L ÉVANGILE ET LA VIE
RESTE AVEC NOUS!
LECTURE
L'Éternel est vivant et ton
âme est vivante: je ne te quitterai
point.
2. Rois II, 4.
0 Dieu ne m'abandonne pas,
ne sois pas loin de moi!
Ps. 38; 21.
Je suis errant comme une
brebis perdue, cherche ton
serviteur!
Ps. CXIX, 116.
Ne me quitte pas au temps
de la vieillesse; quand mes forces s'en
vont ne m'abandonne pas.
Ps. LXXI, 9.
Ne me presse pas de te
laisser, de retourner loin de toi!
où tu iras j'irai, où tu
demeureras je demeurerai; ton peuple sera
mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu,
où tu mourras je mourrai et j'y
serai enterré.
Ruth 1, 17.
Quand les montagnes
s'éloigneraient et que les collines
chancelleraient, mon amour ne
s'éloignera point de toi, et mon
alliance de paix ne chancellera point, dit
l'Éternel, qui a compassion de
toi.
Ésaïe LIV,
10.
Je suis tous les jours avec
vous, jusqu'à la fin du
monde.
Matth. XXVIII, 20.
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RESTE AVEC NOUS!
Restez ici et veillez avec
moi.
MATTH. XXVI, 38.
Reste avec
nous, car le soir arrive et le jour est sur son
déclin.
LUC XXIV, 29.
Que d'obscurs pèlerins
à l'âme inquiète disent
à Celui dont la présence leur
remplace toute chose: Reste avec nous, cela se
conçoit.
Mais il y a quelque chose de
surprenant à voir celui qui avait coutume de
dire : « je ne suis pas seul, le Père
est avec moi », rechercher avec une insistance
qui touche à la supplication, le contact et
la présence de disciples infiniment
inférieurs à lui. Le rapprochement de
ces deux paroles jette un jour
très vif sur cette loi d'aide mutuelle,
d'échange fraternel dont Dieu a fait la
nécessité de nos existences. De par
la volonté sainte et éternelle, les
plus grands ont besoin des plus petits, comme les
plus petits ont besoin des plus grands.
Ceux qu'une mission
particulière a faits grands ont pour sort
d'être seuls. Puissants et solitaires,
voilà leur part. Ils sont nos chefs, nos
remparts, nos abris. Nous suivons leurs pas, nous
saisissons leurs mains. Leur feu nous
réchauffe, leur lumière nous
éclaire. Mais qui donc les guide, les
abrite, les cache à l'ombre de ses ailes?
À qui vont-ils pour recevoir ce qu'ils nous
donnent ? Leur force ne tarit-elle jamais? Quand
ils tombent, qui les relève? Quand ils
pleurent, qui les console? Ne pouvons-nous rien
pour eux qui nous donnent tout? Voilà ce que
presque personne ne songe à se
demander. Demande-t-on
d'où vient à la source son eau de
cristal, au soleil son rayon?
Nous touchons là au plus
douloureux secret des vies que Dieu a
marquées d'un signe divin. Et ce secret, la
nuit de Géthsémané le met en
face de nous. Il est peut-être plus poignant
ici que partout ailleurs. Qu'un être plein de
Dieu, au point qu'il pouvait dire: « je suis
un avec le Père», en vienne à
implorer des hommes, cela est non seulement le
signe d'une douleur surhumaine, c'est une preuve
qu'il y a, sans doute, en nous quelque chose de
grand et de mystérieux, un pouvoir de
consoler et d'assister, inconnu à
nous-mêmes, et dont on ne saurait avoir une
idée trop sublime, puisque le Fils de
l'homme, le grand chef des combats de Dieu, y a
fait appel. N'est-ce pas une
révélation encourageante que de
s'entendre dire : 0 homme, créature errante
et perdue, sur qui passent toutes les
tempêtes, il y a au plus profond de toi, en
ce centre intime où ton être est joint
à Dieu, une source pure et
salutaire à laquelle
l'homme des douleurs a demandé à
boire en une heure terrible. Quand le ciel se voile
au-dessus de nos têtes, c'est par là
que s'établit le contact avec
l'Éternel.
Si Jésus a senti, à
certains moments, le besoin de chercher dans une
présence amie une forme du secours de Dieu,
qu'en sera-t-il de nous, âmes d'enfant encore
mal affermies. Restez ici et veillez avec moi,
c'est notre cri à tous, dans les
veillées de la douleur.
Je songe d'abord aux insomnies des
nuits d'angoisse et de souffrance qui sont une des
plus pénibles épreuves de cette
terre.
