PREMIERE
PARTIE
A CARTHAGE,
AUX LIONS
LES CHRÉTIENS
.
Carthage, ombres et lumières de la
vie des chrétiens
Il y eut à Carthage de nombreux martyrs.
Nous n'en avons cité que quelques-uns. La
population de Carthage était fortement
ancrée dans le paganisme, passionnée
par les spectacles de l'amphithéâtre,
du cirque, du théâtre, des courses de
chevaux, des combats de gladiateurs,
mêlés à la poursuite d'animaux
sauvages : lions, léopards, sangliers, ours
furieux et vaches enragées lancés
dans l'arène contre des combattants
armés, puis au temps des persécutions
contre des femmes et des hommes absolument sans
défense, ce qui indigna parfois la foule des
spectateurs pourtant avides de sang.
Même les chrétiens, quand
leur religion admise officiellement ne les
conduisit plus au supplice, furent tentés de
participer à ces distractions qui
appartenaient aux moeurs de l'époque. Et les
prédicateurs devaient sans cesse mettre en
garde leurs fidèles.
Mais la passion la plus tenace,
répandue dans tout l'Empire romain,
était celle du jeu, où certains
chrétiens dépensaient leur argent. Il
y avait des tables spéciales pour s'y
adonner. Sur l'une d'elles trouvée à
Timgad (Algérie), on lit cette inscription
d'un saveur bien païenne «La chasse, le
bain, les jeux, les rires, voilà la vie
» Un auteur inconnu a lancé cet appel :
« Que les fidèles renoncent au jeu !
Qu'ils consacrent plutôt leur argent aux
bonnes oeuvres. jouer, c'est se vouer au crime ! Le
jeu a sa place à côté de
l'idolâtrie, de la fornication, du vol, de
l'adultère, du meurtre. C'est une tentation
du diable... La table de jeu, c'est là que
se donnent carrière la folie et la fureur,
le parjure intéressé, la langue
rusée du serpent. Là, on voit
l'amitié tourner à la rage... Les
frères même se quereller, les injures
se déchaîner... La table de jeu, c'est
là qu'on perd son bien au milieu des
disputes et des folles... Chrétien, qui que
tu sois, si tu te livres aux jeux de hasard, sache
que tu n'es plus chrétien, tu reprends le
nom de païen. » C'était dit d'une
manière frappante. La question s'est
toujours posée : comment vivre en
chrétien dans un monde dont les
règles de vie sont tout à fait
étrangères à l'Évangile
? Les Corinthiens, au temps de l'apôtre Paul,
étaient en face des mêmes
problèmes dans une ville où se rendre
chez une prostituée était
considéré comme un acte conforme
à la moralité courante marquée
par la considération qu'on avait pour
Vénus, la déesse de l'amour, sans
même lui vouer un culte.
Ce n'est pas seulement le retour de
certains chrétiens à des coutumes
païennes qui préoccupa l'église
de Carthage, mais les divisions internes, les
interprétations différentes de la
Bible, les querelles personnelles, la discipline
à appliquer aux chrétiens qui
menaient une vie désordonnée, la
nomination de responsables auxquels on donne le
titre d'évêques, c'est-à-dire
de surveillants, ce qui leur confère une
certaine autorité dont ils abusent parfois ;
et il y avait encore bien d'autres questions
relatives à l'organisation de cette
société nouvelle, ne ressemblant
à aucune autre, se réclamant du
Seigneur Jésus, Eglise en voie de devenir
une institution qui s'intègre petit à
petit, non sans discussions éprouvantes,
dans un empire qui finira par se dire
chrétien et qui obligera ses sujets à
le devenir.
Une figure exceptionnelle apparaît
dans le ciel de Carthage : Augustin. C'est un homme
qui a eu une existence mouvementée et a
mené pendant longtemps une vie dissolue
quoiqu'il fiât un brillant intellectuel. il
naquit en 354 dans une région qu'on appelait
la Numidie, située aujourd'hui en
Algérie, près de Constantine,
où l'on parlait une langue qui existe encore
et qui est très différente de
l'arabe, le berbère. Bien sûr,
Augustin apprit le latin et devint même
professeur de lettres latines à
Carthage.
