RELIGION ET
RÉALITÉ
PREFACE
J'ai noté dans ce petit
livre sous une
forme concrète quelques réflexions, fruit de mes
méditations. je ne suis ni un philosophe ni un
théologien., mais un humble serviteur du Seigneur qui prend
plaisir à méditer sur l'amour de Dieu et sur les
merveilles de sa création. Il m'est impossible de
décrire entièrement la réalité de Dieu et
de la création, telle du moins que mes sens intérieurs
me permettent de la saisir dans la prière et dans la
méditation. Les paroles ne sauraient exprimer les
vérités profondes que l'âme ressent à ces
heures solennelles. Mais les natures réceptives comprennent
sans peine ces vérités ineffables. D'ailleurs, les mots
engendrent plus souvent des malentendus qu'ils ne donnent une
réelle compréhension. je suis incapable, je le
répète, d'exprimer la profondeur de mes sentiments et
de mes pensées, mais je ferai de mon mieux pour en noter ait
moins une partie. Si cette tentative peut venir en aide au lecteur,
même dans une faible mesure, j'essayerai plus tard d'exposer
d'autres idées et des expériences que, pour diverses
raisons, j'hésite à présenter actuellement au
public. je désire témoigner ici toute la reconnaissance
que je dois au Dr A. J. Appasamy, gradué des
universités de Harward et d'Oxford, pour avoir
collaboré à la traduction de ce volume de l'ourdou en
anglais, ainsi qu'au Rev. R. W. Pelly, de Bishop's College, à
Calcutta, qui a bien voulu relire mon manuscrit et me suggérer
d'importantes corrections.
Sundar
Singh.
Sabathu,
Simla Hills, septembre
1923
.
INTRODUCTION
Qu'est devenu le Sâdhou
? Voilà,
je présume, la question que se posent plusieurs de ceux dont
l'imagination fut enflammée, il y a quatre ans, par les
paraboles, la personnalité ou même la furtive apparition
de la robe safran, du célèbre Indien, le Sâdhou
Sundar Singh.
Il quitta l'Angleterre
au mois de mal 1920 Pour
présider une série de réunions qui avaient
été organisées, à son intention en
Amérique, puis en Australie, d'où il rentra aux Indes
en septembre. Les chrétiens de Colombo et de Bombay, où
il aborda, avaient fait de grands préparatifs pour
célébrer par une ovation publique « sa
conquête de l'Occident ». Cet accueil ne fut naturellement
pas du goût du Sâdhou et il désappointa beaucoup
de gens qui lui gardèrent même rancune d'avoir
refusé de se laisser porter sur le pavois. Il fuyait les
foules et partit tout de suite pour le nord de l'Inde.
L'été suivant, il se remit à l'oeuvre au Thibet
sans avoir égard aux privations et aux dangers qui
l'attendaient. L'anecdote suivante reproduite en abrégé
d'un journal indien, donnera. une idée de la vie qu'il
menait.
Un jour, dans la
solitude de la montagne, une
troupe de brigands assaillit le Sâdhou, le dépouilla de
ses vêtements et allait évidemment le tuer. Cependant,
impressionnés par son maintien, ils hésitèrent.
Profitant du délai, le Sâdhou leur parla très
simplement de Dieu. Toujours plus frappés, ils lui rendirent
ses habits et l'emmenèrent à leur caverne en lui
témoignant le désir d'en entendre davantage. Au bout
d'un moment, ils apportèrent une nourriture grossière
en l'invitant à en prendre sa part. On lui passa un bol dans
lequel on allait verser du lait ; avant de le faire remplir, le
Sâdhou commença à essuyer le bol qui était
extrêmement sale. Aussitôt le chef de la bande, plein de
sollicitude, le lui ôta des mains et l'ayant nettoyé
à grands coups de langue, le lui rendit d'un geste poli ! Or,
en matière de vaisselle, les Indiens des castes
supérieures sont plus délicats que les grandes dames
européennes ; chacun des membres de la famille a sa propre
coupe qui ne sert à personne qu'à lui. Mais le
Sâdhou, ne pensant qu'à l'intention courtoise,
reçut le service dans l'esprit qui l'avait dicté et il
continua son discours et son repas.
En 1922, il se rendit à
l'invitation
plusieurs, fois répétée de venir en Suisse et en
Suède, ce qui lui permit de réaliser le rêve de
sa vie. En se rendant en Europe, il put, en effet, visiter les lieux
sacrés de la Palestine, en compagnie de Sir William Wilcocks,
bien connu comme l'instigateur du grand barrage d'Assouan.
