Appendice I
1. - Signalons ici une nouvelle
Ecole allemande de critique des Evangiles, la Fornigeschichlliche
Sechule, appelée aussi la Traditionsgeschichttiche Schule, qui s'est,
donne pour tâche de, retracer, en analysant leur forme » l'histoire de
la tradition dont ils procèdent. Ses représentants sont Dibelius,
professeur à Heidelberg, auteur d'ouvrages Les estimés (Die
urchristliche Ueberlieferung lobannes den Taufer, Goettingue 1911 et
Die Formgeschichte des Evangeliums Tubingue 1919 ; B. Bultmann,
professeur à Marbourg, connu en particulier par sa Geschichte der
synoptischen Tradition (Goettingue 1901) et son Erforschung der syn.
Evanyelien (Giessen ; K,-L. Schmidt, professeur à Iéna, avec son livre
important Die Rahmen der Geschichte Jesu (Berlin, et G. Bertram,
auteur
de l'ouvrage Die Leidensgeschachte Jesu, und der Christus Kult
(Goettingue, 1922). Le point de vue général de cette Ecole est que les
Evangiles sont, non pas des documents historiques relatifs à Jésus,
mais des expressions de la foi de l'Eglise à l'époque où ils ont été
composés. Elle insiste sur le caractère vivant et actif de la
tradition, qui, loin d'être la répétition inerte et stéréotypée des
récits évangéliques, les transforme en accord avec les tendances et
les
fonctions de l'Eglise. D'après Dibelius , la forme que la tradition a
revêtue et sa cristallisation dans les Synoptiques ont été
conditionnées par la prédication et le culte, et adaptées à leurs
besoins.
Cette Ecole soutient aussi que ces
Evangiles sont beaucoup moins des oeuvres individuelles que des
produits de la foi chrétienne collective. Au sujet de la méthode
permet
de retracer l'histoire de cette tradition, ces critiques préconisent
l'analyse de la forme des Evangiles. Tel est l'objectif de K.-L.
Schmidt, dont le livre montre en détail le caractère artificiel du
plan
de Marc et la juxtaposition inorganique de ses récits. De son côté,
Dibelius distingue plusieurs formes dans les Evangiles ; le paradigme
(exemple) et l'anecdote, la parénèse ou exhortation morale, d'allure
juive et hellénique, devenue plus tard, d'après un enseignement
dogmatique sur la personne du Christ, et enfin le mythe, rare il est
vrai, mais sensible dans le récit d'ensemble qui explique le
christianisme par l'histoire de Jésus, fils de Dieu. Bultmann
s'applique, lui aussi, à distinguer les éléments primitifs des
éléments
secondaires par l'examen de la forme, et il propose une
classification,
différente de celle de Dibelius (apophtegmes et paroles du Seigneur
réparties en cinq sections). Le cadre étroit de notre livre nous
interdisant un exposé, critique étendu, nous renvoyons à quatre études
importantes sur ce sujet : le livre de Fascher. Die Formgeschichtliche
Methode, Giessen, lei, l'article documenté de Bullmann.
Les récentes Etudes sur la formation
de la Tradition, évangélique (Revue de Strasbourg, 1925 p. 459-477
564-579), la brochure de Koehler, Das formgeschichtliche Problem, des
N. T. (série Sammlung, etc., Mohr, Tubingue, 1927), et surtout le
magistral article de Goguel, Une nouvelle Ecole de Critique
évangélique
(Il. H. B., juillet-décembre 1926, p. 114-160), dont nous allons
résumer l'appréciation. Cette Ecole remarquable par la pénétration de
ses analyses, a souligné avec raison la valeur documentaire dogmatique
(les écrits évangéliques. le caractère vivant de la tradition,
l'influence de la prédication sur les récits, l'importance de leur
forme. Mais on doit regretter qu'elle ait, méconnu le rôle des
individualités dans la rédaction des Evangiles, celui de l'auteur de
Luc en particulier, et oublié que la prédication, loin d'avoir
engendré
les récits a pu se modeler sur les faits qui sont au point de départ
de
plusieurs d'entre. eux. Goguel reproche, en particulier, à Bertram
d'avoir cru pouvoir expliquer la formation des récits de la Passion
chez Marc par l'action du culte chrétien primitif, si peu connu
d'ailleurs, alors que ce culte a dû être influencé par les faits. Il
insiste aussi sur le caractère artificiel des classifications
ébauchées. « La matière évangélique, dit-il, est rebelle aux cadres
dans lesquels on voudrait l'enfermer » (p. 158). Elle se compose
surtout de formes intermédiaires (mischformen, comme disent les
critiques allemands), qu'on ne peut assigner à des groupes définis. Il
constate enfin que cette Ecole, dont certains ont exagéré
l'originalité, a eu des précurseurs éminents, Julicher (qui, au reste,
ne lui est pas favorable) Wrede, 1 Baldensperger J Weiss Wellhausen,
Loisy, Gunkel, sans oublier Bousset, Edouard Reuss, le plus génial
d'entre eux (on peut y ajouter Goguel lui-même, avec son livre sur
l'Evangile de Marc, 1909).
