CONTRE LE COURANT
PREMIÈRE PARTIE
MEIRAGE
Un petit monde provençal
I
Tout a progressé, sauf
l'âme.
MICHELET.
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Meirage est une petite ville de Provence.
Comme toutes les petites villes de Provence, par la
mentalité de ses habitants, par son histoire
et ses coutumes, elle en diffère par son
paysage qui la met à part, tel un bijou
précieux dans un bel écrin.
Au lieu des plaines brûlées
de l'Avignonnais et de la Camargue, elle
s'étend au milieu de la verdure, et si son
horizon est limité, c'est par des montagnes
aux lignes pures et nobles, que le soleil, à
son lever et à son coucher, l'hiver comme
l'été, ourle de., rose, de mauve et
d'or.
L'étroitesse même de cet
horizon empêche la
lumière, cette suprême beauté
de la Provence, de se diffuser et de se
perdre.
Et l'amphithéâtre, au fond
duquel Meirage se niche indolemment, est comme une
palette où se réunissent et se
fondent tous les coloris doux et ardents dont la
nature dispose. De janvier à janvier, le
bleu (lu ciel, lorsqu'il est visible, est celui de
la mer profonde, ce bleu intense et flou tout
à la fois, comme une caresse et une
prière. Quiconque a contemplé un
instant, avec le recueillement nécessaire,
ce ciel mystérieux et pourtant réel,
devrait comprendre Dieu et ne jamais douter de
l'Amour ineffable.
Mais 'par un aveuglement étrange
et qui, hélas ! n'appartient pas qu'à
eux seuls, les habitants de Meirage ne regardent
point la coupole de turquoise qui couronne leur
étroite plaine. Pour cela, il faudrait lever
les yeux très haut et ils trouvent à
regarder en bas plus d'intérêt que de
rêver à ce qu'ils croient être
l'inaccessible et peut-être la
chimère. La terre est belle, quoique la vie
soit semée d'épreuves et un de leurs
dires favoris est que « puisque l'on n'a que
quatre jours à vivre, il faut en profiter.
»
Mais la manière de «
profiter » de la vie diffère
singulièrement, d'après les
individus, les pays et les races. L'habitant de
Meirage ne comprend pas, par exemple, le chercheur
d'or et d'aventures, le passionné de grands
voyages, l'ambitieux de fortunes colossales ou de
plaisirs sensationnels.
« Profiter de la vie », c'est,
à son avis, ne point se
créer de souci et travailler le moins
possible. Tout vient à qui sait attendre,
à moins qu'on ne vise à des choses
qui n'existent que dans les imaginations
exaltées.
Aussi la petite ville est-elle un reflet
fidèle du caractère de ses
habitants.
L'absence de toute industrie lui donne
une bienheureuse tranquillité d'aspect et de
rues.
On n'imagine pas une émeute sous
les arbres séculaires qui ombragent ses
calmes boulevards. Quant aux révolutions, il
leur faut, parait-il, ce qui, dans le brutal
langage moderne, s'appelle des « meneurs
» ; or, il ne se trouve certainement pas
d'injustice sociale assez criante pour
décider à 'se lever du banc du
boulevard où il savoure le journal de
Marseille ou de Nice, un seul habitant de Meirage,
aux fins de conduire ses concitoyens à la
victoire du prolétariat.
Il sait que de telles et vaines
préoccupations existent ailleurs. Qu'en.
d'autres villes, moins fortunées,, il y a
dans les rues, des cortèges, drapeau rouge
en tête, qui chantent l'Internationale, font
de très beaux discours et obtiennent
quelquefois des résultats
surprenants.
Il le sait et il aime assez à le
lire et à en discuter avec ses amis, au
soleil, sur ce même banc familier, où
il usa ses fonds de culottes lorsqu'il avait de 4
à 10 ans et où il n'a jamais
manqué depuis, de flâner, au moins une
heure par jour.
Mais l'idée ne lui vient pas
d'imiter ces gens des villes. D'abord, cela
demanderait un effort considérable qui lui
paraît tout à fait
superflu. Ensuite, il estime (et
avec raison, d'ailleurs) qu'il y en a bien assez
d'autres pour faire ce travail.