L'intérêt de Sir William Wilcoks pour le Sâdhou
s'était éveillé - qu'il me soit permis de le
dire en passant - à la lecture du volume « Le
Sâdhou » que j'ai publié en collaboration avec le
Dr A. J. Appasamy. En quittant la Suisse, où il fut
reçu avec beaucoup d'enthousiasme, il prit le chemin de la
Suède, et s'arrêta quinze jours en Allemagne. A Upsal,
il fut l'hôte de l'archevêque Soederblom, qui le chargea
d'une sorte de campagne missionnaire, et publia ensuite une
étude psychologique sur les expériences mystiques de
Sundar Singh. La personnalité du Sâdhou a d'ailleurs
donné naissance sur le continent à toute une
littérature, en français, en allemand et dans les
langues scandinaves. Il passa quelques jours en Danemark et en
Norvège, si je ne fais erreur, et il visita aussi la Hollande.
Puis il se rendit en Angleterre, mais il était si
épuisé par son travail qu'il fut forcé de se
reposer. Cependant, il réussit à prononcer une
allocution à la Convention de Keswick et à
présider une réunion dans le pays de Galles avant de
s'embarquer pour les Indes. L'été dernier, un faux
bruit d'assassinat au Thibet se répandit dans la presse
anglaise et continentale. Son père venait de mourir et la
similitude des noms fut sans doute cause de cette erreur.
Quant à l'origine du
présent
volume, je ne saurais mieux faire que de citer la lettre que j'ai
reçue à ce sujet du Dr Appasamy :
« Le Sâdhou m'écrivit de
le
rejoindre à Sabathu dans le but de travailler avec lui
à son nouveau livre. Sabathu est à environ deux ou
trois heures (le chemin de fer de Simla. C'est une station militaire
à douze ou quinze cents mètres d'altitude. Son
père avait insisté sur l'achat d'une maison où
son fils pût se reposer, méditer ou étudier
tranquillement. Au lieu d'acquérir un « bungalow »,
comme son père le lui proposait, le Sâdhou acheta une
ancienne maison missionnaire pour le prix de cinq cents roupies. Pour
y arriver, il faut traverser la partie la plus peuplée et la
plus sale de la ville. Ses plus proches voisins appartiennent
à la caste des balayeurs (vidangeurs) qui se livrent parfois
au milieu de la nuit à des querelles bruyantes ou qui font une
musique sauvage. Cependant, comme la maison est sur les confins de la
ville, on jouit de l'autre côté d'un magnifique coup
d'oeil sur les collines qui s'étendent à Perte de vue.
Cette maison me semble un symbole des deux mondes avec lesquels le
Sâdhou s'efforce de garder constamment le contact : le monde
agite des hommes, monde malpropre et sordide parfois, et le monde de
la nature, si beau et si calme.
La maison est occupée
par un de ses
amis, un médecin travaillant à l'asile des
lépreux de Sabathu. Le Sâdhou monte dans cette retraite
quand il éprouve le besoin de travailler dans la
tranquillité, d'étudier ou de se reposer. Il a une
chambre où il conserve précieusement les photographies
de ses amis ou d'autres personnes qu'il a rencontrées dans le
cours de ses voyages et où il garde aussi quelques livres,
parmi lesquels j'ai remarqué les deux tomes d'un Précis
de la Science, récemment publié par le professeur J. A.
Thomson. Le Sâdhou a lu ces deux volumes attentivement. Le
médecin chez lequel habite le Sâdhou, lorsqu'il monte
à Sabathu, est marié et père de quatre enfants.
J'ai souvent pris grand intérêt à observer le
Sâdhou causant ou jouant avec les enfants. L'on entend dire
parfois que le Sâdhou devrait fonder une sorte de
monastère pour y former d'autres sâdhous. je crois qu'il
serait très malheureux dans un entourage semblable car,
quoique ascète, il aime beaucoup la vie de famille et jouit
profondément d'un foyer.
Le Sâdhou avait achevé
la
composition de son ouvrage: « Réalité et Religion
» en ourdou. Il me raconta qu'il y avait travaillé
environ douze heures par jour pendant douze jours. Il gardait le
manuscrit en main et me donnait la substance de chaque paragraphe en
anglais ; je transcrivais parfois mot a mot ce qu'il disait, d'autres
fois je notais le contenu de ses paragraphes, employant,, partout
où c'était possible, ses expressions
elles-mêmes.
En lisant le manuscrit,
je fus frappé de
la clarté de l'exposé. Les idées sur Dieu, sur
l'homme, sur la nature, que la plupart d'entre nous trouvent
difficiles à expliquer même à des gens
accoutumés à un travail intellectuel, sont
exprimées ici d'une manière accessible aux esprits les
plus simples. C'est ce qui m'assure que le livre sera accueilli par
un très grand cercle de lecteurs. Ici et là, certaines
phrases pourraient soulever des objections de la part des philosophes
et des savants ; mais le Sâdhou ne prétend être ni
l'un ni l'autre, et le lecteur intelligent ne s'achoppera pas aux
détails: il saura apprécier la valeur de l'intuition
religieuse simple et directe qui anime tout le volume. »
B. H. Streeter.
Queen's College, Oxford,
le 6 février
1924-
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