Cet homme si intelligent eut un dur
combat à mener contre ses instincts
charnels. Nous l'avons déjà
remarqué, il vécut dans la
débauche ce qui inquiétait beaucoup
sa mère, Monique, une chrétienne
très fervente dont les prières pour
son fils furent exaucées. Augustin
connaissait bien le christianisme et
désirait ardemment y adhérer, mais sa
vie désordonnée l'en empêchait.
À Milan où Augustin enseignait en
384, il suivit les sermons d'un prédicateur
célèbre, Ambroise. Il passa par une
crise spirituelle qui l'amena à faire le pas
décisif en septembre 386. Voici dans quelles
circonstances. Nous connaissons sa vie par son
livre intitulé « Les Confessions».
Il avait un ami, Alype, qui le poussait sans cesse
à rompre avec son existence
corrompue.
Augustin était bouleversé
et pleurait sur sa déchéance, ne
voyant pas comment en sortir. Alors, un jour il se
retira seul dans un jardin, et couché sous
un figuier se demandait, dans les larmes, pourquoi
il renvoyait toujours à demain le moment de
mettre fin à ses ordures et à ses
saletés, pour employer ses propres
expressions. Tout à coup, il entendit sortir
de la maison la plus proche une voix comme celle
d'un jeune garçon ou d'une jeune fille, qui
disait et répétait souvent en
chantant : «Prends et lis, prends et lis !
» il se souvint d'Antoine, l'ermite de la Mer
Rouge, qui, lui aussi, avait reçu un pareil
appel et avait entendu dans une église une
parole évangélique qui changea sa
vie. il alla chercher le Nouveau Testament qu'il
lisait avec Alype et l'ouvrant, tomba sur cet
avertissement apostolique : « Conduisons-nous
honnêtement, comme il le faut à la
lumière du jour. Gardons-nous des orgies et
de l'ivrognerie, de l'immoralité et des
vices, des querelles et de la jalousie. »
(Texte de l'épître aux Romains,
chapitre 13, verset 13). Il comprit que cette
parole lui était directement adressée
par Dieu qui lui donna la force de rompre avec le
péché. Il revêtit
désormais la vie nouvelle qui est en
Jésus-Christ, le Seigneur, et ne se laissa
plus entraîner par sa nature humaine pour en
satisfaire les désirs (Romains 13 : 14). Il
fut baptisé à Milan à
Pâques de l'an suivant. Après quelques
années passées en Italie, il regagna
Carthage, fut ordonné prêtre,
distribua ses biens aux pauvres pour vivre
désormais, le plus totalement possible,
selon l'Évangile, et abandonna
l'étude de la littérature pour se
consacrer aux choses de Dieu. Il devint le plus
grand penseur chrétien de son époque.
C'est lui qui insista sur le fait que seule la
grâce divine peut effacer le
péché originel, car l'homme,
malgré tous ses efforts, n'y arrivera
jamais. Il lutta aussi avec acharnement contre
toutes les tendances qui compromettaient
l'unité de l'Église et fut parfois
d'un absolutisme excessif. Mais ses écrits
ont eu une influence capitale sur toute la
chrétienté occidentale. Le
réformateur Martin Luther se
réclamait de lui en élaborant sa
doctrine du salut par la foi, basée avant
tout sur l'épître aux Romains.
L'apôtre Paul en effet a sans cesse
souligné cette doctrine fondamentale :
«C'est par la grâce que vous êtes
sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne
vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est
point par les oeuvres, afin que personne ne se
glorifie. »
(Epître
aux Ephésiens, chapitre 2, versets 8 et
9).
Augustin - qu'on l'appelle saint ou non -
méritait une mention particulière
à la fin de ces pages sur le christianisme
à Carthage, ville qui subit comme tarit
d'autres, pour sa perte, l'invasion arabe. Mais
tout ce que les chrétiens lui doivent ne
peut être oublié.
Vue de
Carthage.
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