Quant à lui, il n'aime pas
être dérangé. Il a
été à la guerre sans trop
protester ; il en est revenu sans trop se plaindre,
et maintenant, il entend qu'on. le laisse
tranquille et faire ce qu'il veut : cultiver ses
champs, ou continuer son petit train-train de
commerce.
Ce qu'il a en horreur, c'est le
changement, l'agitation, la nouveauté, c'est
l'initiative nouvelle. Il en était ainsi,
avant la guerre, mais bien plus encore maintenant,
où il constate, avec amertume,
l'inutilité des plus grands efforts.
Il y a chez lui un sentiment
désabusé et fataliste que favorisent
singulièrement son indolence et son
égoïsme naturels. Sa théorie est
que tout se résout (si on le veut bien et si
on laisse le temps travailler) par la
négative. Ce qui est dangereux et souvent
désastreux, c'est d'agir.
Cette force d'inertie qui
caractérise d'ailleurs la mentalité
de bien d'autres petites villes
méridionales, a produit un résultat
négatif dans deux sens
opposés.
Incapable d'un effort soutenu,
l'habitant de Meirage est rarement très
mauvais, car, quoi qu'on en dise, il faut s'y
appliquer pour devenir un grand coquin.
D'autre part, l'Idéal que l'on
peut placer devant lui, Idéal de Bien et de
Vérité, le laisse encore bien plus
froid. Car ici, il faudrait vraiment un effort
sérieux. Le mal est naturel au
coeur humain et la
résistance en est facilement vaincue. Mais
le Bien est une forteresse à affronter.
L'habitant de Meirage la regarde de loin et
continue à lire son journal, sur le banc du
boulevard.
Toutefois, ce serait se tromper lourdement que
de le croire incapable de s'animer et même de
se passionner pour quelque chose, à
l'occasion. Mais il y faut une raison grave et
aussi... l'époque. La rareté du fait
le rend plus extraordinaire, mais enfin, il
existe.
Cela n'arrive que tous les quatre ans et
si la crise ne dure que quelques semaines, elle est
au moins d'une violence extrême. Tout le
monde n'en sort pas indemne.
Tous les quatre ans, donc, Meirage a sa
crise de politique, comme certaines personnes ont
leur crise d'appendicite ou
d'entérite.
Cela commence par des affiches
électorales aux couleurs provocantes,
libellées dans des termes si extravagants et
si peu parlementaires, que l'on se demande comment
les paisibles citoyens qui les ont signées
et que l'on voit tranquillement installés
à lire sur les bancs traditionnels, oint pu
les concevoir.
Les injures mutuelles que s'adressent
les affiches jaunes, vertes ou rouges, ne reculent
pas devant les accusations les plus tragiques, les
menaces les plus épouvantables. À les
lire, vous vous croiriez dans le pays des plus
hardies canailles et des plus effrontés
menteurs, et cela, que vous lisiez les unes ou que
vous lisiez les autres.
Ces aménités murales ne
manquent pas de produire leur effet. jusqu'à
la date des élections, l'effervescence va
crescendo dans la minuscule cité. On discute
et on gesticule dans les cafés, dans les
rues, sur les marchés, et, bien entendu, sur
les éternels bancs du boulevard, lesquels
sont d'ailleurs habitués à ce bruit
quadriennal, depuis que les beautés, du
suffrage universel ont introduit l'âge
d'or.
Des familles, jusqu'ici bien unies, se
regardent de travers, à cause d'une
différence d'opinion sur tel ou tel
candidat.
D'autres, au contraire, divisées
depuis les élections dernières, sont
heureuses de se trouver d'accord sur le nouveau
candidat et décident de prendre le
café ensemble, le dimanche suivant.
Pendant ce temps, il va sans dire que
les futurs élus ou blackboulés
donnent des conférences où ils
décrivent devant un public
énervé, l'ère merveilleuse qui
suivra immédiatement leur élection :
tout sera beau, facile, enchanteur. Chacun
deviendra riche sans travailler, ce qui est le
comble du bonheur.
