit rompu à la
discussion, en même temps qu'un sens pratique très éveillé et une
énergie indomptable ».
En l'an 44, il entreprend son
premier voyage missionnaire (Actes
13,
1-14). Accompagné par Barnabas et Jean-Marc, il passe en
Chypre et de là en Asie-Mineure. À Perge, Jean-Marc le quitte pour
retourner à Jérusalem. Après avoir visité Antioche de Pisidie,
Iconium,
Lystres et Derbe, Paul et Barnabas reviennent à Antioche de Syrie.
C'est alors, sans doute, qu'eut lieu l'incident raconté par l'apôtre (Gal.
2,
11-14), avec ses reproches à Pierre qui, aprés avoir
fraternisé avec des pagano-chrétiens d'Antioche, s'était séparé d'eux
à
l'arrivée de partisans de Jacques.
II eut pour résultat la rupture de
Paul avec Barnabas.
Quelque temps après (Actes
15,
40), il part avec Silas
pour un second voyage missionnaire. Il parcourt la Syrie et la
Galatie,
visite la Pisidie et la Lycaonie où il avait déjà fondé quelques
églises, prend Timothée à Lystres, et, se dirigeant vers le nord, il
traverse la Phrygie et la Galatie et arrive à Troas, où il semble
s'être adjoint Luc. Guidé par un songe, il passe en Macédoine et crée
à
Philippes une église modeste mais très dévouée. Maltraité par les
autorités de cette ville (1
Thess. 2, 2), il part et suit, avec
ses compagnons, la grande route romaine (via Egnatia), qui conduit à
Thessalonique, port de mer fréquenté, siège d'une importante colonie
juive, et il prêche avec succès dans sa synagogue (Actes
17,
1-10 ; 1
Thess. 1, 9-10). Ce séjour, plus long
que les trois semaines indiquées par les Actes, fut marqué par des
persécutions qui atteignirent non seulement l'apôtre (1
Thess. 2, 2) mais les fidèles (1
Thess. 1, 6). Expulsé par les
magistrats, il gagna Bérée, d'où, malgré le bon accueil des Juifs, il
dut bientôt s'éloigner pour se rendre à, Athènes. Il y discuta sur la
place publique avec quelques philosophes (29),
mais n'y fonda pas d'église, car
il déclarait un peu plus. tard (1
Cor. 16, 15) que ses premiers
convertis en Grèce (les prémices de l'Achaïe) avaient été Stéphanas,
de
Corinthe, et les siens.
Au printemps de l'an 50, Paul arriva
dans cette dernière ville (Actes
18,
1). Il trouva du travail chez un faiseur de tentes,
Aquilas, Juif chassé de Rome, avec ses compatriotes, par un édit de
Claude (Actes
18, 2). Il le convertit ainsi que
sa femme, Priscille, et il prêcha dans la synagogue. Rebuté par les
Juifs, il réunit des fidèles chez un certain T. Justus, prosélyte
grec,
et il eut la joie de voir venir à lui Crispus, le chef même de la
synagogue, qu'il baptisa (l
Cor. 1, 14) contre son habitude. Mais l'église se recruta
surtout parmi les païens (l
Cor. 12, 2), en général artisans et esclaves
(1
Cor. 7, 21 ; 12,
13). C'est pendant ce séjour, qui
dura du printemps de l'an 50 à la fin de 51, qu'il écrivit aux
Thessaloniciens, deux épîtres pleines de tendresse apostolique,
destinées à les instruire sur le retour glorieux du Christ, à les
mettre en garde contre la paresse.
Paul se rendit de Corinthe à
Antioche de Syrie, d'où il repartit pour son troisième voyage
missionnaire. Il traversa la, Galatie et la Phrygie, « fortifiant tous
les disciples » (Actes
18,
23), pour se fixer à Éphèse, probablement en l'an 53.
Pendant trois mois, il parla librement à la synagogue (19,
7), puis, lassé par diverses oppositions, il tint des
réunions, pendant deux ans, dans l'école d'un certain Tyrannus (19,
9). Ce séjour fut marqué par de dures persécutions (1
Cor. 16, 9 ; Actes
20,
19), en particulier une grande épreuve au cours de
laquelle l'apôtre crut'mourir (2
Cor. 1, 8 ss), peut-être le combat
contre les bêtes fauves auquel il fait allusion, dans 1
Cor.. 15, 32, ou bien un
emprisonnement (Origines, p. 140).
C'est à cette période de sa vie que
se rattachent ses épîtres aux Corinthiens, ainsi que la lettre aux
Galates et même, croyons-nous, celle aux Philippiens.
Les épîtres de Paul ont été des écrits de
circonstance, rédigés souvent à la hâte, dans la noble fièvre de
l'apostolat, et pourtant elles sont des oeuvres littéraires, où une
pensée surchargée et haletante se déverse en un style vigoureux et
elliptique, riche en locutions originales et en formules inoubliables
qui ont fait de cet homme d'action, selon le mot d'Edouard Reuss,« le
créateur du langage théologique de l'Église » (30).
De plus, elles ont une portée
générale, car la tendance de leur auteur à la systématisation a fait
d'elles assez souvent des exposés de pensée et de vie
chrétienne
(31).