La nuit est une amie quand elle
amène le sommeil. Il y a tant de questions
pour lesquelles la meilleure solution est de
s'endormir. Le sommeil est une oasis dans les
steppes ardentes. Quand il dort, le prisonnier est
libre, le malade est guéri, l'enfant
éloigné du foyer sent se fermer
sur lui les bras de sa
mère. Parmi les dons de Dieu, les puissances
réparatrices, le sommeil tient une place de
premier ordre. Ceux qui l'ont paisible et
fortifiant ne savent pas de quel trésor ils
sont comblés. Pour en juger à fond,
il faut avoir connu l'insomnie, l'insomnie
troublante, déconcertante, qui change le
visage des choses et dérange la calme mesure
qui nous sert à les apprécier;
l'insomnie où tout flotte et se
déforme, jusqu'à la notion du
temps.
Pour elle, une heure n'est plus une
heure; une heure est un siècle et la. nuit
se prolonge comme l'éternité.
Lentement, l'homme se sent descendre au fond d'un
gouffre, si bas, si bas qu'il n'en voit plus
l'orifice. Et dans ces minutes
pétrifiées, dans cette horrible
fixité des heures stagnantes, la
pensée acquiert une rapidité
fébrile. Ses images se suivent et se
chassent les unes les autres, et toutes, en
passant, nous jettent des défis. Ce qui
parait naturel le jour, en plein équilibre
du jugement, s'altère, acquiert des
proportions alarmantes. Le monde
entier prend à nos yeux les teintes grises
du cauchemar. Nous sommes livrés aux
fantômes, sort plus misérable que
d'être livré aux
bêtes.
Et dire qu'il y a certains jours
où toute la vie est envahie par ces
fantômes, où en plein midi nous avons
perdu le sens normal et l'impression juste des
choses! Brisés par une grande douleur,
aveuglés, ébranlés par une
tentation au-dessus de nos forces,
misérablement blessés dans tout notre
être, il nous semble que des puissances
ennemies, puissances des ténèbres,
prennent le dessus et nous emportent. Pour comble
de tristesse, le ciel souvent se ferme, Dieu semble
éloigné. Non seulement c'est
l'obscurité; mais une obscurité sans
étoiles! je n'insiste pas sur ces moments
où les plus fermes sont tremblants. Ceux qui
ont souffert ne les connaissent que trop. Les plus
croyants peuvent passer par là.
C'est alors qu'on apprend à
éprouver ce qu'est la
présence d'un être aimé,
sûr, en qui on peut avoir confiance, à
qui l'on dit: Reste avec moi.
On ne dit pas cela au premier venu.
Le Christ, au jardin des Oliviers, avait fait un
choix. Ses disciples, il les aimait tous,
même celui qui allait venir pour le trahir
dans un baiser; mais il use d'un droit sacré
en choisissant ceux qui lui étaient le plus
près du coeur. Et sa grande douleur provient
de ce que ceux-là mêmes, tout en
restant là, sont loin de lui. Car il ne
suffit pas d'être là, tout
près, à portée de la main, il
faut y être de toute son âme. Et
voilà qui n'est pas donné à
chacun. L'homme fuit la douleur. Quand il se passe
des choses graves ou effrayantes, son premier
mouvement est de partir. Vous connaissez cette
tentative si ordinaire et si lâche : chercher
à s'éloigner de ceux qui souffrent.
Il y a une façon de parler qui a cours dans
certaines contrées, et dont on se sert
lorsqu'une grande infortune frappe une famille. On
dit: j'aimerais mieux ne pas les
connaître. Cela est atroce, mais c'est
humain.
Souvent les circonstances vous
empêchent de vous éloigner. Les liens
du sang ou la convenance vous retiennent; mais vous
restez machinalement : C'est la pire des absences.
Votre présence ne fait que mieux marquer
tout ce qui vous sépare du malheureux
frère qui souffre près de vous. Oh
les distances intérieures, les abîmes
creusés entre des hommes qui vivent sous le
même toit dorment dans la même chambre,
mangent à la même table! Ils sont
là côte à côte, leurs
chemins se côtoient, ils respirent le
même air, et leurs coeurs sont plus loin l'un
de l'autre que les pâles étoiles ne le
sont de la terre.
Mais vous n'êtes ni
insensibles, ni égoïstes, ni incapables
de ressentir ce qui se passe dans les autres. Votre
crainte n'est pas de rester, mais de ne savoir quoi
dire. N'en ayez pas si grand souci. Ce n'est pas
là l'essentiel. Non pas que la parole soit
inutile et sans force. S'il en est de
méchantes qui se fixent
au coeur comme une flèche
empoisonnée, il en est de si bonnes! Paroles
semblables à ces bienfaisantes substances
qu'on inocule aux malades et qui vont, en circulant
dans leurs veines, combattre partout les ferments
funestes. Il est des paroles qui guérissent,
qui rassurent, qui relèvent, qui frayent des
issues, ouvrent des horizons, rendent la vie. Mais
la parole n'est pas tout. Et d'abord tout le monde
ne sait pas parler. Souvent aussi toute parole, la
meilleure, est impuissante, parce que celui
à qui elle s'adresse ne comprend plus. La
maladie, le deuil, une trop vive souffrance, une
agitation intérieure trop violente le
rendent incapable de suivre un raisonnement. Puis,
il y a des situations où les plus
éloquents deviennent muets, parce que les
événements leur ferment la bouche et
que, en toute sincérité, ils ne
savent plus quoi dire.
Ce n'est pas une raison pour s'en
aller; au contraire! Là où cesse le
règne de la parole
intelligible, le pouvoir de Dieu
et de la miséricorde ne cesse pas. Si tu ne
peux rien dire, tais-toi, mais reste ! Est-ce que
les pauvres brutes savent parler, lier des
raisonnements, aligner des preuves, exposer des
doctrines, invoquer des motifs? Non. Pourtant,
quand nous souffrons, et qu'elles viennent se poser
près de nous, en fixant sur les nôtres
leurs grands yeux muets, cela produit de l'effet.
Qui jamais dira ce que la présence d'un
être obscur, mais fidèle, qui partage
nos dangers et ne veut pas se séparer de
nous, a pu apporter de consolation et de courage
à nos coeurs endoloris! Et qui nous dit que
celui qui a envoyé les prophètes, les
apôtres, les âmes au verbe
enflammé, ne peut pas choisir un oiseau, un
chien, la plus humble de ses créatures pour
porter à ses enfants malheureux un message
d'espérance. La Bonté qui se sert de
si humbles instruments serait-elle impuissante
à se servir de toi seul? Reste donc, et si
ta sagesse n'est plus qu'une arme usée, si
les yeux de ta foi voient
trouble dans l'horrible nuit descendue, si ta voix
ne perce plus les ténèbres, reste
là! Reste comme une borne, avec toute ta
résolution, avec une absolue sympathie,
pose-toi sous le fardeau avec celui qu'il
écrase. Le Christ n'a pas dit aux
apôtres : Parlez-moi. Il leur a seulement
demandé de rester, de veiller avec lui, afin
qu'il les sache là, tout près. Ceux
qui s'aiment n'ont pas besoin de paroles. Leurs
silences aussi confondent leurs âmes. Plus
les silences sont profonds, plus ils contiennent de
mystérieux échanges. La
présence d'un être ami est tout un
monde de révélations. Entre son
esprit et le nôtre, de discrets messagers se
croisent sur des chemins invisibles.... Reste et
tais-toi: le Dieu qui surpasse toute intelligence
et défie toute parole, le Dieu du silence
fera le surplus.
Il est dit, dans l'Ancien Testament,
qu'un prophète qui n'avait vu Dieu ni dans
la tempête, ni dans le tremblement de terre,
ni dans le feu, le sentit passer dans une brise
douce et subtile. N'est-ce pas là comme un
symbole de la manière dont Dieu s'est
approché de nous en Jésus? Par une
transition très naturelle, les
différents motifs que nous pouvons avoir de
dire à nos semblables : reste avec nous,
nous amènent donc au Christ. jamais,
à travers aucun autre messager, petit ou
grand, la bonté éternelle ne nous a
dit plus doucement - je suis là.
Jésus, c'est Dieu avec nous. Dans les
splendeurs de la création, comme dans ses
forces déchaînées, Dieu se
manifeste, mais il est extérieur, et il peut
sembler loin. N'est-il pas loin aussi, lorsque nous
croyons en lui sous cette forme majestueuse et
glorieuse qui le place sur un trône immuable,
dans la lumière inaccessible,
environné de puissance et de
félicité? Regarder du fond de nos
ombres vers cette radieuse divinité, sans
doute, c'est encore un avantage
précieux.
Mais peut-on s'empêcher de
penser: A lui la vie, à nous la mort;
à lui la joie, à nous les larmes;
à lui la victoire, à nous les luttes,
les défaites et les incertitudes cruelles.