Le public applaudit ou siffle, sort,
gros-Jean comme devant, et n'en fera qu'à sa
tête.
Les visites particulières
accompagnent, comme de juste, les exhortations
collectives. On dit même que les
portefeuilles jouent un certain rôle dans ces
attentions du pseudo-député. Mais ses
partisans crient à la calomnie devant de
pareilles insinuations.
Dans les confessionnaux, les
pénitentes sont plus nombreuses que
d'habitude.
Ces dames, partagées entre les
opinions diverses qu'elles entendent, ont vraiment
besoin des conseils de leur directeur de
conscience. Aussi, ce dernier s'applique-t-il
à leur distribuer les lumières
spirituelles que le Vatican de Rome lui communique,
sur le gouvernement que la France devrait se
donner, si elle connaissait son
intérêt.
Toutes ces émotions, on le
devine, compromettent d'assez sérieuse
façon, l'équilibre de La jolie vide
de Meirage.
Aussi, lorsqu'arrive le grand jour,
l'énervement est-il à son paroxysme.
Les chances de tel ou tel candidat sont plus
âprement discutées que celles d'un
Président de la République au
Congrès de Versailles. On dirait que la sort
de la France entière va se décider
à Meirage et que si celui-ci est élu
et celui-là blackboulé, tout est
perdu... même l'honneur.
C'est ce soir, la consommation de la victoire ou
de la défaite ! On ne saurait rester
indifférent à un tel
événement. Les repas sont copieux
mais hâtifs ; les coeurs battent trop
fiévreusement pour qu'on S'y
attarde.
Ce soir donc (car c'est le soir que se
font ces lumineuses manifestations patriotiques),
il y a foule dans les rues, pour le
dépouillement du scrutin à la Mairie.
Si les yeux étaient des revolvers, le sol
serait jonché, de cadavres.
On assiste, à la Mairie, à
de petites scènes qui devraient tenter un
entrepreneur de cinéma. Car elles sont
l'expression non déguisée
des vanités, des ambitions
et des égoïsmes humains, poussés
à leur plus haut degré.
On y voit les petits et grands trucs
électoraux : jeux de lumière et
d'ombre, escamotages de bulletins,
accompagnés de coups de poings si c'est
nécessaire et de combien d'autres
gentillesses de manière et de
langage.
À minuit, lorsque le
résultat est connu, la petite ville s'emplit
d'une clameur. Les vainqueurs portent leur
élu en triomphe, pendant que les vaincus
font le poing dans leur poche et se promettent une
éclatante vengeance.
S'il y a ballottage, la scène se
reproduit deux ou trois dimanches de suite. Les
lundis ne sauraient être des jours calmes,
mais au moins, l'on sait pourquoi l'on crie et l'on
a une raison sérieuse et précise de
crier.
Il s'agit aussi d'aller accompagner
à la gare, les députés. Chacun
d'eux y est escorté par son parti et c'est
là un beau spectacle de solidarité.
Malheureusement, cet acte, si simple, a
donné lieu à des manifestations peu
dignes de figurer dans les annales d'une
cité intelligente, et que nous passerons
sous silence.
Mais on peut se rendre compte, par ce
qui précède, du niveau auquel peuvent
monter les passions politiques et combien, pendant
quelques semaines, elles transforment la paisible
et somnolente ville provençale et en remuent
tous les ferments.
Un jeune homme, chrétien
indépendant convaincu, en visite chez un
autre chrétien de Meirage,
à la veille des élections de 1919, se
reprochait quelque peu de n'être point dans
son village pour y voter. Il avouait volontiers
n'avoir de l'estime pour aucun des candidats,, mais
il y voyait un devoir patriotique et moral.
Toutefois, il se laissa persuader par son ami de
n'en rien faire.
Un soir, en l'absence de celui-ci, il
eut à recevoir trois messieurs venus pour
voir le maître de céans, qu'ils
déclarèrent vouloir attendre,
désirant solliciter son appui et son
influence pour la campagne
électorale.
Le jeune homme, connaissant la
répugnance de son ami pour la politique, ne
- put que s'amuser intérieurement d'une
pareille démarche, mais sut garder un
prudent silence. S'adressant à l'un des
visiteurs, vêtu avec quelque recherche, il
demande :
- Vous êtes peut-être le
candidat, monsieur?