Appendice II
La mort du Christ au Calvaire a été
regardée par l'Eglise Chrétienne comme un sacrifice destiné à expier
les péchés des hommes. Les Partisans de cette doctrine invoquent les
témoignages bibliques qui y font allusion ou l'enseignent, et
l'immense
influence spirituelle qu'elle a exercée sur les âmes (C.-C Babut,
Etude
biblique sur la Rédemption, 1914 ; Henri Monnier, ouvrage cité, etc.).
Par contre, de profonds penseurs chrétiens, Charles Secrétan (La
Civilisation et la Croyance, p. 364 ss.), Henri Bois (La Personne et
l'Oeuvre de Jésus), d'autres encore relèvent les difficultés morales
et
historiques auxquelles elle se heurte. La conscience proteste contre
l'idée que Dieu aurait eu besoin pour pardonner du martyre atroce d'un
innocent et qu'une expiation purement morale n'aurait pas suffi à le
fléchir, et elle souffre à la pensée que, loin de maudire Judas il
faudrait le bénir d'avoir facilité la Rédemption en livrant son
Maître.
La théorie est, de plus, en désaccord avec la foi des premiers
chrétiens. Ce que Pierre proclamait avec force, dans des discours dont
certains éléments sont historiques, ce n'était pas l'expiation mais la
résurrection (Actes,
2, 21 ; 3,
15 ; 4,
10). Ajoutons que cette théorie est
étrangère à la pensée du Christ. L'expiation, il l'a proclamée avec
énergie mais il l'a fait consister, non pas dans l'affreuse tragédie
de
ses souffrances et de sa mort, mais dans le drame de la repentance,
s'achevant en un hymne de foi, et rendu possible, dans sa plénitude,
par son action. sur les âmes. Jésus, dit le professeur Henri Bois,
sans
avoir jamais, à aucun moment, considéré sa mort comme nécessaire en
vertu d'un décret divin, l'a considérée, à une certaine époque de sa
vie, comme devenue inévitable s'il voulait persister à être le Messie
spirituel, et par suite, comme obligatoire, puisqu'il envisageait
comme
une obligation de demeurer fidèle à sa. vocation... Il s'est substitué
à nous, non pas pour apaiser un juge irrité ou pour satisfaire une loi
implacable... mais pour rééaliser dans l'humanité la sainteté que
l'homme pècheur est incapable de réaliser pour fonder par là une
humanité nouvelle et donner. aux' hommes pécheurs la possibilité d'en
devenir membres » (ouvrage cité, P. 62, 75).
En fait, les textes évangéliques qui
annoncent les souffrances du Christ ne lui assignent pas, en général,
de valeur expiatoire (Cf Matth.
16, 21 ; 21,
19 ; Marc,
8,
31 ; 9,
12 ; 12,
8 ; Luc,
9,
18 ; 13,
32 ; 18,
33 ; 20,
14). Ils les présentent parfois comme le passage ardu de la
vie humble de Jésus à sa gloire messianique (Luc,
21,
26). Il y a, il est vrai , deux textes qui parlent
d'expiation , celui de Marc,
10,
45, sur la « rançon », et celui de Matth. 26, 28, sur la
« rémission des péchés ». Mais l'allusion à la rançon. qui fait défaut
dans le texte parallèle de Luc
(22,
20), est trop en désaccord avec l'enseignement de Jésus
sur le salut pour qu'on puisse la retenir surtout si elle a été
interpolée. Quant à Matth.