Un Dieu semblable n'est-il pas trop olympien? Ne
préside-t-il pas de trop haut et dans un
calme trop idéal à nos
destinées tourmentées? Et le coeur
humain, dans ce qu'il a de plus légitime, ne
pourrait-il pas trouver cette grandeur trop facile,
et cette royauté trop superficielle? Quelque
chose nous dit que, dans la souffrance qui se
ramasse et veut espérer, dans le doute qui
cherche, tâtonne, conquiert lentement des
clartés plus parfaites, il y a plus de
grandeur que dans la possession tranquille et la
sérénité sans nuage. La
misère humaine est plus touchante que la
béatitude des anges. Ce qu'il nous faut,
autant pour le secours direct que nous en
espérons, que pour l'amour et l'adoration
que nous lui devons, c'est un Dieu qui reste avec
nous.
Non seulement il doit voir les
choses d'en haut, mais il doit
les voir d'en bas. Non seulement il doit les voir,
mais il faut qu'il y soit. La foi humaine a besoin
de lui dire : Si je monte au ciel, tu y es; si je
descends au sépulcre, t'y voilà. Il
nous faut un Dieu qui pleure de nos larmes, soit
saisi de nos angoisses, plie sous nos fardeaux, un
Dieu qui souffre. Ce Dieu-là prend une
figure d'homme, il s'abaisse vers nous qui ne
pouvons monter vers lui. C'est le Dieu de
l'Évangile, celui qui nous a visités
en Christ; et voilà pourquoi le
crucifié du Calvaire a plus de prise sur les
coeurs meurtris, plus de puissance consolatrice,
que tout ce que l'esprit humain peut concevoir de
plus transcendant en fait de divinité. Ce
qu'il faut souhaiter à chaque pèlerin
sur les routes changeantes de la terre, c'est qu'il
puisse garder près de lui ce compagnon, qui
traduit le fond invisible des
réalités divines en paroles humaines,
en sentiments familiers, en actes tangibles, et qui
fait dire des choses éternelles aux gestes,
aux humbles devoirs, aux
tristesses, comme aux joies de
cette vie mortelle. La grande consolation dans tous
les événements de l'existence est que
le Christ a passé par là, en nous y
montrant la trace de Dieu. Il n'y a plus de
sentiers perdus, de recoins oubliés, plus de
gouffre désolé. Dans le malheur
même, dans la mort, dans la gueule du
monstre, Dieu par lui nous dit: ne crains rien, je
suis là. S'apercevoir de cela c'est la
grande chose, la seule nécessaire. Pourvu
que celle-là nous reste; rien n'est
perdu!
Quand vous étiez enfants,
l'obscurité vous effrayait, vous trembliez
devant les formes étranges que revêt
l'ombre, et dont elle tourmentait votre jeune
imagination. Et vous disiez à votre
mère : reste avec moi. Elle près de
vous, la nuit n'avait plus rien d'ennemi. Cette
présence rassurante vous conciliait les
ténèbres elles-mêmes, conjurait
toute hostilité, apprivoisait les mauvais
génies.
Nous restons enfants toute la vie,
désarmés et
tremblants en face des
puissances inconnues auxquelles nous sommes
livrés dans le monde. Il nous faut cette
présence maternelle qui fait taire les
flots, les cris menaçants, les doutes, tout
ce qui provoque
l'insécurité.
Toujours, le soir descendra sur nos
routes, toujours, pour quiconque est un homme, les
heures sonneront où la lumière du
jour nous dit adieu, où les clartés
raisonnables deviennent insuffisantes, où la
force nous quitte, où le plus ferme et le
plus clairvoyant confesse qu'il ne sait plus
où il en est. Toujours, le vieux
péché, l'an. tique souillure nous
suivront comme une ombre; toujours, la
misère et le malheur nous guetteront;
toujours, la mort nous rejoindra. La figure de ce
monde change, mais au fond combien peu a
changé la vie! Puisque nos ennemis restent
là, ne nous quitte pas, puissance amie!
Puisque le mal demeure, demeure aussi, toi qui as
été avant le mal, qui as vaincu le
mal, et qui seras quand il ne sera plus!
Reste avec nous, bonté
clémente, qui espères tout et sais
tout pardonner; reste avec nous, amour pour qui
rien n'est difficile; paix divine au sein des
orages, reste avec nous. Reste avec nous, courage
invincible des saintes batailles. Quand nous serons
aux prises avec les tentations, ne nous abandonne
pas; quand le péché nous aura
vaincus, ne nous rejette pas, reste avec nous!
Quand nous pleurerons sur les tombeaux, reste avec
nous: celui qui te regarde retrouve ce qu'il a
perdu. Quand nous entrerons dans la mort, reste
avec nous: celui qui te donne la main n'a plus peur
de l'ombre.
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