L'autre secoue la tête, avec un
sourire énigmatique qui peut être un
regret inavoué ou bien de l'ironie. et
répond
- Je n'ai pas cet honneur... ou cette
tare.
Devant cet aveu brutal, probablement
aussitôt mais trop tard regretté, le
jeune homme se sent à jamais guéri de
la politique, à n'importe quel degré.
Une fois la crise passée, tel un malade
qui entre en convalescence, après une
maladie sur aiguë, où la fièvre,
montée à des hauteurs folles, tombe
au-dessous de la normale, le pays reprend sa
physionomie tranquille. Les
visages sont moins durs,
lès nerfs se détendent, les bancs du
boulevard reçoivent de nouveau leurs
placides occupants de jadis, lecteurs assidus et
non effervescents du Petit Marseillais, du Petit
Provençal ou du Petit Niçois.
Les affiches éloquentes et pour
la plupart lacérées par des mains
indignées et justicières, ont perdu,
avec leurs couleurs, leur texte enflammé,
qui reconstituerait presque seul ce passé
orageux, mais vite oublié.
Les rancunes, les jalousies, les
ambitions déçues ne sont point
mortes, c'est certain, mais elles entrent, peu
à peu, dans une période
d'engourdissement.
Car les passions, dans la ville de
Meirage, ne sauraient se maintenir bien longtemps
à. un pareil niveau.
Ceci demanderait un effort et les bons
habitants préfèrent de beaucoup qu'on
leur fasse tort, plutôt que de se
défendre avec énergie et
persévérance. Es ressemblent assez
à ces jouets mécaniques que l'on fait
filer à toute vitesse pour un instant, mais
qui s'arrêtent bientôt, parce que le
souffle leur manque et que le ressort a fini son
tour.
Et le beau calme revient. Les montagnes
immobiles continuent à découper sur
le bleu intense du ciel, leurs courbes
élégantes. L'horizon s'empourpre
chaque soir d'une gloire d'or, au-dessus de la
rivière en serpent qui miroite.
Une verdure éclatante, produite:
par une extraordinaire abondance d'eau
d'irrigation, morcelle la vallée en prairies
et en jardins.
La vie reprend, monotone, au milieu de
cette radieuse nature qui ne change pas, loin des
grèves, des révolutions, des foules
inquiètes, loin de la vie moderne et de ses
problèmes toujours renouvelés et
jamais résolus.
À Meirage, tout est à peu
près comme il y a cinquante ans. Le prix
excessif des chaussures, de la viande, du fromage,
ne saurait transformer le caractère du
montagnard.
La pensée n'évolue pas
comme ailleurs, dans ces coins de Provence
où pèse la tyrannie religieuse de
tant de siècles et où ceux qui ont su
s'en affranchir, sont tombés dans la plus
totale indifférence aux grands mouvements
d'ordre moral.
Le catholicisme qui y règne en
souverain, donne pour ainsi dire, une dispense
à la pensée personnelle. Ceux qui
« croient », s'en remettent au
clergé pour leur sort éternel, ce qui
cadre admirablement avec les intérêts
de chacun. Les premiers se débarrassent de
tout souci (car le souci est encore un effort) et
les seconds font leur devoir, ce qui est tout ce
que l'Église leur demande.
Ainsi donc, chacun est satisfait et tout
est pour le mieux dans le meilleur des
mondes.
Il y a encore les rares
réfractaires à l'idée ou
plutôt à l'oppression religieuse (car
l'idée compte peu à Meirage).
Ceux-là protestent à l'occasion par
quelque lieu commun ou quelque gauloiserie à
l'égard des prêtres ; mais lorsqu'ils
se marient, ils vont à l'église,
munis d'un billet de confession
plus au moins authentique. C'est l'usage.
Quand leurs enfants ont huit jours, ils
les font baptiser. On ne doit pas aller contre les
traditions familiales et que diraient les oncles et
tantes à héritage ? -
Lorsqu'ils meurent, munis ou non des
sacrements de l'Église, ils sont
portés en terre, en première,
deuxième ou troisième classe,
dûment bénits jusqu'au fond de leurs
tombeaux.
