L ÉVANGILE ET LA VIE
JE SUIS LA RÉSURRECTION ET LA
VIE
LECTURE
Je sais que mon vengeur est vivant, et
qu'il se lèvera le dernier sur la
terre. Quand ma peau sera détruite
il se lèvera. Quand je n'aurai plus
de chair, je verrai Dieu.
Job. XIX, 26.
Je vis, et vous aussi, vous
vivrez.
Jean XIV, 19.
Celui qui croit au Fils a
la vie éternelle.
Jean III, 16.
Je suis le chemin, la
vérité, la vie.
Jean XIV, 6.
Le salaire du
péché, c'est la mort; mais
le don de Dieu, c'est la vie
éternelle en Jésus-Christ
notre Seigneur.
Rom. VI, 23.
Combats le bon combat de la
foi: saisis la vie
éternelle.
I Tim. VI, 12.
Celui qui sème pour
sa chair, recueillera de la chair la
corruption; celui qui sème pour
l'esprit, recueillera de l'esprit la vie
éternelle.
Gal. VI, 9.
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JE SUIS LA RÉSURRECTION ET LA
VIE
Je suis la
résurrection et la vie; celui qui croit en
moi vivra, quand même il serait mort; et
quiconque vit et croit en moi ne mourra
jamais.
Jean XI 25.
L'homme a reçu, avec la vie,
le désir de vivre et le devoir de vivre.
Mais en même temps que la vie s'affirme en
lui, le pousse et le soutient, la mort surgit en
face de lui. Rien de plus tragique que la rencontre
de l'homme et de la mort. L'homme a le sentiment
d'être là, de par un droit qui vient
de plus haut que lui; il a soif de devenir, de
grandir, d'augmenter en lui ce qui ne fait que
commencer. Il aspire de partout
la sève, il puise aux
sources, il étend son domaine. La mort,
elle, dit à l'homme : tu n'es pas; elle lui
coupe les vivres, lui retranche les sources, et
sous ses yeux creuse l'abîme du néant
en lui disant : c'est de là que tu sors,
c'est là que tu rentreras. Depuis qu'il y a
des hommes, la vie en eux lutte avec la mort. Il
faut dire que la mort a de grands avantages, et que
ses démonstrations sont empreintes d'un
caractère de brutalité et
d'évidence qui nous remplit d'horreur. Par
la maladie, par le fer, par le feu elle nous entame
et nous terrasse. Quand les restes de notre pauvre
vie sont par terre, sous ses pieds, elle s'acharne
sur eux, les piétine, les décompose,
les disperse, comme les persécuteurs et les
bourreaux jetaient aux quatre vents la cendre des
martyrs. À des démonstrations
semblables de notre néant quelle
réplique pourrait-il y avoir? Quelle bouche
s'ouvrira devant cette mâchoire de granit du
sépulcre qui broie tout ce qui est vivant?
Longtemps, l'humanité s'est tue devant
la mort, et lui a laissé
le dernier mot. L'homme est trop petit pour parler
devant le monstre.
Mais un allié lentement
sortait de l'ombre où notre ignorance le
tenait caché, et cet allié c'est
Dieu. Du jour où l'homme reçut dans
sa conscience le témoignage et la
révélation de Celui qui est au fond
de toutes choses, la mort eut un spectateur et un
juge. L'homme, sans doute, ne croyait pas encore
à la vie malgré la mort, mais il
sentait, en mourant, que sur sa tombe il restait
autre chose que la mort, sa vieille ennemie. Il
avait ce sentiment que quelqu'un le voyait mourir,
veillait sur son agonie, recueillait son dernier
soupir, et il s'en allait plus tranquille, sachant
que Dieu était là. En possession de
cette foi, l'homme fit un autre pas, par la
grâce de son grand allié. Il put voir
la mort elle-même enveloppée dans la
volonté éternelle et se dire, en
fermant les yeux: Seigneur, qu'il m'arrive selon
ta volonté, je m'endors
dans tes bras et te remets toute chose, ô
gardien qui ne dors jamais. Une fois arrivé
là, on pouvait dire que l'âme humaine
avait trouvé une forteresse d'où elle
pourrait braver la mort. Timide d'abord, puis plus
accentuée, l'assurance que nous ne mourions
pas tout entiers, que Dieu nous recueillait, qu'il
nous tirerait de cette nuit, nous
éveillerait de ce sommeil, se manifesta
parmi les croyants de l'ancienne alliance, et finit
par aboutir à la foi radieuse en la vie
éternelle, telle qu'elle s'affirme et
triomphe dans l'Évangile. On peut, en effet,
appeler l'Évangile la religion de la Vie.
Depuis lors, la foi à la Vie, sous des
formes diverses, ne s'est plus jamais
complètement éteinte. Elle a
seulement subi des hauts et des bas. Il est du plus
grand intérêt pour chacun de se rendre
compte des causes qui augmentent ou diminuent notre
foi à la vie.
Il faut avouer que si la ferme
croyance à la survie a semblé parfois
s'éclipser, cela tient premièrement
aux abus qu'on en a faits. Chacun sait qu'elle a eu
ses exploiteurs. De honteuses spéculations
sur les mines d'outre-tombe ont jeté du
discrédit sur tout ce qui s'y rapporte.
Quand les uns, sceptiques au fond, vendent le ciel,
et que les autres essaient de l'acheter; quand
l'espérance des récompenses futures
ou la crainte des châtiments remplace dans
les coeurs l'amour de Dieu et des hommes, il ne
faut pas s'étonner que l'édifice se
ronge aux vers, et craque de partout.
Le grossier matérialisme de
certaines croyances, leur forme trop intimement
liée à des conceptions
intellectuelles disparues, arrivent souvent aussi
à compromettre la foi elle-même. je me
hâte de dire qu'il faut soigneusement
distinguer ici entre les superstitions malsaines et
les représentations simples et naïves
de l'espérance éternelle. La plus
naïve espérance vaut
mieux, et se rapproche
infiniment plus de la réalité, que la
négation en apparence la plus raisonnable.
Au fond, toute forme dans laquelle l'homme
enveloppe sa foi, est fragile comme lui, et il n'y
a pas grande différence entre ce que nous
appelons la religion la plus spirituelle et celle
des humbles et des enfants. L'une et l'autre lie
Valent que par leur sincérité et par
la bonté du Père, qui, seul, sait les
apprécier. - Cela dit, on ne saurait assez
se garder de confondre la foi avec ce qui nous sert
à l'envelopper, si l'on veut éviter
de tomber dans le fanatisme qui méprise les
croyances d'autrui, et si l'on veut pouvoir garder
ses convictions au sein des modifications de la
pensée et de la connaissance
humaines.
Une autre cause de diminution des
espérances éternelles, c'est la
lassitude de vivre qui s'empare de beaucoup de nos
contemporains. La vie, pour eux,
est un fardeau, ils l'éprouvent comme une
souffrance. Comment espérer et
désirer avec ardeur la continuation de ce
qui nous ennuie ou nous remplit d'horreur?
L'espérance, dans ce cas, c'est que cela
finisse bientôt et pour jamais, qu'un
éternel sommeil sans rêve nous
dédommage du cauchemar de la vie. Il y a des
hommes auxquels vous accorderiez en vain le pouvoir
de réveiller les morts, ils vous
répondraient : laissez-les dormir, cela vaut
infiniment mieux!
Que prouve cela, si ce n'est que de
pareils vivants ont la maladie radicale, celle qui
consiste à être brouillés avec
la source même d'où vient la vie? Leur
croyance à rebours, leur soif de
néant est une preuve de la vie factice,
anormale, que nous menons. Une telle vie
dégoûte de la vie, et d'ailleurs, elle
mérite de disparaître.
Toutes ces causes d'affaiblissement
des espérances éternelles ne sont pas
comparables en importance à celle qui
résulte de l'abaissement de la vie morale,
de la chute du niveau intérieur. La foi a
des bases obscures sans lesquelles elle ne peut pas
se développer. La pureté de vie, la
simplicité de coeur, une certaine
atmosphère et une certaine lumière
lui sont indispensables. Ce que nous sommes, et la
façon dont nous vivons se reflète
dans ce que nous croyons. Celui qui s'enterre dans
la poussière finit par ne croire qu'à
la poussière. Vous avez entendu parler de
ces êtres qui ont perdu la vue et
engendré des descendants aveugles, à
force de vivre dans l'obscurité des
cavernes. Il est impossible de se
représenter la qualité d'air et de
lumière dans laquelle végètent
les hommes pour qui vivre, c'est être capable
de manger, de boire, de jouir et de travailler des
mains ou du cerveau pour se procurer du
vêtement, de la nourriture, de la jouissance
ou quelques satisfactions ambitieuses. Quoi
d'étonnant que ces
troglodytes de l'esprit finissent par oublier la
lumière du jour! Ils ne font que changer de
tombeau, le jour où vous les portez au
cimetière, et la croyance à la vie
éternelle ne peut ni germer ni grandir dans
leurs âmes.
Hélas! pourquoi tant de
chrétiens leur ressemblent-ils? Car il ne
faut pas s'y tromper. Les mots, ici, et les
formules ne font rien à l'affaire, c'est la
chose qui importe.
Croyez-vous à la vie
éternelle? - Vous ré pondez oui, et
même vous en parlez en termes qui prouvent
que vous êtes au courant des questions. C'est
la moindre des choses, mon frère. Dire qu'on
croit à la vie éternelle, l'affirmer
carrément, appuyer ses dires sur
l'Écriture sainte, c'est un excellent
commencement, mais cela peut être fort
dangereux. - Dangereux? pourquoi? Parce qu'il est
toujours mauvais de se payer de mots, et de
s'imaginer qu'on possède
ce qui en réalité
vous manque. Dangereux pour les autres aussi. Rien
ne compromet plus dans l'esprit du public la foi
à la vie éternelle, qu'un homme qui
n'a pas d'autres preuves que des paroles pour
constater qu'il y croit. On en conclut qu'il y a
là une formalité sans
conséquence comme tant d'autres. Vous dites
que vous croyez à la vie éternelle.
Peut-être était-il nécessaire
que vous le disiez. J'aurais
préféré qu'on s'en
aperçût sans vos paroles, et dans tous
les cas, une fois que vous l'avez dit, il faut que
vos actes le confirment. J'avoue que cet argument
fait trop souvent défaut. Quel coup pour la
foi à l'immortalité que le
réalisme inférieur de la plupart de
ceux qui font profession d'y croire! De quoi
sommes-nous le plus occupés? Regardons la
question bien en face, il ne faut pas craindre de
s'assurer de la solidité et de
l'authenticité de ce qui doit porter tout
l'édifice. De quoi sommes-nous le plus
occupés? Parmi nos contemporains, qui donc
tient le plus aux richesses, aux jouissances,
aux privilèges injustes,
aux distinctions puériles, qui donc
manifeste l'esprit le plus petit, le plus
routinier, le plus étroit? Les
matérialistes? les athées? - Non. On
peut même, à juste titre,
s'étonner que beaucoup d'entre eux vivent
comme s'ils avaient une âme. Les
chrétiens, au contraire, vivent à peu
près comme tout le monde, et si plusieurs
d'entre eux se distinguent, c'est par l'amour des
biens périssables, l'habileté
à se les procurer, l'acharnement à
les défendre. Croyez-vous vraiment que la
culture du bien-être, la morgue de classe,
l'esprit pharisaïque soient les
échelons par lesquels on va de la
poussière aux étoiles et où
s'accomplit pas à pas la libération
de la mort?
Il y a une manière de vivre
qui est négative de la vie éternelle.
Nous y sommes plongés. Voilà, au
milieu des difficultés de ce temps, la plus
grave. Lorsque le sens de l'éternel se perd,
le ressort s'amollit dont on a
besoin pour organiser la vie mortelle. Car, pour
vivre sa vie l'homme a besoin d'horizon. Il faut
que, du sillon noir où il peine et se
penche, il puisse élever le regard vers les
hauteurs d'où lui vient le secours.
Aussitôt que la trouée sur l'infini se
trouve fermée, et que les hommes sont
prisonniers de leurs passions, de leurs
appétits, de leurs vanités ou de
leurs formules, des symptômes d'asphyxie se
manifestent dans tous les domaines. L'action perd
son entrain, la religion se pétrifie, la
poésie se fane, l'art s'avilit,
l'espérance se meurt.
Nous avons besoin d'apprendre la vraie vie,
celle dont le Christ a dit: je suis la vie. C'est
la vie supérieure. En chacun de nous, il y a
deux parts, celle de Dieu et
celle de la mort. Pour arriver à
l'éternel, il faut apprendre à vivre
dans la part de Dieu. Ce n'est pas le cas,
d'ordinaire. Nous nous complaisons dans
l'éphémère, dans les vaines
surfaces; nous appelons moi, ce qui n'est que le
moi inférieur. Nous nous installons dans le
médiocre, le vil, dans ce qui est
méchant, étroit. Nous nous
barricadons dans l'égoïsme, la
sensualité, la justice propre, et nous
défendons envers et contre tous ce que nous
appelons notre dignité et nos biens, et ce
qui n'est qu'une pierre à notre cou, un
boulet à nos pieds. Ainsi, l'homme travaille
pour la mort. Il se fait son pourvoyeur, il cultive
ce qui doit périr. Pour vivre de la vie
supérieure, il faut commencer par renoncer
à ce moi-là. Il faut apprendre
à considérer comme une
libératrice, la mort qui le supprime. Que
deviendrait le monde sans la perpétuelle
purification par la mort? Si toutes les vieilles
méchancetés, toutes les haines
anciennes, tout le vieux marais des
souillures humaines
n'était jamais ni balayé, ni
ventilé, ni submergé; s'il
était permis d'être infâme,
hypocrite, meurtrier, fanatique, menteur, et de
l'être toujours; avare, et de garder
éternellement son trésor; tyran, et
d'opprimer éternellement ses victimes, la
terre serait l'enfer, il n'en faudrait point
d'autre. Mais nous avons la mort, la mort qui,
pareille au feu, assainit, purifie, consume les
impuretés, trie toutes choses, et, dans son
creuset, sépare ce qui est éternel de
ce qui n'est que d'un jour. Sous cette forme,
quelque mal qu'elle nous fasse, il faut aimer la
mort, comme on aime les remèdes amers et
bienfaisants.
Ce n'est pas là une
concession faite au néant, une abdication.
Non, cela s'appelle se débarrasser des
fardeaux encombrants, pour mieux marcher au combat.
Et celui qui renonce à ce bagage dangereux,
acquiert le pouvoir de lutter contre
la mort ennemie. Car la mort est
une ennemie, lorsqu'elle veut prouver quelque chose
contre l'esprit, la conscience, la justice, contre
l'image de Dieu qui est en nous, et, pourquoi ne
pas l'affirmer joyeusement, contre Dieu qui est en
nous. C'est à Dieu qu'est suspendue notre
âme, avec tout ce qu'elle a de saint et de
noble. Si elle pouvait périr, Dieu serait
entamé. La perte d'un homme serait la
défaite de Dieu. La source de toutes les
protestations contre le néant, de
l'invincible espérance qui anime
l'humanité, du courage surhumain que des
êtres faibles, opprimés, perdus devant
des forces supérieures, gardent jusque dans
la mort, la source de tous les actes et toutes les
formes par lesquelles a été
manifestée la foi à la vie
éternelle, la voici: c'est en Dieu que nous
avons la vie.
Le Christ la possédait, il la
communique, et cela ne se fait pas exclusivement
par le canal historique d'une tradition maintenue,
d'une vie propagée. Cela se fait
aujourd'hui, comme alors, comme
toujours, par la cohésion directe de
l'âme et de Dieu. Les autres moyens ne sont
faits que pour mieux éveiller et vivifier
celui-là.
La vie en Dieu, la vie
chrétienne, la vraie vie et la vie
éternelle, c'est tout un, cela se tient
comme les anneaux d'une chaîne. Toute
manifestation pure et normale de cette vie
où nous sommes, doit révéler
la réalité permanente qui se cache
sous nos existences visibles, et nous
préparer ainsi à vivre dans
l'invisible, à saisir cette
réalité dont tout ce qui se voit, se
touche, tombe sous les sens, n'est que le fragile
symbole. C'est pour cela qu'un acte de vie
spirituelle ne dût-il avoir qu'un jour et
qu'une heure de durée, n'en aurait pas moins
la prééminence sur les plus durables
et les plus gigantesques étalages de la
force mécanique. L'éternité
n'est pas dans le nombre des siècles, mais
dans les choses elles-mêmes et leur valeur
intérieure. Un coup de
massue ne prouve rien contre la raison
désarmée; un coup de canon ne prouve
rien contre la justice vaincue, et la mort ne
prouve rien contre l'esprit. Détruire n'a
jamais établi la supériorité
du destructeur sur ce qu'il détruit. Le plus
fragile éclat d'idéale beauté
que brisent des mains brutales n'en est pas moins
du domaine de ce qui demeure. Si l'homme pouvait
l'entrevoir seulement, s'il pouvait une seule fois
se douter de ce que contient d'être
débordant et de victorieuse
réalité le moindre acte, la moindre
intention de pure bonté, il verrait le Verbe
libérateur écrit en traits de flamme
jusque dans les triomphes insolents de la haine, de
la tyrannie, du mal sous toutes ses
formes.
Le Christ n'a pas dit: je rendrai la
vie à ceux qui croient en moi, mais: celui
qui croit en moi ne meurt pas; et lui-même
n'a pas considéré la vie
éternelle comme une sorte de
récompense posthume; il
en a parlé comme d'une conquête
à saisir dès maintenant, et que rien
ne pouvait nous arracher. Nous ne l'entendons pas
dire : j'ai autrefois possédé la vie
quand j'étais près du Père, et
cette vie me sera rendue lorsque certains
événements mystérieux se
seront accomplis en ma personne. Mais tel qu'il
était, vivant de la vie humaine, il se nomme
la résurrection et la vie, affirmant ainsi
le lien indissoluble, l'absolue continuité
entre ce que nous sommes et ce que nous serons. Si
l'on ajoute à cette déclaration celle
où le Christ dit: «Demeurez en moi et
je demeurerai en vous », et tant d'autres qui
établissent le fait d'une vie
supérieure, impérissable, divine,
possible en nous dès à
présent, on est amené à
comprendre que la vie éternelle ne nous est
pas réservée dans quelque lointaine
étoile, après de longs temps
écoulés, ou un long
anéantissement, mais que nous
commençons à en vivre maintenant.
Dieu en nous, voilà le commencement de la,
vie éternelle, et son
accomplissement, c'est que, de plus en plus, il
habite en nous. Nous sommes à lui dans cette
existence visible et sous ces formes connues; nous
resterons à lui dans l'existence invisible
et sous les formes qui nous demeurent
inconnues.
Nos pères disaient, quand
l'un des leurs mourait: il est allé à
Dieu. Mais comme Dieu est partout, et que c'est en
lui que nous avons la vie, le mouvement,
l'être, aller à Dieu ce n'est pas
faire un grand voyage, puisqu'il est plus
près de nous que nous-mêmes. Si
l'homme savait combien Dieu est près, il
serait délivré à tout jamais
de l'angoisse, de la peur, du frisson que font
naître les ténèbres finales, et
il pourrait dire avec une joie entière dans
la destruction de son être physique : ô
mort où est ton aiguillon, ô
sépulcre où est ta victoire? La vie
éternelle, dans l'Évangile, est
plutôt l'objet d'une expérience que
d'une croyance. - Sous cette forme,
l'énergie qu'elle infuse
à l'action est supérieure à
celle que procure la plus vive espérance. Sa
puissance consolatrice aussi est
augmentée.
C'est en Dieu que nous avons la vie.
En lui aussi, nous demeurons unis à ceux que
nous avons perdus. Les uns et les autres nous
sommes dans la main du Père, et il nous
devient possible de croire non seulement au revoir,
mais à quelque chose dont le revoir le plus
heureux n'est que la faible image. Nos yeux, nos
oreilles, tous nos organes de relation ne sont que
d'imparfaits moyens par lesquels nous parvenons
à établir, entre nous et ceux que
nous aimons, un contact toujours relatif. Sans
cesse, une séparation subsiste. Dispersion,
déchirement, division, c'est le lot de la
vie temporelle. Nous y aspirons à l'union,
sans jamais pouvoir l'atteindre. Mais alors nous
serons un, comme Dieu sera un avec nous, et tout en
tous. Ce sera l'accomplissement
de ce saint et sublime
désir d'union que rien de mortel n'assouvit,
et que l'homme porte au fond de lui-même
comme un étranger divin plein du regret de
la patrie.
Mes frères, ce temps est
accablé du sentiment de son néant. Il
semble que la grandeur même de ses oeuvres,
en s'écroulant sur lui, augmente
l'étendue de son naufrage. Semblables aux
races finissantes nous n'enfantons plus que pour la
mort. Le courage d'espérer nous abandonne.
La mort, devant nos yeux, grandit sans cesse. La
plupart d'entre nous croient que c'est elle qui est
l'alpha et l'oméga, qu'à elle
appartient le règne, la puissance, la
gloire. Sevrés de la source vivifiante qui
descend des sommets immortels, nous tombons au bord
du chemin comme tomba au désert Ismaël,
fils d'Agar l'Égyptienne. Quand donc l'ange
de Dieu nous montrera-t-il la source cachée,
là près de nous, et que nul ne
soupçonne?
Toi qui as foulé nos
poussières, traversé nos nuits, Toi
qui t'es couché avec nous dans la tombe pour
qu'elle soit moins obscure, douce victime du
calvaire, homme des douleurs, grandeur ineffable
que nos âmes entrevoient à travers
l'humble forme de religieux symboles,
éternel vivant! viens nous dire des paroles
de vie. Sonne le réveil dans nos torpeurs et
nos lassitudes, sonne la diane à travers nos
prisons et nos tombeaux, et que tout ce qu'il y a
de divin en nous tressaille et se lève dans
une sainte insurrection contre la mort et tous ses
conjurés, pour la vie et toutes ses
alliances.
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