26, 28, on verra dans
l'Appendice suivant ce qu'il faut en penser. Toutefois, si l'idée de
l'expiation par le sang a été étrangère à Jésus et aux premiers
chrétiens, elle n'a pas tardé à se faire jour (1
Cor. 15, 3). On a cru laver
l'ignominie de la crucifixion en la dépeignant comme le, grand
instrument de salut exigé par la Justice divine. Dégagée de Vidée
expiatoire, la mort de Jésus garde, comme nous l'avons montré, une
action profonde sur les âmes, d'autant plus irrésistible qu'aucune
protestation de la conscience ne vient. s'y opposer (voir Ménégoz, Le
Pêché et la Rédemption d'après saint Paul, Paris, 1882, et La Mort de
Jésus et le Dogme de l'Expiation, dans la Revue de Théologie et des
Questions religieuses, 1er juillet 1905 ; Emery, La Doctrine de
l'Expiation et l'Evangile de Jésus-Christ, dans la Revue de Lausanne,
juillet et septembre 1911 ; Raoul Patry, Les Etapes de la Foi, p.
144-14-5).
Appendice III
Certains critiques ont soutenu, que
Jésus, au cours du dernier repas, n'a pas institué le rite de la
Sainte
Cène.
Ils allèguent que l'invitation à
répéter la communion manque dans les deux récits de Matthieu
(26, et de Marc
(14,
22-25). Ils ajoutent que l'eucharistie ne semble pas
avoir été célébrée aux premiers jours de l'Eglise. D'après eux, la «
fraction du pain » rapportée par les Actes
des
Apôtres (2 , 42, 46), sans mention de la coupe, était un
simple repas fraternel, analogue aux banquets de confréries, certains
d'entre eux croient, d'ailleurs, que les chrétiens n'ont pas dû tarder
à pratiquer ce rite, en souvenir du suprême repas, avec la conviction,
comme le suggère Goguel, qu'ils obéissaient à leur Maître bien-aimé
(L'Eucharistie, des Origines à Justin Martyr, Paris, 1910). D'autres
assignent l'institution de ce rite à l'apôtre Paul, qui aurait imité,
la Cène pratiquée dans certains « mystères » païens (voir plus loin
ch.
V), et ils expliquent l'invitation à répéter la communion, que Luc
place dans la bouche de Jésus (22.
19), par le désir de fortifier l'autorité d'une coutume déjà
établie. Par contre, l'attribution du rite à Jésus lui-même est admise
par Weizsaecker (Das apostolische Zeitaller, 28 éd. 1892, p. 574.).
Il allègue que, la célébration de la
Cène ayant été, très répandue dès l'origine, on peut en conclure
qu'elle a été l'exécution d'un ordre du Maître. Les partisans de ce
point de vue déclarent que le silence de Matthieu et de Marc, où les
lacunes abondent, ne constituent pas une preuve suffisante de
l'opinion
contraire, et que, la « fraction du pain » n'excluant pas l'usage du
vin, la communion a pu être célébrée dans ces repas familiers (H.
Monnier, Essai sur la. Rédemption, p. 37). On peut ajouter qu'il n'est
guère admissible que Paul ait attribué « au Seigneur », I
Cor. 11, 23) un rite qu'il aurait
puisé dans les religions hellénistiques. Pourquoi, d'ailleurs, ce
besoin religieux qui a produit la Cène dans les mystères d'Attis et de
Mithra, ne l'aurait-il pas fait naître aussi d'une façon indépendante,
dans les, milieux chrétiens, sous l'action d'une grande personnalité
dont le souvenir restait lié à l'acte symbolique du dernier repas ?
Quoi qu'il en soit, même si l'on. croit que ce rite a été établi, non
pas directement par Jésus du moins peu après sa disparition, il est
trop riche en précieux symbolisme et répond trop bien aux besoins
profonds de la conscience chrétienne et même humaine pour rien perdre
de son autorité dix-neuf fois séculaire et de sa puissance
d'édification. Jésus a sûrement vu, en effet dans le pain rompu et le
vin versé le signe de son immolation, et dans la participation à ce
pain et à ce vin l'image de l'union de ses disciples avec lui et sans
doute aussi entre eux.
Faut-il penser qu'il a mis ce souper
en rapport avec celui de la Pâque, en le regardant comme le symbole
d'une Alliance nouvelle scellée, comme l'ancienne (celle de Moïse) par
une effusion de sang ? Mais ce repas n'a pu être « pascal » puisqu'il
a
eu lieu l'avant-veille de la fête, le 13 nisan, d'après le ive
évangile
qui place avec raison la mise en croix au 14 nisan donc avant le
souper
pascal qui se célébrait la veille de la Pâque (Ed. Etapfer, La
Palestine au temps de J.-C. ch XIII et Goguel, livre cité,
contrairement à Weizsoecker. Das apost. Zeitalter, p. 575). Il n'est
donc pas probable que, Jésus ait établi une comparaison entre son
Alliance et l'ancienne. En tout cas, il faut noter que la mention de
la
« rémission des péchés » ne se trouve que dans Matthieu
(26, 28). - Sur l'ensemble de
la question, voir Paul Lobstein, La Doctrine de la Sainte Cène,
Lausanne, 1890 ; Jean Réville, Les Origines de l'Eucharistie, Leroux,
Paris, 1908 ; Raoul Patry, Le Caractère religieux de la Sainte Cène
(Revue Chrétienne, 1909, p. 518-527) ; Charles Brognard, Les Origines
de la Sainte Cène (Revue Chrétienne, 1911, p. 164-170 ; Henry Barbier,
Essai historique sur la signification primitive de la Sainte Cène,
Saint-Blaise 191.1 ; Loisy, Les Origines de la Cène eucharistique
(Congrès d'Hist. du Christian. T. I., p. 77 ss, Rieder, Paris, 1928).
Appendice IV
Complétons ici les indications
données plus haut (p. 30-32) sur les principaux ouvrages relatifs à
Jésus, en citant quelques titres d'après un article tout récent du
professeur Goguel (Revue de Strasbourg, janv.-fév. 1929) : Le Dieu
Jésus, Essai sur les origines et la formation de la légende
évangélique
(Messin, Paris 1927), où Edouard Dujardin, en une langue souple et
brillante, nie la réalité historique du Christ ; Le Jardin plein de
sources (I, L'Évangile retrouvé, Paris 1927 oeuvre d'une belle tenue
littéraire et d'un souffle religieux et moral élevé, où. E. Giran
soutient que l'idée de Jésus et de son enseignement, que l'on trouve
dans les évangiles, a été faussée par la foi à une résurrection
illusoire et par l'imagination de Paul ; Jésus comme ils l'ont vu :
interprétation des trois premiers évangiles (Bâle 1927), étude
psychologique, en allemand, d'une grande richesse où le savant e
exégète Bernoulli s'applique à évoquer l'image que les premières
générations chrétiennes se sont faites du Christ ; l'ouvrage
(allemand)
sur Le Baptiste, Jésus et la Communauté primitive (Gutersloh 1928), de
Michaelis, qui examine, dans un esprit tout pénétré de surnaturel, les
trois stades successifs de la pensée chrétienne sur le Royaume de
Dieu,
prédication eschatologique du Baptiste, vues de Jésus sur la parousie,
foi à la resurrection. et à l'effusion réelle de l'Esprit ; le Précis
de l'Histoire de la Vie de Jésus (Leipzig 1928), dû au vénérable Th
Zahn, le célèbre, critique conservateur allemand, qui y a condensé une
partie d'un demi-siècle d'enseigement à Goettingue Erlangen et Leipzig
Appendice
V
Le terme païen est la traduction du
mot latin paganus, qui signifiait « habitant du pagus (bourgade) »,
opposé à l'oppidum, place fortifiée. À l'époque impériale, ce mot
reçut
aussi le sens de « civil », opposé à « militaire » (miles). Les
églises
l'adoptèrent en lui donnant la signification de « non chrétien », et
il
supplanta les termes gentes, gentiles, nationes, ethnici. Ce sens
n'apparaît guère qu'au début du IVe siècle, sur une 'inscription de
Catane. Cent ans plus tard, il était d'usage courant. D'après
l'opinion
traditionnelle (Cassiodore, Isidore de Séville), etc., ce mot fut
choisi parce que ce fut dans les populations rurales que le
polythéisme
se maintint le mieux. Zahn, reprenant l'interprétation de l'historien
Fleury, s'est efforcé de retrouver dans cette acception du terme
l'opposition du « civil » et du « militaire ». En face de la militia
Christi, expression très rêpandue, le non chrétien serait le « civil »
(paganus). Il trouve une confirmation de sa thèse dans le fait que le
polythéisme était très puissant dans les grandes villes. Zeiller, dans
son livre Paganus : étude de terminologie historique (Boccart, Paris
1920), lui a objecté avec raison qu'aucun écrivain contemporain de
l'époque où paganus a été pris dans le sens « païen » ne fait allusion
à l'acception de « civil), et que l'opposition entre le christianus et
l'habitant du pagus fut toute naturelle parce que le christianisme,
prêché d'abord dans les villes, ne gagna les campagnes que plus tard
(Cf Revue Loisy, N° de septembre 1921).
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