« C'est une affaire de convenance
», disent-ils naïvement, « et
ça n'a aucune signification religieuse
».
La malédiction que le
Démon a jetée sur ce pays, c'est la
torpeur morale.
Pour d'autres contrées, le
rusé et suprême Ennemi a choisi, au
contraire, l'agitation perpétuelle, le grand
tourment de problèmes sociaux, le monstre de
l'Alcool ou d'une Débauche
effrénée. Ici, on est simplement
indifférent : peut-être la plus
subtile et la plus redoutable des situations, pour
des êtres qui, comme les autres, doivent
mourir un jour.
Cette inertie a fini par pénétrer
même les administrations, même les
carrières libérales. Si vous allez
demander un renseignement dans un bureau
quelconque, il vous sera répondu,
après deux heures d'attente, qu'il est
nécessaire de revenir, le lendemain, car le
bureau va se fermer.
Les procès durent des mois, les
divorces des années, le moindre
différend est renvoyé
de huitaine en huitaine. La
bibliothèque municipale se ferme pendant les
vacances, c'est-à-dire, lorsqu'on a le temps
de lire.
Si on est malade et qu'on s'adresse
à un docteur du pays, on a bien des chances
d'être mort ou guéri lorsqu'il;
apparaît. Heureusement que quelques docteurs
« importés » s'intéressent
un peu plus vivement à l'existence de leurs
concitoyens.
Nous avons dit que la malédiction de ce
pays, c'était la torpeur morale
accompagnée de l'indolence physique.
Défauts non point aussi inoffensifs qu'ils
le paraissent, car selon le proverbe, l'oisif est
la proie de tous les vices.
Meirage n'échappe point en tout
cas, à celui de la mauvaise langue.
Non pas que les gens vous veuillent du
mal, car au fond, l'habitant de Meirage est bon
enfant.. Mais il jouit de critiquer son prochain,
de répéter les cancans et d'en
inventer, au besoin. Car que faire, je vous le
demande, sur les bancs du boulevard, ou le dimanche
à la promenade, ou le soir, au café,
si ce n'est causer ? Ceci, de toutes les
occupations humaines, exige le moins d'effort et
voilà pourquoi tant de gens (qui ne sont
point tous Provençaux) l'ont choisie pour
leur péché mignon.
Parler des autres, quelle joie !
Fouiller dans leur passé, leurs affaires de
famille, dans leur situation de fortune, quelle
volupté ! Critiquer leur caractère,
leur toilette, leur langage, leur manière de
vivre, leur femme, leur mari, leur
salon, leur chien, leurs poules,
quel agrément sans lequel la vie serait bien
fade !
On n'a qu'à se laisser aller, les
langues marchent toutes seules. Que c'est commode !
De temps en temps, un crime hideux où un
scandale de moeurs, vient rompre le silence, comme
une pierre dans une mare à
grenouilles.
Ce sommeil de l'âme et de la
conscience a. parfois, des réveils
terribles. Pour un instant, les gens se
demandent
- D'où vient cette corruption ?
Comment un tel drame a-t-il pu se concevoir et
s'exécuter dans notre paisible ville ? De
quel droit quelques exaltés viennent-ils
troubler notre quiétude, par un tel tapage
?
Pendant une semaine, les langues ne
s'accordent aucun repos ; puis, graduellement,
l'allure se ralentit, s'arrête..., et Meirage
dort de nouveau.
Une pensée, hante le chrétien
sincère, en constatant cet état de
choses. C'est celle du Christ-Rédempteur,
regardant un jour les foules qui l'entouraient et
qui, ému d'une compassion profonde, en son
coeur de Dieu, les compara à « des
brebis qui n'ont point de berger ».
Car, si elles dorment, ces âmes,
c'est. que nulle voix amie n'est venue leur crier
de s'éveiller ; si elles s'avancent,
aveuglées, au-devant de
l'Éternité, c'est qu'on a mis devant
la porte, un voile impénétrable qui
leur en cache l'horreur ou la beauté.
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