Tel est le cas, en particulier, des deux épîtres Aux Corinthiens (32),
admirables
d'élévation, de sagesse et d'éloquence, où son humilité
chrétienne et sa fierté apostolique s'expriment en un langage tour à
tour énergique et tendre. Leur église, troublée par divers désordres
et
des divisions, s'humilia sous le fouet de ces reproches et retrouva la
paix.
C'est aussi d'Éphèse, semble-t-il,
que Paul envoya sa touchante lettre aux Philippiens, comme l'ont
fortement soutenu Goguel, Lake et Feine, frappés en particulier par
l'indulgence qu'il montre envers ceux qui prêchaient Christ dans un
esprit de parti, (1,
17-18), indice d'une période où il pouvait encore
s'illusionner sur les dispositions des judaïsants (judéo-chrétiens
fanatiques). Un peu plus tard, au cours d'un voyage en Macédoine,
pendant l'automne de 56, il écrivit sa célèbre épître aux églises
qu'il
avait fondées dans la Galatie ancienne, pays montagneux situé au
centre
de l'Asie-Mineure. Elles avaient été fort agitées, en effet, par des
judaïsants avides de ruiner son évangile et son autorité. Informé de
cette défection, l'apôtre frémit. « Il riposte, il se défend et frappe
à son tour ; c'est un duel à mort entre la religion de la lettre et
celle de l'esprit » (33). De son
coeur, lourd et assombri
comme un ciel d'orage, sort un de ces éclairs salutaires qui montrent
l'abîme, sa lettre fulgurante sur le salut par la foi et la liberté
chrétienne, dont l'effet sur les Galates. semble avoir été décisif.
En revenant de Macédoine, Paul fit
un séjour à Corinthe. Ce fut pendant l'hiver qu'Il y passa (56-57)
qu'il écrivit son épître aux Romains.
L'église de la capitale paraît avoir
été fondée par des chrétiens d'Orient, qui avaient fait des recrues
dans le Judaïsme romain, où l'on parlait le grec, puis parmi les
païens. L'élément pagano-chrétien y était devenu prépondérant. Cette
église mixte n'était pas divisée, et les dons spirituel s'y exerçaient
fraternellement avec une ferveur spontanée et sans organisation
officielle. Paul se sentit pressé de lui écrire pour lui annoncer sa
venue prochaine et de préparer en elle un point d'appui pour
l'évangélisation de l'Occident. Peut-être voulut-il aussi vacciner ses
membres judéo-chrétiens contre la fièvre judaïsante, toujours à
redouter. De là, cette grande épître, justement renommée, cours
profond
et émouvant d'instruction religieuse qui se termine par d'admirables
exhortations morales (ch.
XII), et des conseils ecclésiastiques, politiques et sociaux.
De Corinthe, Paul se rendit à
Jérusalem, où il se mit en rapport avec Jacques et les anciens. Il
accepta leur invitation à se soumettre à une cérémonie juive pour
désarmer les préventions des judéo-chrétiens, et il reçut d'eux
communication d'un décret favorable aux anciens païens (Actes,
21,
17-26). Peu après, appréhendé par des Juifs d'Asie, qui
lui reprochaient d'avoir profané le Temple en y introduisant des Grecs
(Trophime sans doute), il fut délivré par le tribun. Sur le point
d'être flagellé, il fut épargné dès qu'il eut invoqué son titre de
citoyen romain. Poursuivi à la requête des Juifs, comme on peut le
conclure de la lettre du tribun à Félix (Actes
28,
26-30), il ne tarda pas à être transféré à Césarée, où le
gouverneur résidait. La première audience ne donna aucun résultat, et
Paul resta en prison pendant deux ans. C'est alors, selon toute
apparence, qu'il écrivit son épître aux Colossiens, pour les prémunir
contre certains hérétiques qui leur prêchaient le culte des anges et
l'ascétisme (2,
18 et 23).
Il
chargea Tychique, porteur de cette lettre, de remettre à Philémon,
chrétien de Colosses, un billet plein de cordialité et d'esprit, le
priant avec insistance de pardonner à son esclave Onésime qui s'était
enfui de chez lui.
Festus successeur de Félix, ayant
décidé de faire juger Paul par le Sanhédrin, il demanda que la double
accusation de propagande religieuse illicite et de sédition, dont il
était l'objet, fût déférée au tribunal de l'empereur. Au début de
l'automne de l'an 59, il s'embarqua pour Rome, où il parvint après un
naufrage et un arrêt forcé à Malte. Il y obtint la permission de loger
dans une maison, sous la garde d'un soldat, en attendant sa
comparution. Sa captivité se prolongea au-delà des deux ans indiqués
par les Actes
(28, 30). Le mystère pèse sur la
dernière période de sa vie. Seuls, quelques billets, conservés, à ce
qu'il semble, dans 2
Tim. 1, 15-18, et 4,
6-19, révèlent à la fois la tristesse du grand apôtre qui se
sentait abandonné des hommes et sa foi triomphante dans l'attente de
la
« couronne de justice » (34).
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |