DEUXIÈME PARTIE
RÉCITS ÉGYPTIENS
Alexandrie, la cite phare
Le Phare
d'Alexandrie.
(Reconstitution d'après un
ouvrage égyptien).
Comme son nom l'indique, cette ville a
été fondée par le fameux
conquérant macédonien Alexandre le
Grand, en l'an 332 avant Jésus-Christ. Un
curieux personnage, qui vécut entouré
de beaux jeunes gens, ce qui ne choquait personne.
Sa mère, Olympias, l'avait convaincu qu'il
était le fils d'Amon, autrement dit en
langage populaire qu'il sortait de la cuisse de
Jupiter, le roi des dieux. Malgré ses
conquêtes qui le conduisirent jusqu'en Inde,
il rêvait d'accéder au trône
pharaonique. C'est dans cet esprit qu'il envahit
l'Égypte. Pour être vraiment sûr
de son origine divine, il alla consulter la pythie
lybienne. C'était la dernière de ces
prophétesses païennes à rendre
des oracles. Elle vivait dans un endroit
très difficile d'accès, l'oasis de
Siouah, en plein désert, à la
frontière de la Lybie actuelle. On y voit
encore le temple où Alexandre se rendit au
péril de sa vie - il risqua de mourir de
soif ! - pour s'entendre dire qu'il était
bien le fils d'Amon et qu'il avait toutes les
qualités pour devenir le pharaon
d'Égypte, ce qui était à ses
yeux le plus glorieux titre qu'il pouvait recevoir.
Si je parle ici de ce voyage d'Alexandre à
Siouah, c'est pour deux raisons. Tout d'abord j'ai
voulu voir ce lieu, et ce fut comme jadis,
malgré l'automobile, une randonnée
périlleuse où la piste est difficile
à suivre. Ensuite, les pythies ont
éveillé la curiosité des
premiers chrétiens, parce que l'une d'elles
aurait annoncé à l'Empereur Auguste
la naissance d'un sauveur, ce qui prouverait que le
monde païen attendait aussi l'avènement
du Christ.
On dit qu'Alexandre le Grand, mort en
323 avant J.C., quelque part en Perse suite
à une beuverie, est enterré dans un
tombeau en or massif qui se trouverait dans le
sous-sol de la ville qu'il a fondée, bien
qu'il n'ait passé que 6 mois de sa Vie en
Égypte. Le grand conquérant a le
mérite d'avoir ouvert largement
l'Égypte aux Grecs et permis aux juifs de
s'y installer, ce qui favorisa plus tard
l'expansion du christianisme. À la fin de
l'antiquité et au début de notre
ère, Alexandrie avait supplanté
Athènes et était la rivale de Rome
à tous points de vue. Le commerce et
l'industrie s'y étaient
développés. La réputation de
son port n'était plus à faire. Ses
bateaux sillonnaient toute la
Méditerranée. C'est sur un bateau
d'Alexandrie que l'apôtre Paul dut monter, en
tant que prisonnier, pour continuer son voyage vers
Rome. Il prit part aux mesures de sauvetage, alors
que le navire était en pleine tempête.
La cargaison, de blé sans doute, fut
jetée à la mer. Toute cette
navigation dangereuse nous est racontée avec
précision par Luc au chapitre 27 du livre
des Actes des Apôtres. C'est, au dire des
spécialistes, un des documents les plus
sérieux sur les voyages en mer dans
l'antiquité gréco-romaine.
Alexandrie était
célèbre à la fois par son
«phare», l'une des sept merveilles du
monde antique, et par son Muséum, haut lieu
de la culture, auquel était adjoint la
très réputée
bibliothèque. Nous allons parler de tout
cela.
Commençons par le phare. On
pourrait affirmer que, dans tous les domaines,
Alexandrie fut un phare. Il importe de
connaître l'origine de ce mot. Il y avait non
loin du port une île appelée
«Pharos», et c'est là que fut
construite, par un des successeurs d'Alexandre,
vers l'an 300 avant J.C., ou peu après, une
tour pour éclairer les navigateurs, qu'on
appela tout naturellement le Phare. Ce fut une
oeuvre architecturale gigantesque, dont la
construction s'étendit sur de nombreuses
années. Ses dimensions faisaient
l'admiration de tous les peuples des bords de la
plus grande mer connue en ces temps-là : 120
mètres de hauteur, de multiples annexes
à sa base, décorées de
statues. Au sommet brûlait un grand feu
obtenu par un bûcher (il fallait y amener le
bois nécessaire !), par des torches
résineuses, par la combustion d'huiles
minérales, et grâce à un
système de lentilles, resté inconnu,
le rayonnement en était
considérablement augmenté. Le 8
août 1303, à la suite d'un fort
tremblement de terre, le Phare disparut dans la
mer, où il gît encore...
Pendant plusieurs siècles,
Alexandrie fut le Phare de la culture grecque puis
chrétienne, le lieu de passage de la
civilisation égyptienne, bien qu'elle
fût déjà en décadence,
au monde gréco-romain. On ne saura Jamais
tout ce que la Grèce doit à
l'Égypte. Les Ptolémées -
c'est ainsi qu'on appelle les successeurs
d'Alexandre qui reprirent la tradition pharaonique
et ouvrirent de nouveaux temples aux dieux
égyptiens qu'ils ont confondus avec les
leurs - créèrent de nouvelles
institutions qui donnèrent à la ville
un renom extraordinaire.
Le Muséum, véritable
université, était dédié
aux Muses qui, dans l'esprit du temps,
personnifiaient les arts et les sciences. Les
savants les plus capables y enseignaient tout ce
qu'on pouvait savoir, la philosophie et les lettres
figuraient parmi les matières les plus
appréciées. On commençait
à découvrir la méthode
scientifique pour l'étude de la nature et
même des astres. Un savant, Claude
Ptolémée, du Ile siècle,
conçut un système astronomique qui
faisait de la terre le centre du monde, doctrine
adoptée par l'Église qui eut la vie
longue et ne disparut définitivement qu'au
XVIIe siècle, à la suite des travaux
de Copernic, de Galilée et de Képler.
Ce fut l'Anglais Newton qui donna à cette
théorie l'estocade finale, mais, dans notre
siècle, tout a été remis en
question par Einstein. Comme quoi la science n'a
jamais dit son dernier mot !
La Bibliothèque, annexe
indispensable du Muséum, était la
plus grande du monde avec ses 700.000 volumes, la
plupart sous forme de rouleaux de papyrus, le
papier typiquement égyptien obtenu par
tissage et par pressurage des fibres d'un roseau
particulier. Une oeuvre nécessitait, selon
sa longueur, une quantité de rouleaux, ce
qui prenait de la place sur les rayons.
Malheureusement la Bibliothèque
n'échappa pas à la destruction lors
de l'incendie de la flotte égyptienne, quand
César fit la conquête d'Alexandrie en
l'an 47 avant J.C. Reconstituée
partiellement, elle subit d'autres revers au cours
des siècles. Il est faux de prétendre
qu'elle fut brûlée par les Arabes, car
au moment de l'invasion islamique elle n'existait
plus.
Avant de passer au christianisme,
Alexandrie avait déjà attiré
l'attention des lettrés par la traduction de
la Bible juive en grec, version dite des Septante,
parce que cet immense travail aurait
été confié à 70
érudits. On s'y réfère
souvent... Quant à
l'évangéliste Marc, s'il n'a pas
été le premier évêque de
l'église d'Alexandrie, il n'en est pas moins
considéré comme son fondateur. La
tradition est basée sur de nombreuses
références. Y est-il mort martyr ?
Nous ne pouvons pas l'attester. Mais ses reliques
auraient été recueillies très
tôt dans la grande métropole
méditerranéenne en constante relation
avec les Vénitiens qui en
dérobèrent une partie, parce qu'ils
avaient fait de Marc leur patron. On voit devant la
basilique de Saint-Marc à Venise, sur une
colonne, la statue en bronze d'un lion, l'animal
qui symbolise l'évangéliste qui fut,
comme on le sait, le compagnon de l'apôtre
Pierre.
C'est à Alexandrie que le
débat entre penseurs chrétiens et
païens fut le plus intense. Influencés
par la philosophie grecque, les païens
affirmaient l'immortalité de l'âme,
tandis que les chrétiens proclamaient la foi
en la résurrection, basée sur le
Nouveau Testament. L'apôtre Paul avait
rencontré les mêmes difficultés
à Athènes, tandis que, dans la
Vallée du Nil, les gens non atteints par les
idées grecques, acceptaient plus facilement
l'Évangile. il fallait être
précis, de là la
nécessité d'un credo qui
résumait en quelques phrases la foi des
chrétiens. Ceux-ci ouvrirent la
première école de théologie,
mettant la science de Dieu face à la
philosophie, science de la sagesse humaine. Des
professeurs éminents publièrent de
très savantes études pour
réfuter la pensée païenne. Il ne
manqua pas d'écrivains pour défendre
une position antichrétienne. Il faudrait
citer beaucoup d'auteurs aussi bien d'un
côté que de l'autre.
Les persécutions interrompaient
souvent ces débats intellectuels. Elles
avaient lieu pendant certaines périodes,
selon les caprices de l'empereur. Parmi bien
d'autres, un officier de l'armée romaine
devenu chrétien, Ménas, fut
exécuté pour avoir refusé
d'accomplir les sacrifices ordonnés. Sa
dépouille mortelle fut déposée
sur un chameau qui, lâché dans le
désert à l'ouest d'Alexandrie,
s'arrêta devant une source dont il flaira la
présence. Cette source découverte
ensuite par les chrétiens fut
considérée comme miraculeuse, et on y
vint beaucoup en pèlerinage pendant
plusieurs siècles. Des guérisons s'y
produisaient ou lui étaient
attribuées. Toutes les sources, surtout
celles en plein désert, avaient, selon les
anciens, une origine miraculeuse. C'est l'une
d'elles qui sauva Alexandre le Grand. Mais pour ce
qui concerne Abou Menas - c'est le nom que porte
encore aujourd'hui ce site archéologique
difficile à visiter - il est
intéressant de signaler que les
pèlerins emportaient avec eux un petit vase
caractéristique qui contenait de l'eau de la
source, selon les uns, ou de l'huile venant des
lampes du sanctuaire, selon d'autres. On a
retrouvé un peu partout de ces vases en
Afrique et en Europe, ce qui prouve le rayonnement
du christianisme alexandrin. L'église
très artistiquement décorée
fut pillée par les Arabes. On en retrouve
les mosaïques dans certaines mosquées.
Alexandrie était déjà en plein
déclin, et quand le général
Bonaparte y débarqua en 1798 la ville ne
comptait plus que 6.000 habitants. Elle s'est
relevée une nouvelle fois au cours du XIXe
siècle et compte aujourd'hui plus de deux
millions d'habitants, prenant le rang de
deuxième capitale de l'Égypte
moderne.
Nous l'avons déjà
souligné à propos de Carthage, les
communautés avaient d'abord un moyen
légal de subsister, avant leur
reconnaissance officielle. Elles pouvaient
s'organiser dans tout l'empire en
«sociétés de secours mutuels
pour les services funèbres» et
percevoir des cotisations, recevoir des dons et
posséder un cimetière particulier. il
y a encore beaucoup de gens, qui au XXe
siècle, considèrent les
églises comme telles...
Rappelons que le paganisme était
très tolérant, et acceptait toutes
sortes de croyances et de rites. Il n'avait rien de
monolithique, mais il exigeait de chacun les
sacrifices dûs au culte impérial, ce
que refusaient les chrétiens qui ne
reconnaissaient qu'un seul Seigneur. En 303,
après plusieurs autres, un empereur plus
fanatique, face à un christianisme qui
menaçait son pouvoir absolu, voulut se
débarrasser radicalement de cette nouvelle
religion. Il s'agit de Dioclétien, de
sinistre mémoire, qui ordonna la destruction
de tous les lieux de culte et de tous les livres
chrétiens. Ce fut la période de
persécution la plus violente et la plus
longue. il y eut plus de 10.000 martyrs
égyptiens. Cela a tellement marqué
l'Égypte, province où la
densité de la population chrétienne
était la plus forte, que l'Église
copte compte les années de son ère
(en réalité son existence) à
partir de l'an 284, date de l'avènement de
Dioclétien, originaire de Dalmatie. Un des
premiers historiens de l'Église,
Eusèbe, visita à cette époque
la Thébaïde, c'est-à-dire la
Haute-Égypte, et en revint effrayé :
« D'innombrables fidèles, avec leurs
femmes et leurs enfants, souffrirent pour leur foi
divers genres de mort... Il y en eut qui furent
crucifiés, tantôt selon le mode
habituellement suivi pour les malfaiteurs
(c'était la plupart du temps,
ajouterons-nous, des esclaves fugitifs)
tantôt d'une manière plus atroce,
cloués la tête en bas : on les
laissait vivants sur le gibet jusqu'à ce que
la faim les eut tués. »
Malgré les déportations et
les travaux forcés dans les carrières
et les mines pour ceux qui n'étaient pas
condamnés à mort, les
chrétiens se multipliaient, bien qu'ils
eussent à constater des défections
dans leurs rangs. Il y avait plusieurs
manières de se soustraire aux
persécutions. Tout d'abord prendre la fuite.
C'est ce que fit pendant un certain temps Cyprien -
dont nous avons parlé - qui mourut
néanmoins sous la hache du bourreau. Ensuite
se réfugier dans le désert -
où les ermites devaient lutter avec ardeur
contre les tentations d'ordre charnel, la solitude
ne leur permettant pas d'y échapper. Les
Romains avaient horreur du désert ; ils
n'ont jamais franchi le Sahara et ne s'aventuraient
même pas au Sinaï. Enfin, et
c'était le plus terrible : face au supplice
renier sa foi. Chacun n'a pas l'âme du
martyr. L'apôtre Pierre lui-même, au
moment où il allait être
arrêté, n'a-t-il pas, par trois fois,
renié son Maître ? « Je ne
connais point cet homme » Il fut tout de
même réhabilité.
La réintégration des
renégats après repentir et
pénitence causa bien des soucis aux
églises à leurs débuts. Enfin,
en 313, le christianisme reçut son droit de
cité, grâce à l'édit de
Milan, signé Licinius et Constantin, tous
deux empereurs qui se partageaient le pouvoir. Un
acte de tolérance inouï. Les
persécutions venaient à peine de
cesser. il faut relever ce fait : comme Augustin,
Constantin avait une mère chrétienne,
Hélène, qui influença
certainement son fils. Par égard pour ses
sujets païens, Constantin ne se fit baptiser
que tardivement. C'est l'un de ses successeurs,
Théodose, qui imposa le christianisme comme
religion officielle, et les temples païens
furent tous démolis. Le dernier à
l'être fut celui d'Alexandrie, appelé
le Serapeum, où l'on adorait une statue en
granit noir du boeuf Apis, divinité qui
symbolisait la puissance. Cette idole a
été conservée au musée
gréco-romain de la ville. Sérapis,
pour les Alexandrins, évoquait surtout Zeus,
le Jupiter des Romains, le roi des dieux, et quand
son temple fut rasé par les gens à la
solde du patriarche, les païens crurent que le
monde allait s'écrouler avec lui. il n'en
fut rien. Une nouvelle période de l'histoire
avait commencé, l'Église de
persécutée qu'elle était,
devint triomphante en entrant dans ce qu'on a
appelé «l'ère
constantinienne». Mais cette phase, dont nous
ne sommes pas encore sortis, dépasse notre
propos et ne concerne pas l'Égypte dont
l'Église est restée
«nationale»
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